Retour à l'accueil
7 décembre 1833 - Numéro 11
 
 

 



 
 
    

Monsieur,

Tout en vous remerciant de la bonté que vous avez eue d?insérer ma première lettre, je vous prie d?accueillir cette seconde ; il est bon que le public sache sous quelle influence nous vivons, et quelle justice il peut espérer. Par suite de la visite de M. Riboud, président du conseil, de M. Bourdon, prud?homme chef d?atelier, qui imposèrent une tâche à leur guise à mes élèves, qu?aucun usage, ni réglement ne justifie, ainsi que je le prouverai, il me fut impossible de retenir dans les bornes du respect et du devoir mes élèves. Après avoir été forcé de chasser de mon atelier le nommé Berthet, je fis paraître par devant le conseil le nommé Corsain, qui se permettait contre mon épouse et moi les propos les plus dégoûtans. Je commençais à exposer mes griefs, lorsque je fus interrompu par M. le président, qui articula ces paroles du ton le plus impératif : Nous sommes allés chez vous parce que nous en avons le droit ; vous réglerez les tâches de vos élèves ainsi que nous l?avons ordonné, jusqu?à nouvel ordre, et vous n?avez pas le droit de leur imposer des amendes. M. Dumas est chargé [3.1]d?inspecter votre atelier : retirez-vous. Est-ce là ce qu?on nomme rendre un jugement ? Toutefois, j?espère que par un reste de pudeur on se gardera de me le signifier ; car, d?après cette décision, un maître n?aurait pas le droit d?imposer une amende de quelques centimes à ses élèves, lorsque ceux-ci dégraderont, saliront les lieux d?aisance et leur couche, se permettront des propos obcènes sans aucune répression possible. C?est pourtant la punition la plus légère que l?on puisse imposer à des jeunes gens, c?est celle en usage dans presque tous les ateliers de divers genres d?état, c?est même, je crois, le seul moyen possible pour maintenir la propreté. La preuve en est facile à donner, puisque la police elle-même ne fait qu?imposer des amendes à ceux qui contreviennent à ses réglemens. Je dois donc, moi, qui veux maintenir la décence et la propreté, et qui suis responsable envers la voirie des méfaits des personnes que j?occupe, user de tous les moyens en mon pouvoir pour éviter ces tracasseries. J?ai toujours entendu dire que la propreté n?était pas défendue, que le charbonnier était maître chez lui. Comme on voit, MM. les prud?hommes ne sont pas de cet avis.

Maintenant examinons un peu où le conseil a puisé le droit qu?il s?arroge de tarifier les tâches que les élèves doivent remplir envers leur maître, lui, qui n?a jamais cru avoir le droit de fixer un tarif de façons, pas même une mercuriale ! Cependant la mercuriale devrait au moins être fixée avant les tâches, car il faut au moins que le maître gagne le pain qu?il donne à ses élèves. Eh bien ! il y a dix ans que la même tâche est en usage dans mon atelier, et il y a dix ans que le prix des façons était un tiers plus élevé qu?aujourd?hui. Pendant tout ce temps, aucun de mes élèves ne s?est plaint, par une raison bien simple : c?est que la tâche fixée dans mon atelier est la même que celle en usage dans tous les autres ; je me suis toujours conformé aux usages de mes confrères. Je puis indiquer au conseil dix maîtres dont les ateliers peuvent être mis au nombre des premiers de notre ville, et qui depuis nombre d?années tissent les mêmes articles que moi, et ont toujours donné la même tâche sans qu?aucune contestation se soit jamais élevée entre eux et leurs élèves. Corsain même, a toujours fait précédemment un tiers de plus que la tâche qui lui était fixée, ce qui prouve bien que je m?étais conformé aux usages qui veulent que la tâche soit fixée aux deux tiers de la journée. L?élève qui se plaint n?a plus que quatre mois pour avoir terminé son apprentissage ; est-il dans l?usage de diminuer la tâche d?un élève pour les derniers mois, surtout lorsqu?il ne s?est jamais plaint d?une tâche trop élevée pendant tout le cours de son apprentissage ?

Maintenant, voici qui va expliquer toute l?affaire : je ne suis pas de la société mutuelliste, j?ai refusé d?en faire partie ; il est bon que je vous fasse observer que les prud?hommes chefs d?ateliers appartiennent tous à cette société. Elle s?est fractionnée en tout petit comité, afin de faire un tarif de tâches, M. Matrot, président de ce comité et président de la commission de rédaction de l?Echo de la Fabrique, l?a de son autorité imposé à M. Bourdon, prud?homme, fabricant d?unis, pour le faire agréer et exécuter. Il me semble pourtant que les Mutuellistes, lorsqu?ils font quelque réglement, ne peuvent le rendre obligatoire pour ceux qui, comme moi, ne sont pas de leur association. Mais ce qui donnera à réfléchir, et ce qui surpasse l?imagination, c?est de voir le président du conseil, M. Riboud, baisser pavillon devant M. Matrot, et se soumettre ainsi à toutes ses exigences. Je laisse à vous, M. le rédacteur, le soin de commenter tous ces faits, dont je vous garantis l?exacte vérité ; et si les circonstances l?exigent, je fournirai les preuves à l?appui.

DAILLY, fabricant, rue Bouteille.

 

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique