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des arrestations préventives.
Et lorsque la porte d’un cachot s’ouvre et crie sur ses gonds, la société toute entière doit se lever et écouter. (servan, Mem. pour M. Vocance1.) [1.1]L’emprisonnement est une peine. Dans un état bien constitué, aucun innocent ne doit être exposé à subir une peine qu’il n’a pas méritée. L’emprisonnement (la privation de la liberté) est pour tout homme un grand mal ; pour le prolétaire, il est quelquefois égal à la privation de la vie, car pour lui il est souvent le premier pas dans le chemin de la misère, et on ne le sait que trop, les annales judiciaires en font foi, la misère offre aux malheureux que le sort y pousse deux seules issues, la mendicité et le vol : toutes deux conduisent à l’infamie. L’homme frappé par la loi d’une peine juste ou injuste est obligé, comme citoyen, de s’y soumettre ; c’est aux juges investis du pouvoir si grand de condamner ou d’absoudre leurs semblables, à tenir d’une main ferme et consciencieuse la balance qui leur est remise dans l’intérêt de la société ; mais lors même qu’ils se tromperaient, le citoyen condamné injustement ne saurait se prendre à eux, soit des vices et de la rigueur de la loi, soit des erreurs auxquelles l’humanité peut se laisser entraîner. Tirons un voile sur les accidens de la justice humaine ; mais nous ne saurions passer sous silence un monstrueux abus qui vient aggraver la loi pénale et se rit de la justice sous le manteau de la légalité. Nous voulons parler des arrestations préventives. Ce droit exorbitant est écrit, nous ne le nierons pas ; mais nous répéterons ce que nous avons dit dans l’affaire des ouvriers tailleurs de pierre, accusés de coalition, et nous le répéterons toujours et sous toutes les formes : La sagesse des magistrats doit amender le vice des lois. Avant que de lancer un mandat d’arrêt, le ministère public ou tel autre fonctionnaire investi de ce pouvoir extra légal, ne doit pas seulement réfléchir s’il le peut, mais s’il le doit. Il faut qu’il se demande si cette mesure est tellement urgente, qu’en ne la remplissant pas, l’ordre social serait compromis ; il faut, s’il a une femme et des enfans, qu’il leur demande : Que diriez-vous si l’on venait m’arrêter ? Que diriez-vous si mon arrestation vous laissait sans pain et peut-être sans asile. Il recueillera leurs réponses naïves et en fera la règle de sa conduite ; car d’autres femmes, d’autres enfans les profèrent avec larmes et désespoir… Nous disons donc : Toutes les fois qu’il n’y aura pas danger imminent pour la société à laisser un prévenu en liberté, le fonctionnaire qui signera contre lui un mandat d’arrêt sera coupable devant Dieu et devant les hommes. Que tous les maux que cette rigueur inutile [1.2]aura amenés sur une famille retombent sur sa tête impie !… Et cependant on se croit honnête homme, on dort paisiblement et l’on se fait un jeu cruel d’arracher un citoyen à son domicile, un artisan à ses travaux, un époux à son épouse, un père à ses enfans, et cela sur un simple soupçon, pour un délit problématique !… Vient ensuite le grand jour de l’audience, une peine légère est prononcée, souvent aucune. Ainsi, pour ne pas s’égarer au loin, nous rappellerons que les tailleurs de pierre ont été acquittés ; ils avaient été arrêtés préventivement et détenus pendant huit jours. Monnier a été acquitté par la cour d’assises ; une détention provisoire de trois mois avait donné un démenti au verdict du jury qui l’a déclaré innocent. Durand, Vuillamy et Tardy ont été condamnés, le premier à huit jours et les deux autres à quinze jours de prison ; dix-huit jours d’incarcération préventive étaient venus s’ajouter à cette peine légale. Tout cela dans quel but ? qu’on veuille bien nous le dire. Aurait-on peur que par la fuite les prévenus de coalition pussent se soustraire à une condamnation aussi minime ? Quel grand mal y aurait-il donc ? Nous répondrons : La république de Rome donnait à tous ses citoyens cette faculté. Qui l’en a blâmée ? Qui oserait la blâmer aujourd’hui ? Pense-t-on d’ailleurs que l’exil ne soit pas une peine assez forte pour de tels crimes ; et pour tout dire, croit-on qu’il soit bien facile de quitter ainsi son pays et de transporter ailleurs ses dieux pénates ? C’est donc une vexation entièrement gratuite. Qu’on applique la mesure acerbe de l’arrestation préventive aux grands coupables, à ces hommes que la clameur, publique ou le flagrant délit désignent comme auteurs de crimes qui appellent une sévère répression, et dont la séquestration importe à la société ; mais pour de simples délits qu’on commet