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18 décembre 1833 - Numéro 14
 

 




 
 
     
Sur le Jugement

du tribunal de police correctionnelle de lyon,

qui a condamné les ouvriers cordonniersi.

[1.1]Le jugement rendu par le tribunal de police correctionnelle dans l’affaire des ouvriers cordonniers coalisés, est un fait grave, quelque soin qu’aient pris les juges d’adoucir la condamnation.

Les ouvriers cordonniers, ainsi que l’ont constaté les débats, ne s’étaient rendus coupables d’aucune violence ; le seul fait qu’on leur pût reprocher, et que du reste ils n’ont pas cherché à nier, c’était l’association pour la fixation du salaire. Les juges ont donc donné aux articles 414 et 415 du Code pénal la signification étroite qui leur avait été attribuée dans d’autres temps : ils ont condamné l’association des ouvriers sous le mot de coalition.

Cette interprétation est contraire à celle que le bon sens public, la presse, et sur beaucoup de points l’autorité elle-même avait donnée à ces articles, écrits dans d’autres temps et pour d’autres circonstances.

Nous croyons inutile de rappeler toutes ces manifestations par lesquelles l’opinion s’est déclarée sur ce point depuis six mois ; il n’est pas, dans l’administration, jusqu’à M. Gisquet1, qui certes, ne peut pas être accusé d’une tolérance excessive pour la liberté populaire ; il n’est pas dans la presse jusqu’au Constitutionnel, qui n’est point renommé pour la turbulence de ses opinions démocratiques, qui ne se soient hautement prononcé pour la liberté du travail, et en même temps pour la liberté des délibérations et des résolutions des travailleurs, deux libertés inséparables ou plutôt identiques.

Le tribunal qui a rendu ce jugement, a montré dans plusieurs circonstances trop d’indépendance et de lumières pour qu’on doive chercher autre chose que des motifs honorables dans la condamnation et dans le minimum qu’il a prononcés.

Nous ne croyons pas dépasser les limites imposées à la presse en disant que ces motifs ont dû se résumer à peu près ainsi : oui, la loi est mauvaise et inapplicable dans les circonstances actuelles et surtout dans l’avenir ; mais la loi existe, elle a été faite selon le sens que nous lui donnons, et nous devons l’appliquer. Toutefois, afin de faire comprendre au pouvoir législatif la nécessité de revenir sur cette œuvre d’un autre temps, [1.2]nous n’appliquons cette fois, non plus que dans l’affaire des Mutuellistes, quoique le fait de coalition soit prouvé et avoué, qu’un minimum qui satisfasse à la fois l’équité et le droit.

Si ce raisonnement a été fait, nous croyons qu’il est faux. Le pouvoir traduira tout autrement le jugement du tribunal. Il ne verra dans cette condamnation qu’un encouragement pour aggraver la pénalité de la loi qu’il élabore en ce moment sur les coalitions.

Le tribunal aura donc fait tout le contraire de ce qu’il voulait.

D’un autre côté, les ouvriers seront suffisamment avertis, par cette condamnation au minimum, des peines énormes qu’un autre jugement pourrait faire tomber sur eux.ii

Le défenseur des ouvriers cordonniers, Me Périer, a parfaitement développé cette idée, que les coalitions sont désormais un fait invincible que la loi n’avait pas prévu, ni pu prévoir, supérieur à la loi parce qu’il sort de causes nouvelles qu’une loi meilleure doit résumer et consacrer. La loi, comme il l’a dit, n’est juste et vraie, c’est-à-dire, acceptée comme telle, que quand elle constate le droit reconnu par tous, et créé par les faits vivans. Or, c’est un droit dont la légitimité n’est contestée par personne aujourd’hui, que celui de ne vendre son travail qu’au prix qu’on y met ; de ce droit sort pour les ouvriers, comme nous l’avons dit, celui de s’entendre sur le prix moyen du travail.

Si ce droit n’a pas été reconnu plus tôt, c’est qu’il a fallu long-temps pour faire accepter cette notion bien élémentaire pourtant que le travail est une marchandise ; que ceux qui la possèdent peuvent le soumettre, s’il leur plaît et d’un commun accord, à un tarif du prix courant, comme le font les possesseurs de toute autre valeur commerciale. Aujourd’hui, cette notion n’est plus combattue, mais les esprits timides ou ignorans hésitent encore à l’adopter.

Mais sans entrer dans des explications scientifiques, et en s’attachant simplement à l’appréciation immédiate de ce qui se passe aujourd’hui même sur tous les points du pays, il est facile d’apercevoir le résultat direct de la prohibition des coalitions. Comme la coalition est universelle, et qu’on ne peut pas mettre en prison tous les corps de métiers, en condamnant un ouvrier sur dix mille, on poussera simplement les autres à agir dans l’ombre. Alors les réclamations des ouvriers ne seront plus soumises à l’opinion par la presse ; l’équité générale qui seule est juge compétent dans ces matières, ne s’interposera plus comme arbitre entre les prétentions des maîtres et celles des ouvriers ; l’autorité elle-même n’aura plus tous les moyens de surveillance [2.1]que lui donnait cette publicité, et au lieu de coalitions au grand jour, il se formera partout des associations secrètes en proie à des bavards turbulens, dangereuses pour ceux qui y prendront part et pour la société tout entière qui perdra sur elles son droit souverain.

Tel est le résultat le plus probable de condamnations semblables à celle qu’a prononcée le tribunal. La franche probité des ouvriers qui ont refusé de dissimuler et d’excuser leurs actes, mais qui ont voulu soutenir hautement leur droit, devait faire espérer une solution plus conforme à l’équité, à la science économique, aux intérêts industriels et à la paix sociale.


i. Nous empruntons du Précurseur (n° 2149, jeudi 28 novembre), ces réflexions sur la condamnation des ouvriers cordonniers de Lyon. Elles peuvent s’appliquer à toutes les condamnations de ce genre.
ii. Le trib. de Paris a eu soin de justifier la prévision de notre confrère.

sur l’association des ouvriers et des maitres.

On a déja remarqué avec quel air prophétique certain journal affirme que les ouvriers ne pourront pas s’associer. S’il ne s’agit que d’une prétendue impossibilité indépendante des voies de fait de la police, on peut répondre en deux mots et par des faits. Depuis qu’Owen a montré en Ecosse, en Angleterre et en Amérique les bienfaits de l’association coopérative, il s’est formé dans ces différens pays un grand nombre de communautés. Une multitude d’ouvriers qui ne possédaient aucun capital, se sont réunis, travaillent ensemble et réalisent ce bien-être matériel et moral que nos égoïstes exploitateurs voudraient reléguer dans les chimères. Parmi les associations coopératives, on a cité pour leur succès celles de Red lion Square, à Londres ; West Street et Queen’splace, à Brighton ; Marine place, à Worthing, etc.

AU RÉDACTEUR.

Il m’en coûte d’entretenir le public d’affaires privées, mais je dois surmonter ce degoût lorsque la publicité est utile à l’intérêt général, et pour apprécier des fonctionnaires. Si les prud’hommes chefs d’atelier comprenaient leur mission, et si notamment M. dumas, l’un d’eux, n’avait eu la naïveté de se glorifier d’une conduite dont il devrait rougir, je m’abstiendrais de dévoiler cette conduite. Vous avez eu la complaisance d’ouvrir les colonnes de votre journal à mes justes réclamations contre M. Michel. Après que le conseil des prud’hommes eut, d’après l’avis insidieux de M. Labory, déclaré nul le billet de 50 fr. que j’avais souscrit à M. Michel, et qui avait réglé nos comptes, il eut cependant la pudeur de nous renvoyer devant arbitres pour régler ces mêmes comptes. Les arbitres nommés furent MM. Dumas et Joly ; ils m’allouèrent une indemnité de 155 francs, en sorte que je n’ai eu à payer que 100 fr. au lieu de 50 fr. que je devais, et les frais montant à 14 fr. ont été mis à la charge de M. Michel, de sorte qu’en définitive, il n’a eu que 36 francs en sus des cinquante francs que je lui devais. Quel intérêt a-t-il donc eu à me faire un procès ? Aucun ; mais il paraît qu’on est bien aise de mettre les chefs d’atelier à la discrétion des négocians ; c’est cette satisfaction que l’on veut bien plus que celle d’intérêts pécuniaires. Mais ce n’est pas tout : étant allé chez M. Dumas pour me plaindre du tort que j’éprouvais, et le priant de faire son rapport au conseil, il me répondit : Oh ! c’est différent ; voila le rapport qui vous alloue 155 fr. si vous voulez transiger avec M. Michel ; sinon, et si vous voulez plaider, en voici un autre qui vous condamne. D’après ce j’ai accepté la transaction. Que voulez-vous que je réponde à un prud’homme qui a deux rapports dans sa poche, l’un pour et l’autre contre ? Que M. Dumas me démente s’il l’ose ! mais qu’il cesse de dire que j’ai été content de sa manière d’opérer. Je crois en outre devoir signaler cette tendance du conseil de renvoyer toutes les causes en arbitrage et de les étouffer ensuite. Ce n’est pas ainsi que la justice doit se rendre.

