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25 décembre 1833 - Numéro 16
 

 




 
 
     
Avis.

[1.1]Nous avons atteint depuis quelques jours le nombre de trois cents abonnés. Ayant prévenu dans notre prospectus qu’aussitôt que ce nombre serait obtenu, le prix du journal serait augmenté, mais seulement pour ceux qui viendraient ensuite, les actionnaires de l’Echo des Travailleurs, qui est moins une spéculation privée qu’une œuvre d’émancipation, jaloux de faire tous les sacrifices possibles à la cause sainte du prolétariat, ont résolu, en conséquence, de ne faire subir l’augmentation qu’aux personnes qui s’abonneront après le 1er janvier prochain, et jusqu’à cette époque exclusivement les abonnemens continueront d’être reçus au même prix.

Ils seront ensuite portés, savoir : à 1 fr. 50 c. pour un mois, fr. pour trois mois, 8 fr. pour six mois, et 15 fr. pour un an. Cette augmentation est nécessaire pour couvrir nos frais ; et nous ferons observer que ces prix sont encore au-dessous de ceux de tous les journaux qui paraissent deux fois par semaine.

Nous recevrons jusqu’au premier janvier prochain au prix actuel les abonnemens que l’on voudrait ne faire partir que de cette époque, mais après le 1er janvier, ils seront irrévocablement augmentés pour tous ceux qui n’auraient pas souscrit.

sur le remplacement partiel des prud’hommes.

(Suite et fin.)

Le tirage au sort prescrit par l’ordce du 21 juin 1833, pour désigner les prud’hommes titulaires et les suppléans, ayant eu lieu, le but de cette ordonnance s’est trouvé rempli, et l’on a dû rentrer dans le cercle de la loi organique du conseil des prud’hommes. Nous n’avons pas besoin de le dire, une ordonnance ne peut jamais modifier la loi, elle ne peut rien y ajouter, ni rien lui ôter.

En suivant les prescriptions légales que nous avons rapportées dans notre précédent article, les six membres chefs d’atelier qui n’étaient pas sortis lors du premier tirage au sort, devaient en subir un nouveau, afin que trois fussent éliminés au 1er janvier 1834. Ces six prud’hommes restant étaient MM. Bourdon, Martinon, Labory, Charnier, Perret et Verrat, dont deux sont titulaires, Bourdon et Martinon, et quatre suppléans, Labory, Charnier, Perret et Verrat. Laissons de côté (elle s’expliquera plus tard elle-même) la tentative du préfet de soustraire la mutation annuelle des membres du conseil des prud’hommes au tirage au sort. Il est revenu sur son arrêté du 26 novembre, qui désignait comme sortant un titulaire, M. Dumas, et deux suppléans, MM. Charnier et Verrat. Il en a donc [1.2]reconnu l’illégalité. Nous devons lui en savoir gré ; car, ce n’est pas trop l’usage, par le temps qui court, qu’un fonctionnaire quel qu’il soit avoue ses torts. Constatons seulement dès à présent, que M. le préfet, de sa propre volonté, et pensant, sans doute, interpréter sainement la loi et les ordonnances réglementaires des 15 janvier 1832 et 21 juin 1833, trouvait toute naturelle la sortie d’un prud’homme titulaire et de deux suppléans. Son erreur, et par suite l’illégalité de l’arrêté du 26 novembre, consistait, indépendamment du défaut de tirage au sort, à oublier qu’au 1er janvier 1834, le conseil des prud’hommes avait deux années d’existence, et avait par conséquent déja subi un tirage au sort qui avait amené le remplacement de MM. Falconnet et Sordet par MM. Dumas et Milleron. M. Dumas, lésé dans ses intérêtsi, fit entendre de justes plaintes. Nous nous réunîmes spontanément à lui dans cette occasion, faisant à la justice l’abandon de nos affections privées et de nos intérêts même, puisque M. Dumas restant prud’homme, aucun de nos amis ne pouvait être présenté comme candidat dans cette section. Ces réclamations ont été entendues, et le tirage au sort prescrit par la loi a eu lieu entre les prud’hommes, à l’exception de MM. Dumas et Milleron qui n’étaient en exercice que depuis une année, et doivent par conséquent sortir le 1er janvier 1836. Le sort a désigné MM. Martinon, Charnier et Labory, c’est-à-dire, encore un titulaire et deux suppléans.