sans remords, qu’on avoue sans honte, ce luxe de pénalité est vraiment odieux. Les ouvriers tullistes, condamnés à trois jours de prison, se sont-ils enfuis ? Non : ils n’en ont pas même eu l’idée. Ce n’est pas assez pour nous d’en avoir appelé à l’humanité des magistrats ; à la société qui ne demande pas de peines inutiles : nous voulons considérer cette question des arrestations préventives sous un jour nouveau. Nous avons dit qu’elles étaient un attentat à la liberté individuelle, un acte d’inhumanité, une vexation gratuite. Nous irons plus loin, et nous dirons que dans certains cas, notamment dans ceux qui nous occupent spécialement et qui se produisent chaque jour dans les procès de coalitions, les arrestations préventives sont un déni de justice, une usurpation de pouvoirs. Nous allons le prouver. Le législateur a établi deux degrés de juridiction et même trois, en y comprenant la cour de cassation : pourquoi ? [2.1]sans doute parce qu’il n’a pas voulu laisser la vie, la liberté, la fortune des citoyens à la merci de quelques-uns ; il n’a pas voulu qu’un citoyen fût victime d’une prévention que le tems aurait pu détruire ; d’une application erronnée de la loi, qu’un second examen peut rectifier ; d’une défense mal habile, incomplète, car il faut faire la part de tout le monde : il a voulu que la sagesse des juges fût soumise elle-même à une seconde épreuve. Eh bien ! cette prévoyance du législateur qui l’honore et témoigne de son respect pour les droits de ses semblables, l’arrestation préventive la rend inutile, l’annule de fait. Voici comment : si je suis en liberté je ferai tout pour y rester, j’épuiserai tous les degrés de juridiction, je me rendrai en prison le plus tard qu’il me sera possible, et lorsque tous les recours auront été employés inutilement par moi, lorsque, en un mot, je succomberai sous le poids d’une condamnation unanime. Mais si je suis en prison, j’aurai hâte d’en sortir et dès-lors, irai-je prolonger moi-même, de gaîté de cœur et dans l’intérêt d’un principe, une captivité onéreuse ? non sans doute, et par conséquent courbé par une force brutale, j’accomplirai un jugement contre lequel mon esprit se révolte, je n’emploierai aucune des chances que je pouvais attendre, par le bénéfice de la loi, d’un appel dont le résultat serait de me retenir quelques jours de plus en prison. Me Chaney nous répondait avec raison, lors du procès des ouvriers tulistes, qu’il ne suivrait pas notre conseil d’interjeter appel, parce que le jour où notre journal devait paraître, ses cliens, seraient déja libres. Cette réponse tant soit peu ironique était bien la critique la plus complète qu’il faisait sans s’en apercevoir, non pas de notre conseil, mais de la loi ; ainsi, qui conseillera aujourd’hui aux ouvriers cordonniers, récemment condamnés malgré les efforts de Me Perrier, d’interjeter appel ? Ce ne sera pas nous, car ils seront libres avant que leur appel soit en état d’être jugé. Il y a donc dans l’arrestation préventive qui empêche les citoyens d’user d’un droit légal, celui de recourir à un tribunal supérieur, un véritable déni de justice. Par une suite nécessaire du déni de justice à l’égard des citoyens, que nous croyons avoir établi, il y a empiétement sur les fonctions des juges supérieurs. Ces magistrats ont aussi le droit de juger, et ils en sont cauteleusement empêchés. Sait-on comment ils envisageraient la question qui leur serait soumise ? sait-on s’ils ne proclameraient pas innocent l’homme que les premiers juges auraient trouvé coupable ? Qu’importe ? une loi peu sage l’a permis. Il dépend d’un fonctionnaire qui aura abusé du pouvoir de la loi en ordonnant une arrestation préventive, au moins inutile ; il dépend de lui, sans qu’il assume la moindre responsabilité, de soustraire l’appréciation d’un fait par lui qualifié de délit, à l’appréciation plus éclairée des magistrats qui sont ses supérieurs dans l’ordre judiciaire. Cet abus n’est-il pas révoltant, n’est-il pas contraire à toute justice ? Nous nous étonnons que les avocats, les journalistes, ne se soient pas élevés plus souvent et avec plus de force que nous ne le pouvons nous même contre cet infame privilége d’incarcération. Notre sphère est bornée, notre voix a peu de retentissement, mais nous jetons en ce moment un cri de liberté, il sera entendu, nous n’en doutons pas. D’autres voix se joindront à la nôtre, et si le droit d’arrestation préventive subsiste encore quelque tems dans le code de nos lois pénales, une réprobation unanime forcera de rougir celui qui oserait s’en servir sans y être contraint par une nécéssité évidente. marius ch.....