J’ai l’honneur, etc.

CARRIER.
Fab. R. de la Citadelle, n° 1.

Au Rédacteur.

Monsieur,

Je lis dans le n° 14 de l’Echo de la Fabrique de cette année, une note ainsi conçue : « Sur la demande de M. Putinier, le conseil des prud’hommes a nommé une commission, composée de MM. Labory et Gamot, à l’effet de présenter un projet d’amélioration à la fabrique. » Des améliorations à la fabrique ?… A quoi bon !… En charger MM. Labory et Gamot ? allons donc ! Aussi, c’était une erreur de votre part, et vous l’avez rectifiée dans le n° suivant en disant que cette commission n’avait d’autre objet que la rédaction d’une pétition au ministère, pour avoir des renseignemens sur diverses questions d’organisation et de compétence du conseil des prud’hommes. A la bonne heure ! une pétition ? c’est cela ! bien humble, bien révérentieuse et surtout bien secrète ; car, depuis, oncques n’en a entendu parler. Je ne doute pas que [2.2]MM. Labory et Gamot aient dressé leur pétition, mais n’auraient-ils pas dû faire connaître la réponse du ministère ? Est-ce que par hasard la dernière ordonnance qui a coupé les prud’hommes en deux (opération pour laquelle on pouvait bien s’en rapporter à nous) serait le résultat des travaux de MM. Labory et Gamot ? Oh ! la bonne besogne que ces Messieurs auraient faite !

Veuillez, Monsieur, prendre quelques renseignemens à ce sujet.

EDOUARD,
Fabricant, rue Bourgchanin, n. 30.

N. d. R. M. Edouard a meilleure mémoire que nous. Il a raison, les citations sont on ne peut plus exactes. C’est à MM. Labory et Gamot à répondre ; les colonnes de notre journal leur sont ouvertes. Nous sentons bien que par l’insertion de la lettre ci-dessus et d’autres semblables, nous propageons des bruits fâcheux, mais c’est notre devoir, et les ouvriers savent bien que nous n’y avons jamais manqué, du moins volontairement.

Gâchis Continué.

M. le Préfet, assez sage pour n’avoir pas de volonté immuable, est revenu sur son arrêté. Les électeurs de la section de M. Dumas peuvent donc se tenir tranquilles ; et c’est une bonne fortune pour l’autorité qui avait déja le cauchemar d’entendre circuler le nom de M. Falconnet, cet ancien gérant de l’Echo de la Fabrique, dont l’éloge serait trop suspect dans notre bouche ; celui de M. Berger, qui a eu l’incongruité de refuser serment de fidélité au roi, et dont il ne nous appartient pas davantage de dire tout le bien qu’il mérite…

Ceux de la section de M. Verrat peuvent aussi se reposer. Que l’autorité soit encore tranquille ; le nom de M. Bouvery lui était apparu comme un épouvantail, réminiscence d’octobre et du tarif. Elle ne subira pas encore ce candidat nécessaire.

Mais triomphe plus insigne encore !

Les électeurs de la section de M. Labory, membre sortant désigné par le sort, ne doivent pas bouger de chez eux : telle est la décision de M. le préfet. Il consent bien que Mrs Dumas et Verrat demeurent, mais il ne veut pas que M. Labory sorte ; et en effet, mettez-vous à sa place. Comment se défendre d’un sentiment de pitié, à la vue de ce pauvre Labory, si plaisant au conseil, si aimable, si facile dans les tête-à-tête de l’arbitrage avec ses collègues-négocians ; si fashionable aux bals de M. le préfet ; enfin, si ami de la maison !… et non réeligible. Tout autre qu’un préfet eût été embarrassé ; ah ! bien oui ! Ceux qui ont remplacé le tarif par la mercuriale, et la mercuriale par rien du tout, ne sont pas gens à s’interloquer pour si peu. Aussi, de son autorité privée, M. le préfet élimine M. Labory du nombre des sortans, cela ne coûte que quelques considérans ; il y a double avantage dans cette manière de procéder : d’abord, on donne un soufflet aux ouvriers ; au conseil des prud’hommes, on fait de la force, ce qui n’est pas à dédaigner ; ensuite, et c’est le grand point, on conserve M. Labory, c’est un si bon enfant… Voila ce que c’est que de savoir danser, on apprend à faire des courbettes ; et quand on sait faire des courbettes, eh bien ! on est prud’homme.

On remplacera M. Charnier. S’il n’est pas bien en cour, il l’a voulu… On trouvera du moins, on l’espère, quelqu’un bien nul qui accepte, sans mot dire, la prescription d’un mois si commode pour le règlement des écritures de commerce, et n’ait pas sans cesse à la bouche ces mots libre défense dont il a fait son delenda Carthago.

Quant à M. Martinon, il était colère, mais facile à apaiser. Son remplaçant est tout trouvé, c’est notre ami Bernard. Il n’attend, dit-on, que sa nomination aux fonctions de prud’homme pour cesser la gérance de l’Echo de la Fabrique.

Quittons le ton de la plaisanterie, et demandons sérieusement qui l’on veut tromper par cette comédie. Si M. Labory a souci de l’estime de ses concitoyens, il se hâtera de donner sa démission, et sortira par-là M. le préfet d’un très mauvais pas ; car, nous savons qu’une protestation se prépare en ce moment. L’orage gronde, il faut prévenir son explosion. Entendez-vous, Messieurs ?

Remplacement partiel des Prud’hommes.

[3.1]Une nouvelle ordonnance de M. le préfet, affichée le 15 du courant, annule la précédente, et convoque les électeurs des sections représentées par MM. Charnier et Martinon pour le dimanche 12 janvier prochain, huit heures du matin.

Il est fait droit aux réclamations de MM. Dumas et Verrat ; les électeurs de ces sections cessent d’être convoqués. On ne convoque pas davantage ceux de la section représentée par M. Labory, quoique sortant.

Les négocians sont convoqués pour le samedi, 11 janvier prochain, pour nommer les remplaçans de MM. Goujon, Gamot et Brisson.

De nombreuses réclamations s’élèvent sur la confection des listes. Plus de 50 personnes paraissent avoir été omises dans la section de M. Charnier. Il nous semble que puisqu’une loi avare a restreint, contre toute justice, le nombre des électeurs, au moins devrait-on inscrire tous ceux appelés.

On se souvient sans doute de Eugène Dufaitelle, ce jeune homme qui, traduit devant la cour d’assises du Rhône, au mois de décembre 1832, pour un article remarquable publié dans le Précurseur, parla religion et liberté, fit l’éloge de Jésus-Christ et de Robespierre, fut à peine compris, mais fut acquitté par le jury, et publia sa doctrine et la relation de son procès sous ce titre : Les Doctrines républicaines absoutes par le jury lyonnais. Il avait quitté notre continent, et s’était rendu au Brésil ; il est revenu en Europe. Nous ferons sans doute plaisir à nos lecteurs en leur donnant des nouvelles de ce jeune patriote, et en transcrivant la lettre qu’il a écrite du Hâvre-de-Grace, le 19 novembre dernier, à son ami, le citoyen Haureau, l’un des rédacteurs de la Tribune.