L’illégalité de l’arrêté du 26 novembre se trouvait réparée. Il semble, dès-lors, que tout était dit, et le sort s’était en quelque sorte conformé à la volonté de M. le préfet, car il aurait pu désigner deux titulaires et un suppléant ; et enfin, grace au hasard, nous rentrions, mais d’une manière légale, dans les termes de l’arrêté du 26 novembre.

Eh bien ! qui le croirait ! cela n’a pas convenu à Monsieur le préfet. Sans s’inquiéter de se contredire M. Gasparin a pris, le 14 décembre, un nouvel arrêté qui renverse, dénature complètement celui qu’il avait pris peu auparavant, et l’on ne voudrait pas que nous eussions appelé cela gachis ! et l’on ne voudrait pas que nous cherchions des motifs secrets à une conduite si étrange. Au risque de soulever encore contre nous des haines que nous sommes habitués à braver, nous n’imiterons pas le lâche silence du prétendu Echo de la Fabrique, qui n’a pas trouvé la plus légère parole de blâme à adresser à l’autorité. Nous espérions, quelles [2.1]que soient nos dissidences personnelles, trouver en lui dans cette occasion un appui ou un guide, peu nous aurait importé. Nous aurions montré par là au pouvoir la fabrique de Lyon unie pour la défense de ses droits, la fabrique se levant comme un seul homme… Nous aurions voulu au moins trouver en lui un contradicteur, s’il avait une opinion différente de la nôtre… Ses lumières nous auraient éclairé. Mais, déserteur de son poste, il n’a osé arborer aucun drapeau ; il n’a osé attaquer ni défendre, il s’est tû sur cette grave question. Mais c’est à tort que nous nous indignons, et les chefs d’atelier avec nous : comment veut-on qu’un journal soit indépendant, lorsqu’il est sous l’influence immédiate d’un prud’hommeii, et que ce prud’homme danse aux bals du préfet ?… Ce n’est pas dans les salons d’un préfet que doivent se trouver, et les élus des ouvriers, et les citoyens qui s’honorent du nom de patriotes.

Nous le dirons donc franchement, et M. le préfet justifie notre assertion : ce n’est que dans l’intérêt de M. Labory, que ce fonctionnaire a pris son arrêté du 14 décembre. Si cela n’était pas, pourquoi trouve-t-il mauvais, à quinze jours de distance, ce qu’il avait ordonné lui-même ?

Mais voyons : M. le préfet a donné des motifs à son arrêté, et si la raison ne lui est venue que le 14 décembre, s’il n’a reconnu que ce jour-là son aveuglement, il est cependant juste d’apprécier ces motifs : le malin public dira bien toujours que la raison n’a frappé ses yeux que lorsque les intérêts de M. Labory ont été compromis ; mais un préfet s’occupe peu de ce que pense le public, et quant à M. Labory, il restera prud’homme tant que M. le préfet voudra.

Considérant, dit le préfet, qu’aux termes de l’art. 4 de l’ordonnance du 21 juin 1833, les élections successives des chefs d’atelier doivent être faites de telle sorte, que la section électorale qui aura fourni au conseil un membre titulaire se remplace, au terme de ses fonctions, par l’élection d’un suppléant, et réciproquement que la section qui aura fourni un suppléant, donne un titulaire à l’élection suivante.

Considérant que, pour rester dans les termes de cet article, il y a lieu de procéder aux élections par nombres pairs, pour les titulaires et les suppléans, et qu’il paraît convenable de régler les séries de renouvellement de façon à ce qu’il sorte, la première année, un titulaire et un seul suppléant ; la seconde année, deux titulaires et deux suppléans, et la troisième année, un titulaire et un suppléant.

Qu’en partant de cette base, il y a lieu de retrancher le dernier des noms sortis de l’urne dans le tirage au sort.