ouvriers cordonniers. police correctionnelle de lyon.
Accusation de Coalition contre les citoyens Tardy, Vuillamy et Durand. Un nombre considérable d’ouvriers de toutes professions assistait aux débats de cette affaire. Les prévenus ont reconnu qu’ils font partie d’une association d’ouvriers cordonniers, qui a pour objet la fixation du salaire ; qu’ils sont allés trouver plusieurs de leurs camarades pour les inviter au nom de l’association, à suspendre leur travail ; mais ils soutiennent qu’ils n’ont employé ni menaces, ni violences. [2.2]On entend divers témoins dont les dépositions n’apprennent rien de plus que ce qui a été raconté par les accusés. M. Durieu, remplissant les fonctions du ministère public, soutient qu’il y a coalition dans le sens de l’art. 415 ; que ce délit, quand bien même il n’a été accompagné ni de violences, ni de menaces, est punissable, et demande que la loi, bonne ou mauvaise, soit appliquée. Me Michel-Ange Périer était chargé de la défense des prévenus. Après avoir protesté, au nom de ses cliens, contre leur détention préventive dont il démontre l’inutilité, tracé le tableau de la misère des ouvriers cordonniers, et prouvé, par des chiffres, l’insuffisance de leur salaire, Me Périer a dit : « Mais ce n’est pas dans ces détails de misère que se réfugie la défense ; nous ne demandons pas pitié, mais justice, et la question veut être envisagée de plus haut. Dans l’ordre moral comme dans l’ordre matériel, les faits particuliers se rattachent à des faits généraux. Pour bien juger un phénomène isolé, il faut remonter aux causes et juger l’ensemble des phénomènes auxquels il appartient. Les coalitions d’ouvriers (je me servirai, si l’on veut, de ce mot) sont un des faits les plus graves de notre époque ; c’est un fait nouveau, immense, qui surgit et vient prendre place comme élément social ; les phénomènes sociaux se produisent comme des nécessités providentielles ; ils ne naissent pas de la loi, mais des besoins généraux ; ils se font jour à travers d’autres phénomènes qui vieillissent et disparaissent, ils prennent place dans les idées, les mœurs, avant de se formuler en loi. Si la loi est impuissante à créer des faits sociaux, elle est également impuissante à en étouffer le germe et à en arrêter le développement ; elle n’a de force qu’en vertu de ces phénomènes dont elle est la représentation et la formule ; elle n’a de force par conséquent qu’autant qu’elle en est la représentation vraie. Ceci posé, il faut reconnaître 1° que les coalitions sont un fait. Ce n’est pas le moment d’examiner si ce fait est un bien ou un mal ; c’est un fait social et par conséquent nécessaire : « Et 2° que la loi ne parviendrait pas à les empêcher, car elle ne pourrait leur opposer qu’une force relative, et les faits ont une force absolue. On se tromperait toutefois étrangement à ne voir dans les coalitions qu’un déchaînement de forces et d’intérêts anti-sociaux. – S’il en était ainsi, le mal serait sans remède, la société serait perdue. – Mais il y a là, au contraire, un levier immense, un principe organisateur. Depuis bien long-temps déja s’était fait sentir le besoin d’une répartition meilleure des bénéfices entre l’ouvrier et le maître, c’est-à-dire, entre l’industrie et le capital. – La réalisation de ce besoin était reléguée au nombre des utopies. – Nous touchons à la solution du problême. L’exploitation de l’homme par l’homme cessera seulement par de grandes associations industrielles où l’industrie et le talent ne seront plus les très humbles vassaux du capitaliste, mais entreront avec lui en partage des bénéfices. – Le genre de ces associations existe déja. – Les coalitions d’ouvriers en sont le prélude et l’ébauche informe. Dans l’état actuel de l’industrie, le travailleur n’est entre les mains de l’exploitant qu’une machine à produire. Le salaire est calculé, non à raison de la valeur donnée à la matière première par le travail de l’ouvrier, mais à raison de ce qu’il faut strictement à l’ouvrier pour ne pas mourir de faim ou de froid. Voyez l’Angleterre où l’industrie est plus avancée ; la misère des travailleurs s’est accrue en proportion exacte de l’augmentation de la richesse. – C’est ce qui arriverait chez nous par le progrès même de l’industrie, s’il ne devait se réaliser très prochainement, par l’association, une transformation immense dans l’organisation du travail. En Angleterre, le pays le plus riche du monde, où les hauts barons de la féodalité industrielle comptent leurs revenus par des millions, le tiers des travailleurs en est réduit à recevoir l’aumône publique ! Eh ! bien, les ouvriers chez nous ne veulent pas de cette aumône ! Ils veulent vivre de leur travail ! Ce mot dit toute la cause. […] Nous laissons toute récrimination contre cet art. 415, dont les dispositions s’accordent peu avec le libre développement du principe de l’association. – Cette loi n’a qu’un tort, celui d’avoir été faite il y a vingt ans. –Elle ne pouvait pas tenir compte d’un fait qui n’existait pas encore, qui ne devait prendre place dans les mœurs industrielles que vingt ans plus tard. Il en est de cet article comme de toutes ces vieilles institutions que notre raison repousse aujourd’hui, quoique toutes aient été légitimes et nécessaires à une époque donnée. Cet art. 415 ne signifie plus rien aujourd’hui, son application est impossible. Les maîtres et chefs d’atelier sont coalisés de toutes parts. – Nous ne nous en plaignons pas. – Nous trouvons cela au contraire fort naturel. » Me Périer prouve ici la coalition des maîtres par le seul fait d’un salaire fixé par eux à un taux uniforme dans tous les ateliers. Il discute ensuite les termes de l’art. 415 pour reconnaître si, dans le cas même où cet article ne serait pas abrogé par la force des choses, on pourrait voir un délit dans le simple fait de coalition sans violence. [3.1]Une condamnation, quelque légère qu’elle fût, dit en terminant le défenseur, me semblerait un fait affligeant, un attentat contre les principes, une protestation inutile contre la marche des choses ; elle aurait en outre pour résultat d’user le pouvoir moral des arrêts judiciaires contre la force d’un fait indestructible. Si cette condamnation devait être prononcée, tout en la respectant comme l’expression de votre conscience, je me consolerais en pensant que les principes ne périssent point ; que les idées vraies et utiles doivent s’imposer tôt ou tard, et triompher de toutes les préventions et de toutes les résistances. » Le tribunal entre en délibération et rend son jugement en ces termes : Attendu qu’il est établi au procès que Tardy, Vuillamy et Durand font partie d’une coalition d’ouvriers pour l’augmentation des salaires, qu’en outre ils se sont rendus dans plusieurs ateliers, au nom de cette coalition, pour y faire cesser le travail ; Qu’il résulte de ces faits le délit prévu par l’art. 415 du code pénal ; Attendu que la cause présente des circonstances atténuantes qui permettent de réduire la peine par application de l’art. 463 dudit code ; Que ces circonstances consistent surtout dans l’absence de toute menace ou voie de fait ; Le tribunal, faisant application des articles cités, condamne Tardy et Vuillamy à quinze jours de prison, et Durand à huit jours de prison ; les condamne en outre solidairement aux dépens.
RENOUVELLEMENT PARTIEL du conseil des prud’hommes.
