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30 novembre 1833 - Numéro 9
 

 





 
 
     

de l?association

ENTRE LES MAITRES ET LES OUVRIERS.

[1.1]Partout où il y aura travail, dans l?ordre de choses actuel, il y aura opposition entre le maître et l?ouvrier. L?un cherchera toujours à diminuer les bénéfices de l?autre ; les intérêts seront divergens et devront nécessairement en souffrir. Supposez au contraire les intérêts liés et vous verrez la différence. Le maître aura profit à ce que l?industrie prospère, parce qu?il doit en retirer les plus grands avantages ; l?ouvrier s?y intéressera également, parce que ses bénéfices devront croître proportionnellement aux bénéfices généraux. Ajoutez que le logement et les denrées acquises aux frais de l?association pourront être plus économiquement achetées. Et qu?on ne crie pas au rêve ! à la folie ! Cette forme ne serait pas plus difficile à donner à l?industrie que celle qui a été adoptée et que l?on suit encore. Il n?est pas moins aisé d?engager des hommes à se lier dans leur intérêt, qu?à leur persuader de travailler à se nuire réciproquement. L?esprit d?association est naturel aux créatures ; il a fallu l?habitude pour le détruire. C?est là ce qu?on ne saurait trop répéter, c?est là ce que le gouvernement devrait comprendre. Pourquoi des essais d?association de ce genre ne sont-ils pas faits par lui dans les nombreuses entreprises qu?il tente pour son compte ! Pourquoi n?emploie-t-il pas ce système dans les colonies agricoles qu?il avait annoncées et dont on ne parle plus ? Pourquoi, à défaut de son action directe, n?encourage-t-il pas les essais partiels que tentent de simples particuliers, mais malheureusement avec des forces insuffisantes, faute d?être encore bien compris ? Regardons autour de nous : tous les hommes avancés, de quelque opinion qu?ils soient, quelque doctrine qu?ils professent, s?accordent sur ce point, qu?il n?y a de force possible qu?avec l?association, de prospérité à attendre que par son moyen. Ainsi Fourrier prêche la transformation du monde en un vaste phalanstère dans lequel seraient combinés les harmonies et le désaccord, comme dans une vaste et riche partition?. Association ! ? St-Simon, et après lui ses disciples professent l?indispensabilité d?une religion ou lien qui rattache les intérêts et les c?urs des hommes. Association ! ? Les catholiques, sous l?inspiration de La Mennais, demandent une résurrection des croyances du moyen-âge avec la charité réciproque et la fraternité chrétienne. Association ! ? Les républicains, encore sans plan avoué, mais pressentant pourtant l?importance de ce grand mot, se forment partout en clubs politiques, s?enchaînent les uns les autres par des promesses, des dons, des souffrances même ; et, dans cette union, voient l?assurance du succès et de leur avenir. Association ! ? Enfin, les économistes [1.2]utilitaires, eux-mêmes, dont M. Bowring a été jusqu?à présent l?expression la plus entière et la plus saillante, que demandent-ils ? l?échange libre des produits, la fraternisation des peuples et de leurs industries, la sainte-alliance des hommes de métiers, et par suite l?abaissement du prix des produits et l?accroissement de consommation pour chacun ! Encore l?association !?

Ainsi partout, de quelque côté que l?on regarde, quelque drapeau que l?on voie, toujours ce grand nom se lit comme devise. Certes, il y a dans une telle concordance de tous les hommes avancés un fait social concluant et une haute instruction. Quand un même cri part de tant de bouches, il mérite d?être écouté !?

maison centrale de commerce

ENTRE LES CHEFS D?ATELIER ET OUVRIERS,

Pour la fabrication et la vente des étoffes de soie1.

(Suite et Fin).

Statuts.