Comme on le voit, nous n’omettons rien de ce qui peut servir à la défense de nos adversaires. M. le préfet, on en conviendra tout à l’heure, était sous le charme d’une préoccupation bien grande, en formulant ainsi son arrêté. Il oublie l’article 3 du décret du 11 juin 1809, qui a force de loi, et qui veut que la seconde année (c’est bien ici le cas), trois prud’hommes chefs d’atelier soient éliminés par la voie du sort. Mais, dira-t-on, l’ordonnance du 21 juin 1833 a modifié cet article ; nous répondrons d’abord non, parce qu’elle n’en avait pas le droit, et qu’en aucun cas, l’ordonnance, acte de la volonté royale, ne saurait prévaloir contre la loi, acte de la volonté législative. Ensuite, nous puiserons dans les propres écrits de M. le préfet de quoi combattre son opinion actuelle, et nous dirons : Qu’importe qu’il y ait, une année ou l’autre, plus ou moins de suppléans ou de titulaires ? Qu’importe, avons-nous dit ? Voici ce que M. le préfet écrivait, le 4 juillet 1833, à M. le président du conseil des prud’hommes en lui adressant l’ordonnance du 11 juin 1833 :

« Il est bien entendu que MM. les conseillers suppléans chefs d’atelier de la section de soierie, continuent à jouir de l’indemnité comme les conseillers titulaires ; car, les fonctions continueront à être aussi assujétissantes, si l’on excepte quelques heures d’audience par semaine au bureau général, où ils seront néanmoins fréquemment appelés en remplacement. »

Cela est-il assez clair ? Et c’est bien dans ce sens que les prud’hommes l’ont compris ; car, au lieu de se conformer à l’usage des tribunaux dans lesquels les suppléans ne sont appelés qu’à défaut des juges titulaires, ils se sont partagés les audiences de manière à être autant de titulaires que de suppléans ; en sorte que le nombre des juges est diminué, et voila tout. L’autorité, qui ne [2.2]voulait pas autre chose, par des raisons que nous avons déduites et que nous reproduirons, s’il est nécessaire, a fermé les yeux sur cet arrangement.

En restant dans les termes de la loi, c’était donc cette année, comme M. le préfet l’avait reconnu d’abord, trois prud’hommes qui devaient sortir Le sort ayant désigné MM. Martinon, Charnier et Labory, l’année suivante, c’est-à-dire le 1er janvier 1835, MM. Perret, Bourdon et Verrat sortaient par ancienneté. Au 1er janvier 1835, MM. Dumas et Milleron, ayant accompli les trois années, terme légal de leurs fonctions, sortaient encore par voie d’ancienneté ; et le 1er janvier 1837, avait lieu le tirage au sort entre les six membres restant : ainsi de suite.

Avait-on sérieusement le désir d’égaliser le nombre des titulaires et des suppléans ? rien de plus simple : il fallait solliciter une ordonnance pour coordonner celle du 21 juin 1833 avec les lois organiques du conseil des prud’hommes, et procéder à une réélection totale des membres, en assignant, par la voie du sort, à quatre sections le choix des quatre prud’hommes titulaires, et aux quatre autres le choix des quatre prud’hommes suppléans, lesquelles sections auraient ensuite successivement permuté, en se conformant à l’ordonnance du 21 juin 1833.

C’était la seule marche rationnelle, le seul moyen de rester dans la légalité ; il en serait encore temps. Car enfin, si forcé par la clameur publique qui s’élève contre lui, M. Labory venait à donner sa démission, il faudrait bien le remplacer par un titulaire ; et si tous les prud’hommes suppléans venaient également à donner la leur, que deviendrait l’ordonnance du 21 juin ? Ce qu’on ferait en ce cas, il faut le faire aujourd’hui.

Nous consignerons encore une réflexion : si M. Labory persiste à bénéficier de l’arrêté du préfet, il est possible que les parties qui auraient à se plaindre des jugemens auxquels il concourra, se pourvoient en cassation pour en faire prononcer la nullité, comme ayant été prononcée par un juge qui n’avait pas qualité. Il est possible qu’il soit récusé dans les arbitrages, et l’on voit déja à quels interminables débats peut mener une première violation de la loi.

