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18 janvier 1834 - Numéro 23
 
 

 



 
 
    
RÉFLEXIONS

sur le résultat positif de l’étude des sciences.

Parmi les travaux qui font l’honneur de notre siècle, il en est qui doivent occuper le premier rang ; ce sont ceux qui contribuent directement à la prospérité des nations.

Les découvertes des Leblanc et Dizé, des Lebon, [3.2]des Bertholet, des Adam, des Achard, des Kirckoff, etc., ont droit à la reconnaissance de l’humanité ; ce ne sont pas seulement des conquêtes étonnantes dans la science merveilleuse, dans la chimie, mais des révolutions dans les habitudes des peuples. Leur action s’étendra sur tous les habitans du globe1 !

La découverte de Leblanc et Dizé a détruit l’immense commerce des soudes d’Espagne et a modifié celui des potasses. Aujourd’hui la presque totalité de l’alcali consommé est le produit de la décomposition du sel marin. Lebon porta une atteinte fort grave à la culture des plantes oléagineuses en ouvrant d’autres sources à l’éclairage.

L’application du chlore au blanchiment due à Bertholet, a créé une foule d’industries qui ont accru dans une proportion considérable le bien-être du peuple. Quelle influence immense n’exerca pas journellement l’abaissement du prix et l’augmentation de la qualité des liqueurs spiritueuses, due aux procédés de distillation inventés par Adam ?

Achard a plus fait contre la traite des nègres que les flottes réunies de la France et de l’Angleterre, en dépouillant les colonies du privilége de la culture du sucre.

Kirckoff a tiré de la fécule de pomme de terre un produit nouveau. L’invention de cette nouvelle denrée déplace déjà bien des positions sociales, et en quelques années cette découverte amènera une révolution agricole qui sera toute dans l’intérêt des masses.

La Hollande faisait avec l’Inde un commerce considérable ; les Hollandais y portaient les productions européennes et en rapportaient du borax qu’ils avaient seuls le secret de raffiner et qu’ils nous faisaient payer fort cher. Depuis 1817, ce produit fait à Paris avec des matières indigènes. La Hollande fournissait à l’ Europe le vermillon, le sublimé, le mercure doux, le camphre raffiné, etc. etc., etc., tous objets, qui se fabriquent à GrenelleGrenelle, à Vaugirard, etc. Elle était presque exclusivement chargée de la fabrication de la colle forte qui se consommait en France ; aujourd’hui nous la faisons plus belle, meilleure et à moins de frais. La Hollande fournissait encore à l’Europe le blanc de céruse, que l’on fait aujourd’hui partout. Ces nombreux résultats, avantageux pour nous, ont porté un coup mortel au commerce de la nation batave, et c’est la véritable cause du malaise qu’elle ressent.

L’extrême facilité avec laquelle on convertit toutes les fécules en sucre, permettra de faire abondamment du vin, de l’eau-de-vie, non seulement avec ce tubercule, mais aussi avec le riz, le millet, le maïs, le manioc et toutes les autres substances végétales contenant de l’amidon.

Cette conversion peu coûteuse des fécules en sucre, permettra de l’employer avantageusement à la confection de la bière : donc la culture de l’orge perdra aussi de son importance. Mais la simplicité de ce travail, la possibilité de le faire en petit et si facilement, permettra aisément de frauder les droits, et dès-lors nuira d’autant plus à la culture de la vigne, qu’aujourd’hui la conversion de l’alcool en vinaigre donne un produit supérieur qui ne coûte pas 15 c. le litre, tandis qu’on retire actuellement trois fois plus d’alcool de la pomme de terre qu’on en obtient par l’ancienne méthode. Ces observations, d’une haute importance, doivent fixer l’attention des législateurs.

Enfin, la panification de toutes les fécules par des procédés que j’ai rendu publics, nous mettra, en augmentant la masse alimentaire, à l’abri des famines ou au moins de ce trafic scandaleux des blés du nord.

Puisqu’il est prouvé que toutes les fécules sont chimiquement identiques, on peut les employer pour la confection du pain, et cette application sera un immense bienfait que la science rendra aux malheureux. Il est important que tous les peuples sachent que la fécule est la base alimentaire contenue dans toutes les substances végétales employées pour la nourriture de l’homme ; qu’elles ne diffèrent entr’elles que par un léger goût dépendant d’une petite quantité d’huile essentielle qui n’a pas d’action sur l’organisation ; qu’ils sachent que le pain n’est nourrissant qu’en proportion de la quantité de fécule qu’il contient. En sorte que [4.1]le pain blanc de Paris ne nourrit que comme 50 p. 0/0 parce qu’il contient environ un tiers d’eau comme principe constituant, 17 p. 0/0 de matière indigestible et 50 de fécule.

L’étude des sciences fera cesser l’empire despotique des préjugés, et les inventeurs trouveront peut-être par la suite, dans la munificence nationale, les moyens de vivre honorablement au lieu de terminer leur carrière dans les hôpitaux comme cela ne s’est que trop vu jusqu’ici.

Serait-ce un pressentiment qui rendrait les aristocrates, c’est-à-dire les riches de tous les pays, si peu généreux en faveur des hommes créateurs ? Si une aussi cruelle prévoyance est de nature à soulever d’indignation contre leur égoïsme, il faut avouer qu’elle fait honneur à leur jugement et à leurs lumières, car rien n’est plus révolutionnaire que la science : elle tend à affranchir le pauvre en lui procurant une existence indépendante du bon plaisir.

gannal2.

Notes (RÉFLEXIONS)
1 Il est ici question des chimistes Nicolas Leblanc (1742-1806), Jérôme Dizé (1764-1852), Claude Louis Berthollet (1748-1822), Claude François Achard (1753-1809) et Téophile Kirchhoff (1764-1833).
2 Il s’agit sans doute du docteur Jean Nicolas Gannal (1791-1852), spécialiste réputé de l’embaumement.

 

 

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