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21 décembre 1833 - Numéro 15
 
 

 



 
 
    

sur le remplacement partiel des prud’hommes.

Il faut enfin se déterminer à parler sérieusement d’une chose, malheureusement trop sérieuse. Nous n’avions trouvé qu’une expression convenable, gachis, pour désigner la conduite de l’administration dans l’opération si simple cependant du renouvellement partiel du conseil des prud’hommes ; mais nos lecteurs ont droit de nous demander davantage. Il n’est donc pas hors de propos que nous signalions en détail l’illégalité flagrante des arrêtés de M. le préfet du Rhône, des 26 novembre et 14 décembre dernier. Nous sommes obligés de jeter auparavant un coup-d’œil en arrière pour bien poser la question qui a été embrouillée, peut-être à dessein ; mais nous serons aussi succincts que possible.

[1.2]Lorsque la fabrique était organisée en corporation, à l’instar des autres professions, elle avait des maîtres-gardes pour veiller à la conservation de ses priviléges, à la défense de ses droits et à l’observance de ses devoirs. Ces maîtres-gardes, par suite d’un mode vicieux d’élection, étaient plutôt sous l’influence des négocians que des ouvriers. La révolution française fit justice de tous ces abus ; la suppression des corporations, des jurandes et maîtrises était le corollaire obligé de la liberté du commerce et de l’industrie ; mais par suite, le commerce et l’industrie n’avaient plus de protection à demander à une autorité quelconque. Ils devaient la chercher en eux-mêmes. Le commerce trouva cette protection dans l’argent. Par reconnaissance, il éleva ce métal au rang de puissance publique. L’industrie n’eut pas la même ressource, elle ne fut que la vassale du commerce, et le commerce oublia trop souvent que c’était d’elle qu’il empruntait son éclat et son utilité.

Les hommes ne peuvent s’assembler sans que de leur contact il naisse des intérêts divers que les passions exploitent et transforment en collision dans l’état de nature, en procès dans l’état social. De là la justice criminelle pour réprimer et punir les méfaits de l’homme social ; la justice civile pour décider le droit de chacun et soumettre les intérêts au joug de la loi. La loi civile est donc la règle générale ; mais les dévelopemens du commerce et de l’industrie ont nécessité des règles spéciales à chacun d’eux ; plus encore des hommes spéciaux pour les appliquer. De là sont nées successivement les juridictions consulaires et des prud’hommes ; nous parlerons ailleurs des premières, car il existe aussi là des vices préjudiciables à la cause des prolétaires. Aujourd’hui, c’est des secondes dont nous avons à traiter.

Un décret du 18 mars 1806 a fondé le conseil des prud’hommes de Lyon, qui a servi de type aux conseils créés ensuite dans la plupart des villes manufacturières. Nous consignerons ici une observation, parce qu’elle trouve sa place. Le pouvoir, prodigue envers la justice civile, a été plus que parcimonieux envers le commerce et l’industrie ; tandis qu’il a donné des traitemens exagérés à certains fonctionnaires de l’ordre judiciaire, à ceux surtout qui sont les moins utiles ; il s’est reposé sur l’honneur du soin d’indemniser les juges du commerce, et sur la munificence des villes, du soin d’indemniser les juges de l’industriei.

Un autre décret du 11 juin 1809 porte entre autres dispositions :

Art. 3. Les conseils des prud’hommes seront renouvelés sur chaque [2.1]année le premier jour du mois de janvier. Si le conseil est composé de quinze membres, il sera renouvelé la première année : deux prud’hommes marchands fabricans, et un prud’homme chef d’atelier ; la deuxième année trois prud’hommes marchands fabricans, et trois prud’hommes chefs d’atelier ; la troisième année idem. – Le sort désignera ceux des prud’hommes qui seront renouvelés la première et la deuxième année ; dans les autres années ce seront les plus anciens nommés.

Ce décret a encore force de loi, aucune ordonnance royale ne saurait y porter atteinte. M. le préfet n’en fait pas mention dans ses arrêtés des 26 novembre et 14 décembre ; il cite en place un décret du 3 août 1810, qui n’a aucun rapport à cette matière.

Le 15 janvier 1832, une ordonnance a réorganisé le conseil des prud’hommes ; elle a porté le nombre des membres de la section de fabrique à 17, et la totalité des membres du conseil à 25. Elle n’a rien innové au décret du 3 novembre 1810, qui règle l’élection des huit membres du conseil représentant les sections de dorure, bonneterie, passementerie et chapellerie, et dont, par conséquent, nous n’avons pas à nous occuper actuellement.

