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11 janvier 1834 - Numéro 21
 

 




 
 
     

ÉPHÉMÉRIDES LÉGISLATIVES.

[1.1]Chambre des députés. – janvier. Suite de la discussion, de l’adresse. MM. Voyer d’Argenson et Audry Puyravaud, interpellés par M. Bugeaud, donnent des explications et se déclarent républicains. M. Deludre se joint à eux. – M. Berryer, député légitimiste, MM. Barthe, Ch. Dupin, etc., sont entendus. – Un amendement proposé par MM. Portalis et Salverte, par lequel on rendait hommage à la sagesse et l’indépendance des jurés, sous-amendé par M. Gillon, de la manière suivante : La fermeté et l’indépendance de la magistrature et du jury, est rejeté après une deuxième épreuve.

janvier. – Toujours la discussion de l’adresse. M. Garnier-Pagès parle en faveur des ouvriers ; il raconte qu’il a vu à Toulon des pêcheurs qui gagnaient 12 sous par jour et ne se souvenaient pas d’avoir mangé, un seul jour, assez de pain pour se rassasier. Un membre ayant dit : C’est un mensonge, M. Garnier-Pagès l’invite à se nommer, en disant qu’il ne souffrira de démenti de personne. M. de Tracy prétend que toute espèce de maximum, de contrainte, est odieuse et absurde, et que le suffrage universel n’améliorera pas la condition des ouvriers. M. le général Lafayette s’élève contre la clôture des cours gratuits de la Société pour l’éducation du peuple. MM. Thiers, Cabet, Teulon, Bignon sont entendus1.

éléction des prud'hommes

fabricans d’étoffes de soies.

Les fabricans d’étoffes de soie sont convoqués pour demain, à l’effet d’élire deux prud’hommes. Nous eussions préféré un renouvellement intégral ; nous aurions voulu surtout qu’un préfet ne mît pas sa volonté au-dessus de la loi. Nous nous sommes suffisamment expliqués là-dessus, et même nous ne désespérons pas d’obtenir ce que nous avons demandé : tous les moyens seront employés pour y parvenir. Mais nous devons prendre les choses en l’état où elles se trouvent et il est temps de prémunir les ouvriers contre un abus qui nuit essentiellement à leur cause. Cet abus est la négligence coupable que beaucoup mettent à se rendre aux élections auxquelles ils sont appelés. Nous dirons donc aux ouvriers : Il ne faut pas que sous le prétexte vrai que les droits des citoyens sont méconnus, vous qui êtes appelés, vous vous absteniez d’user complètement du peu de droits que le pouvoir jaloux n’a pas osé vous ravir. Il ne faut en aucun cas regarder comme insignifiant l’exercice des droits de citoyen, et chaque électeur doit se souvenir qu’il est chargé d’une mission sacrée ; qu’il représente tous ceux qui sont exclus, et que dès-lors, il doit compte à ces derniers de la faveur de la loi. Aucun prétexte ne peut le dispenser de remplir son devoir.

Nous répondrons ici à une objection que nous avons entendue, et qui a été mise en avant par un grand nombre de personnes. On a dit :

« L’élection de deux membres est insignifiante, elle ne changera pas l’esprit du conseil. » Cette objection est plus spécieuse que solide : sans doute deux membres [1.2]nouveaux, quels que soient d’ailleurs leur talent, leur fermeté, ne changeront rien à la majorité numérique qui, dans le conseil des prud’hommes, est hostile aux intérêts de la classe ouvrière. On pourrait cependant en douter : qui ignore l’empire qu’exercent la vertu et le courage dans une assemblée ; nous croyons que dans les autres sections il y a plus d’hommes faibles que mal intentionnés ; et parmi les négocians eux-mêmes, nous croyons que plusieurs se rendraient, ne serait-ce que de guerre lasse, à l’évidence du droit des ouvriers, si ce droit était soutenu avec force par les prud’hommes fabricans.