Les soussignés, chefs d?atelier et ouvriers pour la fabrication des étoffes de soie, résidant dans la ville de Lyon et ses faubourgs,

Considérant que depuis de longues années la baisse constante du salaire permet à peine à l?ouvrier de se procurer, en travaillant, le plus gros nécessaire, et que dans les temps de chômage il est réduit au plus complet dénuement ;

Considérant que la classe ouvrière s?est en vain adressée à l?autorité pour faire cesser un ordre de choses aussi déplorable : l?autorité n?a su prendre aucune mesure générale propre à rassurer l?avenir de l?industrie ; elle a continué à maintenir des charges qui écrasent le peuple ; que vainement aussi elle s?est adressée aux fabricans pour leur faire sentir la nécessité d?augmenter la main-d??uvre ; toujours la concurrence étrangère a été le prétexte sur lequel ils ont fondé leur refus, tandis qu?il est constant que cette concurrence n?existe que sur les chétives qualités des étoffes de soie ;

Considérant que, placés ainsi entre l?affreuse nécessité de végéter, de périr même, ou de se livrer à des actes de désespoir qui accroîtraient leurs maux, ils ne doivent prendre conseil que de leur courage ;

Persuadés que l?union franche et complète de leurs efforts peut les conduire pacifiquement à une aisance que leur refuse la constitution actuelle de la fabrique lyonnaise ;

Pleins de confiance dans leur loyauté réciproque, dans l?intelligence de tous leurs collègues, auxquels ils font un appel, et dans le concours des hommes de c?ur [2.1]qui ne séparent point les améliorations matérielles des progrès politiques d?une nation ;

Ils ont unanimement arrêté ce qui suit :

Art. 1. Il est formé entre les sieurs ?,
associés gérans, d?une part, et les soussignés, d?autre part, une Société en nom collectif, quant aux sieurs ?,
en commandite et par actions quant aux soussignés, sous la raison ? et compagnie.

Le prix des actions sera de vingt-cinq francs, et leur durée de cinq ans, à dater du jour de la création de chaque action.

Le montant des actions de chaque sociétaire ne pourra excéder la somme de dix mille francs.

Art. 2. La Société a pour objet la fabrication et la vente des étoffes de soie ; sa durée est limitée à vingt années, sauf ce qui sera dit aux articles 14 et 15.

Art. 3. Le capital social est fixé à la somme de ?
qui se compose, 1° de ?, montant des actions dont le prix sera versé par chacun des soussignés, suivant le nombre des actions dont il est propriétaire ; 2° de ? provenant des actions que les associés gérans sont autorisés à émettre.

En outre, les gérans pourront emprunter les sommes jugées nécessaires aux besoins de la Société, d?après l?autorisation du conseil administratif. Les sommes porteront intérêt à cinq pour cent, au profit du prêteur ; le montant des actions est spécialement affecté à leur remboursement.

Art. 4. Pour faciliter le versement du prix des actions, la répartition des bénéfices et la nomination du comité administratif, les associés se diviseront en sections, portant un numéro d?ordre, et dont la circonscription sera ultérieurement déterminée.

Chaque section nommera, à la majorité des voix, un président, un vice-président, un secrétaire et un trésorier.

Art. 5. Le Président tiendra sur un registre particulier et réglera, tous les six mois, l?état nominatif de ses sectionnaires et du nombre de leurs actions ; le montant de celles-ci, reçu par le Trésorier, sera déposé dans une caisse à trois clés, confiées, l?une au Trésorier, et les deux autres à deux Sociétaires qui feront le service à tour de rôle.

Les sommes seront versées, suivant les besoins de la Société, dans la caisse centrale, qui est administrée de la même manière que les caisses de section ; le Trésorier en retirera décharge sur son livre de caisse.

Art. 6. Un mois au moins avant chaque inventaire, le Président et le Trésorier adresseront aux associés gérans copie de l?état nominatif ci-dessus, lequel servira à déterminer la part des bénéfices revenant à chaque section.

Art. 7. Chaque action est aliénable, mais le vendeur ne peut transmettre son privilége à l?acquéreur, à moins que celui-ci ne remplisse les conditions de l?art. 8. Dans le cas contraire, la durée de l?action ne change pas, mais l?intérêt est réglé par l?art. 3.

