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8 janvier 1834 - Numéro 20
 
 

 



 
 
    
Discussion

survenue entre l?echo de la fabrique

Et l?Echo des Travailleurs.

O combien les lecteurs doivent être las et rassasiés de ces discussions interminables, tantôt sur un objet, tantôt sur un autre, que la presse journaliste exploite ou subit à chaque instant ! Avec quel dégoût nous sommes obligés nous-mêmes d?entrer chaque jour dans cette triste arène ! mais au moins avons-nous une excuse : la presse doit répondre à la presse. Seule elle a, comme la lance [1.2]d?Achille, le pouvoir de guérir les blessures qu?elle faits. Mais que dire de ces hommes qui, mettant une force brutale à la place de la raison qui leur manque, veulent traduire toutes les questions de la presse en affaires particulières, toutes les questions personnelles en offenses ? Nous avons fait connaître, et à une époque où nous étions désintéressés dans la question, notre opinion sur le duel. Nous accusera-t-on de la reproduire ? Nous l?avons dit, et nous le répétons aujourd?hui comme alors : l?art des spadassins, pas plus que le fer des bourreaux, ne prouve rien, absolument rien dans toutes les questions soumises au domaine de la discussion.

Racontons en peu de mots l?origine de la querelle qui nous est suscitée.

Notre dernier numéro contient, sous la rubrique cancans, ces mots : Nous souhaitons à MM. Bernard et Martinon la croix-d?honneur qu?ils ont sollicitée pour leur conduite en Novembre.

Deux faits ressortent de ce peu de mots : 1° Quelle a été la conduite de MM. Bernard et Martinon en Novembre ? 2° Ont-ils sollicité la croix-d?honneur pour cette conduite ?

Quant à la première question, il ne nous appartient pas, comme adversaires politiques, ni de blâmer, ni de louer la conduite de MM. Bernard et Martinon en Novembre 1831. Nous dirons donc, en peu de mots et sans commentaires : MM. Bernard et Martinon n?étaient pas, à cette époque, dans les rangs des ouvriers insurgés, ils étaient dans ceux de l?ordre public, suivant l?expression convenue. Le premier se constitue le gardien, le protecteur du général Ordonneau, retenu prisonnier par les ouvriers ; il contribue à son évasion, il l?a facilitée de tout son pouvoir. Le second prétend avoir rendu de grands services, et préserve la recette générale de tout attentat de la part des ouvriers ; il s?en est fait délivrer un certificat qu?il a fait insérer dans tous les journaux, et que nous avons nous (c?est notre opinion) regardé comme une insulte gratuite aux ouvriers. Voila quelle a été leur conduite ; nous sommes historiens fidèles. Dans le cas contraire, qu?on nous démente.

Ces deux hommes sont devenus fonctionnaires, et dès-lors nous avons le droit de scruter toute leur vie, de la raconter.

À la seconde question : MM. Bernard et Martinon ont-ils sollicité la croix-d?honneur ? personnellement nous n?en savons rien, mais on nous l?a dit, et même plusieurs personnes. Mieux encore, on nous l?a écrit.

Par elle-même, la croix-d?honneur n?est pas un outrage : la solliciter est permis. Nous avons dit que ces messieurs l?avaient sollicitée pour leur conduite en Novembre ; nous venons de raconter cette conduite : y a-t-il offense envers eux ? Mais enfin ils l?ont sollicitée, oui ou non ; et s?ils ne [2.1]l?ont pas fait, le dire est une calomnie ; en ce cas nous répondrons : Qui est exempt de calomnies ? MM. Bernard et Martinon n?ont qu?à désavouer le fait de cette publication, et le public jugera entr?eux et leurs détracteurs. Nous sommes neutres ; ils devraient nous remercier de les mettre à même de se justifier de ce fait, puisque le bruit en circule, et qu?ils le regardent comme offensant pour eux. Désavouer publiquement était en effet la marche la plus simple, la plus rationnelle ; nous aurions inséré avec empresse ment le désaveu de ces messieurs, et si nous l?avions refusé, oh ! alors, nous aurions commis envers eux une insulte grave. Telle n?a pas été leur conduite : après avoir réfléchi deux jours, ils se rendent, accompagnés de MM. Matrod et Rivière cadet, rédacteur en chef, chez notre gérant. Rendez-vous est donné pour le même jour à midi, à l?Echo de la Fabrique. Nous renvoyons pour ce qui s?y est passé, à la note ci-après de M. Sigaud. Nous attendions toujours qu?on nous prierait d?insérer une lettre de désaveu. Point du tout : mais la colère est une mauvaise conseillère. Le lendemain paraît dans l?Echo de la Fabrique la note insolente que voici1 :