Mon bon Haureau,

J’ai appris dans mon voyage d’Amérique que vous aviez l’honneur de souffrir toujours pour la cause de l’ordre et de l’unité. J’ai pensé en tout temps que la société avait deux mains : la religion et l’industrie. C’est dans ce sens, mon cher ami, et dans une confiance entière dans le Dieu des ames et des corps, que je m’empresse de vous envoyer mon offrande. Daignez croire que je ne suis ici que l’interprète de beaucoup de Français isolés dans le désert social de l’Amérique, et que j’exprime avec une parfaite franchise leurs idées généreuses et solitaires. Ce fut le caractère multiple de notre incomparable Rousseau, d’avoir allié le spiritualisme le plus ardent et l’éducation physique la plus originale au 18e siècle. Insérez, je vous prie, cette lettre dans le plus prochain numéro de votre courageuse Tribune, et recevez mes 100 francs.

J’ai l’honneur d’être, mon ardent et laborieux ami, votre religieux confrère.

Eugène dufaitelle.

Exposition St-Pierre.

MM. GUINDRAND, BIARD, JACQUAND1, GROS-CLAUDE, et encore M. GUICHARD.

(6me et dernier article).

Aux derniers les bons, dit un proverbe populaire, auquel je me conforme. C’est que j’aime beaucoup les proverbes, moi ; ils sont la sagesse des peuples, ce qui prouve, pour le dire en passant, que les peuples ont une sagesse quelconque, tandis que les rois en sont totalement dépourvus, à moins qu’on ne veuille arguer de la vieille sagesse du roi Salomon, roi très sage en effet, puisqu’il n’avait que trois cents concubines, pour s’amuser le matin ou le soir, comme on voudra. Le pauvre homme !…

M. Guindrand est un paysagiste d’imagination et de talent. Ses scènes sont animées, ses plans bien dégradés, ses ciels lointains et vaporeux ; mais cet artiste a un défaut grave : il fait trop vite, M. Guindrand rêve ou voit un joli site, et aussitôt le voila, le pinceau ou plutôt la brosse en main, reproduisant sur la toile le site en question, lequel est fait presqu’aussi promptement qu’il a été vu ou rêvé. Vous êtes émerveillés, mais vous le seriez bien davantage si le peintre avait pris son temps ; car, si nous en croyons Parny2, les dieux seuls font vite et bien. M. Guindrand a accroché [3.2]à l’exposition deux grands paysages, empreints tous les deux de ses qualités, et de ses défauts ; je m’arrête devant ses forges d’Allevard. J’en aime l’ordonnance, la couleur, l’animation, la perspective ; mais aussi j’en réprouve la sécheresse et la crudité, surtout dans les premiers plans. L’eau qui s’échappe de ce chenal en planches n’a guère plus de flots et de transparence que les planches même, et j’enlèverais volontiers avec mes ongles ces gros pochons de couleur destinés à faire tourner ces troncs d’arbre ou ces nuages qui fuient à l’horizon. Ce tableau est vendu à la ville, dit-on ; tant mieux pour M. Guindrand ; je voudrais pouvoir en dire autant pour la ville.