Maintenant, nous admettrons si l’on veut que cette opposition n’apporterait aucun changement aux décisions du conseil ; en ce cas-là même elle ne serait pas inutile. Ainsi, par exemple, qui empêcherait deux prud’hommes de se lever de leur siège toutes les fois que le conseil refuserait d’admettre un défenseur ? Les applaudissemens de l’auditoire seraient leur récompense et leur égide. Que pourrait-on leur dire ? Ne justifieraient-ils pas facilement leur conduite ? Nous ne voulons pas nous associer à un acte arbitraire. » Ces seules paroles forceraient l’autorité à examiner enfin la question de la libre défense. Et que sait-on, le préfet se souviendrait peut-être qu’il avait promis, lors de l’affaire Tiphaine, de se rendre au conseil des prud’hommes pour vider cette question, sur laquelle son opinion ne nous a pas semblé douteuse dans le temps.

Qui empêcherait ces prud’hommes de lire leurs rapports en public et de les formuler sur les lois applicables à la matière ? Cet usage, introduit par deux hommes qui ne voudraient pas s’en départir, serait bientôt nécessairement suivi par leurs collègues qui ne voudraient pas paraître faire moins, ni plus mal.

Un bon exemple est presque aussi souvent suivi qu’un mauvais.

Nous pourrions multiplier les données à cet égard ; nous nous abstiendrons d’en dire davantage. Le bon sens des lecteurs y suppléera.

Il nous suffit donc d’avoir établi que l’élection partielle des prud’hommes est tout aussi importante qu’une élection générale. Tous les électeurs doivent se rendre à la convocation qui leur est faite. Nous ne nous permettrons pas d’indiquer des candidats aux ouvriers ; mais nous les en conjurons, dans l’intérêt bien entendu de leur classe, qu’ils les choisissent en dehors de toute espèce de coterie. Le plus capable doit être élu, qu’il soit ou non Mutuelliste ! Cette société n’en sera que plus grande, et montrera mieux son amour du bien public, et son respect pour la liberté et l’égalité, en ne profitant pas de la force que lui donne la réunion de ses membres, pour imposer un candidat qui n’aurait pas l’assentiment général.

[2.1]Nous rappellerons, en finissant, aux ouvriers, qu ils ne sont astreints à aucun serment. Notre ancien gérant, M. Berger donna l’exemple de le refuser l’année passée, et l’autorité consentit. Il y a donc chose jugée. Le serment est un acte illégal et immoral : nous ne répéterons pas ce que nous avons dit à ce sujet : l’Echo de la Fabrique contient, dans le n. 2 de l’année 1833, notre profession de foi. Nous y renvoyons les lecteurs.

SECTIONS DE DORURE, BONNETERIE, CHAPELLERIE, etc.

Ces élections qui devaient avoir lieu les 2, 3, et 4 janvier courant, ont été, vu le petit nombre des électeurs qui se sont présentés (trois, le 2 janvier, cinq le lendemain, et un le 4), renvoyées savoir :

Sections de dorure, etc., au mercredi 15 janvier.

Idem de chapellerie, au vendredi 17 idem.

Idem de bonneterie, au lundi 20 idem.

Une erreur avait été commise dans la section de dorure ; M. Duret avait été indiqué comme suppléant. Il était titulaire et sera remplacé par un suppléant.

Nous engageons les ouvriers de ces diverses professions, quelque incomplète que soit la représentation qui leur est accordée, de ne pas négliger de se rendre aux élections prochaines. C’est en nommant pour prud’hommes des hommes capables et dévoués à leur cause, qu’ils parviendront à sortir de leur état d’ilotisme.

Nous sommes priés d’insérer la protestation suivante contre l’arrêté de M. le préfet, du 14 décembre dernier, qui maintient M. Labory comme prud’homme, quoique ayant été désigné par la voix du sort pour sortir aux élections partielles de 1834 :

A M. le Préfet du département du Rhône.

Les soussignés, tous chefs d’atelier domiciliés dans le ressort de la deuxième section de la fabrique de Lyon, représentée par M. Labory, au conseil des prud’hommes de la ville de Lyon,

Ont l’honneur de vous exposer :

Qu’au mois de janvier 1832, M. Labory fut nommé prud’homme, chef d’atelier ; mais dans le courant de l’année 1833, il a quitté son domicile, rue de l’Attache-des-Bœufs, n° 1, et est allé demeurer dans une autre section, rue de la Barre. Les exposans espéraient que M. Labory donnerait sa démission et soumettrait à ses collègues, par la demande d’une réélection, soit sa conduite au conseil des prud’hommes, soit la question de domicile qui ne saurait être regardée comme peu importante. M. Labory quoique averti des dispositions de ses commetans, ne s’est pas soucié de courir cette chance.

L’époque du renouvellement par la voie au sort est arrivée. M. Labory a été sortant, mais par un arrêté rendu par vous, monsieur le préfet, et dont il n’est pas convenable que nous discutions avec vous la légalité. Vous avez dispensé M. Labory d’accomplir l’arrêt du sort ; cette faveur, nous devons vous le dire franchement, a été mal vue par la classe ouvrière. Des clameurs unanimes se sont élevées contre M. Labory ; cependant ce chef d’atelier paraît persister à jouir du bénéfice de votre arrêté.

Cette conduite ne saurait être tolérée plus long-temps. En conséquence, et sans vouloir reproduire les soupçons graves qui circulent contre M. Labory, les soussignés déclarent protester contre le maintien de M. Labory dans ses fonctions de prud’homme ; 1° attendu son changement de domicile ; 2° attendu sa sortie par la voie du sort, conformément aux lois organiques du conseil des prud’hommes.

Ils vous prient en conséquence, M. le Préfet, d’avoir égard à la présente protestation, et ferez justice.

Suivent les signatures :

Edouard, Giet, Villermoz, Biollay, Dupont, Gaillard, M. Berchoud, Machezaud, Pallay, Verony, Labully, Pivard, Clément, Buffet, Roland, Laurençon, J. M. Legras, Guillerme, J. Jaboulay, Favet, J. Bonvalet, Armand, Rivat, Figara, B. Pupat, Barno, Annequin, Deval, Lané, Clément aîné, Clément cadet, Rolland, Reymond, Traversier, Rodier, Fulchiron, Chateland, Veyrier, Roussy, Damas, Mantet, François Reynier, Gudin, Dubreuil, Marrel, etc., etc.

conseil des prud’hommes.

presidence de m. putinier .

Séance du jeudi janvier 1834.

Deux membres négocians sont seuls présens, dès lors six membres fabricans sont invités de siéger afin de compléter le conseil.

Damiron, négociant, demande à pouvoir lever une pièce et le dessin qu’il a donné à Cancalon, fabricant, vu le temps que ce dernier a mis à monter son métier, ce qui ne lui permet pas de pouvoir livrer à la vente son étoffe pour cette saison. Cancalon repousse cette assertion, et dit au contraire que c’est Damiron qui lui [2.2]a fait attendre son dessin, et que dans cet intervalle il s’est déménagé. – Le conseil déclare que la pièce sera levée sans frais ; les parties sont renvoyées devant MM. Verrat et Reverchon pour l’indemnité qui pourrait être accordée à Cancalon.

Révolat, imprimeur sur étoffes, réclame que le fils Délétant, apprenti, rentre dans son atelier ; les parens avaient déclaré précédemment qu’il était malade. Le conseil ayant fait visiter l’apprenti par son médecin, et d’après son certificat, décide qu’il rentrera ou paiera les sommes stipulées par les conventions.

Le prud’homme Perret ayant dans l’affaire Gauchon et Didier, négligé de faire son rapport, elle est renvoyée à huitainei.

Tournisson, fabricant, réclame à Olivier frères, négocians, plusieurs journées perdues par défaut de trame ; de plus, des tirelles que ces derniers refusaient de lui payer, alléguant que l’étoffe était des mouchoirs.

