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29 janvier 1832 - Numéro 14
 
 

 



 
 
    
LYON.
D'UN SYSTÈME D'ASSOCIATION ENTRE LES CHEFS D?ATELIERS ET OUVRIERS EN SOIE.1

L'homme n'est point né pour vivre isolé ; le premier besoin de son enfance est de chercher une société, et dès que la nature lui donne la force de se mouvoir, de marcher, il est attiré par un penchant surnaturel vers d'autres enfans de son âge. En grandissant il éprouve le même désir ; s'il a le c?ur droit, il se choisit une société franche et loyale avec laquelle il passe les heureux jours de sa jeunesse. En vieillissant ce besoin se fait sentir encore. Revenu des illusions du jeune âge, il cherche la paix dans l'intérieur de sa famille, et des délassemens au milieu de quelques amis. Ainsi l'homme est né pour la société et non pour l'isolement. Nous croyons donc que pour qu'il puisse aspirer au bonheur à venir, il doit se rallier à ses semblables et chercher auprès d'eux un abri contre l'infortune.

Nous n'appellerons point société ces réunions qu'on fait dégénérer en conciliabules où on discute tout, or les moyens de rendre l'homme heureux ! nous n'appellerons point société ces cohues, ces espèces de clubs où tous les membres parlent à la fois et dont on manque le but essentiel, celui de se comprendre. Nous n'appelrons [1.2]point enfin société ces réunions mystérieuses et dignes de pitié où l'on parodie dans l'ombre les francs juges et les Templiersi.

La société telle que nous la voyons, doit être toute industrielle ; elle ne doit avoir pour but que l'amélioration du sort de la classe ouvrière en portant dans son sein un accroissement de facultés qu'elle ne trouvera point tant que ses membres seront épars.

Les siècles avancent, aucune classe ne doit rester en arrière sous peine d'être anéantie. Et pourquoi, tandis que des capitalistes, des négocians, des armateurs se réunissent en société sous le nom de compagnies pour opérer avec leurs capitaux, des chefs d'ateliers, des ouvriers ne pourraient-ils pas se réunir pour opérer avec leurs faibles ressources ? Pourquoi lorsqu'un chef d'atelier aurait besoin de quelques fonds pour monter un métier, pour entreprendre un article qui lui serait avantageux, ne pourrait-il avoir recours à une espèce d?assurance mutuelle, à une caisse commune entre les associés, où il puiserait les ressources nécessaires pour subvenir aux besoins du moment et par là se mettrait à même de sortir de son inaction ?

Nous ne pensons pas que la société telle que nous l'envisageons doive être nombreuse ; selon nous, elle doit ressembler à un cercle d'amis ; mais si les hommes ressentaient tout le bien qu'elle peut produire, les sociétés [2.1]se multiplieraient à l'infini. Car, nous le demandons à tous les c?urs doués d'un peu de sensibilité, qu'est-ce que l'homme isolé, sans amis, sans appui ? n'est-ce pas un être errant, pour ainsi dire, au milieu des populations, un orphelin qui vit et meurt abandonné ? Eh bien ! que les ouvriers se rapprochent, qu'ils forment entr'eux des sociétés, que ces sociétés soient au grand jour ; que l'amour de l'humanité, la vertu et des lois en soient les premiers fondemens ; que chaque sociétaire soit pénétré que ce n'est point pour bouleverser, anéantir, qu'il en fait partie, mais bien pour avoir des amis qui viendront à son secours dans des momens de besoin : alors, l'ouvrier, le chef d'atelier, se créeront un avenir heureux et obtiendront l'approbation de toutes les classes, comme l'appui des gouvernans.

Pour pénétrer les ouvriers du bien que peut produire ce que nous avançons, nous n'avons qu'à citer un seul fait : Si dans ce moment les hommes n'étaient point isolés, ne pourraient-ils pas mieux s'entendre pour la nomination des membres du conseil des prud'hommes ? Car il ne s'agit pas ici de nommer tels ou tels parce qu'ils promettent de faire une opposition constante et irréfléchie ; il s'agit de nommer des hommes fermes, mais sages, ne composant jamais avec leur conscience, et connus par leurs précédens. Voilà à quoi le système d'association, tel que nous l'entendons, aurait servi, et nous croyons que les ouvriers et les chefs d'ateliers doivent s'empresser à se former en cercles d'industrie, pour éviter la décadence totale de nos manufactures et le fléau de la misère.

Dans quelques jours nous mettrons sous les yeux de nos lecteurs un projet de société, qui sera en harmonie avec nos lois comme avec l'humanité.

Notes (LYON.
D'UN SYSTÈME D'ASSOCIATION ENTRE LES CHEFS D?ATELIERS ET OUVRIERS EN SOIE.)

1 L?auteur de ce texte est Antoine Vidal d?après la Table de L?Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
Empruntant à plusieurs sources intellectuelles nouvelles, notamment le saint-simonisme, nuancé également par la vie quotidienne du système complexe de la fabrique lyonnaise, le thème de l?association va se transformer rapidement ; significativement, alors que Vidal évoque, dans ce numéro de fin janvier, un système d?association propre à la fabrique, dès le mois de mars 1832, on se demandera, dans les pages de L?Echo de la Fabrique, si ce journal ne doit pas devenir l?organe de « toute la classe ouvrière » (numéro du 11 mars 1832). Sur l?évolution du thème de l?association dans cette période, voir, en particulier, W. H. Sewell, Gens de métiers et Révolution. Le langage du travail de l?ancien régime à 1848, Paris, Aubier, 1983. Aussi, Gabriel Perreux, La propagande républicaine au début de la Monarchie de Juillet, ouv. cit., chapitre 2.

 

 

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