Comme M. Guindrand, M. Biard a son cachet, et je l’en félicite ; car, je ne vois de postérité que pour les artistes qui ont un cachet. Nul plus que M. Biard ne met de tact et d’esprit dans la disposition de ses tableaux. Chacun des personnages qu’il place en scène occupe bien le plan qu’il doit occuper, regarde bien où il faut qu’il regarde, fait et dit bien ce que le peintre a voulu lui faire faire ou dire. Malheureusement tous ses personnages, quoique très-diversement drapés et vêtus, paraissent jetés dans le même moule, en raison de la similitude de leur couleur ; ils sont tout gris, on dirait au premier coup-d’œil, une gouache fort bien dessinée et coloriée ; mais enfin, on dirait une gouache. Le plus capital des nombreux tableaux qu’a exposés M. Biard, est, sans contredit, sa vue intérieure de l’Antiquaille, le Charenton lyonnais. Le public aime ce tableau, il s’y arrête et en contemple avec un muet saisissement les diverses et déplorables scènes ; mais le public n’en aime pas la couleur, il a beau se tourner d’un côté, puis de l’autre, puis de face, puis enfin, se frotter les yeux, il voit toujours gris, comme il voit violet quand il regarde les tableaux de M. Revoil. Est-ce le public ou M. Biard qui a tort ? Il serait à la rigueur possible que M. Biard trouvât que le public n’a pas raison, ne lui en veuillez pas ; quel artiste n’a pour ses productions des entrailles de père ?

La Louise Labbé présentée à François Ier, de M. Jacquand, est une œuvre devant laquelle il ne faut s’arrêter que le temps nécessaire pour se convaincre qu’un artiste qui cherche à être autre chose que lui-même se brouille avec l’avenir. Il y a au moins quelques parties remarquables dans le Thomas Morus ; il n’y a rien que de très faible dans la Louise Labbé. Ces profils n’ont point de relief, ces tailles point de proportion, ces figures point de physionomie ; bref, Louise Labbé est une estampe et pas des meilleures encore. Je suis fâché de montrer tant de sévérité à M. Jacquand, mais je me sens peu de pitié pour ces artistes de province qui, sur une critique venue de Paris, changent leur manière du matin au soir et du noir au blanc, et se feraient franchement croûtons, si quelque jour les Aristarques de la capitale déclaraient que les croûtons sont seuls d’excellens peintres. Qui ne se sent pas indépendant en fait d’arts, mourra avant la fin de sa vie.

Uno avulso non deficit alter. Pendant que l’école lyonnaise s’en allait, l’école genevoise venait au monde, et, peut-être, pour vivre plus long-temps que sa devancière ; Dieu le veuille. Cette école nous est révélée par plusieurs peintres, mais M. Diday suffirait seul pour la mettre en lumière. Cet artiste, à travers quelques défauts qui sont d’un amendement facile, possède des qualités vraiment éminentes, de ces qualités qui font qu’après un siècle et demi un Claude Lorrain est toujours un Claude Lorrain. M. Diday pousse jusqu’à la magie l’art de la couleur, qu’il peigne une vue des Alpes, un coucher du soleil ou l’aspect du lac de Genève agité par le vent du midi. Cet artiste voit juste, et peint comme il voit. En considérant son chalet, on se sent transporté dans les Alpes, ainsi qu’on se sent pénétré des dorés et chauds rayons du soleil, lorsqu’on regarde avec attention son village de Bruntz, que l’Aristarque du Précurseur, je crois, a pourtant trouvé peint comme avec des jaunes d’œufs. Pauvre Aristarque !… un Pater, s’il vous plaît, pour que Dieu lui donne des sens plus justes. A côté de M. Diday et sur la même ligne, l’école genevoise nous révèle M. Gros-Claude3. Je dis sur la même ligne, parce que le pinceau de cet [4.1]artiste n’est pas moins prestigieux que celui de son compatriote. Qui ne connaît les deux petites jumelles ? qui n’a admiré cette carnation si vraie de ton, si juste de couleur, si suave de contours ? Qui ne s’est arrêté devant l’enfantine expression du sourire et du regard de ces deux petites filles qui arrivent à la vie, et ne la voient encore, innocentes qu’elles sont, qu’avec leurs yeux de cinq à six ans ? Pauvres petites, dont l’illusion, hélas ! ne durera pas long-temps ! – Qui n’a payé aussi son tribut d’admiration à la jeune vierge aux cheveux rouges, regardant par une belle matinée de printemps à la croisée de sa chambre, se sentant naître, peut-être, pour la première fois, et demandant à l’avenir de son œil et de son sourire, si le vague bonheur, dont déborde son cœur de quinze ans, sera un rêve ou une réalité ? Est-il rien de plus naturellement posé, de plus naïvement méditatif, et en même temps de plus gracieusement peint et modelé, que cette jeune fille ? Non : le pinceau, même celui de Paulin Guérin4 ou de feu Th. Lawrence, ne va pas plus loin. Il y a des idées bien simples dans les arts, mais qui sont tout un poème quand elles sont rendues avec supériorité. Telle est la vierge mondaine de M. Gros-Claude.

