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7 décembre 1833 - Numéro 11
 

 




 
 
     

Du droit de coalition.

Fit lex consensu omnium…

[1.1]Le temps a marché, nous devons marcher avec lui, ce n’est qu’à cette condition que nous pouvons atteindre notre but, le progrès social. Les réflexions de M. Trélat sur les coalitions d’ouvriers que nous avons insérées dans le N° 3 de l’Echo de la Fabrique, celles aussi que nous avons émises dans le N° 8 du même journal, sous ce titre : Des coalitions, ou l’art. 415 du code pénal apprécié, ne doivent plus faire la base de notre argumentation. En présence d’un texte de la loi écrite et de quelques révoltes partielles contre cette loi, M. Trélat et nous, à son exemple, avons pu hésiter sur le mérite de cette loi, sur son application, excuser la coalition par la misère, séparer la cause des maîtres de celle des ouvriers et demander indulgence. Aujourd’hui, en présence de ce même texte, mais en présence aussi d’une révolte générale de la société, obligés de nous prononcer de nouveau dans cette grave question, nous examinerons plus mûrement cet art. 415 et le droit nouveau que réclament les travailleurs.

Décidés à combattre une doctrine qui a pour elle le prestige :naturel et juste qui s’attache à l’autorité de la loi, la sanction unanime des tribunaux, nous n’oublierons pas le respect dû à la magistrature, l’obéissance que la loi demande ; mais nous saurons être fermes et modérés, vrais avant tout.

Il y a dans toute coalition deux faits qui la constituent : l’association et la contrainte.

Si les tribunaux n’avaient condamné que des violences individuelles, nous nous serions abstenus d’intervenir : la force est toujours abusive ; mais ils ont voulu condamner l’association. Le tribunal de Paris vient de déclarer que la violence elle-même n’était qu’une aggravation du délit de coalition ; c’est contre cette doctrine que nous devons nous élever.

Il nous serait facile d’ergoter sur les mots, et usant des ressources d’une langue malléable, de déguiser sous un mot nouveau, association, ce que le mot de coalition pourrait avoir de répulsif. Mais nous ne savons pas transiger ainsi avec nos principes, nous allons toujours droit à la question, et c’est cette franchise qui seule fait notre force. C’est donc bien la coalition que nous entendons défendre, la coalition telle que l’art. 415 du code pénal l’a décrite avec toutes ses circonstances (la violence exceptée).

Qu’est-ce que la coalition ? C’est, dit la loi, de faire cesser en même temps de travailler, interdire le travail dans un atelier, empêcher de s’y rendre et d’y rester avant ou après de certaines heures, et en général de suspendre, enchérir les travaux. Voila le crime de coalition tel que l’art. 415 du code pénal l’a formulé. Et [1.2]d’abord une réflexion se présente : Dites-nous, qui que vous soyez, ce crime vous inspire-t-il une bien grande horreur ? Vous sentez-vous saisi d’effroi en voyant l’homme qui s’en est rendu coupable ? Direz-vous, c’est un ouvrier coalisé avec la même terreur que vous diriez c’est un assassin, avec la même crainte seulement que vous diriez c’est un voleur ? De bonne foi, non ! Et pourquoi ? C’est que le vol, l’assassinat sont des crimes certains, évidens, palpables, si on peut se servir de cette expression ; la coalition n’est rien de tout cela, c’est un crime relatif, ou pour mieux dire, négatif. C’est un crime de convention ; il fallait que la loi lui imprimât ce caractère, parce qu’il ne le tient pas de la nature même. Cette distinction est importante ; il y a deux sortes de crimes, ceux qui existent par la force même des choses, indépendamment de la loi, qui prennent leur force dans cette règle intime que la conscience a traduite par ces mots : juste et injuste ; et ceux qui ne sont tels que par une volonté humaine. Ainsi, et pour rendre sensible cette différence, supprimez les peines contre le parricide, l’assassinat, le viol, l’incendie, le larcin, ces crimes n’en seront pas moins odieux ; mais par contre, essayez de punir les coupables de coalition et d’autres délits analogues de telles peines que vous voudrez ; vous ne ferez qu’appeler l’intérêt sur les délinquans. Pourquoi n’a-t-on jamais pu imprimer le sceau de l’infamie aux délits politiques ? C’est que leur nature ne le comporte pas. Qu’on envoye Charlotte Corday et Louvel à l’échafaud, Roger (le complice du colonel Caron) et Jeanne1 aux galères, l’échafaud et le bagne perdront pour eux, mais pour eux seuls, leur type d’infamie. Ce point établi, nous irons plus loin.