Attendu que les sieurs Olivier frères, avaient adhéré à marquer des tirelles lorsqu’ils ont reçu le billet d’invitation, le conseil décide qu’il sera donné 10 fr. au sieur Tournisson, pour indemnité de journées perdues.

Mme Ve Meunier qui avait donné 350 fr. pour l’apprentissage de son fils pour l’état de tailleur, réclame à Trépoully, le livret d’acquit de son fils, attendu qu’on ne lui donne que deux repas et que sa santé en réclame trois, selon l’usage. Trépoully dit que c’est une chicane qu’on lui cherche, que l’usage de sa maison est de ne faire que deux repas ; que l’apprenti est à même de travailler. Le conseil résilie les conventions, et ordonne que l’apprenti ne pourra se replacer que comme tel pour finir son temps. Les 350 fr. restent alloués au maître.

Mathieu, liseur de dessins, réclame à Débrice un prix de lisage que ce dernier ne trouve pas être en rapport avec ceux du moment. Le conseil renvoie les parties par devant M. Reverchon.


i. Encore de la négligence de la part de ces Messieurs.

Extrait des Discours

de mm. garnier-pagès et fulchiron,

A la séance de la chambre des députés, du janvier 1834, pendant la discussion de l’adresse au Roi.

M. garnier-pagès : Je voudrais que le gouvernement fût fondé sur le droit et non point sur le monopole et le privilége. Si vous avez une réforme politique à poursuivre, vous n’avez pas moins à vous occuper d’une réforme industrielle… Il ne faut pas que les ouvriers soient en dehors de la constitution.

M. Garnier-Pagès s’attache à établir que le mal moral cessera du moment où les populations ouvrières seront représentées dans les chambres.

M. fulchiron : J’entends dire que la classe ouvrière n’a pas été récompensée, que les promesses qu’on lui a faites, n’ont pas été tenues. A Lyon, quelles promesses a-t-on faites aux ouvriers ? Veut-on parler du tarif promis par le préfet ?… il n’en avait pas le droit.

M. garnier-pagès : Je n’ai point parlé du tarif.

M. fulchiron : Le tarif en question serait la ruine du commerce et de l’industrie… ce n’est pas à vous, messieurs, que je m’adresse, c’est aux ouvriers, que je veux préserver des suggestions auxquelles ils sont toujours en proie.

Note du rédacteur. – Il est facile à M. Fulchiron de dire que le tarif serait la ruine du commerce et de l’industrie ; il lui serait plus difficile de le prouver. Nous livrons, au surplus, à la sagacité de nos lecteurs l’appréciation des doctrines de MM. Garnier-Pagès et Fulchiron. Du reste, l’opinion de ce député sur le tarif est le pendant nécessaire de celle qu’il a émise dans la même séance sur les forts qui environnent et dominent la ville de Lyon, et qu’il a assuré être très agréables aux citoyens.

Au Rédacteur.

[3.1]Monsieur,

Je venais à peine d’être acquitté par le jury de l’accusation portée contre moi pour un discours prononcé sur la tombe de Mouton Duvernet, que j’ai été de nouveau arrêté. C’est la cinquième fois, depuis les événemens de novembre, que je suis en butte aux poursuites du parquet. Jusqu’à présent du moins, en attaquant ma personne, on avait respecté mon honneur : il n’en est pas de même aujourd’hui. On a besoin de salir l’homme absous par le jury, et l’on m’accuse d’escroquerie. Le journal de la police qui devrait être mieux instruit que personne, puisqu’il a les confidences du bureau de M. Prat, va plus loin que le parquet, et dit que c’est pour soustraction de minutes de jugement, et pour avoir détourné les deniers publics pendant que je remplissais les fonctions de commis greffier au tribunal de simple police de la ville de Lyon.

Tout est faux dans cette triple accusation : j’ai quitté volontairement le greffe de la police municipale en 1828 ; trois greffiers se sont succédé depuis cette époque ; des poursuites judiciaires sont dirigées contre l’un d’eux ; je n’ai jamais été son commis ; ce fait a été bien établi dans l’instruction.