Un tirage au sort a eu lieu dernièrement entre les membres pour déterminer ceux qui devaient sortir. Parmi les négocians, MM. GOUJON, GAMOT, titulaires, et BRISSON, suppléant, et parmi les chefs d’atelier, MM. DUMAS, titulaire, CHARNIER et VERRAT, suppléans, ont été désignés pour cesser leurs fonctions au 1er janvier prochain. Les électeurs sont convoqués pour procéder à de nouvelles élections, savoir : les négocians pour le samedi 28 décembre courant, et les chefs d’atelier pour le lendemain à 8 heures du matin. Nous reviendrons sur ce sujet important pour la classe ouvrière de Lyon.
École de La Martinière. Lundi dernier, ainsi que nous l’avions annoncé, a eu lieu l’ouverture de l’école de La Martinière, dans le nouveau local qu’elle possède, rue des Augustins. MM. Prunelle, Elisée Devillas et Cristophe Martin ont pris successivement la parole en présence d’un auditoire assez nombreux, et qui l’aurait été d’avantage si cette cérémonie eût été convenablement annoncée. Il nous semble que la mémoire du major Martin méritait d’avantage. On a remarqué avec plaisir son portrait dans le fonds de la salle. M. Prunelle a été long, très long dans son discours ;i cependant il a reçu des applaudissemens qui ont dû lui prouver qu’il n’était pas à la chambre des députés. M. Devillas a été à peine entendu ; mais M. Martin a recueilli des suffrages unanimes qui s’adressaient autant à l’orateur qu’au neveu du bienfaiteur de Lyon. Nous reviendrons sur cette cérémonie et sur l’école de La Martinière.
i. Pendant la séance, un valet de ville a apporté trois verres d’eau sucrée, ce qui a fait dire à de mauvais plaisans qu’ils ne savaient pas si on les apportait pour que M. Prunelle fit un long discours, ou si M. Prunelle faisait un long discours pour avoir le temps de les boire.
LE MARÉCHAL JOURDAN.
Encore une pierre qui tombe Du temple de la Liberté. Alex. dumas1. Jean-Baptiste JOURDAN, maréchal de l’empire, pair de France, gouverneur des Invalides, est mort à Paris le 23 novembre dernier. Il était né à Limoges le 29 avril 1762. Soldat en 1778, il combattit pour l’indépendance américaine, et puisa à cette école les principes de liberté qui le guidèrent pendant le cours d’une carrière aussi longue qu’honorable. Rentré dans sa patrie, la France le compta au nombre de ses plus zélés défenseurs. En mai 1793, il fut nommé général de brigade ; en 1794, il commanda l’armée de la Moselle et remporta la célèbre victoire de Fleurus. Nommé en 1797 au conseil des Cinq-Cents, il porta à la tribune nationale les [3.2]sentimens républicains qui animaient l’immense majorité de l’armée française. L’attentat de brumaire ne vit pas Jourdan au nombre de ses complices ; nous l’en louerons spécialement et sans réserves. Jourdan ne prostitua pas, comme tant d’autres, la cocarde tricolore aux pieds d’un maître ; le général Bonaparte lui en sut mauvais gré et ne l’appela en activité de service qu’en 1809 ; il savait que Jourdan acceptait sa royauté comme un fait qu’il n’avait pu empêcher, et contre lequel sa dignité de citoyen se révoltait en secret. Jourdan, successivement gouverneur de Naples et major-général de l’armée d’Espagne, partagea les revers de cette armée à Vittoria. Ainsi s’est terminée sa carrière militaire active. 1815 ramena de l’île d’Elbe l’empereur des Français. Ce fut alors un devoir à tous les citoyens de se rallier à lui. Carnot lui-même, le sublime Carnot en donna l’exemple ; Jourdan le suivit… Les revers de la nation à cette époque désastreuse sont trop connus pour les rappeler ici ; les Bourbons furent imposés une seconde fois à la France, et Jourdan resta dans une espèce d’ostracisme. La révolution de 1830 présageait une ère nouvelle. Jourdan fut, à son début, ministre des affaires étrangères ; mais son grand âge et plus encore les combinaisons de la politique orléaniste, lui donnèrent bientôt pour retraite la place de gouverneur des Invalides. Disons encore quelques mots à sa gloire. Le maréchal Jourdan n’a jamais eu honte d’un nom qu’il avait illustré par des vertus civiques et guerrières ; il n’a jamais demandé à la féodalité d’affubler ce nom d’un titre de prétendue noblesse, de l’ensevelir sous les oripeaux du blason. Né plébéien, il a vécu, il est mort plébéien. Qu’il en soit publiquement loué ! Paix et honneur aux cendres de Jourdan ! Après avoir payé notre tribut à ses mânes, il nous reste une bien triste réflexion à émettre : les hommes géans de la Convention, les soldats qui préservèrent la France de l’invasion étrangère, ne sont plus qu’en bien petit nombre. Cette noble génération va tout à l’heure appartenir tout entière à l’histoire… Ils s’éteignent chaque jour, les nobles débris de la France républicaine… Puissent des hommes nouveaux surgir dignes de les remplacer ! M. C.