Si donc le délit de coalition n’existe pas par lui-même, mais par une volonté légale, il en résulte nécessairement que la loi changeant, il n’y aura plus de délit, par la même raison qu’un nouveau gouvernement absout ceux qui sous l’ancien étaient coupables de crimes politiques. Le carbonaro Barthe est aujourd’hui garde-des-sceaux. Qui peut répondre que Garnier-Pagès ne soit un jour ministre de la justice ; Jeanne, Granier, Cavaignac et Raspail représentans du peuple ?

C’est donc à changer la loi que nous devons nous appliquer, et l’on admettra bien avec nous que puisque le délit de coalition n’est qu’un délit légal, il cessera de l’être aussitôt que la loi aura changé. Ce qui ne pourrait avoir lieu pour les autres crimes ou délits, d’après la distinction que nous en avons faite ci-dessus.

Eh ! bien, si nous établissons que la loi a changé, nous aurons établi que la coalition n’est plus un délit.

Qu’est-ce que la loi ? C’est le produit, l’expression de la volonté générale ; partant elle est soumise à cette [2.1]même volonté. La volonté changeant, elle doit changer avec elle.

Niera-t-on maintenant que cette volonté genérale se soit manifestée ? niera-t-on qu’une réprobation unanime ait lieu contre l’art. 415 du code pénal qui proscrit les coalitions. Et pourquoi cette réprobation ? Parce que un nouveau fait social a surgi : ce fait est l’émancipation de la classe prolétaire. Il n’était pas même soupçonné par les législateurs qui ont écrit le code pénal. Une loi antipathique aux mœurs actuelles, une loi contraire à la volonté générale, ne mérite plus ce nom ; vainement elle tenterait de s’opposer au développement du fait nouveau que nous venons de signaler ; vainement elle voudrait le comprimer, il n’y a rien de si entêté qu’un fait ; on l’a dit avant nous. Et qu’importe à une loi de cesser d’être puisqu’elle n’est que le représentant d’une volonté supérieure qui lui a donné naissance ? Que lui importe puisqu’elle n’a qu’une force relative et non absolue ?

Cette volonté générale prouvée, a-t-elle droit de se produire ? Nous répondons sans crainte, oui, et nous le prouverons par ce simple raisonnement :

Depuis la révolution de 1830, le peuple a reconquis son droit de souveraineté dont il avait été privé d’abord par Napoléon, ensuite par les Bourbons ; il est aujourd’hui ce qu’il n’était pas auparavant, parce qu’il avait été vaincu, et que les vaincus subissent la loi du vainqueur ; il est le peuple souverain.

Conçoit-on un peuple souverain, et qui n’aurait pas le droit de changer les lois que bon lui semblerait ? Ou il faut que le parquet et la magistrature nient la souveraineté du peuple, et en ce cas nous leur montrerons les pavés de juillet, immortels témoins de cette souveraineté ; ou il faut qu’ils avouent avec nous qu’un peuple souverain a le droit de se régir par lui-même, et que toutes les entraves à sa liberté tombent de fait le jour où il reprend son pouvoir. Le peuple souverain a donc pu légalement et par le seul fait de sa volonté unanimement établie (ce qui résulte évidemment des coalitions nombreuses qui existent sur tous les points de la France, du langage de la presse et du barreau), abroger l’art. 415 du code pénal. La tâche du législateur est actuellement de coordonner la loi avec les mœurs nouvelles ; c’est son devoir…

En résumé, le droit de coalition existe dans toute sa plénitude. Il est un de ceux que le peuple a conquis en juillet. L’art. 415 du code pénal est donc par le fait purement et simplement abrogé comme tel ou tel édit de nos anciens rois, telle charte, telle capitulaire, dont l’abrogation légale n’a jamais été promulguée ; et cela n’a rien d’étrange et d’illégal. A-t-on abrogé les lois de la Convention ? Non. Subsistent-elles toutes ? Non. Pourquoi ne les exécute-t-on pas ? Parce qu’il y a abrogation tacite, parce qu’il y a eu antipathie entr’elles et l’ordre de choses qui a suivi, ni plus ni moins qu’entre la loi répressive des coalitions et l’ordre de choses actuel. En proclamant, par exemple, Louis-Philippe roi des Français, le peuple souverain a suffisamment abrogé la loi de la Convention qui le condamnait à mort. En se coalisant de toutes parts, le peuple souverain a abrogé suffisamment aujourd’hui, et par le fait, l’art. 415 du code pénal. Vous l’avez dit, avocats, dans ces nombreux procès, vous l’avez dit : Il n’y a plus d’art. 415 devant la volonté générale du peuple. Loin de nous la pensée de prêcher la révolte contre la loi en général ; nous soutenons seulement avec vous qu’une loi particulière a cessé d’être. Les premières applications de cette loi ont pu être justes et rationelles, elles ne le sont plus aujourd’hui.