Les coupons d?action dont la création aurait lieu dans l?intervalle d?un inventaire à un autre, auront droit aux bénéfices d?un trimestre,

Art. 8. La qualité d?actionnaire ne pourra appartenir qu?aux chefs d?ateliers et ouvriers, ainsi qu?aux maîtres et ouvriers dont les professions se rattachent directement à la fabrication des étoffes de soie, tels que teinturiers, mouliniers, ovalistes, chineurs, plieurs, devideurs, ourdisseurs, tireurs d?or, etc. etc.

Art. 9. Chaque associé s?engage à verser tous les mois, à la caisse de sa section, deux francs dix centimes, lesquels formeront au bout de l?année une action donnant droit aux bénéfices pour l?année suivante.

Art. 10. Tout individu, remplissant les conditions de l?art. 9, qui aura payé sa cotisation mensuelle pendant un an, deviendra actionnaire. Il lui sera délivré un titre d?action, ainsi qu?il est dit à l?art. 8.

Art. 11. La Société sera régie par les associés gérans ; chacun aura la signature sociale ; il leur sera adjoint tout le personnel jugé indispensable à la marche du commerce entrepris par la Société.

Art. 12. Leur gestion sera placée sous la surveillance immédiate d?un comité administratif, composé de vingt membres, nommés par les sections, convoquées séparément à cet effet au mois de janvier ; les mêmes membres seront rééligibles.

Art. 13. Le comité s?assemblera au moins une fois par mois, et plus souvent si le besoin du service l?exige ; dans ce dernier cas, le Président le convoquera par lettre individuelle. La présence de dix membres sera suffisante pour la validité des délibérations prises à la majorité des voix.

Art. 14. Le comité nommera les employés et fixera leurs appointemens ; il pourra aussi remplacer un ou plusieurs des associés gérans, les actionnaires lui donnant à cet égard toute faculté de dissoudre, avant l?expiration des vingt ans, la présente Société, à la charge de la reconstituer vis-à-vis de nouveaux associés gérans, aux conditions actuellement stipulées.

Art. 15. Réciproquement chacun des associés gérans demeure libre de résigner ses fonctions, en prévenant trois mois d?avance et par écrit le comité qui pourvoira à son remplacement ; il y pourvoira de même en cas de décès.

Art. 16. Le comité approuvera les inventaires, veillera à ce que leur résultat soit publié dans chaque section.

Art. 17. Il sera fait un inventaire général tous les six mois, au 1er janvier et au 1er juillet ; après le prélèvement de tous les frais, le bénéfice sera distribué à chacun des associés, proportionnellement au nombre de ses actions.

Art. 18. La première répartition aura lieu par section, ainsi qu?il est dit à l?art. 6. Chaque section sera chargée de la répartition individuelle.

Art. 19. Le présent contrat sera exécuté de bonne foi ; les difficultés [2.2]auxquelles il pourrait donner lieu, seront jugées par arbitres néanmoins, il ne s?opposera pas à ce que les changemens reconnus nécessaires aux besoins de la Société, ne puissent se faire par la délibération de la majorité.

Au Rédacteur.

Lyon, le 26 novembre 1833.