Le pauvre diable industriel. (Suite et fin.) Le maire. – Je suis content de votre manière de raisonner sur ce point ; causons un peu là-dessus, je prendrai des notes, et je rédigerai un vote pour notre conseil général ; je ne serai pas fâché d’y draper un peu les financiers, car ce sont les ennemis nés des propriétaires, qu’ils appellent des oisifs. Voulez-vous rester avec moi, vous m’apprendrez l’industrie, je sens qu’elle acquiert de l’importance même par ses malheurs ; vous me l’expliquerez, et moi je vous fournirai de quoi vivre. Que voulez-vous pour cela ? Le vagabond. – Des habits, du pain et une chambre. Le maire. – Pourquoi n’évaluez-vous pas cela en monnaie, 1200 fr. par an, par exemple ? Le vagabond. – Monsieur, j’ai horreur de ces appréciations ; depuis que les marchands d’or et d’argent ont tout su amener à eux, je ne veux plus rien avoir à faire avec la monnaie : toutes, les fois que j’ai eu le malheur de traiter de mes affaires en les stipulant dans cette valeur, j’ai vu mes plus beaux calculs renversés par des bourrasques auxquelles je ne m’attendais pas. Tant il y a que, si j’avais reçu du drap, de la toile, des vivres et le droit de me loger quelque part, en récompense de mes travaux, j’en aurais au moins pour trois cents ans car personne n’a plus travaillé que moi, et d’un travail compliqué et difficile, pour lequel il faut une intelligence naturelle et un long apprentissage préparatoire. Bon an, j’ai fourni à la consommation plusieurs millions d’aunes de toile de coton sur lesquelles il y avait de mon travail ; et je suis privé de tout, tandis que ceux qui ont gêné les producteurs ont vu se transformer leurs bénéfices en matière consommable, qui fut créée par la main de malheureux qui n’ont pas de quoi couvrir leur [4.1]nudité et apaiser leur faim. Il valait bien la peine de renoncer au régime féodal pour en voir naître un nouveau ! Peu m’importe que l’industrie soit pillée par des chevaliers ou par des financiers ; le résultat est le même. Le maire. – Voila le fâcheux : pourquoi diable êtes-vous vagabond ? vous y mettez sans doute de l’entêtement, c’est peut-être un peu pour décrier le gouvernement que vous vous êtes laissé tombé dans le dénuement. Vous n’avez donc rien lu de tout ce qui se dit de fort dans les livres et à la tribune des députés, sur les progrès étonnans de l’humanité, et sur la prospérité toujours croissante de la France ? On démontre par des chiffres que nous devons être plus heureux à présent qu’il y a dix ans, par exemple. Le vagabond. – Je ne sais s’il y a moyen de prouver cela par des chiffres, et s’il est vrai qu’en France on rencontre quelque augmentation de bien-être ; j’ose croire que, puisque avec du travail, bien entendu, je n’y participe pas, il y a quelque vice au fond de tout cela. Ma vie est une triste image du sort de cette partie industrielle de la société, qui ne sait point se ranger sous la bannière du privilége et du monopole. Il est des hommes condamnés aujourd’hui à servir des bêtes de somme à la production, et il est dur d’avouer que ce ne sont pas les moins intelligens. Le maire. – Ce que vous me dites là pourrait bien avoir son côté exact, et je ne serais pas fâché de vous entendre soutenir cela par quelques bons argumens ; je vois tant de misère à l’entour de moi, qu’il me prend quelque fois l’envie d’en rechercher la cause ; mais j’ai un certain receveur d’enregistrement qui détruit toutes mes raisons, en me parlant du crédit de l’état. Les gros bonnets de la commune prétendent que c’est très concluant. Le vagabond. – C’est un système comme un autre, que de croire faire la fortune des gens que l’on ruine en détournant leurs capitaux d’emplois productifs, mais cela n’a qu’un temps. Le maire. – Croyez-vous ? Expliquez-moi un peu cela. Le vagabond. – L’ignorance sur les vrais ressorts du crédit a fait tout le mal que l’on cherche en vain à déguiser par des articles de journaux, des expositions d’une industrie détournée de la route naturelle, et de faux calculs. Les financiers ont cru donner du crédit au gouvernement parce qu’on a su priver le travail des capitaux qui lui étaient destinés, pour les faire affluer dans les emprunts publics. Si on eût été habile, on eût remplacé ces capitaux en fondant pour le commerce des institutions de crédit, conséquence