Nous envisagerons dans un autre article le droit de coalition comme droit inhérent au travail.

Lyon, le décembre 1833.

Monsieur le rédacteur,

J’ai lu avec intérêt votre projet d’association entre les ouvriers fabricans d’étoffes de soie de la ville de Lyon ; ce projet et sa réalisation peuvent et doivent apporter de grandes améliorations dans la classe des industriels de cette grande cité.

Cependant, et à mon grand regret, je ne vois encore qu’un projet, et dans l’aperçu que vous avez donné, [2.2]j’aurais voulu voir un commencement d’exécution, j’aurais voulu connaître quelques maîtres ouvriers qui se sont déja réunis, et qui entre eux ont déja formé un principe, un commencement d’association.

Les réglemens et les statuts de la société seront les résultats des délibérations mûries par le temps et l’expérience. Quant aux avantages de la société des ouvriers fabricans, ils sont immenses, puisque cette association a pour but d’affranchir les ouvriers travailleurs de l’intermédiaire parasite et dévorateur des négocians qui viennent du nord et du midi de l’Europe pour acheter à vil prix les produits de notre industrie.

L’association comptera bientôt un grand nombre d’actionnaires qui auront facilement le moyen de complèter une mise de fonds de plusieurs millions ; l’intérêt de ce capital qui sera représenté par le bénéfice sur la matière fabriquée, assurera aux actionnaires un avenir plus heureux, tout en travaillant déja à des prix de façon plus avantageux. Par ce moyen, les ouvriers ne chômeront jamais ; dans les saisons rigoureuses ils auront toujours l’assurance de gagner leur vie, sans être constamment en hostilité ouverte avec le négociant fabricant.

Cet établissement sera en grand ce que sont les grands établissemens, en Angleterre et en Allemagne, particulièrement ; les fabricans de Londres, de Cowenthry, de Crevelt et d’Elberfeld honorent leur profession ; ils sont très riches, et cependant ils ne rougissent pas d’être toujours de père en fils fabricans et négocians. A Lyon les mœurs sont différentes, et voila pourquoi les ouvriers sont toujours malheureux.

Un fabricant de Lyon arrive de ses montagnes, il travaille pendant dix ans, vingt ans, il parvient à occuper cent ou deux cents métiers, chaque malheureux travailleur lui rapporte quarante ou cinquante centimes ; ce sont les sueurs de l’artisan qui l’enrichissent, c’est là tout son talent : savoir spéculer habilement sur la misère de l’ouvrier, c’est là toute sa science.

Par tous ces moyens, il acquiert une certaine fortune, mais il rougit bientôt de son origine, et au lieu de s’honorer d’une profession qui l’a enrichi, il quitte le commerce, il abandonne le quartier des Capucins, il vient à Bellecour, et là il cherche à faire de l’aristocratie en la cherchant dans ce repos honteux qu’on appelle la noblesse.

En quittant les affaires, il cède son commerce à des commis qui suivent ses erremens, et qui sont à leur tour les sangsues de la malheureuse classe ouvrière.

L’association projetée et dirigée par des hommes intelligens qui joindront aux connaissances mécaniques du métier la connaissance du commerce et des affaires, est le seul moyen de détruire le vice que je viens d’indiquer. Toutes ces fortunes acquises aux dépens de la véritable industrie reflueront dans toutes les familles de travailleurs, et l’encouragement sera d’autant plus grand, qu’indépendamment de l’aisance et de la prospérité journalière, le système d’actions augmentées par les bénéfices annuels leur garantira une existence assurée dans un âge plus avancé.

Je désire donc, Monsieur le rédacteur, que vous redoubliez d’efforts pour provoquer l’émulation de quelques principaux maîtres ouvriers, car vous savez comme moi que toutes les délibérations sont vicieuses quand elles n’amènent pas de prompts résultats.

Gilbert bourget, rue d’Amboise, n. 2.