Nos observations seront-elles écoutées ? Nous ne l’espérons pas. On a pris l’habitude de l’arbitraire : on aime les hommes qui sont prêts à le supporter : on hait et l’on craint (oderunt quem metuunt) ; mais on affecte de dédaigner ceux qui ne savent pas se plier aux caprices du pouvoir, aux exigences des hommes en place. Nous ignorons où toutes ces bévues de l’administration, où cette protection accordée à un homme contre lequel chaque jour des plaintes s’élèvent (V. les lettres Carrier Edouard, Martin et Vachet) peuvent nous conduire, mais nous pouvons bien assurer l’autorité qu’un mécontentement profond et général existe dans la classe ouvrière ; et que l’on ne parviendra à le calmer que par des mesures sages, de bonne foi, par une franchise à toute épreuve, et enfin, par une stricte légalité. Les prud’hommes pouvaient beaucoup pour le bien-être de la classe qui les avait choisis. Ils n’ont rien fait de ce qu’ils avaient promis, et la réprobation de leurs commettans est leur juste salaire.

Nous n’en dirons donc pas davantage sur ce remplacement partiel des prud’hommes. L’illégalité de l’arrêté du 14 décembre dernier qui maintient M. Labory, est suffisamment démontrée. Nous avons cherché un motif secret (ceux avoués n’étant pas dignes d’une discussion sérieuse, puisqu’ils sont en opposition avec la loi, et ne mènent qu’à des calculs fastidieux et qui rendent le problème insoluble) à cet arrêté, et nous avons cru le trouver dans les rapports de M. Labory avec le préfet. Nous avons dit ailleurs l’intérêt puissant de M. Labory pour éviter de se soumettre aujourd’hui aux chances d’une réélection ; nous le redirons ici : il n’est pas rééligible, ayant changé de domicile ; et comme l’année prochaine, M. Bourdon sera sortant ; M. Labory, qui se trouve domicilié dans sa section, aura eu le temps de faire des connaissances, et pourra se porter pour candidat. Voila tout le secret (nous le pensons du moins) de l’arrêté préfectoral. Car, encore une fois, si ce n’était ce motif, pourquoi, et c’est en conscience que nous présentons cette objection, pourquoi M. le préfet trouvait-il bon, [3.1]le 26 novembre dernier, qu’un titulaire et deux suppléans sortissent, et pourquoi maintenant le trouve-t-il mauvais ?

Le public jugera.


i. Si nous soulignons ces mots, c’est qu’il nous est revenu que M. Dumas, satisfait dans ses intérêts, a refusé de se joindre à son collègue Charnier pour faire de nouvelles démarches, attendu l’illégalité du second arrêté du préfet, aussi flagrante que celle du premier. Il a, nous a-t-on dit, refusé sous le prétexte qu’il s’était éclairé. O hommes égoïstes !…
ii. M. Labory est le gérant du matériel de l’écho de la Fabrique.

M. Riboud, président du conseil des prud’hommes, vient de partir pour Paris. Il va peut-être chercher une nouvelle ordonnance… et la croix-d’honneur.

L’affaire Martin contre Brisson a été terminée le lendemain, en conciliation. Les arbitres ont décidé que M. Brisson donnerait 1 fr., celui-ci a fait prévenir les chefs-d’atelier qu’il employait de compter sur ce prix. La publicité donnée à cette affaire n’a pas été étrangère à ce résultat.

On assure que M. Bernard, gérant de l’Echo de la Fabrique, se porte pour candidat en remplacement de M. Martinon, et M. Souchet, en remplacement de M. Charnier. Nous examinerons ces candidatures dans un prochain n°.

Tableau officiel des convocations pour remplacement des membres sortant ou démissionnaires du conseil des prud’hommes.

2 janvier 1834. Fab. de dorure, rubannerie, guimperie, passementerie, M. Duret, démissionnaire ;

3 idem. Fab. de bonneterie, bas et tulles, M. Chantre, sortant ;

4 idem. Fab. de chapellerie, M. Perticoz, démissionnaire.

Les électeurs de ces sections sont convoqués, savoir : ceux de la fabrique de dorure, etc., à 10 heures du matin, dans la salle du tribunal de commerce ; ceux de la fabrique de bonneterie etc., à la même heure, dans la salle dite des mariages, à l’Hôtel-de-Ville ; et ceux de la fabrique de chapellerie, à neuf heures du matin, dans la salle du tribunal de commerce.

