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28 décembre 1833 - Numéro 17
 
 

 



 
 
    

D?une Profession de Foi

a demander aux candidats prud?hommes chefs d?atelier.

La concession faite aux ouvriers en soie de Lyon du droit exhorbitant dans une monarchie, de nommer directement leurs juges, a été le salaire des journées de novembre ; qu?on ne dise plus qu?elles ont été stériles pour la liberté. [1.2]Les ouvriers en soie doivent donc bien se garder de laisser perdre ce droit précieux ; car, l?instant d?après où la monarchie l?accorda, elle s?en repentit ; du moins, toutes les tentatives qu?elle a faites depuis nous semblent le prouver. Tel qu?il est, restreint à quelques-uns, au lieu d?appartenir à tous, ce droit, nous l?avons dit, n?est pas suffisant, mais il porte en lui le germe d?une extension prochaine, et il suivra, à cet égard, les chances de l?électorat politiquei. Tel qu?il est, il est un pas immense dans la voie de la démocratie ; il représente, quoique faiblement, mais il représente l?élection appliquée à la magistrature et le jury introduit dans la législation civile. Considérée sous ce point de vue que nous nous réservons d?étendre et de développer, l?institution actuelle du conseil des prud?hommes de Lyon est l?amélioration la plus importante dont la révolution de juillet ait doté la France.

Nous ne savons pas poser un principe sans en tirer les conséquences ; car, ce sont les conséquences qui font apprécier la virilité du principe. Nous demandons pardon de faire une courte digression.

Le droit d?élire leurs juges, concédé aux ouvriers en soie de Lyon, serait illusoire, s?il n?avait pour première conséquence de soumettre ces juges à la censure de ceux qui les ont élus. Cette censure n?a rien qui répugne à l?indépendance judiciaire. Pour le prouver, il nous suffira de demander pourquoi la loi aurait exigé pour la validité des jugemens et arrêts, qu?ils fussent précédés des considérans en vertu desquels les juges prononcent, si elle n?avait voulu par là soumettre ces mêmes considérans à l?appréciation publique ; d?où résulte évidemment que le juge ne peut pas juger sans s?être rendu compte des motifs qui le déterminent, et que ce compte ne doit pas être rendu à huis clos, si nous pouvons nous exprimer ainsi, mais à la société tout entière qui l?approuve ou le blâme ? Tant pis pour le juge dont les considérans sont mal fondés (nous ne supposons que l?erreur) ; tant pis ; il est incapable de rendre la justice, il doit céder sa place à un autre. On le voit, dans notre argumentation il ne s?agit pas de questions individuelles, qui satisfont toujours l?une des parties ; il ne s?agit pas de récriminations personnelles, mais de principes généraux que le juge doit connaître et appliquer avec discernement, et de l?oubli desquels il est responsable.

Les électeurs d?un magistrat ont donc droit de lui demander les mêmes garanties que les électeurs politiques [2.1]demandent au député. Il est en effet toujours quelques questions prédominantes sur lesquelles tout homme de bonne foi a de prime abord une opinion fixe et arrêtée. Ainsi, de même que l?on demanda aux députés de la session de 1831 s?ils voteraient pour ou contre l?hérédité de la pairie, qui était la question capitale, et par sa solution entraînait toutes les autres ; de même les ouvriers appelés à nommer aujourd?hui leurs prud?hommes, sont en droit d?exiger d?eux une réponse catégorique à ces deux questions : Etes-vous pour ou contre la libre défense ; pour ou contre une jurisprudence fixe ? Car ce sont les deux questions vitales dont la non solution entretient le malaise et l?irritation dans la fabrique, et s?oppose à son émancipation complète. Les prud?hommes ne sont tombés si bas que parce qu?ils n?ont pas voulu ou su accomplir le v?u de leurs commettans. Ils avaient promis cependant ; mais où sont consignées leurs promesses ?

Il faut se mettre en garde contre une nouvelle surprise. On ne le peut qu?en exigeant une profession de foi, non pas occulte, mais publique, imprimée. Il ne suffit pas d?engagemens contractés dans le sein d?une société secrète, ainsi qu?a voulu l?insinuer le gérant de l?Echo de la Fabrique, mais d?engagemens pris en face du peuple, coram populo, afin de pouvoir flétrir celui qui y manquerait du nom de PARJURE.