Monsieur,

Tous les hommes vertueux ne peuvent se défendre d?un sentiment pénible, en voyant l?espèce de division que des hommes imprudens semblent vouloir semer entre les travailleurs d?une même profession. Je n?ai pas sous les yeux les pièces du procès ; je ne connais la lettre de Me Chaney que par l?analyse qu?en a fait un de vos collaborateurs, et je m?étonne avec lui que des paroles aussi amères aient pu tomber de la plume d?un homme aussi honorable. De son côté, M. Sigaud, en répondant à cette attaque, a oublié toute modération, et a laissé échapper des soupçons qui pourraient nous blesser. Quoi qu?il en soit, je ne relèverai aucune des expressions injurieuses ou hasardées qui ont été prononcées de part et d?autre. Les Mutuellistes ne m?ont pas nommé leur avocat, et s?ils en avaient eu besoin, certes, ils auraient mieux choisi. Je ne veux être que médiateur : je suis Mutuelliste, mais je suis avant tout de la grande famille des travailleurs ! et mon unique but est de resserrer les liens qui doivent les unir tous dans une douce fraternité. Les sentimens patriotiques et cet ardent amour de l?humanité qui animent toutes les productions de votre plume, me sont un sûr garant que vous fermerez vos colonnes à tout ce qui pourrait donner quelques suites à cette querelle impie, dont les résultats seraient si funestes à la sainte cause du prolétariat qui se plaide aujourd?hui devant le tribunal de l?humanité. Quant à moi, je déclare que tout homme qui voudrait de nouveau se salir dans cette dispute, ferait acte de mauvais citoyen ; et je suis persuadé que vous ne voudrez pas encourir ce reproche. Comme écrivain, fuyez une rivalité haineuse ; et si un journal se dit le défenseur exclusif de tel ou tel, laissez-le dans sa triste spécialité. Élevez bien haut la bannière de l?émancipation de tous les travailleurs, et tous les hommes généreux viendront se ranger autour d?elle ; ou plutôt abjurant toute espèce d?antagonisme, réunissez vos efforts, et placez-vous comme deux phares lumineux pour éclairer l?entrée du port au vaisseau du prolétariat. Ce vaisseau ne craint pas d?être submergé ! Mais dans l?obscurité, et poussé par la tempête, il pourrait, dans sa marche rapide, briser les obstacles qu?il rencontrerait devant lui, au lieu de les éviter ; et les pilotes qui le conduisent ne veulent pas que son entrée soit marquée par aucun désastre, mais que son heureux pavillon soit salué par des acclamations universelles.

Veuillez, Monsieur, etc.

POIZAT, Mutuelliste.

Note du rédacteur. ? Nous insérons avec plaisir cette lettre d?un fabricant-Mutuelliste. Elle prouve ce que notre gérant a dit, que la majorité était loin de partager les sentimens étroits et exclusifs de quelques-uns, dont bien involontairement sans doute Me Chaney s?est fait l?organe. Nous ferons observer seulement à M. Poizat, que ce n?est pas l?Echo des Travailleurs qui le premier a été hostile ; il doit nous comprendre : notre journal d?ailleurs est issu d?une nécessité qu?on a eu tort de faire naître. N?est-il pas constant, en effet, que les fabricans non Mutuellistes avaient besoin d?un organe, le jour où l?Echo de la Fabrique tombait sous la dépendance immédiate du Mutuellisme, par le choix d?un gérant-rédacteur qui lui appartient ? L?Echo des Travailleurs, lui, ne fait aucune acception de la qualité des ouvriers, il ne voit en eux que des prolétaires à défendre ; il se bornera à ce rôle, jamais il n?attaquera le premier. Il n?aurait garde de le faire, puisqu?il compte plus d?une sympathie dans les rangs du Mutuellisme, et qu?il est disposé également, et peut-être plus que d?autres, à reconnaître les avantages de cette société, pourvu qu?elle se restreigne dans de justes bornes ; mais il a dû répondre à des allégations injurieuses qui empruntaient une grande importance du nom et du talent de l?avocat qui se les est légèrement permises. Il y a été universellement [3.1]invité ; il aurait manqué à son devoir en ne le faisant pas.

Quelques personnes ont cru voir dans la note qui précède la rétractation du sieur Derobert, insérée dans notre dernier numéro, et qui l?a été le lendemain dans tous les autres journaux, une malveillance contre l?Echo de la Fabrique. Telle n?a pas été notre intention, quoique, par notre position, il nous appartienne spécialement de relever les écarts dans lesquels ce journal pourrait tomber, ainsi que lui-même en a le droit incontestable à notre égard. Ce contrôle réciproque ne peut être qu?utile, en général ; personne n?est impeccable : mais nous avons été scandalisés de voir une accusation aussi grave, lancée avec autant de légèreté. Nous croyons que des attaques de ce genre, qu?on est obligé de rétracter le lendemain, en se soumettant à une amende honorable, et pour le pardon desquelles on est à la discrétion de ses adversaires naturels, nuisent essentiellement. L?Echo de la Fabrique, pendant les gérances successives de MM. Falconnet, Vidal et Berger, n?a jamais été aussi violent qu?en cette occasion (on ne sait pourquoi), et la présence du premier dans les magasins de MM. Arguillère et Mourron, en disait plus contre M. Bernard que notre article. L?Echo de la Fabrique, pendant cette période, n?a jamais rien rétracté de ce qu?il avait avancé. Il ne s?est jamais fait l?éditeur responsable d?une calomnie quelconque ; avant d?accueillir aucunes plaintes, il les a vérifiées ou ne les a présentées que sous une forme dubitative. Il n?avait pas besoin, et il ne cherchait pas à prouver son indépendance au risque d?exagérer. Il ne faisait pas la guerre aux personnes, mais à l?aristocratie seule, comme être collectif, et aux abus : c?était sa mission. Que dira donc à présent Me Jules favre, lui qui, dans sa brochure de la coalition des chefs d?atelier (Voy. p. 13), a dit qu?à des plaintes légitimes, l?Echo de la Fabrique avait quelquefois mêlé une âpreté plus nuisible qu?utile à sa cause. Reproche que, par parenthèse, nous croyons ne pas devoir accepter, au nom de ses anciens gérans et de ses collaborateurs.