On n’a pas affiché les noms des électeurs. Les négocians fabricans, chefs d’atelier et ouvriers patentés sont seulement invités à se faire inscrire à la mairie.

11 janvier. Fab. de soirie, MM. Goujon, Gamot et Brisson, négocians sortant ;

12 idem. idem, 4e section, M. Charnier, fabricant sortant ;

12 idem. idem, 7e section, M. Martinon, id. id.

Ces trois sections sont convoquées pour huit heures du matin ; celle des négocians, dans la salle de la Bourse, place des Terreaux ; celle des fabricans de la 4e section, dans la salle d’audience de la cour d’assises, place de Roanne ; et celle des fabricans de la 7e section, dans la salle des délibérations de la mairie de la Croix-Rousse.

Le 4 janvier prochain, les listes seront définitivement closes.

On se chargera gratis au bureau de toutes les démarches qui seraient nécessaires, soit pour faire inscrire un électeur omis, soit pour en faire rayer un qui serait mal à propos compris dans la liste. Il importe qu’une loi qui confère des droits électoraux à une classe de citoyens, quelque mauvaise et injuste qu’elle puisse être, soit strictement exécutée.

Une liste supplémentaire de 55 noms pour la 4e section, a été affichée mercredi dernier. On voit combien notre observation sur le peu de soin de l’autorité à faire jouir les citoyens de leurs droits, était fondée. Nous engageons vivement tous ceux qui sont omis à se faire inscrire de suite, et, s’ils éprouvent quelques difficultés, à s’adresser à nous. Le peuple doit être jaloux de ses droits, et ce ne serait pas en être digne que de négliger de les exercer. Quelque restreint qu’il soit, le droit d’élection accordé aux travailleurs peut être fécond en résultats, s’ils savent en profiter ; et qu’ils ne l’oublient pas : c’est la seule conquête de novembre, mais elle est capitale. Fabricans ! vos confrères vous envient avec raison la qualité d’électeurs ; les autres classes laborieuses en sont privées ; ne la laissez pas perdre par une incurie coupable, vous en êtes responsables devant la loi et devant vos concitoyens.

Lyon, le 21 décembre 1833.

Monsieur le rédacteur,

Votre numéro du 7 décembre courant contient une lettre de M. Dailly, fabricant, rue Bouteille, dans laquelle je suis accusé d’avoir, en ma qualité de Mutuelliste, imposé aux membres du conseil, et même à M. le président, un tarif de tâches pour les apprentis. J’aurais dédaigné de répondre à un pareil fait, si M. Dailly n’annonçait qu’il en peut fournir la preuve. Je me borne maintenant à le démentir formellement ; le public jugera entre les assertions. Je n’ai jamais fait partie que de la section destinée, avant le procès des Mutuellistes, à la fixation du prix des façons.

J’attends donc les preuves promises : M. Dailly n’en fournira qu’à la condition de les inventer.

Je vous prie, monsieur, et vous requerrais au besoin, conformément [3.2]à la loi, d’insérer cette réponse dans votre plus prochain numéro. Je l’aurais faite plutôt si votre journal n’était pas ignoré de la plupart des chefs d’atelier.

J’ai l’honneur d’être votre très humble serviteur,

matrod.

Note du rédacteur. – Nous nous empressons d’insérer la lettre de M. Matrod ; il n’avait pas besoin de nous requérir, cela sent trop le parquet et la police : il faut que les hommes qui se respectent n’emploient cette expression que le plus rarement possible. Nous distinguons deux parties dans cette lettre, d’abord celle qui s’adresse à M. Dailly, et à laquelle ce chef d’atelier répondra sans doute, car nous avons soin de ne pas assumer sur nous la responsabilité des lettres que notre fonction de journaliste nous fait un devoir de publier, par ces formules : Nous ne doutons pas, et autres pareilles ; aussi, nous n’avons jamais à nous rétracter… Ensuite une partie qui s’adresse au journal lui-même, et à laquelle nous allons répondre brièvement.

M. Matrod affecte de répondre fort tard à une lettre dont il a eu connaissance dés le lendemain, et il prend pour prétexte que l’Echo des Travailleurs est ignoré de la plupart des chefs d’atelier. L’Echo de la Fabrique, dont M. Matrod préside le comité de rédaction depuis le mois d’août, a cependant eu soin d’annoncer notre entreprise (ce qui nous évita, dans le temps, le tirage et l’envoi d’un grand nombre de prospectus). Est-ce que depuis cette époque, l’Echo de la Fabrique aurait cessé d’être lu par les ouvriers ? On nous l’avait bien dit, mais nous ne voulions pas le croire. Dans tous les cas, M. Matrod connaît et lit notre feuille. Il n’ignore pas non plus que la plupart des actionnaires fondateurs de l’Echo de la Fabrique se sont ralliés à nous et ont en partie rompu avec ce journal ; que d’autres, par des raisons particulières dont ils ne doivent compte à personne, ont voulu rester dans les deux camps ; et enfin que quelques-uns de ces derniers ont même emprunté les colonnes de notre journal pour faire entendre certaines vérités que probablement l’Echo de la Fabrique n’aurait pas admises. Ce patronage est assez nombreux et influent, pour qu’il ne soit pas permis de dire que nous sommes, en quelque sorte, inconnus dans la fabrique. Nous renvoyons donc l’épigramme de M. Matrod, car c’est vraiment une épigramme, une malice qu’il a voulu faire. Ah ! M. Matrod, prenez garde ! on ne vit pas quand on a tant d’esprit.

Comparez et jugez.

Dernièrement, plusieurs malfaiteurs condamnés à la prison, au fort St-Michel, dirent qu’ils préféraient la mort, et jetèrent leurs sabots à la tête des juges qui, heureusement, ne furent pas atteints. Le jury d’Avranches a déclaré qu’ils avaient agi dans un moment d’exaltation, et les a acquittés.

A l’audience du 19 de ce mois, M. Delapalme, avocat-général, portant la parole dans le procès de la conspiration dite du 28 juillet, s’est permis contre la Société des Droits de l’Homme des imputations qu’un magistrat ne doit articuler qu’avec une complète évidence. L’honorable citoyen Vignerte1, membre du comité des Droits de l’Homme, cédant à un mouvement brusque d’irritation, s’est écrié : Tu en as menti, misérable !… La cour jugeant sans désemparer, et sur le réquisitoire de M. Delapalme, lui-même, a condamné Vignerte à trois ans de prison.

Nous croyons utile et agréable à nos lecteurs de leur faire connaître le testament de Ch. chevé, jeune homme de vingt ans, et l’un des 27 accusés du complot du 28 juillet. Cette pièce ayant été saisie chez lui, a été lue publiquement à l’audience de la cour d’assises du 17 de ce mois, et est tombée par là dans le domaine de l’histoire. On peut apprécier, en lisant ce testament, quels sont les hommes qui ne craignent pas de se compromettre pour la cause de l’émancipation des prolétaires. Il y a dans ces quelques lignes, écrites à la hâte, dans un moment de crise, des idées sublimes exprimées.avec une énergique simplicité, et dont nous ne saurions trop recommander la méditation.

testament.

Ayant fait d’avance le sacrifice de ma vie à la cause sainte de la liberté ; sachant qu’un républicain doit être [4.1]prêt chaque jour à la mort quand un roi règne sur son pays ; pensant d’ailleurs que je ne serai vraiment capable de vertu que dégagé des liens qui m’attachent à la terre, je veux formuler ici mes dernières volontés.

Je lègue à l’enfant qui doit bientôt naître de moi l’héritage de mes croyances ; les voici :

Je crois à un principe des choses et des êtres, principe éternel, parce que rien ne meurt ; intelligent, parce que de lui émanent les lois admirables de l’univers ; équitable, parce que chacune de ses œuvres décèle la justice.

Je crois à la continuation indéfinie de ma vie intellectuelle. Je crois que ce principe de l’intelligence, qu’on appelle ame, sera cruellement torturé par le souvenir du crime, délicieusement affecté par celui de la vertu.

Voila toute ma religion ; tel est mon culte.

