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11 décembre 1833 - Numéro 12
 
 

 



 
 
    

Misères Prolétaires.

La vieille femme qui mendie pour revoir son pays.

Une pauvre vieille de 86 ans vient s’asseoir sur le banc des prévenus.

M. le président. On vous a arrêtée au moment où vous demandiez l’aumône ?

La veuve Florent. Doux Jésus ! que le monde est méchant ! À quoi qu’ça vous sert de me dire cà ? vous devriez bien plutôt me renvoyer dans mon pauvre pays. Ah ! mon Dieu ! si quelqu’un voulait m’y mener ! J’ai 86 ans, et mes pauvres enfans seraient si contens de me voir !

M. le président. Mais la mendicité est un délit.

La veuve Florent. Un délit, que vous dites ! Ah ! mon Dieu ! si vous aviez des enfans bien loin, vous seriez bien content de les revoir, pas vrai ? J’en ai un petit de trois ans de la fille de mon aînée ; ils disent au pays que c’est mon fillot ; et je ne l’ai pas encore vu, le pauvre enfant ! (La veuve Florent sanglote.) Je vous en prie à genoux, faites-moi le voir, et puis vous me condamnerez après. Je suis si vieille, ne me faites pas mourir en prison ; je voudrais bien mourir dans mon pauvre pays.

La prévenue, en disant ces mots, penche sa tête entre ses mains et pousse des sanglots déchirans.

Quelques témoins viennent déclarer que, depuis une année, la veuve Florent est dominée par une seule pensée, celle de retourner dans son pays ; qu’elle se prive même de nourriture pour économiser ses frais de route, et qu’enfin elle s’est décidée à demander l’aumône à quelques passans pour compléter la somme qui lui était nécessaire.

En présence de ces déclarations, le tribunal n’a pas hésité à acquitter la prévenue.

La veuve Florent, pleurant toujours : Ah merci ! je peux donc aller voir mon pauvre petit fillot ! Que Dieu vous le rende !

 

 

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