conseil des prud?hommes.

Séance du jeudi 28 novembre 1833.

Burdy, fabricant, fait appeler Didier, apprenti, en résiliation de ses engagemens, attendu qu?il se trouve myope. Le conseil, ayant sous les yeux le certificat du médecin, résilie les conventions et alloue 50 fr. d?indemnité.

Rot, fabricant, fait appeler la demoiselle Vernay, apprentie, et déclare qu?elle ne veut pas faire ses tâches et qu?elle répond malhonnêtement lorsque l?on lui fait des observations. L?atelier étant sous la direction de M. Labory depuis un an, le conseil, d?après son rapport, condamne les parens de l?apprentie à payer 34 fr. pour arrière de tâche, plus 100 fr. d?indemnité. Il résilie les engagemens, et l?apprentie ne pourra se replacer qu?en cette qualité.

Hyvernon, fabricant, fait appeler Joubert, apprenti. ? Même cas et jugement que le précédent ; c?est-à-dire, 65 fr. pour les tâches et 100 fr. d?indemnité.

Nous sommes forcés de renvoyer au prochain numéro le compte-rendu de l?affaire des ouvriers cordonniers, accusés de coalition, et dont nous avons annoncé la condamnation.

Nécrologie.

J.-P.-A. Peiffer, né à Lyon le ??. 1803, aide-chirurgien-major de l?Hôtel-Dieu, est décédé dans cette ville le 21 novembre courant. Huit à neuf cents personnes ont accompagné dans le plus profond recueillement sa dépouille mortelle qui a été déposée au cimetière de la Magdeleine. M. Bonnet1, son collègue et son compétiteur, a le premier, par un discours plein d?érudition et d?une éloquence remarquable, payé le juste tribut [3.2]d?éloge et de regret dû aux talens de son collègue. M. Alexandre, qui avait aussi honorablement concouru avec M. Peiffer en 1830, a retracé les belles qualités de cette ame aimante, qui ne respirait qu?un avenir meilleur pour l?humanité. M. Charassin a ensuite, dans une énergique improvisation, dépeint les diverses circonstances de la vie de son ami, et toutes les jalousies contre lesquelles il a eu à lutter, et qui, en accélérant sa fin prématurée, devaient laisser des regrets dans le c?ur de ceux qui en furent les auteurs. M. Mouillon, enfin, a terminé cette scène de douleur en jetant, au nom de la société maçonnique dont le défunt était membre, quelques fleurs sur sa tombe ; il a déploré le sort fatal qui enlevait sitôt à l?amour de ses frères des talens et des vertus si justement estimés. Tous les discours, écoutés dans le plus profond silence et avec un saint recueillement, ont pénétré tous les assistans d?une vive émotion ; mais un spectacle plus beau avait lieu sans être aperçu du plus grand nombre : des malades, abandonnés de la médecine, et que la science et les soins de cet apôtre de l?humanité avaient rendus à la santé, accompagnaient aussi les restes de leur bienfaiteur ; ils versaient des larmes : les larmes de la reconnaissance sont le plus bel éloge que les vivans puissent faire des morts. Il fallait les entendre raconter, avec l?accent de la douleur la plus énergique, comment cet homme de bien, ayant su leur état de maladie, s?était de lui-même offert à les traiter gratuitement ; avait ranimé, par la simplicité de ses manières et ses paroles consolantes, leur courage abattu par l?abandon et la misère dans laquelle ils étaient plongés, et ne les avait plus quittés qu?il ne les eût rendus à la santé. « Il n?est plus, disaient-ils, et sans lui nous n?existerions pas !? » De pareils faits peignent bien plus que tous les discours, la perte que la science et l?humanité viennent d?éprouver. La patrie aussi perd en lui un citoyen dévoué, et la liberté un disciple fervent.
F........