Monsieur,

Tout en vous remerciant de la bonté que vous avez eue d’insérer ma première lettre, je vous prie d’accueillir cette seconde ; il est bon que le public sache sous quelle influence nous vivons, et quelle justice il peut espérer. Par suite de la visite de M. Riboud, président du conseil, de M. Bourdon, prud’homme chef d’atelier, qui imposèrent une tâche à leur guise à mes élèves, qu’aucun usage, ni réglement ne justifie, ainsi que je le prouverai, il me fut impossible de retenir dans les bornes du respect et du devoir mes élèves. Après avoir été forcé de chasser de mon atelier le nommé Berthet, je fis paraître par devant le conseil le nommé Corsain, qui se permettait contre mon épouse et moi les propos les plus dégoûtans. Je commençais à exposer mes griefs, lorsque je fus interrompu par M. le président, qui articula ces paroles du ton le plus impératif : Nous sommes allés chez vous parce que nous en avons le droit ; vous réglerez les tâches de vos élèves ainsi que nous l’avons ordonné, jusqu’à nouvel ordre, et vous n’avez pas le droit de leur imposer des amendes. M. Dumas est chargé [3.1]d’inspecter votre atelier : retirez-vous. Est-ce là ce qu’on nomme rendre un jugement ? Toutefois, j’espère que par un reste de pudeur on se gardera de me le signifier ; car, d’après cette décision, un maître n’aurait pas le droit d’imposer une amende de quelques centimes à ses élèves, lorsque ceux-ci dégraderont, saliront les lieux d’aisance et leur couche, se permettront des propos obcènes sans aucune répression possible. C’est pourtant la punition la plus légère que l’on puisse imposer à des jeunes gens, c’est celle en usage dans presque tous les ateliers de divers genres d’état, c’est même, je crois, le seul moyen possible pour maintenir la propreté. La preuve en est facile à donner, puisque la police elle-même ne fait qu’imposer des amendes à ceux qui contreviennent à ses réglemens. Je dois donc, moi, qui veux maintenir la décence et la propreté, et qui suis responsable envers la voirie des méfaits des personnes que j’occupe, user de tous les moyens en mon pouvoir pour éviter ces tracasseries. J’ai toujours entendu dire que la propreté n’était pas défendue, que le charbonnier était maître chez lui. Comme on voit, MM. les prud’hommes ne sont pas de cet avis.

Maintenant examinons un peu où le conseil a puisé le droit qu’il s’arroge de tarifier les tâches que les élèves doivent remplir envers leur maître, lui, qui n’a jamais cru avoir le droit de fixer un tarif de façons, pas même une mercuriale ! Cependant la mercuriale devrait au moins être fixée avant les tâches, car il faut au moins que le maître gagne le pain qu’il donne à ses élèves. Eh bien ! il y a dix ans que la même tâche est en usage dans mon atelier, et il y a dix ans que le prix des façons était un tiers plus élevé qu’aujourd’hui. Pendant tout ce temps, aucun de mes élèves ne s’est plaint, par une raison bien simple : c’est que la tâche fixée dans mon atelier est la même que celle en usage dans tous les autres ; je me suis toujours conformé aux usages de mes confrères. Je puis indiquer au conseil dix maîtres dont les ateliers peuvent être mis au nombre des premiers de notre ville, et qui depuis nombre d’années tissent les mêmes articles que moi, et ont toujours donné la même tâche sans qu’aucune contestation se soit jamais élevée entre eux et leurs élèves. Corsain même, a toujours fait précédemment un tiers de plus que la tâche qui lui était fixée, ce qui prouve bien que je m’étais conformé aux usages qui veulent que la tâche soit fixée aux deux tiers de la journée. L’élève qui se plaint n’a plus que quatre mois pour avoir terminé son apprentissage ; est-il dans l’usage de diminuer la tâche d’un élève pour les derniers mois, surtout lorsqu’il ne s’est jamais plaint d’une tâche trop élevée pendant tout le cours de son apprentissage ?

Maintenant, voici qui va expliquer toute l’affaire : je ne suis pas de la société mutuelliste, j’ai refusé d’en faire partie ; il est bon que je vous fasse observer que les prud’hommes chefs d’ateliers appartiennent tous à cette société. Elle s’est fractionnée en tout petit comité, afin de faire un tarif de tâches, M. Matrot, président de ce comité et président de la commission de rédaction de l’Echo de la Fabrique, l’a de son autorité imposé à M. Bourdon, prud’homme, fabricant d’unis, pour le faire agréer et exécuter. Il me semble pourtant que les Mutuellistes, lorsqu’ils font quelque réglement, ne peuvent le rendre obligatoire pour ceux qui, comme moi, ne sont pas de leur association. Mais ce qui donnera à réfléchir, et ce qui surpasse l’imagination, c’est de voir le président du conseil, M. Riboud, baisser pavillon devant M. Matrot, et se soumettre ainsi à toutes ses exigences. Je laisse à vous, M. le rédacteur, le soin de commenter tous ces faits, dont je vous garantis l’exacte vérité ; et si les circonstances l’exigent, je fournirai les preuves à l’appui.