Mais, sont-elles dans nos m?urs ces professions de foi, avons-nous entendu dire ? Pouvons-nous ainsi paraître solliciter des suffrages ? Pouvons-nous, en un mot, nous porter ostensiblement pour candidats ?

Nous avons groupé toutes ces objections pour y répondre de suite, et nous l?espérons, d?une manière péremptoire. Quant à la première, c?est comme si l?on disait : La liberté est-elle dans nos m?urs ? On ne manquera pas de l?affirmer, et, à notre tour, nous affirmerons que la liberté n?est pas possible si l?on ne se résout pas à vivre d?une vie publique. Ce ne serait pas être digne de la liberté que de ne pas savoir se soumettre à ses exigences. A la seconde objection, qui renferme la troisième, nous répondrons encore par l?affirmative : oui, l?on peut et l?on doit, c?est un acte de bon citoyen, on doit solliciter les suffrages. A Rome, les candidats, vêtus d?une robe blancheii, se tenaient, dès le matin, au forum ; en Angleterre, ils montent sur les hustings avec leurs partisans. Nous ne demandons aucune de ces démonstrations que nos m?urs superbes et hypocrites repoussent encore? mais nous désirons une présentation, une demande officielle par la voie de la presse. Cette manière de procéder est toute française : la politique s?en est déja servi avec succès ; pourquoi ne l?imiterait-on pas ?? Qui peut arrêter les candidats, car enfin il en existe nécessairement ; qui peut les arrêter dans cette démarche officielle ? Le mépris ou l?amour-propre ? Le MÉPRIS? envers leurs concitoyens ! Oh ! ils ne sont pas dignes d?occuper une magistrature, ceux qui ne voient dans leurs concitoyens que des instrumens nécessaires à leur élévation, et qu?on repousse ensuite du pied. Le respect envers le peuple, lors même qu?on se croirait supérieur par ses talens à la majorité de ceux qui le composent, doit entrer dans nos m?urs, si nous voulons connaître la liberté ; la liberté n?est pas une prude, c?est une fille forte qui trinque et chante au cabaret, mais en expulse l?orgie. Scipion l?Africain vantant ses services, au lieu de répondre au tribun qui l?accusait, était, non-seulement, comme on l?a observé, un fort mauvais comptable, mais encore un mauvais citoyen ; aussi, il fut le précurseur de César? L?amour-propre, c?est-à-dire la crainte de ne pas réussir et de succomber après des démarches publiques, car on ne se fait pas faute de démarches secrètes, soit par soi, soit par ses amis. Indignité encore ! Le véritable citoyen remercie les dieux avec Pedarète, que Sparte ait trouvé trois cents citoyens plus dignes que lui. Et quelle fatuité d?ailleurs ! Si le candidat ne veut pas aller chercher les suffrages, il faut donc que les suffrages aillent chercher le candidat, comme Cincinnatus à sa charrue ? Y a-t-il beaucoup de Cincinnatus ? Et le peuple tout entier n?a-t-il pas aussi son amour-propre ? Doit-il courir la chance d?un refus ? non. Nous parlons tous les jours de l?avénement prochain [2.2]d?un ordre de choses fondé sur la liberté et l?égalité ; sachons nous en rendre dignes, car cet ordre de choses demande d?autres m?urs. Commençons ici notre apprentissage de citoyens. Allons, chefs d?atelier ! une voix amie qui ne vous a jamais trompés, vous dit de faire cet essai de liberté.

Vous qui vous proposez pour candidats, venez déposer dans tous les journaux de Lyon votre profession de foi : ce n?est pas à nous à vous la dicter. Dites ce que vous voulez faire, quels sont les principes qui vous animent ; dites ce que vous pensez d?une jurisprudence écrite et de la libre défense. Venez, car c?est à vous à solliciter les suffrages, et non à vos collègues à vous les offrir ; vous devez, si vous êtes citoyens, les solliciter publiquement. Il n?y a point de honte à les demander ; il n?y a point de honte à succomber. Les Romains étaient aussi grands que vous, et ne craignaient pas de donner au peuple cette marque de déférence.

Vous, électeurs, rejetez impitoyablement celui qui n?aura pas voulu se soumettre à cette juste exigence ; sans doute, il a une arrière pensée.

 

 

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