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11 décembre 1833 - Numéro 12
 
 

 



 
 
    
Me Parquin.

quelques mots sur l’ordre des avocats.

[1.1]Les corporations, quelques noms qu’elles portent, sont des institutions surannées, et il en est de l’ordre des avocats et de son bâtonnier, comme des libertés de l’Eglise gallicane. Toute l’érudition de M. Dupin ne parviendra pas à les rajeunir.
le nation., déc. 1833, n. 341.

Ces hommes que l’on voit se promener dans les rues, affublés d’une longue robe noire, imitant la toge romaine, coiffés d’un coiffés d’un bonnet grotesque, ce sont des avocats. Il n’y a :plus qu’eux qui partagent avec les prêtres et les ignorantins le droit de sortir en public dans un costume différent des autres citoyens. Beaucoup de ces messieurs se disent républicains, presque tous libéraux. Les priviléges, les monopoles leur font horreur ; ils sont certainement de bonne foi dans leur haine du monopole ; nous sommes convaincus qu’ils n’en exceptent qu’un seul, celui dont ils jouissent : ils feraient bon marché de tous les autres, même de celui des avoués. Aussi, ils forment un ordre, lequel a un conseil de discipline dont le président s’appelle BATONNIER. Les droits de citoyen ne suffisent pas aux avocats ; ils ont des prérogatives, des priviléges, ni plus ni moins que l’église Gallicane avait ses libertés, que Me Dupin rappela sans rire l’an de grace 1828 ou 1829, peu importe.

Ce préambule était nécessaire pour l’intelligence de ce qu’on va lire, et pour apprécier le grave débat surgi entre Me Parquin et M. Seguier ; car, grand est l’émoi qui règne en ce moment dans le sein du barreau de Paris.

Nos lecteurs savent ou ne savent pas que l’ordre des avocats de cette capitale a pour bâtonnier actuel, Me Parquin. Or, cet avocat a été cité à la requête d’un ancien confrère, aujourd’hui procureur-général, monsieur Persil, pour le 5 de ce mois, devant la cour royale de Paris, à l’effet de voir prononcer contre lui telle peine de discipline qu’elle croirait convenable, à raison des expressions offensantes et blessant la dignité des magistrats, contenues dans un discours prononcé par lui le 28 novembre dernier, à la conférence des avocats. Ne vous arrêtez pas, de grâce, lecteurs, sur cette méthode de déférer aux parties elles-mêmes, le jugement des griefs dont elles ont à se plaindre.

Quelques détails sur l’origine de cette affaire qui commet la magistrature et le barreau, trouvent ici leur place, et l’on nous en saura gré.

Le 15 avril 1833, Me Perrin, avoué, demanda au nom de Me Marie, avocat, la remise d’une cause ; il donna [1.2]pour motif que cet avocat était appelé dans le même moment à plaider devant la cour d’assises. M. Seguier, premier président, refusa en disant : C’est pour la cour d’assises que l’avocat nous a quittés ; votre client vaut bien Cabeti et nous valons bien la cour d’assises… Il est déplorable que les avocats s’occupent d’affaires politiques ; ils feraient mieux de se consacrer aux causes civiles, c’est leur affaire. Ce langage était on ne peut plus inconvenant et inconstitutionnel. Les avocats comptent avec raison au nombre de leurs premiers devoirs la défense des accusés. Sur l’insistance de Me Perrin, M. Seguier accorda la remise demandée, en disant : « C’est pour vous, pour vous seul, car nous savons tous votre manière franche et loyale de penser et votre attachement à l’ordre public. » Qu’est-ce que l’opinion politique de Me Perrin et son attachement à l’ordre public pouvaient avoir de commun avec l’affaire de son client ? De telles paroles devaient-elles être prononcées dans le sanctuaire de la justice !

Me Marie dénonça ce fait scandaleux au conseil de discipline de son ordre, qui prit le 18 avril un arrêté par lequel il déclara protester contre la profession de principes attentatoires aux droits du barreauii et contre les expressions injurieuses pour Me Marie que s’était permises M. Seguier, et copie de cet arrêté lui fut adressée.

On n’osa pas alors se plaindre, il n’y eut pas de procès.

Le 28 novembre dernier, dans la conférence ordinaire des avocats, Me Parquin, réélu bâtonnier, prononça un discours dans lequel se trouve le passage suivant : Me Marie avait reçu d’un magistrat d’un rang élevé une grave insulte ; il la dénonça au conseil de l’ordre, et sur-le-champ il en obtint la satisfaction désirée. Une décision mémorable dont la place est déja retenue dans les annales du barreau français, alla jusque sur son siége saisir l’offenseur et lui infliger un blâme sévère, et cette décision, ce blâme ont été acceptés en silence, etc.

M. Persil a traduit, comme nous l’avons dit ci-dessus, Me Parquin devant la cour, pour être jugé disciplinairement.

Le conseil des avocats s’est assemblé de suite, et a décidé que la question de l’incompétence de la cour serait plaidée ; il a délégué Mes Mauguin, Hennequin et Ph. Dupin, pour assister leur confrère.