J’ai parlé déja de M. Guichard ; mais comme cet artiste est de ceux dont on ne parle jamais trop, je dirai qu’il a exposé et, dit-on, donné au musée son propre portrait, peint par lui même. C’est là un acte d’amour, peut-être un peu déplacé. Le portrait d’un artiste exposé dans un musée est une sorte d’apothéose qu’il faut mériter par de longs et glorieux travaux ; sinon, cette apothéose prête à rire, ce qui est pis à mon sens qu’une honnête obscurité. Ceci dit, je rendrai toute justice au portrait de M. Guichard, comme page de peinture. Toutes les qualités de l’auteur de la mauvaise pensée s’y trouvent à un haut degré ; seulement, je ferai remarquer au peintre, d’une part, qu’il ne s’est pas posé d’une manière naturelle, et de l’autre, qu’il n’a pas été assez économe du bistre et du noir d’ivoire. Dans vingt ans, son portrait aura l’air d’avoir un siècle ; c’est un défaut : tableaux et gens, tout cela a l’air vieux assez tôt. – MM. les peintres, à l’année prochaine, si Dieu nous prête vie. Arrangez-vous à ce que je ne taille ma plume que pour l’éloge.

B. (A).

Moyen de conserver les pommes.

Il faut les mettre dans des tonneaux remplis de sable bien sec, ou de son.

Nouvelles générales.

paris. – Le conseil d’état a rejeté la demande des officiers français qui réclamaient le paiement des cédules à eux délivrées par Joseph Napoléon, en 1809, à titre de récompense.

Le 11 de ce mois a commencé devant la cour d’assises le procès des 27 accusés du complot dit du 28 juillet.
Nous donnerons une notice détaillée de ce procès.

La cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’assises de Paris, qui condamnait le gérant du National à 3 mois de prison, pour avoir rendu compte, malgré l’interdiction, de débats judiciaires.

La même cour a rejeté le pourvoi du Charivari contre l’arrêt de la cour de Versailles, qui lui interdit de rendre compte des débats judiciaires.

DÉPARTEMENS.

douai. – Les hâleurs de bateaux réclament une augmentation de 25 c.

lunel. – Les ouvriers tonneliers d’une grande maison se sont coalisés, à raison d’une diminution de salaire qu’on leur avait fait subir.

marseille. – M. Imbert, gérant du Peuple Souverain, traduit pour la 4e fois devant la cour d’assises, a été acquitté le 12 décembre.

vierzon. – Lentz et Marteau, ouvriers porcelainiers, ont été arrêtés, et l’on a saisi chez l’un d’eux 200 fr., montant d’une souscription.

– Les ouvriers des forges de cette ville ont imité l’exemple des porcelainiers, et se sont coalisés.

vire (Calvados). – M. Chenedollé1, ex-inspecteur de l’université, auteur du Génie de l’Homme, est mort le 3 décembre.

Lyon.

[4.2]– cour d’assises. – Les cit. Tiphaine, Vincent et Thion ont été acquittés après une plaidoirie de Me Jules Favre, dans laquelle ce jeune orateur s’est en quelque sorte surpassé. Me Périer étant malade, n’a pu concourir à la défense. – A la sortie de l’audience, M. Caussidière, de St-Etienne, a été arrêté sous un prétexte futile, mais en réalité, à ce qu’on en dit, pour éviter une ovation aux citoyens acquittés, dont il devait donner le signal.

– L’affaire de la Glaneuse sera jugée sur opposition vendredi prochain.

fouriérisme. – Aujourd’hui, à 8 heures du soir, a lieu la troisième séance publique et gratuite de M. Ad. Berbrugger, dans la salle de la Loterie.

parquet. – Le gérant de l’Echo de la Fabrique a été dernièrement mandé devant M. le procureur du roi, comme prévenu de s’occuper de matières politiques, sans avoir fourni le cautionnement voulu par la loi. Nous ignorons le résultat.