MM. Bernard, chef d?atelier et gérant de l?Echo de la Fabrique, et Martinon, chef d?atelier, se sont présentés ce matin, à huit heures, chez M. Sigaud, gérant de l?Echo des Travailleurs, accompagnés de M. Matrod, président de la commission de surveillance de l?Echo de la Fabrique, et l?un des rédacteurs de ce journal. M. Sigaud, après avoir déclaré n?avoir nulle connaissance de la note insérée contre MM. Bernard et Martinon, dans le n° 18 de l?Echo des Travailleurs du 1er janvier 1834, dans laquelle il est dit que : MM. Bernard et Martinon ont sollicité la croix-d?honneur pour leur conduite en novembre 1831, a accepté, pour rendre raison de cette note, un rendez-vous pour midi au bureau de l?Echo de la Fabrique. M. Sigaud s?est présenté à l?heure convenue, accompagné de M. Falconnet, chef d?atelier, a de nouveau désavoué cette note, mais a refusé toute espèce de satisfaction à MM. Bernard et Martinon, déclarant qu?il lui fallait jusqu?au lendemain, à huit heures du matin, pour produire une prétendue lettre sur l?attestation de laquelle la note calomnieuse avait été rédigée. Etonnés du délai demandé par M. Sigaud, pour la reproduction de cette lettre et la réparation vivement sollicitée, MM. Bernard et Martinon appellent lâches et infâmes calomniateurs les hommes qui se sont associés à la publication de cette note, et tiennent également M. Sigaud pour un lâche et infâme calomniateur, s?il persiste à reculer devant la réparation qui lui a été demandée en sa qualité de gérant du journal l?Echo des Travailleurs.
Agréez, M. le Rédacteur, nos salutations respectueuses.
Lyon, 4 janvier 1834.
bernard, Gérant.
martinon.

Justement indigné d?une pareille provocation, M. Sigaud s?est rendu lundi soir à la commission de l?Echo de la Fabrique, accompagné de MM. Falconnet, Legras aîné, Legras cade, Carrier, Berger, Lavallée et Allard, et a requis M. Bernard d?insérer la réponse que nous transcrivons ici.

En réponse à la note insérée dans le n° 53 de l?Echo de la Fabrique, signé de MM. Bernard, gérant de ce journal, et Martinon prud?homme, je déclare que, comme gérant de l?Echo des Travailleurs, je suis responsable, et j?avoue tout ce qui y est inséré. Si donc il est dit : Nous souhaitons à ces messieurs la croix-d?honneur qu?ils ont sollicitée, c?est que vrai ou faux, ce bruit a acquis une grande consistance. M. Bernard en est convenu lui-même : dès-lors il n?y a pas calomnie. J?étais maladei lorsque je me rendis au bureau de l?Echo de la Fabrique, accompagné de M. Falconnet ; car, nous sommes aussi tous solidaires à l?Echo des Travailleurs. Je trouvai MM. Bernard et Martinon ; ils ne voulurent pas s?expliquer ; ils attendirent que MM. Rivière, rédacteur en chef, et Matrod fussent arrivés : alors ils eurent la bouche ouverte et commença une scène scandaleuse. J?ai affirmé, et celui qui le niera est un insolent, que cette note n?avait été écrite que sur le vu d?une lettre que notre rédacteur en chef n?avait pas cru devoir insérer, à raison d?imputations bien plus graves encore contre M. Bernard. On pouvait donc, suivant ma demande, remettre l?explication au lendemain ; ce n?était pas trop puisque MM. Bernard et Martinon avaient pris deux jours pour réfléchir sur l?insistance de ces MM. qui paraissaient vouloir se battre tous à la fois (ce qui était impossible, puisqu?ils étaient quatre, et que nous n?étions que deux). M. Falconnet dit : « Nous sommes venus en confiance : puisque vous voulez de suite une réparation, quel est celui qui veut venir avec moi ? » M. Martinon se présenta et M. Falconnet ayant accepté, au lieu de laisser régler les conditions du duel, M. Martinon se précipita comme un furieux sur mon ami. Une lutte indécente allait s?engager, lorsque MM. Matrod et Rivière, prévoyant les conséquences, s?interposèrent en blâmant M. Martinon. Maintenant le public jugera.
Quand au fait en lui-même qui donne lieu à cette discussion, il est fâcheux pour MM. Bernard et Martinon d?être victimes peut-être [2.2]d?une calomnie, mais c?est un malheur dont personne n?est exempt. J?aurais accueilli leur désaveu ; c?est la seule réparation qu?un journaliste doive à un citoyen, quelque soit son rang. Maintenant qu?il est fait justice de l?épithète de calomniateur, passons à celle de lâche. Elle est ridicule dans la bouche de ces messieurs qui ne se la permettent que pour se donner un air de bravoure qui ne séduit personne aujourd?hui, et qui n?auraient pas dû refuser la raison qu?on leur offrait, après l?avoir si hautainement demandée.
Je renvois les mots de lâches et de calomniateurs à ces messieurs : ils leur conviennent mieux qu?à moi.
SIGAUD.

Après l?avoir lue, M. Bernard, pour toute réponse, l?a déchirée. Dès-lors une réparation est devenue nécessaire, parce qu?il y a eu offense personnelle. MM. Falconnet et Legras en ont demandé raison, et un duel a été arrêté entr?eux et MM. Bernard et Martinon, pour hier, à huit heures du matin.

En suite de cet ajournement, MM. Falconnet, Legras aîné, Bernard et Martinon se sont rendus sur le terrain, assistés de leurs témoins qui étaient, savoir : du côté de l?Echo des Travailleurs, MM. Carrier, Charpentier, Frédéric fils et Marmin, et du côté de l?Echo de la Fabrique, MM. Bouillon, Brun aîné, Matrod et Rivière cadet. Là ont eu lieu les explications qui ont amené les déclarations suivantes ; elle termineront probablement cette affaire qui n?aurait jamais dû avoir lieu, puisque l?Echo des Travailleurs n?était pas sorti de la limite des convenances et n?avait fait que répéter un bruit que son devoir lui imposait de recueillir.

Notes (Discussion)

 

 

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