Me Parquin s’est en effet présenté à l’audience de la cour, jeudi dernier. L’incompétence a été proposée et discutée par Me Mauguin. La cour, jugeant à huis-clos, s’est déclarée compétente. Me Parquin s’est alors retiré, déclarant faire défaut sur le fond ; et par un second arrêt, la cour lui a enjoint d’être plus circonspect à l’avenir.

[2.1]Rapprochez cette bénigne censure (laissant de côté la question de compétence) des condamnations acerbes prononcées contre le National et le Charivari, accusés d’un délit à peu près pareil et même moins grave. O esprit de corps et de privilége !

Les barreaux de Rouen, de Versailles, etc., ont envoyé des adhésions à Me Parquin. Ce dernier a dû se pourvoir en cassation.

Me Parquin ne s’est pas immédiatement pourvu en cassation. Aussitôt l’arrêt de compétence rendu, il a été dîner chez M. Debelleyme, président au tribunal civil. A ce dîner sont arrivés successivement MM. le garde des sceaux Barthe, le premier président Seguier, le procureur général Persil, et enfin M. Dupin, procureur général à la cour de cassation, et autres notabilités. M. Dupin, qui, dit-on, voulait à tout prix avoir sa revanche de Saint-Acheul, a, en quelque sorte, jeté M. Parquin dans les bras de M. Seguier… Ils se sont embrassés,… comme on fait à la cour. Tout a été dit. Les journaux ministériels ont inséré de suite une note triomphale, et l’arrêt devait, au dire de M. Persil, ne pas être notifié. Me Parquin se tenait donc pour satisfait ; mais le conseil de discipline ne l’a pas voulu, et cet avocat, s’exécutant de bonne grâce, s’est pourvu en cassation : mieux vaut tard que jamais. Voila l’état actuel du procès. Nous tiendrons les lecteurs au courant de cette affaire qu’on aurait voulu, il paraît, étouffer après l’avoir imprudemment suscitée. Nous n’avons pas besoin de dire que nos vœux sont pour le triomphe des droits des avocats, lors même que, avec tous les organes indépendans de la presse, nous nous prononçons contre le monopole de la défense qu’ils exercent ; mais nous avons l’espérance que tôt ou tard ils sentiront combien est ridicule le rôle d’un apôtre de l’égalité savourant lui-même les douceurs du privilége, à peu près comme Sénèque, écrivant sur une table d’or, au dire de l’histoire, un traité fort pathétique sur le mépris des richesses. Que de Sénèques dans le monde !…

Cette contestation a rappelé au public que les avocats qui plaident si souvent contre les monopoles et les priviléges, forment eux-mêmes une classe de privilégiés, et que ces hommes libres par excellence sont courbés sous le joug despotique d’un conseil de discipline. Aussi le Messager des Chambres leur adresse-t-il ces paroles auxquelles nous nous associons autant qu’il est en nous :

« Mettez, mettez de côté la cause du privilége ; soyez des citoyens comme nous, sans robe et sans bonnet carré ; défendez du même coup, puisque les questions se confondent, la liberté du travail en vos personnes, et en votre nom les garanties politiques des accusés. De grace, redevenez monsieur un tel, au lieu de maître Parquin ou maître Seguier, si vous voulez agrandir votre querelle et y entraîner la société ; car persuadez-vous qu’aujourd’hui, hormis les privilégiés, personne ne s’intéresse chaudement à la conservation du privilége. Il est bien, quand on occupe pour les accusés, de les défendre ; mais la défense serait toujours plus libre et plus complète, si le défenseur, affranchi de tout réglement disciplinaire, n’avait de compte à rendre qu’à son client. » (Messager des Chambres, n°. 339, déc. 1833.)

Déja, et dans une occasion à peu près semblable, nous nous étions prononcés de la même manière ! Le barreau lyonnais, dit-on, nous en garde rancune. Est-ce que par hasard nous aurions eu le grand tort d’avoir trop tôt raison ? Lorsque MM. Chaney, Périer, Charrassin et Bacot furent menacés de destitution pour avoir signé une consultation en faveur du droit des citoyens de donner un banquet à Garnier-Pagès, contrairement à l’arrêté du préfet, nous dîmes alors à ces avocats comme aujourd’hui, et plus éloquemment que nous, le journaliste de Paris à Me Parquin : « Rendez encore un service à la société, déposez cette toge qui, loin de garantir votre indépendance, la compromet ; brisez cette chaîne du privilége, et venez comme citoyens prêter un ministère sacré (celui de la parole) à vos concitoyens…

« Le privilége vous rendait esclaves, soyez libres en renonçant au privilége » (V. l’Echo de la Fabrique, 1833, n° 19, p. 151). Nos principes n’ont pas changé : d’autres que nous, on le voit, les adoptent et les propagent. Quant à nous qui n’attaquons pas tel ou tel monopole, [2.2]mais tous les priviléges, tous les monopoles, nous ne croirons à la haine du privilége, que lorsqu’un avocat considéré, influent, déclarera que pour lui il y renonce, et en signe de vérité, en déposera les insignes en présence de ses concitoyens.

 

 

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