DAILLY, fabricant, rue Bouteille.

souscriptions

pour les ouvriers incendiés d’annonay.

(Voy. l’Echo des Travailleurs, N° 9, Nouv. gén.).

Recette de MM. périsse frères, libraires, rue Mercière.

1re Liste. – Les ouvriers de l’imprimerie Périsse, 45 fr. Quatre anonymes, 100 fr. Divers employés chez MM. Périsse, 27 fr. 50 c. M. Gandix, 5 fr. Les domestiques de Me Dumont, 8 fr. Deux dames anonymes, 10 fr. Mme Chalandon, 15 fr. M. Barjon, 30 fr. M. Villermoz-Barjon, 5 fr. M. Daudé, 5 fr. Un anonyme, 20 fr.
Total, 270 fr. 50 c.

Recette de MM. desgrand père et fils, négocians, rue Poulaillerie.

1re Liste. – MM. Paul Desgrands, 65 fr. Joseph-Antoine Pont, 25 fr. Roze, 10 fr. Louis Desgrand, 10 fr. François Desgrand, 10 fr. Berthaud et Desgrand, 15 fr, Mme veuve Sargnon, 10 fr.
Total, 145 fr.

conseil des prud’hommes.

Séance du jeudi décembre 1833.

Mascard, fabricant, fait appeler le père de la D.lle Colonge, son apprentie. Il expose que depuis long-tems elle est malade sans qu’on puisse assigner aucun terme à cette maladie, et il demande la résiliation des conventions avec 300 fr. d’indemnité. Le sieur Colonge répond peu de chose pour sa défense, soit ignorance, soit timidité, et le conseil alloue au sieur Mascard ses conclusions.

Nota. – Nous croyons le jugement du conseil susceptible [3.2]de critique. La maladie est un cas de force majeure, et l’usage d’accord avec la raison exige que l’apprenti malade récompense le tems perdu. Nous pensons que le conseil devait décider en ce sens, et ne pas prononcer de suite la résiliation des conventions. Si la fille Colonge venait à mourir dans 15 jours, serait-il juste que le père payât les 300 fr. dont s’agit ? Nous ne le pensons pas.

Reverre, fabricant, fait appeler Bonnefoi, oncle de la D.lle Donze, apprentie. Cette dernière avait quitté l’atelier de son maître, et le conseil, dans sa séance du 3 de ce mois, avait ordonné qu’elle rentrerait, et mis l’atelier sous la surveillance de M. Verrat. Le s.r Bonnefoi demandait que le conseil nommât un autre de ses membres, et cela par des raisons qu’il déclarait lui être personnelles. Le conseil a refusé en disant qu’il n’avait pas d’ordre à recevoir.

Nota. – Sans doute le conseil n’a pas d’ordres à recevoir des parties, mais il doit en recevoir du bon sens. Or, le bon sens veut qu’un justiciable ne soit pas à la discrétion de son adversaire. Nous n’avons rien à dire contre M. Verrat que nous ne connaissons que faiblement, nous ne savons donc pas si c’est avec raison que le sieur Bonnefoi le récuse, mais il suffit de cette récusation pour que le conseil délègue un autre de ses membres, et puisqu’il ne l’a pas fait, M. Verrat aura certainement la pudeur de s’abstenir.

M. Martinon, prud’homme, chef d’atelier, a donné sa démission.

Nous avons fait erreur en disant qu’un tirage au sort avait eu lieu pour le renouvellement partiel du conseil des prud’hommes. Nous ne pouvions supposer un tel mépris des formes légales. Voici la vérité : une simple lettre du préfet a donné communication aux prud’hommes assemblés du nom de ceux qui devaient sortir. Aussi M. Charnier, qu’on trouve toujours lorsqu’il y a acte de courage à faire, comme lorsque la défense de ses confrères l’exige, a-t-il, sans s’inquiéter de ce que la calomnie pourrait dire, protesté contre cette violation de la loi, et il a écrit aux autorités compétentes qu’il ne se considérerait comme sortant que lorsqu’il aurait concouru à un tirage au sort. Nous le félicitons de sa noble conduite et l’engageons à y persister.