Scribe par état, je faisais la besogne de quelques-uns des huissiers de service près ce tribunal, et j’avais ainsi connaissance des condamnations. Au mois d’avril de cette année, une décision ordonnait que tous les jugemens susceptibles d’appels ou d’oppositions seraient expédiés et signifiés ; dès-lors j’écrivais aux condamnés qu’ils eussent à se rendre auprès du ministère public, afin d’acquiescer au jugement rendu contr’eux, ce qui leur évitait les frais d’expédition et de signification. Un grand nombre de citoyens ont été ainsi gratuitement avertis par moi, et je défie un seul d’entr’eux de dire qu’il m’ait donné, ou que je leur aie demandé la moindre rétribution pour ce fait.

Une vérification faite au greffe fit reconnaître que le greffier ayant reçu des amendes n’en avait pas tenu compte au fisc, et plainte fut portée contre lui au procureur du roi, en juillet 1833 ; vous remarquerez la date. Les contrevenans à qui on réclamait une seconde fois ces amendes, dirent les avoir payées au greffe à un grand blondin : j’ai le malheur d’être grand et d’avoir les cheveux blonds ; il n’en fallut pas plus pour être dénoncé par M. Trolliet, receveur de l’enregistrement. Cependant l’instruction de cette affaire a eu lieu ; les témoins confrontés avec moi ont déclaré ne pas me reconnaître pour celui à qui ils avaient payé. A ma demande, M. Populus manda devant lui un commis greffier que les témoins reconnurent pour être le grand blondin à qui ils avaient remis leur argent.

Après ces preuves, j’espérais recouvrer ma liberté : on formula une autre accusation !… Les explications que je vais donner ne tarderont pas à la détruire, j’en suis certain. Sur près de quatre mille amendes que j’ai reçues des contrevenans et payées pour eux au fisc, deux sont demeurées entre mes mains, et voici comment : une femme Chanal, logeuse, chaussée Perrache, refusa d’aller acquiescer à son jugement, et me pria d’acquitter pour elle une amende de 18 fr. 60 c. dont elle me remit le montant, et dont je lui donnai un reçu, en lui recommandant de me faire prévenir lorqu’elle recevrait l’avertissement, attendu que c’était le moment seul où le receveur ayant l’extrait du jugement pourrait percevoir. Je ne revis plus cette femme. Avertie de payer, elle dit que je m’étais chargé de ce soin pour elle, et remit mon reçu au receveur qui, sans m’en donner le moindre avis, l’envoya au procureur du roi.

Le sieur Guy, voiturier à Cuire, était poursuivi par l’huissier de la régie de l’enregistrement pour une somme différente de celle à laquelle il avait été condamné. Il alla se plaindre au greffe, d’où on me l’envoya pour lui faire rendre justice. En effet, je vérifiai le jugement et reconnus l’erreur : Guy gagna 2 f. 20 c. qu’on lui demandait en trop. J’instruisis l’huissier du fait ; il suspendit les poursuites jusqu’au moment où un nouvel extrait serait délivré, époque à laquelle je prévins que [3.2]je devais payer. M. Trolliet, averti de cette erreur et sachant sans doute que j’étais chargé d’acquitter, fit avec Guy comme il avait fait avec la femme Chanal, et l’un ne me prévint pas plus que l’autre. Le devoir de M. Trolliet était cependant de poursuivre le paiement de ces amendes ; s’il l’eût fait, les deux personnes qui m’avaient chargé de payer pour elles m’eussent prévenu et je n’eusse point été victime d’une sorte de guet-apens. Mais cela n’eût pas fait le compte de M. Trolliet qui se souvient que j’ai travaillé six ans au bureau de l’enregistrement, que les employés m’accordaient quelques capacités dans cette partie et en refusent et moi aussi à mon antagoniste. Je me suis même assez franchement prononcé sur son savoir, et dès-lors c’est une affaire d’amour-propre dans laquelle il a à se venger. Enfin, il a encore un grief à me reprocher, et le voici : en écrivant aux condamnés, pour leur éviter l’expédition et signification du jugement, je fais diminuer les recettes de M. Trolliet, car il y a du timbre et de l’enregistrement de moins. Lorsqu’un jugement est entaché de nullité, j’en préviens le condamné qui forme opposition, ce qui suspend les poursuites ; M. Trolliet, que je n’ai pas la complaisance d’avertir, continue, et lorsque le jugement est reformé, les frais ne sont pas payés et j’ignore à la charge de qui ils tombent.

J’ai dit toute la vérité ; on me jugera. Cette lettre a été écrite le lendemain de mon premier interrogatoire, mes amis m’ont empêché de la publier, ils craignaient d’irriter les hommes à qui je dois ma captivité ; ils espéraient me faire obtenir ma liberté sous caution : elle me fut en effet promise moyennant 500 fr. Mes amis les apportèrent, mais ce n’était qu’un leurre, ils avaient 500 fr., on leur en demanda 2,000 !…

J’attendrai donc en prison le jour du jugement, je l’attendrai avec calme et sans crainte, mais je n’ai pas dû par mon silence laisser plus long-temps planer sur moi des soupçons outrageans.

Recevez, monsieur, mes salutations fraternelles,

tiphaine.

le peuple a faim.

Heureux du jour, sur vos tables splendides
Quand l’art conduit, de cent climats divers,
Pour assouvir vos estomacs avides,
Les meilleurs vins et les mets les plus chers ;
Sur les coussins où
Sentez-vous pas, comme un remords soudain,
Poindre en vos cœurs cette pensée amère :
Le peuple a faim !

Sur vos tréteaux où se vautre l’orgie,
Le luxe dresse un autel fastueux,
Pour vous l’argent, le vermeil, la bougie,
Et le cristal reflétant mille feux !
Mais pour le pauvre, au lieu de porcelaine,
L’écuelle en terre et la cuiller d’étain !
Heureux encor, quand cette écuelle est pleine !…
Le peuple a faim !

Pour vous la vie avec ses jouissances,
En été l’ombre, en hiver, le soleil !
Pour vous la mode, et la scène, et les danses,
Les nuits aux jeux et les jours au sommeil !
Mais pour le pauvre, abstinence, détresse,
Et l’eau du ciel pour détremper son pain ;
Puis l’hôpital quand blanchit la vieillesse…
Le peuple a faim !

Assez long-temps, gorgés de priviléges,
De notre force on vous a rendus forts,
Les députés sortis de vos collèges
Ont disposé de nos biens, de nos corps.
A cette lice où l’on vole sa place,
Le pauvre encor frappera-t-il en vain ?
Il veut entrer par droit et non par grace !
Le peuple a faim !

L’instruction, cette manne féconde,
Pour le puissant, monopole nouveau,
Le pauvre aussi doit l’avoir, en ce monde
Où riche et pauvre ont le même cerveau.
Attendra-t-il qu’une pitié tardive
Jette à ses pieds un os avec dédain ?
Non ! du banquet il veut être convive,
Le peuple a faim !

Lorsque le peuple a, de sa main puissante,
Brisé d’un roi le sceptre et les faisceaux,
Il voit sortir de sa cave prudente
L’heureux qui vient butiner les morceaux.
Mais sonne encor l’heure trop différée,
Sa grande voix vibrera dans son sein :
« Faquins, arrière ! et place à la curée !
Le peuple a faim !

A. altaroche.

Petit Prône du Journal des Judas.i

En ce temps-là, le Journal des Judas voulut ramener au devoir et à la fringale, les ouvriers qui réclamaient une augmentation de salaire, afin de pouvoir vivre tout-à-fait.

Le Journal des Judas commença par demander lui-même une augmentation de subvention.

Il farfouilla ensuite dans sa garde-robe, pour y chercher quelque costume approprié à la circonstance. Il choisit cet ancien bonnet carré, ce rabat et ce goupillon qui lui donnaient l’air si béat, à certaine époque de la restauration.

Il garda ce pantalon de paillasse qu’il n’a jamais quitté, car c’est le fond de tous ses costumes. Il fit choix, parmi ses quarante tabatières de souverains, de celle qui lui fut donnée en 1814 par S. M. l’empereur de Russie, en commémoration de la prise de Paris. Cela fait, il monta dans son ancien tombereau du temps de la terreur, dont il a fait successivement un fauteuil académique et une chaire à prêcher.

Et alors il prit la parole, en ce style moitié savate, moitié académique, moitié coin de rue, moitié salon, qui le distingue particulièrement, ainsi que ces valets de bonne maison, ces fats d’antichambre, qui apprennent le français, et s’instruisent aux belles manières par le trou de la serrure.

– « Ouvriers, dit-il, j’ai déjà eu l’honneur de vous traiter de barbares ; permettez-moi d’ajouter aujourd’hui que vous êtes des polissons, qui ne rêvez que le pillage des boutiques, le partage des abonnés de journaux bien pensant, et la loi agraire, que vous ne connaissez même pas. Vous êtes des polissons.

« Vous dites que depuis l’avénement de la royauté du neuf août, vos moyens d’existence sont insuffisans, que vous ne gagnez, la plupart, que pour vivre huit heures sur vingt-quatre. Vous dites que vous avez faim ? Oui, vous avez faim, vous avez faim d’anarchie. Vous dites que vous avez soif ? Oui, vous avez soif, vous avez soif de désordre. Vous dites que vous avez froid ? Oui, vous avez froid, vous avez froid d’embrasement révolutionnaire. Vous êtes des polissons.

« Est-ce ma faute, est-ce la faute de tous les gens de loisir, qui me ressemblent, si vous n’avez de quoi vivre, les uns, que les deux tiers, les autres, que la moitié, les autres, que le quart de votre vie ? Est-ce notre faute, s’il y en a même parmi vous qui passent leur vie tout entière à mourir de faim ? Qui vous a empêchés, polissons que vous êtes, d’être subventionnés par tous les gouvernemens qui ont rendu la France si heureuse, qu’elle les a chassés les uns après les autres ? Que n’avez-vous célébré l’entrée des Cosaques à Paris ? Que ne vous êtes-vous attachés à la corde qui renversa la statue de l’ogre de Corse ? Que ne portiez-vous en triomphe, la veille, le magnanime empereur des Français ? Que n’avez-vous fait des incongruités pour et contre tous les régimes, selon qu’ils vous accordaient ou vous refusaient des augmentations de salaire ? Vous ne seriez pas réduits à en demander maintenant ; vous ne seriez plus des barbares, vous seriez des gens parfaitement civilisés ; vous ne seriez plus des prolétaires, vous seriez des hommes de loisir, des conseillers d’état, peut-être, des hommes vertueux. Au lieu de n’avoir à vivre que dix-huit heures sur vingt-quatre, vous en auriez vingt-quatre, pour le moins, à vivre sur dix-huit. Vous ne seriez plus des polissons.

« Du reste, ce qui n’est pas fait, n’est pas fait. Il s’agit d’obvier pour le moment à votre malaise.

« Vous avez faim, dites-vous ? Il y en a qui jugeraient que le plus pressé serait de vous procurer des moyens [4.2]d’existence ; il y en a, et le Constitutionnel est de ce nombre, qui vous conseilleraient de placer dans les caisses d’épargne, l’argent que vous ne gagnez pas ; de consacrer à apprendre à lire, à écrire et calculer, le loisir qui ne vous est pas laissé ; et enfin de vous bien remplir de Voltaire et de Rousseau, pour vous tenir parfaitement chaud aux pieds ; car vous êtes des polissons.

« Ces moyens peuvent être fort bons, mais cela ne suffit pas. Soyez vertueux, polissons que vous êtes, soyez vertueux. Vous ne gagnez pas assez ? soyez vertueux. Vous n’avez pas de souliers, pas de pantalons, pas de vestes, pas de casquettes ? ne vous abandonnez pas à des rêves de luxe, ne rêvez pas de bottes, de chapeaux, de redingotes et de culottes de satin ; soyez vertueux. Vous n’avez pas de quoi apprendre à lire ? ne lisez pas de journaux de l’opposition ; soyez vertueux. Vous n’avez pas de pain ? ne vous livrez pas à la gourmandise ; soyez vertueux. Vous n’avez pas de vin ? ne vous abandonnez pas à l’ivresse ; soyez vertueux. Vous n’avez pas de domicile ? gardez-vous des beaux et somptueux appartemens, gardez-vous de ces tapis si doux au marcher, de ces canapés si moelleux, de ces boudoirs si charmans ; soyez vertueux, polissons ! La modération, le désintéressement, le mépris des richesses, la sobriété, la vertu, voila qui tient lieu de tout ; même de pain, de bas, de bottes, de journaux, de flanelle, d’habits, de Voltaire, de Rousseau, de tout ; soyez vertueux. Cela ne vous empêchera pas de mourir de faim, de froid, de misère, de désespoir ; mais du moins vous vivrez tranquillement, paisiblement, honnêtement, vertueusement, légalement surtout, et non pas comme de vrais polissons, qui êtes assez bêtes, assez barbares, assez malappris pour demander à la royauté de juillet quelque allégement à vos souffrances. Polissons, va ! »

Ainsi parla le Journal des Judas. Ensuite de quoi, il alla toucher l’augmentation de salaire qu’il avait méritée, en parlant si éloquemment contre les augmentations de salaire.

(Le Charivari.)


i. Quel est le Journal que le Charivari a voulu désigner ?… II y en a qui prétendent que c’est le journal des Débats.

Les candidats, pour le remplacement de M. martinon, sont MM. Carrier, Dufour et Gagnère. – On ne parle plus de M. Bernard.

M. Charnier est le seul candidat dans la section.

L’élection des prud’hommes négocians n’a pu avoir lieu. 30 à 40 électeurs seulement sont venus. Le fonctionnaire, délégué pour présider, ne s’est pas présenté.

romans (Drôme). – MM. Baune et Napoléon Chancel s’étant rendus dans cette ville pour y organiser la société des Droits de l’Homme, ont été l’objet d’une ovation publique. L’autorité est intervenue. M. Napoléon Chancel a été condamné, par le Tribunal de police correctionnelle, à un mois de prison pour injures envers un agent de la force armée. On dit qu’une instruction judiciaire a lieu contre notre concitoyen Baune qui a promis de se rendre volontairement lorsqu’il en serait requis.

seyssel (Ain). – Louis Martin est mort le 28 décembre dernier. Le premier consul Bonaparte lui avait accordé, par décret du 6 frimaire an XI, une grenade d’or pour avoir, étant artificier au 4e régiment d’artillerie à cheval, le 6 germinal an VII, devant Vérone, enlevé une pièce de canon à travers une grêle de balles, l’avoir retournée à bras, et tiré plusieurs coups à mitraille qui forcèrent l’ennemi à la retraite. Ce brave soldat a été accompagné à sa dernière demeure par un détachement de la garde nationale, et un nombreux cortège composé de membres de la Légion-d’Honneur dont il faisait partie, de parens, d’amis, etc.
Il laisse une veuve avec 4 enfans sans ressources.
Une souscription a été ouverte chez Me Desmarest, notaire à Seyssel.

cancans.

La justice est une bonne chose, mais il ne faut pas en abuser. Exemple, une vente par expropriation forcée vient d’avoir lieu à Altkirck ; elle a produit 520 fr. : les frais montent à 1,057 fr. 22 c.

(18) Chansons
par le citoyen kauffman.
La première livraison vient de paraître : prix 50 c. :
En vente au bureau du journal.

Notes (ÉPHÉMÉRIDES LÉGISLATIVES. [1.1] Chambre des...)
1 Parmi les députés cités, le Comte Marc René Marie de Voyer de Paulmy d’Argenson (1771-1842) et Pierre Emile Teulon (1793-1877).

 

 

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