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25 décembre 1833 - Numéro 16
 
 

 



 
 
    

Nous croyons utile et agréable à nos lecteurs de leur faire connaître le testament de Ch. chevé, jeune homme de vingt ans, et l?un des 27 accusés du complot du 28 juillet. Cette pièce ayant été saisie chez lui, a été lue publiquement à l?audience de la cour d?assises du 17 de ce mois, et est tombée par là dans le domaine de l?histoire. On peut apprécier, en lisant ce testament, quels sont les hommes qui ne craignent pas de se compromettre pour la cause de l?émancipation des prolétaires. Il y a dans ces quelques lignes, écrites à la hâte, dans un moment de crise, des idées sublimes exprimées.avec une énergique simplicité, et dont nous ne saurions trop recommander la méditation.

testament.

Ayant fait d?avance le sacrifice de ma vie à la cause sainte de la liberté ; sachant qu?un républicain doit être [4.1]prêt chaque jour à la mort quand un roi règne sur son pays ; pensant d?ailleurs que je ne serai vraiment capable de vertu que dégagé des liens qui m?attachent à la terre, je veux formuler ici mes dernières volontés.

Je lègue à l?enfant qui doit bientôt naître de moi l?héritage de mes croyances ; les voici :

Je crois à un principe des choses et des êtres, principe éternel, parce que rien ne meurt ; intelligent, parce que de lui émanent les lois admirables de l?univers ; équitable, parce que chacune de ses ?uvres décèle la justice.

Je crois à la continuation indéfinie de ma vie intellectuelle. Je crois que ce principe de l?intelligence, qu?on appelle ame, sera cruellement torturé par le souvenir du crime, délicieusement affecté par celui de la vertu.

Voila toute ma religion ; tel est mon culte.

La fin de l?homme est le bonheur, son moyen la vertu. ? Le bonheur, c?est le contentement de soi-même, selon la raison ; ? la vertu, c?est l?exercice de l?intelligence vers le bien.

Sous les lois de ton organisation exerce ton intelligence, élève ton ame et tu seras heureux.

Vivre, c?est sentir ; les sensations sont la pâture de la pensée ; la pensée est la voix de l?ame ; l?ame est tout ; le reste n?est rien.

On est grand par le dévoûment. Le dévoûment se compose d?énergie et de persévérance ; accélérer le progrès, telle est la tâche du républicain ; ? sacrifier les individualités aux masses, voici la règle de sa conduite.

La liberté se compose du travail qui rend indépendant des autres, et de l?intelligence qui brise l?esclavage des sens, des préjugés des hommes. ? Il est plus facile d?être libre dans un cachot que sur un trône. ? La liberté, c?est l?émission illimitée d?actes selon le droit.

L?égalité, c?est la consécration de la justice ; la justice, c?est l?intelligence selon l?ordre ; l?ordre, c?est l?état des choses selon les lois de leur organisation.

Le devoir est le respect du droit dans autrui.

Telles sont les bases de mes idées morales et politiques. Tout repose sur le dévoûment, et il n?est pas possible d?être républicain sans avoir sans cesse sous les yeux ces paroles de St-Just : « Celui qui veut faire des révolutions dans ce monde, celui qui veut faire le bien, ne doit dormir que dans le tombeau. »

Je lègue à C..... V......, demeurant rue ....., la moitié de ce qui doit m?appartenir de la succession de mon père, à la charge de payer 150 fr. à M. B...., détenu à Ste-Pélagie, pour un billet de 75 fr. à lui dus ; de plus 25 fr. à M. S......, rue de la Tixeranderie, n. 15, pour 15 fr. dus ; plus 300 fr. à J.... (Athanase), dont 100 fr. pour consacrer à son instruction, et 100 fr. à distribuer aux patriotes dans le besoin.

Je reconnais comme mien, par cet acte, l?enfant dont Cl... V... est enceinte. J?engage Cl. à l?élever dans tous mes principes et à faire germer dans son c?ur l?amour de la liberté et la haine des rois. Puisse mon patriotisme ardent effacer toutes mes fautes !

Fait ce 27 juillet 1833, rue des Bourguignons, n. 1. »

Ch. Chevè.

 

 

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