La fin de l’homme est le bonheur, son moyen la vertu. – Le bonheur, c’est le contentement de soi-même, selon la raison ; – la vertu, c’est l’exercice de l’intelligence vers le bien.

Sous les lois de ton organisation exerce ton intelligence, élève ton ame et tu seras heureux.

Vivre, c’est sentir ; les sensations sont la pâture de la pensée ; la pensée est la voix de l’ame ; l’ame est tout ; le reste n’est rien.

On est grand par le dévoûment. Le dévoûment se compose d’énergie et de persévérance ; accélérer le progrès, telle est la tâche du républicain ; – sacrifier les individualités aux masses, voici la règle de sa conduite.

La liberté se compose du travail qui rend indépendant des autres, et de l’intelligence qui brise l’esclavage des sens, des préjugés des hommes. – Il est plus facile d’être libre dans un cachot que sur un trône. – La liberté, c’est l’émission illimitée d’actes selon le droit.

L’égalité, c’est la consécration de la justice ; la justice, c’est l’intelligence selon l’ordre ; l’ordre, c’est l’état des choses selon les lois de leur organisation.

Le devoir est le respect du droit dans autrui.

Telles sont les bases de mes idées morales et politiques. Tout repose sur le dévoûment, et il n’est pas possible d’être républicain sans avoir sans cesse sous les yeux ces paroles de St-Just : « Celui qui veut faire des révolutions dans ce monde, celui qui veut faire le bien, ne doit dormir que dans le tombeau. »

Je lègue à C..... V......, demeurant rue ....., la moitié de ce qui doit m’appartenir de la succession de mon père, à la charge de payer 150 fr. à M. B...., détenu à Ste-Pélagie, pour un billet de 75 fr. à lui dus ; de plus 25 fr. à M. S......, rue de la Tixeranderie, n. 15, pour 15 fr. dus ; plus 300 fr. à J.... (Athanase), dont 100 fr. pour consacrer à son instruction, et 100 fr. à distribuer aux patriotes dans le besoin.

Je reconnais comme mien, par cet acte, l’enfant dont Cl... V... est enceinte. J’engage Cl. à l’élever dans tous mes principes et à faire germer dans son cœur l’amour de la liberté et la haine des rois. Puisse mon patriotisme ardent effacer toutes mes fautes !

Fait ce 27 juillet 1833, rue des Bourguignons, n. 1. »

Ch. Chevè.

ANECDOTE.

La querelle survenue entre MM. Parquin et Seguier nous a donné l’idée de rechercher les antécédens de ce dernier. Nous ferons rire assurément les lecteurs en leur présentant, comme échantillon du style et du patriotisme de M. le premier président de la cour de Paris, le discours suivant qu’il a adressé le 1er janvier 1830, au nom de la cour royale qui l’assistait, à Charles X :

« Sire, nos ans recommencent par ce qu’il y a de plus heureux pour la France, voir le roi. Après des vœux constans pour votre conservation, nous en avons encore un à former, celui que nos cœurs parlent au vôtre ; alors nous ne sommes plus incertains de nos expressions. L’amour du sujet est compris par la bonté du monarque. Ce sentiment de tous nos momens, Sire, mais trop rarement divulgué, se dédommage dans ce jour privilégié où l’honneur [4.2]de nous être approchés de votre majesté, et le bonheur de le dire, soldent et arrhent chaque année les travaux assidus et les devoirs pénibles des serviteurs de votre justice. »

Nous envoyons par un exprès ce discours (extrait textuellement de la Gazette des Tribunaux de cette époque) à M. Seguier pour lui servir de canevas à celui qu’il adressera sans doute cette année à Sa Majesté Louis-Philippe. Et pourquoi, au besoin, ne le réciterait-il pas de nouveau ?

Nouvelles générales.

Paris. – Lundi dernier, a eu lieu l’ouverture des chambres.

– Le 17 décembre, la police a saisi tous les registres et imprimés de la Société Philantropique des serruriers et mécaniciens dans le local qu’elle occupe, rue de la Bibliothèque, n. 9.

