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23 novembre 1833 - Numéro 7
 
 

 



 
 
    

Au Gérant.

Lyon, le 21 novembre 1833.

Monsieur,

Les ouvriers sont heureux que vous ayez pu surmonter les difficultés dont votre entreprise a été entourée à sa naissance ; vous avez élevé enfin une tribune indépendante, qui n?est soumise à aucune autre influence qu?à celle du progrès social. L?Echo de la Fabrique qui a la prétention d?être le journal de tous les prolétaires, n?est pas même entièrement celui de la classe qui l?a fondé : il n?est plus que l?Echo du Mutuellisme. J?ai lu votre article dans lequel vous prenez la défense des ouvriers en soie non Mutuellistes (et c?est le plus grand nombre) contre des attaques aussi injustes que déloyales. Vous avez bien fait de signaler la croissance d?une nouvelle église qui dit comme l?église chrétienne : « Hors de mon sein, il n?y a point de salut. » Je suis comme vous partisan des associations, mais de celles qui sont publiques ; c?est pourquoi je n?ai pas voulu me faire recevoir Mutuelliste. On ne m?a pas repoussé, je ne me suis pas présenté ; pourquoi ? parce que cela ne m?a pas convenu. J?ai peut-être eu tort, mais il me semble que j?ai le droit d?avoir tort, et je ne sais comment qualifier le langage d?un homme comme Me Chaney, étranger à la fabrique, et qui vient, sans autre préambule, déclarer que je suis un homme taré, ainsi que mes nombreux camarades. Qu?on loue les associations, je suis prêt à unir ma voix ; mais il ne faut pas les louer aux dépens de ceux qui ne veulent pas en faire partie. Les Français ne sont pas, je pense, des cénobites pour vivre sous une règle commune. Il n?y avait pas de société de Mutuellistes en novembre 1831, ou, s?il y en avait une, elle était secrète, si secrète que personne ne l?a vue, et les ouvriers ont été vainqueurs. Je ne crois pas non plus que ce soient les sociétés secrètes qui aient décidé, en juillet, la chute de Charles X ; le peuple arriva sans chefs et en improvisa sur le champ de bataille. Le grand tort des fondateurs de la société des Mutuellistes a été de vouloir, comme vous le dites fort bien, choisir leurs collègues au lieu de les accepter, pour présenter toute la fabrique unie en un seul faisceau. Cette société a renoncé par là à être universelle, parce que les exclusions n?étant fondées sur rien autre que sur des convenances personnelles et l?intrigue (ainsi que cela a lieu ordinairement dans les choses qui se font à huis-clos), ces exclusions ont empêché la majeure partie des amis de ces mêmes hommes, exclus sans motifs, de se faire recevoir. Je pourrais citer des noms propres qui embarrasseraient singulièrement MM. les Mutuellistes ; j?aurai la prudence de ne pas le faire. C?est assez vous dire que votre article a été lu avec plaisir par tous les chefs d?atelier qui sont étrangers au Mutuellisme.

Je dois vous signaler une lettre signée un fabricant, mais dont on reconnaît facilement l?auteur, insérée dans le dernier N° de l?Echo de la Fabrique. Cette lettre a principalement pour but de provoquer à l?établissement d?un bureau central où les négocians viendraient [3.1]d?abord volontairement et seraient ensuite forcés de venir, pour demander les métiers dont ils auraient besoin. Si ce projet recevait son exécution, qu?arriverait-il ? C?est que tous les chefs d?atelier, non Mutuellistes, seraient exclus de ce bureau et partant n?auraient point d?ouvrage. C?est là la tendance de la société du Mutuellisme ; je vous prie de la signaler et appeler l?attention de vos lecteurs. Il faut que tout le monde vive, même ceux qui ne font partie d?aucune société ; autrement, la société mutuelliste, qui est un bien, deviendrait un mal. Qu?elle y prenne garde : l?égoïsme est un vice dans un individu, mais il est un crime dans une association.

H. rivière,
fabricant non Mutuelliste.

 

 

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