Exposition St-Pierre.

MM. DUBUISSON. ? FONVILLE. ? LEYMARIE. ? MIle CHABERT.

(4me Article).

J?ai précédemment dit que l?école de peinture de Lyon est bien dûment morte, mais son personnel est plein de vie, Dieu merci. Mais, dira-t-on, un peintre qui ne produit pas lorsque l?occasion lui en est offerte, est mort, en tant que peintre ; c?est vrai, aussi ne vous dis-je pas que MM. Bonnefond, Thierriat, Duclaux1 et autres aient colorié leurs idées d?artistes en cette année de grace, j?ai presque envie de dire de misère, 1833. Nouveaux Achilles, ils se sont tous retirés dans leur tente, et ont abandonné le fardeau de l?exposition actuelle au peuple des peintres de notre cité. ? Le pourquoi ? ? Je vous le dirai peut-être quelque jour.

Quoiqu?il en soit, ce peuple est très nombreux, et vraiment si le merite de l?exposition était en raison directe de la multitude des exposans, notre musée temporaire n?offrirait que des chefs-d??uvres ; mais hélas ! les choses ne se passent pas ainsi, il s?en faut. Quand vous voyez le livret chargé de noms, pariez que les bons tableaux sont rares : témoin la dernière exposition de la capitale, où, sur plus de trois mille ouvrages, il y en avait une soixantaine à l?adresse de la postérité.

M. Dubuisson n?est pas encore un artiste, mais il le deviendra, s?il s?efforce moins à faire beaucoup qu?à faire bien. Il y a de la couleur et de la vie au bout de son pinceau. Ses animaux surtout sont bien traités à la première vue. J?ai pris la charette traînée par quatre chevaux pour un Duclaux ; c?est beaucoup d?honneur, je pense : que M. Dubuisson nous peigne donc des animaux. La nature l?a prédestiné à cela, mais non à la reproduction des combats. Son passage du pont de Bothwel est une phrase commencée, qu?il n?avait pas assez d?haleine pour achever. Ne forcez jamais votre talent, etc.

Il y a de l?air dans les paysages de M. Fonville ; ses arbres sont feuillés avec tact et intelligence ; mais l?air, les arbres, les personnages, tout cela pêche par la couleur, tout cela est mou et froid. On se croit dans les [4.1]marécages de la Bresse quand on regarde attentivement les toiles de M. Fonville, on respire mal à l?aise ; il vous prend comme une envie de tousser. Evitez les défauts de M. Jacob. M. Fonville, à Rome ! si vous m?en croyez, à Rome ! partez au plus tôt. Vous regagnerez vos frais de voyage.

M. Leymarie2 touche à l?extrême opposé. Le précédent artiste est trop mou, et lui trop sec, trop arrêté ; on dirait ses paysages tirés au cordeau, et par conséquent ils manquent d?air et d?eau, non pas certes de cette eau qui tombe ou va tomber, mais de cette eau qui se présume et qu?on aime à deviner, douce et salutaire, dans ces légers nuages qui courent à l?horison. Toutefois, M. Leymarie n?est pas dépourvu d?avenir, s?il travaille.

Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage, etc.

Relisez votre Boileau3, M. Leymarie.