Nous apprenons que ce soir à 4 h., doit avoir lieu le tirage au sort des prud’hommes sortant.

Tissus de Soie végétale.

M. Pavy, négociant à Paris, rue des Fossés-Montmartre, vient d’importer en France un nouveau tissu auquel il a donné le nom de soie végétale. Cette soie est d’un blanc d’argent et prend à la teinture toute espèce de couleurs ; elle est plus solide que le chanvre. On fabrique avec des tapis, des cordages, brides, licols, cordons de sonnette, glands, etc. Nous ne doutons pas que l’industrie lyonnaise s’enrichisse bientôt de ce nouveau produit, rival de la soie véritable.

Aie donc ! prolétaire.

Il nous appartient spécialement d’appeler l’attention de nos lecteurs sur cette caricature que le Charivari donne dans son n° du premier décembre, (n° 365). Un baudet à visage humain est chargé de sacs, de ballots, de barils, sur lesquels on lit : vin, sel, tabac, sucre, café, huile, etc. Le tout est recouvert d’une serpillère sur laquelle est écrit : impots publics. Le malheureux baudet succombe presque sous le faix, il tient une pipe à la bouche ; l’emblême est significatif, il fume… on fumerait à moins. Il parcourt la route qui conduit à un moulin sur lequel est écrit : ministère des finances. Un particulier très connu, grace à notre compatriote Philippon, vêtu d’une blouse et d’un chapeau gris à larges bords, fait claquer son fouet en criant à la manière des charretiers : aie donc ! prolétaire. Cette caricature est très remarquable sous tous les rapports. Elle est une des meilleures que le Charivari ait produite.

Beaux-Arts.1

exposition de novembre 1833.

Amour-propre des artistes en général. Encore quelques noms peu connus.

MM. FLACHERON. – CORNU. – ROUVIÈRE ET FONTAINE.

(5e Article).

[4.1]La passion la plus vigilante et la plus susceptible qu’il y ait en nous, c’est, sans contredit, l’amour-propre. L’amour, l’ambition, l’intérêt même dorment quelquefois ; l’amour-propre ne s’assoupit jamais, il est inflammable comme la poudre, et, comme la poudre aussi, il fait explosion. Cet axiome de morale est surtout applicable aux peintres. En vain, vous avez soin de tempérer votre critique par les formes du langage ou un bout d’éloge ; en vain, vous prenez des gants pour toucher à ces sensitives du règne animal ; les peintres que vous ne trouvez pas parfaits, se cabrent et vous font de gros yeux ; ils vont même quelquefois jusqu’à vous faire le poing. – Eh ! bien soit ! j’aime infiniment mieux qu’un médiocre artiste me fasse le poing, que si le public, qui a droit de compter sur ma véracité, me faisait les cornes.

Que ce court préambule aille à son adresse : A bon entendeur, demi-mot.

M. Blanc, de Grenoble, a exposé une vue de l’église St-Antoine près de St-Marcellin. Cette église est un des beaux morceaux d’architecture gothique du Dauphiné. Ce n’est pas ma faute si je ne puis appliquer la même épithète à l’ouvrage de M. Blanc ; j’ai beau regarder ces ogives coloriées, ces pilastres octogones, ces effets de clair-obscur, tout cela ne me fait pas illusion une seule minute. O Bouton ! où es-tu ?…

