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20 novembre 1833 - Numéro 6
 
 

 



 
 
    

Exposition Lyonnaise

de peinture, sculpture, etc.

Au Palais St-Pierre (M. Legendre Héral).

[3.2]Eclaircissons d’abord une petite difficulté grammaticale. Faut-il dire exposition ou exhibition ? Les journalistes parisiens sont partagés à cet égard ; les uns sont pour le premier de ces mots, les autres persistent à écrire le second. Pour nous, nous tenons pour le mot exposition, et en voici la raison : on expose ce dont on veut se défaire par vente, abandon ou délaissement ; on exhibe seulement ce qu’on veut montrer, mais garder en sa possession. – Une femme expose son enfant, un peintre son tableau, parce :qu’ils ont la pensée l’une de se débarrasser de son œuvre, et l’autre de la vendre ; ce qui est toujours s’en débarrasser. Au contraire, on se contente d’exhiber son passe-port à un gendarme, ou les pièces d’un procès à un avocat, parce qu’on ne prétend se défaire ni de son passe-port, ni des éléments qui constatent un droit judiciaire. Ainsi, en parlant d’un étalage public de morceaux de peinture et de sculpture dont les auteurs auront (je n’en sache point qui ne l’aient pas) une pensée de vente, c’est exposition qu’il faudra dire ; comme aussi exhibition sera seul le mot propre, si cet étalage est effectué par des amateurs dans un pur intérêt, ou d’amour-propre, ou de bienfaisance. D’où il suit que si la démonstration artistique qui a lieu aujourd’hui à St-Pierre est une exposition, dans toute la force du terme, celle qui se fit, il y a quelques années, à l’Hôtel-de-Ville au profit des ouvriers nécessiteux, n’était qu’une exhibition.

Ce petit coin de terrain grammatical déblayé, nous entrons dans le sanctuaire des arts lyonnais.

L’architecture, la sculpture et la calligraphie s’y disputent les regards, mais la sculpture a la préférence qu’elle mérite sans contredit.

La vue est tout d’abord frappée et presque offensée par l’aspect d’une Léda colossale ; – Cependant approchons et examinons cette masse de plâtre, dont le piédestal semble devoir craquer de moment en moment. La position en est naturelle, les bras et les mains sont bien, il y a de la justesse et de la grace dans l’inclinaison de la tête ; oui, mais cette tête n’a rien d’antique, rien de céleste, rien qui décèle la mère de Castor et de Pollux : avec ses yeux ulfra-fendus et son nez marchant vers son menton, Léda ressemble à une jolie chinoise plutôt qu’à la divine maîtresse de Jupiter. – Et le cygne, que caresse une main inerte, annonce-t-il par l’éclat de ses yeux, le port de sa tête, ou le frémissement de ses aîles, qu’il est actuellement animé par l’ame de feu du maître des Dieux, encore approchant de la plus belle des femmes de Grèce, touchant au siége des voluptés, et allant s’y noyer comme dans une mer de délices ?… Hélas ! non.

Mais voici un Silène du même auteur. M. Legendre-Héral prend ici sa revanche ; dessin correct, chairs morbides, expression physionomique parfaitement saisie. – Silène a cassé sa coupe, mais comme il est à trois quarts ivre, il rit de son malheur, et rit d’un de ces rires sans souci et ribauds, qui vous disent : « Qu’importe l’avenir, puisque le présent est à moi ? Je suis soûl, que Dieu fasse geler les vignes, je m’en moque. » C’est cela, c’est bien cela. C’est en un mot, une jolie chose que ce morceau de marbre. – Une observation toutefois. – M. Legendre1 n’ignore pas que Silène, père de Bacchus, est représenté par tous les mythologistes, vieux et barbare : pourquoi, dès-lors, l’a-t-il figuré vieux et imberbe (excepté un petit bouquet sous le menton), et pourtant complètement chauve ? Ensuite y a-t-il de l’harmonie entre la figure du demi-dieu, qui indique une trentaine d’années, et sa taille qui est celle d’un enfant de huit à dix ans ? A ces deux défauts près, et comme œuvre physique, le Silène de M. Legendre nous paraît sans reproches.

B. (A).

Notes (Exposition Lyonnaise de peinture, sculpture, etc...)
1 Il s’agit ici du sculpteur Jean-François Legendre-Héral (1795-1851).

 

 

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