Je voudrais louer Mlle Chabert, car j?ai beaucoup de déférence pour les dames, mais j?ai plus de déférence encore pour la vérité. Les paysages nombreux de cette demoiselle ont tous les mêmes défauts, je voudrais dire aussi les mêmes qualités. J?y cherche la nature, et j?y vois des lignes sèches et grises, partant froides, dont le maître de perspective peut à la rigueur être content, mais que le maître de peinture désavouera certainement, à moins que superposer les unes aux autres des couches de vert, de blanc, de bleu, etc., ce soit peindre. Mlle Chabert veut-elle que je lui donne un conseil, que j?ai d?autant plus le droit de dire un conseil d?ami, que je n?ai pas l?honneur de la connaître, qu?elle se mette à copier au lieu de peindre d?original : qu?elle reproduise et ne cesse de reproduire notre grand paysagiste Grobon4. A ce compte, mais à ce compte seulement, je lui promets des succès. C?est souvent placer son amour-propre à gros intérêts, que de savoir en ajourner les exigences.

B. (A).

Peinture nouvelle et économique.

Prenez de la chaux vive en suffisante quantité pour faire huit litres de blanc de chaux. Quand elle est éteinte, ajoutez y de l?eau, ensuite 1 kil. de sucre brun et 80 grammes de sel : le tout dans une proportion que l?expérience rendra de plus en plus facile pour varier les nuances. Si on ajoute du noir d?ivoire ou de fumée, on aura une belle couleur de plomb ; si on ajoute de l?ocre, on aura un beau jaune.

Cette peinture dont on se sert aux Etats-Unis résiste mieux que toute autre à l?air et aux intempéries des saisons.

Lectures Prolétaires.

Aux talens, aux vertus, aux bonnes qualités qu?on exige dans un domestique, quel est le maître qui serait digne d?être valet ? (Beaumarchais, Figaro).

On pourrait quelquefois parier pour un homme que beaucoup de gens décrient ; mais communément peut-on parier contre un homme prôné par une multitude de gens ? (Doutes sur différentes opinions, etc.; T. 1 p. 7).

Que de gens ont la réputation d?être méchans, avec lesquels on serait trop heureux de passer sa vie ? (Idem).

Où les monarques sont des dieux, le sage craint de cesser d?être homme. (J. J. Leuliette)

L?homme, comme un vaisseau qui traverse les mers, est tour à tour battu de tous les vents. (Lantier1)

La superstition et le libertinage émanent du même principe : la faiblesse de l?ame. (Idem)

Instruction publique.

école des beaux-artsLa rentrée des cours de cette école a eu lieu au palais St-Pierre le 20 novembre. Ces cours sont les suivans : principes, peinture (figure), idem (fleurs), sculpture (figure et ornement), gravure (taille-douce), architecture, mise en carte (fab. d?étoffes de soie), anatomie pittoresque, géométrie descriptive. Ces deux derniers cours seront indiqués ultérieurement.

Nota. Un enseignement particulier pour la sculpture [4.2](ornement) sera donné de 9 heures à midi aux ouvriers marbriers, plâtriers, tailleurs de pierre, ciseleurs, etc.

L?enseignement de la mise en carte comprend un cours de théorie-pratique de la fabrication des étoffes de soie. Les élèves des maisons de fabrique peuvent y assister deux ou trois heures dans la matinée.

Chimie. ? M. Pariset, pharmacien, a ouvert le 25 novembre au palais St-Pierre un cours public et gratuit de chimie appliquée aux arts et à la médecine. Ce cours a lieu les lundi et jeudi.

École de la Martinière. ? La rentrée des cours industriels et gratuits de cette école aura lieu rue des Augustins, lundi prochain 2 décembre. Ces cours sont les suivans : chimie appliquée aux arts et spécialement à la teinture, dessin appliqué aux arts mécaniques, mathématiques élémentaires, mécanique et physique industrielles, grammaire et écriture.

Nouvelles générales.

paris. ? Les ouvriers layetiers-emballeurs ont interjecté appel du jugement qui les condamnait, et dont nous avons rendu compte dans le dernier numéro.

? Le maréchal Jourdan est mort le 23 novembre à midi, à l?Hôtel des Invalides.

? Les ouvriers ébénistes se sont réunis le 25 novembre, aux Vendanges de Bourgogne, pour discuter leurs intérêts et fonder une association philantropique.

