ANECDOTE CONTEMPORAINE.
Le camarade de lit.
Les lecteurs connaissent la fraternité qui existe à l’armée entre les camarades de lit. Bernadotte, simple soldat, eut pour camarade de lit un nommé Thiébaut. Depuis il passa roi de Suède, suivant l’expression consacrée par les vieux grognards de Napoléon, qui ne voulaient y voir qu’un grade de plus donné par l’empereur. Thiébaut se retira dans le département de la Meuse auprès de Bar-le-Duc, et y exerce encore la profession de charpentier de bateaux. En 1814, Bernadotte sacrifiant aux intérêts de sa royauté les devoirs de citoyen, marcha contre la France avec les armées de la coalition. Justement voué à la haine du peuple français, il avait cependant conservé un ami… cet ami était Thiébaut. Seul, tout en maudissant le roi Charles Jean, car Thiébaut est resté patriote, il n’avait pu oublier Bernadotte. Ce roi de Suède vient de perdre son ami ; voici comment : Après les journées de juillet, le charpentier Thiébaut conçut l’idée d’écrire à son ancien camarade devenu roi. Sa lettre, entr’autres choses, contenait le passage suivant : « Peut-être une nouvelle coalition contre la France se formera-t-elle : nous battrons les coalisés comme lorsque j’avais l’honneur de coucher avec V. M. S. ». Il l’engageait à ne pas oublier alors son ancienne patrie… Bernadotte, corrompu ou royalisé, comme on voudra, répondit par l’envoi d’une somme de 200 francs et pas un mot de l’objet important de la lettre… De l’argent pour payer l’amitié de Thiébaut … Ce brave en fut indigné. Aussi il se hâte de rassembler [4.2]les habitans de sa commune, et après leur avoir donné connaissance de sa lettre et de la réponse du monarque Suédois, il jeta dans la Meuse le cadeau royal.
Ce fait a donné lieu à une pièce de comédie, Le Camarade de lit, jouée récemment à Paris, et contre laquelle Bernadotte s’est si fort indigné, qu’il a rompu avec la France. L’amitié d’un traître était peu de chose, mais ce sujet de rupture est bien futile. Nous devions nous, historiens prolétaires, consigner ce fait honorable pour un travailleur.