En vertu de cette ordonnance, la fabrique de soierie eut neuf prud’hommes négocians et huit prud’hommes fabricans. Ce n’est pas ici le lieu de critiquer cette ordonnance dans ses parties défectueuses ; nous devons l’accepter telle qu’elle existe, nous en ferons la critique plus tard ; ne nous occupons pas davantage de la section des négocians, car, à vrai dire, nous aimons autant Pierre que Paul. Occupons-nous seulement des sections ouvrières. Si les négocians se croyent violés dans leurs droits, nous sommes prêts à être leur organe, mais nous ne pouvons nous en donner nous-mêmes la mission.

Au 1r janvier 1833, M. Falconnet, prud’homme fabricant, sortit par la voie du sort et fut remplacé par M. Dumas. M. Sordet sortit également et fut remplacé par M. Milleron : tous deux n’avaient été qu’un an en exercice ; mais la raison le voulait ainsi, il fallait bien que quelques uns subissent l’arrêt du sort. Mais il fut bien entendu que dans aucun cas les prud’hommes ne pouvaient excéder le terme légal de leurs fonctions fixé par le décret de 1809 ; car il n’y a pas de pire incompétence que celle qui résulte du défaut de qualité du juge, et c’est ce qui arriverait si un prud’homme pouvait se proroger dans ses fonctions au-delà du terme légal.

En suivant l’ordre rationnel prescrit par l’ordre du 15 janvier 1832, executé loyalement au lr janvier 1833, il devait y avoir pour le ler janvier 1834 un tirage au sort entre les six membres chefs d’atelier restans pour en éliminer trois, et au lr janvier 1835 les trois autres sortaient par rang d’ancienneté.

Une ordonnance du 21 juin 1833 est venue apporter des modifications à celle du 15 janvier 1832. La part des libertés était trop large, on a voulu la restreindre ; l’Echo de la Fabrique, que nous rédigions alors, a dit tout ce qu’il était possible de dire contre cette ordonnance liberticide ; il en signala les vices et la tendance soit aux ouvriers, soit aux prud’hommes eux-mêmes ; mais il ne put pas attaquer les choses sans qu’il en résultât quelqu’attaque contre les personnes. De là des haines, qu’il eût été prudent de ne pas susciter, mais qu’il était beau de braver après les avoir prévues, car dans cette précision nous terminâmes une série d’articles contre cette ordonnance en disant : « Les prud’hommes ont continué d’être sourds à la voix de leurs concitoyens ; ils ont gardé leurs fonctions ; ils se les sont partagées, ainsi qu’on ferait d’une somme d’argent, malgré de nombreux murmures, et leur siége n’est pas si élevé que la plainte de l’auditoire n’ait pu parvenir jusqu’à eux… Trève alors de nos réflexions, quel bien pourraient-elles produire ? Mais si les magistrats populaires oublient leurs obligations ; si, enivrés par un contact vénéneux avec le pouvoir, rebelles aux avertissemens de la presse, ils ne se complaisent que dans l’éloge et s’irritent contre un blâme consciencieux quelque modéré qu’il soit, c’en est assez… Ouvriers, prolétaires, voilons la statue de la liberté et attendons des jours meilleurs. » (Echo de la Fabrique, N° 30, p. 242).

Nous ne reviendrons donc pas sur cette ordonnance [2.2]désastreuse ; sa lâche acceptation a avili aux yeux de leurs commettans les prud’hommes chefs d’atelier. Aussi ils se cramponnent à leur siége, convaincus que justice sera faite de leur félonie.

Cette ordonnance n’ayant été attaquée par aucune voie légale, doit être exécutée. Elle n’est aujourd’hui justiciable que de l’opinion publique.

Quels étaient les changemens apportés par cette ordonnance à l’organisation du conseil des prud’hommes ? Un seul : elle divisait les prud’hommes en titulaires et en suppléans, et elle décidait qu’à l’avenir la section représentée par un tituléraire nommerait un suppléant et réciproquement. Un tirage au sort eut lieu. Les titulaires et les suppléans furent ainsi repartis :

Titulaires, MM. Dumas de la lre section ; Bourdon de la 5me ; Martinon de la 7me ; Milleron de la 6me. – Suppléans, MM. Labory de la 2me section ; Perret de la 3me ; Charnier de la 4me, et Verrat de la 8me.

(La suite au prochain N°).

 

 

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