– Le 19, a eu lieu dans l’église St-Roch un service en l’honneur des quatre Polonais, les cit. Zaritza, Sypett, Getzod et Parmat, assassinés dernièrement à Varsovie, par le tyran de la Russie.

– Le tribunal de police correctionnelle a déclaré qu’il n’y avait aucune charge contre un nommé Barrye, ouvrier tailleur. Il avait été détenu préventivement pendant près de deux mois.

– L’audience de la cour d’assises du 19 décembre a été troublée par un grave incident. M. Delapalme, avocat-général, s’étant permis d’alléguer que la Société des Droits de l’Homme voulait la loi agraire, le témoin Vignerte s’est écrié : Tu en as menti, misérable ! Amené devant la cour composée de MM. Jacquinot-Godard, Dozon, Brisou de Barneville et Bastard, il a été, sur les conclusions de M. Delapalme même, condamné à trois ans de prison. L’accusé Parfait, ayant dit que c’était vrai, il a été ordonné à son égard que l’incident était joint au fond.

– Les cit. Charles Teste et Voyer-d’Argenson, ce dernier, député, ont paru le 21 de ce mois devant la cour d’assises, pour la publication d’un écrit intitulé : Boutade d’un riche à sentimens populaires.
Ils ont été acquittés.

DÉPARTEMENS.

Ustaritz (B. Pyrénées). – Garat, ministre de la justice sous la convention, représentant du peuple dans les 100 jours, est mort le 9 décembre.

Vierzon. – Les ouvriers porcelainiers sont rentrés dans les ateliers.

Louviers. – Plusieurs ouvriers tisseurs prévenus de coalition ont été condamnés à quelques jours d’emprisonnement.

ÉTRANGER.

Etats-Unis. – Achille Murat, fils de l’ex-roi de Naples et citoyen des Etats-Unis, a été nommé juge du comté de Jefferson, place équivalente à celle d’un préfet en France. Il n’était que le fils d’un roi ; le voila magistrat d’un peuple libre. Honneur à lui !

Lyon.

Dans la nuit de vendredi dernier, la diligence de Nîmes a été arrêtée à La Begude, près Lyon, par huit hommes armés. On a volé 42,000 fr.

– Le 22, à 5 heures du matin, le feu a pris dans la boutique d’un épicier, rue Bourgchanin ; il a gagné celle d’un cordonnier contigüe ; tout a été consumé.

– Le Précurseur devait faire crier dans les rues, à l’exemple de la capitale, une feuille populaire. Il nous apprend qu’elle a été saisie lundi dernier, à l’imprimerie, sur un mandat de M. le juge d’instruction, dont le commissaire de police n’a pas voulu laisser copie.

– On assure que Vidocq1 est à Lyon, avec un employé supérieur de la police.

– Des cartouches ont été, dit-on, distribuées aux soldats, et les forts sont armés.

cancans.

M. Lab... veut être prud’homme quand même.

M. Lab... est comme le maréchal Soult, on lui arracherait plutôt la vie.

Si les chefs d’atelier s’obstinent à ne pas vouloir M. Lab... a dit le préfet, je créerai une 9e section pour qu’il soit prud’homme. En ce cas, lui a-t-on répondu, ce sera la section de la préfecture.

M. Lab... est président d’une société de chant. Il chante en attendant qu’on le fasse danser.

M. Lab... s’est fait assurer contre les charivaris.

Le chef d’atelier Brunet a condamné M. Rib. à 10 fr. d’amende et à l’affiche, pour ne l’avoir pas écouté dans sa défense… Si ses confrères l’imitent, on aura bientôt ruiné M. Rib.

C’est étonnant qu’il n’ait pas fait son rapport, disait-on à l’audience de jeudi dernier ; il est cependant diablement rapporteur.

A l’approche des bals, le préfet sent le besoin qu’il a d’un prud’homme qui soit souple… du jarret.

Notes (Comparez et jugez. Dernièrement, plusieurs...)
1 Mention ici de Jean-Jacques Vignerte (1806-1870).

Notes (Lyon.)
1 Eugène-François Vidocq (1775-1857)  qui venait de fonder le Bureau de renseignement pour le commerce, une agence de détective privée proposant renseignements et surveillances aux commerçants.

 

 

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