? Plusieurs maîtres tailleurs d?habits et ouvriers ont formé un projet d?association.

? Les ouvriers selliers-carrossiers doivent se réunir le 1er décembre.

? Le citoyen Fournier, chef de l?atelier des tailleurs, rue St-Honoré, n. 99, a été arrêté.

montpellier. ? Les ouvriers de la fabrique Zoc Granier se sont soulevés. Nous en ignorons les motifs.

annonay. ? La manufacture de M. Montgolfier, à St-Marcel, près Annonay, vient d?être la proie des flammes. L?incendie laisse sans ressources près de 150 ouvriers. Une souscription est ouverte pour ces malheureux, A LYON, chez MM. Périsse frères, rue Mercière, n. 33 ; Desgrand père et fils, rue Duhels, n° 17, et au bureau de l?Echo des Travailleurs.

EXTÉRIEUR

hanau (Hesse). ? Les ouvriers tailleurs se sont également coalisés ; plusieurs arrestations ont eu lieu.

glasgow. ? Les ouvriers maçons demandent que le prix de leur semaine, qui est de 14 f. 40 c., soit porté à 17 f. 80 c.

genève. ? Les ouvriers tailleurs sont coalisés.

allemagne. ? La diète de Francfort a supprimé la Gazette de Necker par un décret du 20 novembre. Ce journal a cessé de paraître le surlendemain.

Lyon.

Lundi prochain 2 décembre, aura lieu l?ouverture des assises du Rhône pour le 4e trimestre, sous la présidence de M. Sauzet, assisté de MM. Luquet et Quinson. Le mercredi , sera jugée l?affaire de la Glaneuse. Me Périer doit la défendre.

? Le pont Seguin, sur la Saône, sera incessamment livré à la circulation. Il ne peut rien ajouter à la gloire de l?habile et actif industriel, dont la réputation est faite et n?a rien à acquérir, mais il sera un bienfait pour notre ville, où il remplacera avantageusement le pont Niogret, dit Pont-Volant, qui compromet chaque jour la sûreté publique.

? M. Rousset père vient d?être nommé chef d?une division de la mairie de Lyon, créée sous le titre de police de sûreté.

? M. Goujon, président du conseil des prud?hommes, a été nommé chevalier de la Légion-d?Honneur, par ordonnance du 23 novembre. Aussitôt que nous connaîtrons les motifs de cette ordonnance, nous en ferons part aux lecteurs.

cancans.

Odry prétend que si tous les tailleurs d?habit s?insurgent, il faudra bien que le gouvernement prenne des mesures.

Le même dit qu?en refusant de travailler, les tailleurs d?habit veulent faire de nous des sans-culottes ; mais qu?il n?est pas tolérable que les cordonniers nous réduisent à être des va-nus-pieds.

Notes (maison centrale de commerce)
1 Marius Chastaing, dans L?Echo des travailleurs et, un peu plus tard dans La Tribune prolétaire présentera favorablement les projets de coopération en matière de production et de commerce. Il se révélera, en revanche, adversaire déclaré de la réalisation, d?inspiration fouriériste, de magasin coopératif proposé puis réalisé par Michel-Marie Derrion au tournant 1834-1835.

Notes (Nécrologie.)
1 Amédée Bonnet (1809-1858) chirurgien à l?hôtel-Dieu de Lyon.

Notes (Exposition St-Pierre . MM.  DUBUISSON . ? ...)
1 Jean-Claude Bonnefond (1796-1860), Augustin Thierriat (1789-1870), Antoine-Jean Duclaux (1783-1868), tous trois représentatifs de l?Ecole lyonnaise.
2 Alexandre Dubuisson (1814-1875), Nicolas Victor Fonville (1805-1856), Hippolyte Leymarie (1809-1844), jeunes peintres alors de l?Ecole lyonnaise.
3 Référence aux mots de Nicolas Boileau (1636-1711).
4 Jean-Michel Grobon (1770-1853), l?un des maîtres paysagistes de l?Ecole lyonnaise.

Notes (Lectures Prolétaires. Aux talens, aux vertus,...)
1 Probablement ici Etienne-François de Lantier (1734-1826).

 

 

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