inévitable d’un système d’emprunts. Mais comme on ne connaissait rien à ce qu’on faisait, les crises commerciales et des révolutions ont succédé aux beaux rêves des incapables, et l’on cherche encore la cause des malheurs industriels, tandis qu’elle est évidente pour qui veut regarder devant soi ; mais comme il y a des monopoles là-dessous, on emploie tous les moyens pour écarter les esprits sains de pareilles contemplations. Le maire. – Ah ! ah ! messieurs les financiers, qui criez si fort contre le régime féodal, c’est à votre profit que vous le reconstituez, nous verrons ! Continuez, mon ami, votre conversation m’intéresse. Le vagabond. – Cependant ne rendez pas ces particuliers responsables des malheurs des temps ; n’en accusez que de faux systèmes, et l’abandon de ce principe : laissez faire, laissez passer. Le maire. – C’est un axiome de paresseux, qu’il n’est pas difficile de suivre, mais c’est dangereux ; d’ailleurs vous avez des économistes qui ne veulent déja plus de cette doctrine. Le vagabond. – Je tâcherai de vous l’expliquer, non avec des phrases de théorie économique, pour lesquelles vous n’avez pas besoin de moi puisque vous pouvez lire M. J. B. Say, qui est à mon avis l’écrivain le plus clair et le plus précis sur ces matières, mais par des faits commerciaux puisés dans la nature des choses. En effet, après mainte conversation de ce genre, le maire eut honte d’avoir cru à l’efficacité des réglemens [4.2]sur l’industrie ; il revint sur plusieurs ordonnances qu’il avait faites sur la police des marchés de sa petite commune ; il avait jadis limité le nombre des bouchers et des boulangers, il eut soin de rendre libres tous les états qu’il avait cru pouvoir règlementer : il fut enfin persuadé que la main de l’administration gâte ce qu’elle touche. Tant de lumières attirèrent sur lui les regards du sous-préfet ; on le fit épier, et l’on apprit qu’il tenait ces belles choses d’un vagabond. Grand scandale dans l’arrondissement, si grand, que le maire fut obligé de renvoyer son maître en économie politique ; il lui fournit un vêtement noir complet, un passe-port pour l’Angleterre, et il le recommanda à un pair de la Grande-Bretagne. A Londres, on trouva le vagabond très sensé ; il devint secrétaire intime de lord Althorp, on dit même qu’il a mis un peu la main à la réforme du parlement ; on croit que c’est à lui que l’on doit les mesures qui ont mis fin à la crise commerciale de l’Angleterre. En France, on sait trop bien se garder des conseils d’un pauvre diable, pour en être arrivé à ce résultat ; chez nous, c’est aux gens qui font les abus que l’on demande des avis pour les faire cesser ; aussi, nous sommes très heureux ! J. J. Faz..1
Nouvelles générales. paris. Le colonel Mermillod, père de l’avocat de ce nom, est mort le 28 novembre dernier, âgé de 75 ans. Il avait été aide de camp du général Championnet1. – Une commission de 11 membres vient d’être nommée par le ministre de la justice à l’effet de préparer un projet de loi sur les faillites. – On annonce que Lakanal, l’un des membres de notre immortelle Convention, victime des réactions de 1815, expulsé à cette époque comme régicide, et réfugié en Amérique, revient à Paris et se propose de réclamer la place qui lui appartient à l’académie des sciences morales et politiques dont il faisait partie lors de la suppression, et où on a omis de le réintégrer, lors du rétablissement de cette classe de l’Institut2. – Sept ouvriers tailleurs d’habits, prévenus de coalition sans violence, sont en ce moment traduits devant le tribunal de police correctionnelle. Leur procès a commencé le 29 novembre dernier. Vingt-sept citoyens accusés de complot tendant au renversement du gouvernement, sont traduits devant la cour d’assises. Ils seront jugés le onze de ce mois. On distingue parmi eux le capitaine Kersosie, le poète Parfait, le savant et illustre Raspail3. Nous rendrons compte de ces deux procès. grenoble. Le clergé de cette ville fait une rente de 500 francs par an au curé assassin Mingrat4, détenu à Fenestrelles. montpellier. M. Louis Baraduc, arrêté préventivement depuis plusieurs mois, pour avoir porté un toast réputé séditieux dans un banquet patriotique, pour l’anniversaire des journées de juillet, a été acquitté le 25 novembre par la cour d’assises de l’Hérault.