Une femme, demeurant rue Misère, et une fille qui habitait chez elle, ont été arrêtées sous la prévention du crime d’infanticide et de complicité.

– On a retiré hier de la Saône, près du pont Tilsitt, le corps d’un homme noyé ; c’était un individu d’environ 40 ans, à barbe et cheveux roux.

– Le cit. Tiphaine a été retenu en prison pour de prétendues malversations, commises il y a plus de 3 ans lorsqu’il était greffier-commis de la police municipale.

cancans.

M. B..... copie les affiches. Le style est tout l’homme.

Depuis que M. B.... est le gérant de l’Echo de la Fabrique, ce journal court la poste ; voyez plutôt. Né le 30 octobre 1831, il a commencé sa 4e année le 3 novembre 1833.

Prenez garde, M. B...., si vous allez si vite, les abonnés ne pourront pas vous suivre.

Lorsque M. le procureur du roi lui a dit : Attention, M. B....., votre journal parle politique, il lui a répondu : Je ne m’en occupe pas du tout. Il y a là une amphibologie.

On assure que M. Martinon n’a donné sa démission que pour faire place à M. Bernard.

M. Lab.... est ce qu’on appelle entre deux chaises…

Si M. Bernard remplace M. Martinon, comme prud’homme ; pourquoi M. Martinon ne le remplacerait-il pas comme gérant ?

Avis.

Le 6 décembre courant, on a retiré du Rhône, à la Mulatière, la cadavre d’un homme inconnu, submergé depuis environ trois semaines.

Signalement. – Paraissant âgé de 65 ans, taille d’un mètre 60 centimètres, cheveux gris.

Il était vêtu d’une veste en velours-coton olive, d’un pantalon en drap bleu avec un passe-poil rouge ; il portait un second pantalon de coton bleu en guise de caleçon, un gilet bleu en circassienne, un autre gilet en laine bleue, tricoté, et une chemise en coton sans marque. Il avait une cravatte en coton rose quadrillée et des souliers ferrés.

On a trouvé sur lui un petit couteau à manche de corne et une somme de 1 f. 57 c. monnaie de cuivre.

Les personnes qui pourraient donner des renseignemens sur cet individu, sont priées de les adresser à la préfecture du Rhône, division de la police.

ANNONCE.

[7] M. Lattier, fabricant de peignes à tisser, en tous genres, qui demeurait montée des Carmélites, en face la Barrière de Fer, demeure actuellement rue vieille-monnaie, n. 2, au 2e, du côté de la Grande Côte. – Il tient un assortiment complet de peignes neufs et de rencontre, et fait des échanges.

Notes (Sur le Jugement)
1 Henri Gisquet (1792-1866), auparavant banquier et industriel, proche de Casimir Périer qui l’avait fait nommer en 1831 préfet de police de Paris.

Notes (Exposition St-Pierre . MM.  GUINDRAND , BIARD...)
1 Antoine Guindrand (1801-1843), François-Auguste Biard (1799-1882) et Claude Jacquand (1803-1878) étaient tous trois membres de l’école lyonnaise.
2 Référence ici au peintre et poète Evariste-Désiré Desforges (Parny) (1753-1814).
3 Inaugurée par les tableaux de paysages et de montagnes de Pierre Louis de la Rive (1753-1817), lui-même influencé notamment par Claude Lorrain (1604-1682), l’Ecole genevoise de peinture avait alors comme principaux représentants, Louis-André Gros-Claude (1784-1869) ou surtout François Diday (1802-1877).
4 Référence ici à deux grands portraitistes, Jean-Baptiste Paulin-Guérin (1783-1855) et Thomas Lawrence (1769-1830).

Notes (Nouvelles générales. paris . –  Le conseil...)
1 Charles-Julien Lioult de Chênedollé (1769-1833), poète français dont l’ouvrage intitulé Le génie de l’homme avait été publié en 1807.

 

 

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