Au bas de cette Erigone de M. Blanchard, écrivez hardiment : mauvais dessin, carnation tuile, pose forcée. – Détournez-vous de la tête de vieillard de M. Bonirote pour venir jeter un coup-d’œil sur sa petite sœur blessée. C’est presque du Jacomin, dans son bon temps. – Je dis ceci parce que M. Jacomin, à qui le Musée doit la pauvre mère, a progressé à la façon de l’écrevisse, au moins, s’il faut le juger par les portraits qu’il a exposés, portraits de couleur assez vraie, mais raides, prétentieux et d’une pose peu naturelle, ou, si vous préférez, peu spirituelle. Son M. Rey, professeur de St-Pierre, a l’air de s’envoler. – Il y a de jolies parties dans les aquarelles de M. Bourjot, de Melun. Cependant, son faire est, en général, froid. – M. Brich, de Philadelphie, nous a envoyé quelques tableaux qui ont le mérite de venir du pays de la liberté. – Nous voyons de M. Chavanne une jeune femme, recevant furtivement un billet doux. Si M. Chavanne était coiffeur, ce que j’ignore, je lui dirais en ami : Faites des perruques, M. Chavanne, faites des perruques ! Je répéterai la sentance Voltairienne à MM. Desombrages, Douillet, Debelle, mais surtout à M. Rival. Les tableaux de ce dernier semblent appartenir à l’enfance de l’art. On lit pourtant au bas de chacun d’eux : Fait à Rome, 1833. Certes, on ne s’en douterait pas. M. Rouvière a fait du romantisme en peinture, non pas de ce romantisme qui marche, invente et ose, le code du goût à la main ; mais de ce romantisme désordonné, échevelé, débraillé, qui se fait un mérite d’être tout cela ; espèce de bacchante, ivre de luxure et de vin, vous disant effrontément : Regardez-moi !!! M. Rouvière est le Sigalon de l’exposition lyonnaise ; et quel Sigalon encore ! On ne peut rien imaginer de plus grotesquement peint que les portraits d’un monsieur et d’une dame, n. 106 bis, si ce n’est la reproduction des traits d’un homme bien connu à Lyon des ennemis comme des amis de la liberté. A la place de M. Prévot, je me ferais enlever de là. Un honnête homme peut fort bien se faire peindre, mais quand son portrait est hideux, il doit passer son couteau dedans, ou du moins le laisser au grenier. – A propos de portrait, M. Cornu, ancien élève de M. Bonnefond, en a exposé un qui est plein de belles parties. Les mains sont bien traitées, le dessin correct, et la tête pense. A la bonne heure ! M. Rouvière, allez étudier cet ouvrage ! M. Cornu doit soigner sa couleur, qui tournerait au gris s’il n’y prenait garde. – L’exposition doit à M. Isidore Flacheron deux paysages près desquels on s’arrête avec plaisir. Il y a de l’air et du lointain dans ses deux vues d’Italie. M. Flacheron porte un nom d’artiste auquel il ne mentira pas s’il se souvient que la nature n’est ni mignarde, ni violette. Il faut la peindre comme on la voit ; seulement, il faut bien la voir. Hic opus, hic labor. – M. Fontaine, par lequel je clorai cette revue, nous a gratifiés d’une scène d’inondation, qui n’est pas dépourvue de mérite ; cependant, je lui dirai que ce sujet était au-dessus de ses forces. D’abord il s’y prit mieux, puis bien, puis il n’y manqua rien. Il faut dans les arts suivre cette gradation. L’oisillon ne s’envole que lorsqu’il est oiseau.

B. A.

Nouvelles générales.

paris. – Des poursuites disciplinaires sont dirigées contre Me Parquin, bâtonnier de l’ordre des avocats, pour avoir, dans un discours tenu à une réunion de cet ordre, offensé la magistrature, au dire de MM. Barthe et Persil. M. Parquin a été cité devant la cour royale pour jeudi 5 du courant ; l’incompétence doit être proposée.

– Coalition des ouvriers cambreurs. La 6e chambre de la police correctionnelle a condamné, le 2 décembre, Butte, Doguez dit Picard et Lenouveau à trois mois de prison ; Dupuis à deux mois ; Poiret, Houillier et Petit-Pierre à un mois, Vivier à 15 jours. Petry, Forville, Milloy, Charlin et Métès ont été acquittés.

[4.2]– Nota. Tous étaient accusés de violence et menaces, à l’exception de Petit-Pierre.

– Coalition des ouvriers tailleurs d’habits. La 7e chambre du même tribunal a condamné dans cette même audience (2 octobre) Grignon, par défaut, à CINQ ANS de prison, et contradictoirement Troncin et Morin à TROIS ANS ; Becard à trois mois ; Chiroux à deux mois ; Jacquin à six semaines. Begué et Vaillant ont été acquittés. Les parties civiles (MM. Michiélis, Schwartz, Lafitte, Staub, Froge et Winker) n’ont obtenu que les dépens pour dommages-intérêts.

Nota. Le tribunal, dans un considérant, a dit que la violence, non essentielle pour constituer le délit, en était seulement une aggravation.

DÉPARTEMENS.

beaune. Les ouvriers cordonniers se sont réunis le 29 novembre, et ont formé une association.

besançon. – Un grand nombre de citoyens ont adhéré le 26 novembre à l’association formée à Dijon contre l’impôt sur les boissons et sur le sel.

douai. – La veuve et les enfans de lésurque, condamné à mort, il y a 30 ans, pour un crime dont il a été reconnu innocent, viennent enfin d’obtenir de rentrer dans ses biens qui avaient été confisqués.

moulins. – M. BEAUCHAMP, Conventionnel régicide, a été nommé membre du conseil général : le peuple se souvient de ses amis.

rouen. Sept ouvriers tailleurs d’habits, Canu, Blot, Warynes, Cauchois, Zeller, Andrieu et Peré, dit Maucomble, ont été condamnés le 28 novembre par le tribunal de police correctionnelle, savoir : Canu à deux mois de prison, et les six autres à un mois.