EXTÉRIEUR.
Italie. – On annonce que la fille dont l’ex-duchesse de Berry est accouchée à Blaye, vient de décéder à Livourne. Espagne. – Le ministre de la guerre Santa-Cruz a donné sa démission ; il est remplacé provisoirement par Zarco del Valle, constitutionnel. On annonce que Saarsfield a battu le curé Mérino, chef carliste1, et est entré à Vittoria.
lyon. – Le tableau de M. Court représentant une scène de la Convention (1er prairial an 3), Boissy-d’Anglas saluant la tête de son collègue Féraud qui lui est présentée au bout d’une pique, est exposé pour quelques jours à l’hôtel-de-ville. – La 71e et dernière représentation de la République, l’empire et les Cents jours a eu lieu vendredi dernier au Grand-Théâtre. – Le gérant de la Glaneuse a été condamné ce matin, par défaut, à 6 mois de prison et 3,000 f. d’amende.
cancans.
M. Goujon a la croix-d’honneur. Et pourquoi pas ? qu’est-ce que cela prouve ? C’est une injustice de n’avoir donné la croix qu’à M. Goujon : tous les prud’hommes la méritent. Croix et crachat sont synonimes. Un crachat à M. Mart...., un crachat à M. Lab..., un autre à M. Per..., etc., etc., etc. On vend la brochure suivante chez tous les libraires : La Rétractation, élégie en prose, par M. B.....
Notes (des arrestations préventives.)
Référence sans doute au mémoire de Joseph-Michel Servan (1737-1807), Réflexions sur quelques points de nos lois, à l’occasion d’un évènement important (1781).
Notes (LE MARÉCHAL JOURDAN.)
Passage tiré de l’Elégie sur la mort du général Foy, publié par Alexandre Dumas (1802-1870) en 1825.
Notes (Le pauvre diable industriel. ( Suite et fin. )...)
Il s’agit très certainement ici de James Fazy (1794-1878).
Notes (Nouvelles générales. paris . Le colonel...)
Mention du général Jean-Etienne Championnet (1762-1800). En 1803 la classe des sciences morales et politiques de l’Institut avait été supprimée par Napoléon. Elle sera rétablie en octobre 1832 devenant l’Académie des sciences morales et politiques. Joseph Lakanal (1762-1845) fut finalement réintégré en mars 1834 et rentra en France en 1837. Le procès des 27 dirigeants de la Société des Droits de l’Homme s’ouvrit en décembre 1833, impliquant François-Vincent Raspail, mais aussi des hommes comme Joachim-René-Théophile Guillard de Kersausie (1798-1874) ou encore le jeune poète Noël Parfait (1813-1896). Antoine Mingrat, curé d’une petite commune de l’Isère, accusé d’avoir violé et assassiné Marie Gérin, condamné en 1822.
Notes (EXTÉRIEUR.)
La rubrique cite ici plusieurs acteurs majeurs de la première guerre carliste qui suivit le décès de Ferdinand VII, notamment, Antonio Remón Zarco del Valle y Huet (1785 - 1866), Pedro Sarsfield ( ?-1837) et Jeronimo Merino Cob (1769-1844).
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