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28 décembre 1833 - Numéro 17
 
 

 



 
 
    

Au Rédacteur.

Monsieur,

L’obligeance avec laquelle vous avez reçu ma dernière lettre, me donne la hardiesse de vous envoyer la présente, pour vous conter un fait dont j’ai été témoin. Revenant, vendredi 20 courant, de faire mes stations au sujet du jubilé, j’entendis deux hommes qui marchaient devant moi dire entre eux qu’ils allaient aux prud’hommes. Ces mots me rappelèrent diverses conversations que quelques habitans du Mont-Sauvage faisaient à la porte de mon ermitage, lorsque, pendant les belles soirées d’été, ils venaient se délasser de 16 heures d’un travail pénible.

Je profitai de l’occasion, et les suivis jusque dans la salle où les représentans de la Thémis ouvrière viennent rendre leurs arrêts. Je ne tardai pas à voir entrer certains personnages qu’un voisin obligeant me dit être les prud’hommes. Je cherchai alors sur leurs figures si je découvrirais quelques traits analogues à leur nom. Un prud’homme, me disais-je, doit être différent d’un autre homme ; car, dans notre siècle, c’est chose rare qu’un prudhommei. Je cherchais en vain, je ne vis rien dans leurs traits pour justifier ce beau nom. Mais, me souvenant d’un passage de saint Paul aux Corinthiens, qui dit : Ne jugez pas les hommes à la mine, mais à leurs actions, je me décidai à rester. Plusieurs causes passèrent successivement et furent jugées, puisqu’on est convenu d’appeler jugement toute décision bonne ou mauvaise, et il y en a parfois qui n’ont rien de commun avec le jugementii ; mais une fixa mon attention : ce fut celle de veuve Rousset avec St-Olive. Ce dernier était représenté par un certain original à voix aigre, qui après avoir accablé la pauvre veuve de vexations plus humiliantes les unes que les autres, finit par lui promettre (ce que, disait-il, elle ne méritait pas) 5 francs, si elle rendait sa pièce le 28 décembre, fabriquée parfaitement. Parfaitement, vous entendez ?

Et c’est ainsi qu’il prétendait l’indemniser de 6 journées de travail qu’il lui avait fait perdre en lui enlevant son dessin, ce qui fut cause qu’un bon ouvrier qui aurait pu rendre la pièce au temps dit (car, remarquez que l’époque était fixée sur le livre), s’en était allé.

La veuve était assistée de son contre-maître auquel, d’après la demande du représentant St-Olive, la parole fut interdite. En vain, objecta-t-il qu’un contre-maître avait aussi bien qu’un commis, le droit de défendre son patron ; il fallut se taire, et l’homme à voix aigre, d’un ton goguenard, et se frottant les mains, lui apprit qu’il était associé et non commis.

La pauvre veuve n’ayant plus ce fort ouvrier, et ne pouvant promettre de rendre la pièce au jour dit, a été condamnée à voir lever cette pièce et à perdre ses 6 journées.

Je témoignai mon indignation à mon voisin de ce que les prud’hommes chefs d’ateliers ne s’étaient pas opposés à l’interdiction de la parole au contre-maître de la veuve : « Ils s’en garderaient bien, me dit-il, les négotians ne les inviteraient plus à dîner et le préfet à danser. »

Je me retirai l’ame remplie d’amertume en m’écriant : Pauvres prolétaires ! mon Dieu ! ayez pitié d’eux !

On m’a dit que ceux qui siégeaient était MM. Joly, Labory, Dépouilli et Bourdon. Veuillez, monsieur le rédacteur, rendre ma lettre publique ; peut-être que ces messieurs, honteux de voir leurs noms compromis par une action si indigne (refuser la parole au défenseur de la veuve, et la donner au commis intéressé d’un négociant) [3.2]rougiront et agiront mieux une autre fois.iii

Veuillez, monsieur le rédacteur, accepter l’assurance de mon parfait devoûment, et recevoir mes salutations et mes vœux pour la prospérité de la vraie tribune des travailleurs.

le solitaire du mont-sauvage.

NOTA.– Nous supprimons la note qui est au bas de cette lettre. Il n’est pas convenable que nous reproduisions les éloges que M. le solitaire du Mont-Sauvage veut bien faire de nous. Nous ferons tout pour les mériter. Si notre correspondant veut que nous insérions, ce qui a trait à M. ..... dans cette note, il n’a qu’à en faire le sujet d’une autre lettre. Nous recevrons toujours ses communications avec plaisir, et lorsqu’il voudra bien se faire connaître personnellement à nous, il nous obligera.

 

 

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