– tarbes. Le citoyen Bertrand BARÈRE1 vient d’être nommé membre du conseil général du département des Hautes-Pyrénées.

C’est un de ces immortels Conventionnels qui sauvèrent la France. Il présidait la Convention le jour du jugement de Louis XVI.

Lyon.

lyon. – Les citoyens Guillaume vincent, Joseph thion et Laurent tiphaine, arrêtés à raison des discours prononcés par eux, lors de la commémoration funèbre faite sur la tombe de Mouton Duvernet, seront jugés le samedi, quatorze de ce mois, à la cour d’assises. Ils sont accusés, le premier, d’excitation à la haine et au mépris du gouvernement du roi ; le second, de provocation au renversement du gouvernement du roi ; et le troisième, d’excitation à la haine et au mépris des citoyens contre une classe de personnes.

– L’arrêt rendu contre la Glaneuse, par défaut, le 4 de ce mois, lui a été signifié le même jour à 5 heures et demie. Cela n’avait jamais eu lieu. La Glaneuse va former opposition.

cancans.

La guerre des Façonnés contre les Unis, poème satyrique par M. Bern…, dédié à St-Ol… ; avec cette épigraphe :
Felix qui potuit rerum cognoscere causas.

La garde nationale de Lyon se propose de fêter chaque année le lendemain de la Toussaint.

M. Lab… veut faire sauter ses collègues ; c’est sans doute pour remercier M. le préfet de l’avoir fait danser.

M. Mart.... s’est rendu justice : Bon voyage, cher Dumolet

Tous les prud’hommes, sauf un, croient à la prescription d’un mois et au droit d’interdiction de la défense. Comme ils se sont formés ! Dis-moi qui tu hantes, etc.

ANNONCES.

La voix du peuple.
Chansonnier républicain ; un volume in douze de 100 pages d’impression, contenant quarante chansons ; prix : 50 c1.
On souscrit à Lyon, chez les citoyens Prot, rue Lanterne, n. 5, au 2me ; Beaune, place Sathonay, n. 4, au 1er ; A la Guillotière, chez Raoul, rue Louis-le-Grand, n. 2, au 2me ; aux Brotteaux, chez Chauvy, avenue de Saxe, n. 18, au 4me ;à la Croix-Rousse, chez Gauthier, marchand de vin, Grande-Rue .

[7] M. lattier, fabricant de peignes à tisser, en tous genres, qui demeurait montée des Carmélites, en face la Barrière de Fer, demeure actuellement rue vieille-monnaie, n. 2, au 2e, du côté de la Grande Côte. – Il tient un assortiment complet de peignes neufs et de rencontre, et fait des échanges.

Notes (Du droit de coalition. Fit lex consensu...)
1 Principaux personnages mentionnés ici : Charlotte Corday (1768-1794), guillotinée pendant la Révolution pour avoir assassiné Jean-Paul Marat ; Louis-Pierre Louvel (1783-1820), guillotiné pour l’assassinat du Duc de Berry ; Augustin-Joseph Caron (1774-1822) , carbonaro, accusé en 1822  d’avoir fomenté avec son aide Roger le complot de Colmar ; Jeanne, combattant républicain du cloître de St-Rémy en juin 1832.

Notes (Beaux-Arts. exposition de novembre 1833 ....)
1 Les peintres mentionnés dans cette rubrique paraissent être, Xavier Sigalon (1787-1837), Jean-Marie Jacomin (1789-1858), Philibert Rouvière (1809-1865), Ferdinand Bourjot (1768-1838), Pierre Bonirote (1811-1891), Isidore Flacheron (1806-1873), Joseph Desombrages (1804-1873), Sébastien Cornu (1804-1870).

Notes (Nouvelles générales. paris . –  Des...)
1 Les deux anciens membres de la Convention Nationale mentionnés ici sont Joseph Beauchamp (1761-1842) et Bertrand Barère de Vieuzac (1755-1841).

Notes (ANNONCES. La voix du peuple . Chansonnier...)
1 Il s’agit ici sans doute de La voix du peuple. Chansonnier républicain par le citoyen D***, prolétaire, imprimé à Genève en janvier 1834.

 

 

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