Retour à l'accueil
29 janvier 1832 - Numéro 14
 
 

 



 
 
    
HISTOIRE DE JACQUES.1

Suite. (V. notre N°7.)

Jacques était tout-à-fait guéri de la manie de se croire dans le meilleur des mondes possibles. Cependant son cœur n'était point abattu, et sans croire aux doctrines de St-Simon, doctrines au-dessus de son intelligence, il croyait que l'homme pouvait aspirer au bonheur et que tout n'était pas tellement bouleversé pour désespérer de l'avenir.

Navré des bruits sinistres qui circulaient et de la stagnation du commerce, il résolut de rassembler ceux qui autrefois l'avaient délégué pour défendre leurs intérêts, afin de les prévenir contre de perfides insinuations et de ranimer en eux cet amour de la patrie qui ne doit pas s'éteindre dans les cœurs vraiment français. Il les convoqua, et tous se rendirent à l'appel de celui qu'ils regardaient comme le plus vertueux des hommes et le meilleur des citoyens.

Jacques arriva au milieu des industriels : sa présence arrêta le choc bruyant des conversations, et chacun se disposa à écouter en silence l'homme décoré du ruban des braves. Après avoir accordé un instant aux douces émotions de l'amitié, Jacques se leva et commença ainsi :

« Vous connaissez mes précédens ; un journal qui prend notre défense, s'est plu de publier mon histoire. Je n'ai point provoqué cette faveur, mais je l'en remercie parce que je pense que l'honnête homme ne doit pas craindre, mais désirer qu'on mette sa vie au grand jour, et ce n'est que lorsque de mauvaises actions l'ont déshonoré qu'on doit souhaiter qu'on y jette un voile et qu'on creuse la terre pour y enfouir les erreurs du passé. Ne confondez pas mon histoire avec un petit écrit publié sous le nom du bonhomme Jacques, fruit d'un cerveau étroit qui fait de son bonhomme un imbécille, et lui fait dire des sottises dont les moindres sont que les ouvriers se plaignent à tort, et que beaucoup gagnent trois francs par jour… Mais, laissons un libelle digne de mépris. Nous ne sommes point ici pour nous occuper de quelques misérables phrases ; et le désir de voir renaître la confiance et la prospérité dans cette industrie à laquelle nous nous sommes voués, voilà ce qui doit remplir notre pensée. N'attendez pas de moi des traits d'éloquence ; je n'ai jamais connu que celle dont est pénétré un cœur droit, et pour toutes leçons je n'ai entendu que celle de l'homme des siècles, lorsqu'il nous disait : Soldats, le soleil d'Austerlitz va paraitre ! mais qui aime son pays, qui désire le servir par tous les moyens, n'a pas besoin d'éloquence, et la meilleure est celle de la raison.

Vous le savez, nous déplorons tous les horreurs qui ont désolé notre cité ; malheur à l'ame perverse qui voudrait provoquer de nouveaux malheurs ! pour celui-là, l'infamie serait trop douce, la loi devrait lui appliquer la peine due aux parricides parce qu'il cherche à frapper la patrie d'un coup mortel. La patrie ! et quel est celui qui ne doit point lui sacrifier jusqu'à ses ressentimens personnels ? quel est celui de ses enfans qui méconnaîtrait sa voix, lorsqu'elle nous invite pour son salut à l'extinction des haines, à l'oubli du passé et à ne former qu'un seul faisceau contre lequel viennent se briser toutes les combinaisons anti-françaises ? Vous le [3.2]savez aussi, des bruits sinistres ne cessent de circuler ; sont-ils propagés par la crainte ou par nos ennemis ? à Dieu ne plaise que j'entende par nos ennemis les hommes qui nous ont été opposés, la querelle est vidée, et l'erreur a été reconnue des deux côtés. J'appelle nos ennemis ceux dont les vœux coupables vont au-delà de la frontière. Ces bruits n'en portent pas moins atteinte à notre industrie ; il serait temps de les faire cesser ; que les ouvriers au lieu de les répéter les méprisent, qu'ils se tiennnent en garde contre la malveillance, car nous ne pouvons attendre de bonheur que de la sécurité.

Vous le voyez, je ne flatte personne ; je parle avec la franchise d'un vieux soldat et d'un ouvrier en soie, car d'après leur conduite dans les déplorables événemens de novembre, ce dernier titre m'honore autant que le premier. Je vous connais et je n'ai pas besoin de flatter mes amis : et qui de nous voudrait un bouleversement ? Le drapeau qui flotte sur nos têtes n'est-il pas le même que celui pour lequel nous et nos pères avons combattu ? N'est-ce pas pour ce drapeau que les ouvriers en soie de Lyon ont soupiré pendant 16 ans ? Rallions-nous autour de lui, et soyons désormais unis pour l'intérêt du pays et de notre industrie avec les hommes généreux qui, quoique plus fortunés, nous tendront la main comme à des frères, et soyons aussi la terreur des étrangers qui croient profiter de nos divisions… »

Ici Jacques s'arrêta, son œil brillait comme aux jours de la victoire ; son cœur était plein d'amour de la patrie, et il avait communiqué à son auditoire le feu sacré qui l'embrasait. Tous les hommes qui le composaient se levèrent spontanément, et d'une voix unanime, proclamèrent l'oubli du passé, l'amour de l'ordre, et jurèrent de se ranger autour de Jacques si jamais l'étranger osait menacer encore notre belle France !...

A. V.

Notes (HISTOIRE DE JACQUES.)
1 L’auteur de ce texte est Antoine Vidal d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

 

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique