Misères Prolétaires.
(Suite.)
un vigneron vieux et mendiant.
[2.2]La Gazette des Tribunaux s’est amendée ; elle raconte simplement les malheurs du prolétaire, elle ne se fait plus un jeu cruel de plaisanter sur les vicissitudes de la fortune qui l’amènent innocent à rendre compte à la justice des torts de la société envers lui. Une ironie odieuse ne vient plus tristement embellir un récit affreux pour quiconque a des entrailles d’hommes, un cœur de citoyen. Les réclamations unanimes et énergiques de la presse ont sans doute contribué à ce résultat. La Gazette des Tribunaux ne rit plus de ce qui est digne de pitié, et les fastes judiciaires ne sont plus pour elle une scène de vaudeville. Ces réflexions nous sont suggérées par le récit suivant que nous lui empruntons, et comme nous nous étions élevés dans le temps contre elle, il était juste que nous lui donnions aujourd’hui la réparation qui lui est due.
forget, octogénaire, est introduit dans la salle de l’audience de police correctionnelle de Paris, et là s’établit entre le président et lui le dialogue suivant :
Le président. – Niez-vous avoir mendié ?
Forget.– Oh ! pour ça non, mon président. Dam ! comment voulez-vous qu’on fasse autrement quand on a quatre-vingts ans, pas de rentes, et qu’on a besoin de manger ? Toute ma vie j’ai rempli honorablement l’état de vigneron ; mais à mon âge, quand bien même je voudrais travailler, on me refuserait de l’ouvrage.
Qu’avait à répondre le tribunal à une déclaration aussi franche, aussi juste ? Rien.
Aussi, il a, pour toute réponse, condamné Forget à vingt-quatre heures de prison.
Sans doute la peine est légère, mieux encore elle est légale. Mais depuis quand la justice peut-elle condamner légalement à une peine légère qui n’a pas failli à la société ? Forget et tous ceux qui sont dans le même cas que lui sont-ils coupables. Oserait-on le dire ? et cependant la privation de sa liberté, seul bien qui lui reste, viendra lui prouver le contraire. Forget a rempli honorablement l’emploi de vigneron pendant quatre-vingts ans, c’est-à-dire que pendant ce long laps de temps, il a subi le devoir imposé à l’humanité. Son travail a fécondé la terre. Homme utile, exerçant le plus noble des arts, il ne peut plus aujourd’hui demander au travail son pain quotidien ; la société le repousse et l’abandonne ; la misère en fait sa proie, en attendant qu’elle le livre à la mort. O société barbare ! c’est ainsi que tu traites tes enfans. Tu viens processionnellement demander pour quelques-uns autant de mille francs que l’année compte de mois, et pour les autres, tu n’as pas une obole pour leur donner du pain ! Tu as des palais pour tes gouvernans, tu n’as pas une chaumière pour donner asile à tes vieillards !
Et vous voudriez, hommes puissans ! hommes riches ! que le peuple justement irrité de votre incurie, de votre partialité, n’adopte pas pour symbole une loi où il trouve écrit que la société régénérée promet assistance à chacun de ses membres !