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5 février 1834 - Numéro 28
 
 

 



 
 
    

Suite de l’Adresse

DES CHEFS D’ATELIERS ET OUVRIERS PASSEMENTIERS, ETC.

Il y a quelques années, le prix des façons des articles de rubans façonnés était, pour le :

n° 7. 2 fr.
n° 9. 2 fr. 75
n° 12. 3 fr. 50
n° 16. 5 f.
n° 22. 7 f.
n° 30. 10 fr.

pour la façon de chaque douzaine d’aunes de rubans fabriqués ; il est vrai de dire qu’alors il y avait peu de métiers à la Jacquard à St-Etienne, et que depuis cette époque, l’invention des battans à procédés, a facilité la fabrication. Les prix des façons de ces mêmes rubans, exécutés sur les mêmes métiers, étaient descendus d’une manière si effrayante pour les maîtres ouvriers, qu’ils ont cru devoir mettre une limite à l’abaissement des façons des articles de rubans façonnés que l’on pourrait leur commander. En conséquence ils sont convenus entre eux qu’ils demanderaient de la douzaine de rubans :

n° 7. 1 fr.
n° 9. 1 fr. 25
n° 12. 1 fr. 50
n° 16. 1 fr. 75
n° 22. 2 fr. 50
n° 30. 3 fr.

A ce prix, l’ouvrier compagnon gagnera, pour la moitié de ce qu’il aura tissé sur un de ces métiers, environ 1 fr. 70 c. à fr. par jour, et il ne restera au maître ouvrier possesseur des métiers, guère plus de 55 à 80 c. pour chacun des métiers qu’il aura ; sa moitié se trouvant diminuée d’environ 1 fr. par les divers frais qui sont à sa charge. Ainsi s’il a trois ou quatre métiers, il n’aura pas plus gagné que chacun des ouvriers qu’il aura employés, et aura eu à supporter tous les risques de la fabrication.

Dans des circonstances aussi critiques, sire, l’association des chefs d’ateliers et ouvriers de St-Etienne, tous possesseurs de plusieurs métiers, dont le moindre vaut de 800 à 1 000 francs, tous amis de l’ordre, du travail, de la tranquillité, ne peuvent être assimilés à d’hostiles coalitions d’ouvriers ; ils se croient libres de donner leur travail à un prix modéré, et de mettre une borne à l’abaissement successif des prix des façons, qui ne leur laisserait bientôt plus aucun moyen de pouvoir vivre en travaillant et élever leurs enfans.

Permettez-nous, sire, de vous faire observer qu’un des principaux vices de l’organisation sociale actuelle, est l’éloignement de la classe industrielle et ouvrière de toutes les assemblées où se discutent les intérêts de la fabrique ; et c’est en rappelant la bonne harmonie entre les fabricans, les chefs d’atelier et les ouvriers, que l’on peut espérer d’arriver au résultat de l’amélioration du sort des classes ouvrières, demandée par tous les gens de bien.

C’est du manque de communications entre les fabricans et les ouvriers, qu’est venue la première cause du mal qui existe presque dans toutes les branches d’industrie manufacturière de la France. Pour porter remède à cet état de choses, il nous semble urgent que les fabricans, à notre exemple, forment une association composée d’hommes désintéressés, amis de l’ordre et de la tranquillité. Des délégués, en nombre égal à ceux que nous nommerions, seraient choisis par cette commission, pour former un comité de famille, dans lequel seraient discutés les intérêts de toute la fabrique et le moyen de faire respecter les droits de chacun. [3.2]Cette réunion de tout ce que la fabrique offrirait de plus respectable et de plus éclairé, et reconnue par l’administration, qui pourrait être présidée par un des membres de la chambre du commerce, traiterait toutes les questions de travail et d’ordre ; chaque membre pourrait faire part de ses observations sur les moyens d’accroître la prospérité de nos manufactures, et l’ensemble des délibérations prises serait transmis à la chambre du commerce, de là à l’administration départementale, et enfin au gouvernement de votre majesté.

De ces communications fréquentes entre les fabricans et les ouvriers, il pourrait résulter une amélioration qui se trouve étouffée faute d’encouragement, et de précieuses données sur la position de la fabrique. Ainsi, s’agirait-il de signaler, pour la fabrication des rubans, quelques vices à faire disparaître, quelque amélioration ou perfectionnement à introduire, quelques encouragemens à donner, on aurait recours à ces commissions.

Vous voyez, sire, qu’il s’agirait que votre majesté conférât aux fabricans et aux ouvriers un droit d’élection ; on vous objectera que notre industrie est déjà dotée d’une chambre de commerce et d’un conseil de prud’hommes qui sont les juges naturels des fabricans et des ouvriers ; mais les ouvriers n’ont jusqu’à présent pas été appelés à faire partie des chambres consultatives et de commerce. Aux prud’hommes ils sont appelés à concourir à la composition de ce tribunal, en petite partie, encore est-il bon d’ajouter que ce tribunal est plutôt appelé à juger les discussions qui s’élèvent en matière de commerce entre les fabricans et les ouvriers qu’ils emploient.

L’exclusion à laquelle nous semblons être condamnés, est un des moyens dont on tire parti, pour nous prouver que nous sommes privés de tous moyens de nous défendre, et que la classe des manufacturiers et propriétaires riches est seule appelée à la représentation particulière et nationale. Du moment où des défenseurs, librement choisis parmi nous et parmi les fabricans, seront appelés à s’occuper de nos intérêts, à donner leurs avis sur les moyens d’améliorer l’industrie et les lois relatives à notre travail, le défi à nos passions cesserait, et toute coalition deviendrait impossible devant un droit légal ouvert à la raison.

Les ouvriers de St-Etienne sont amis de l’ordre et de la tranquillité, au maintien de laquelle ils sont intéressés aussi bien que les fabricans. Leur association n’a rien de politique qui puisse porter ombrage au gouvernement ; tous ses membres ont promis de s’aimer comme des frères et de verser tous les mois, une petite somme destinée à venir au secours des ouvriers qui seraient dans le besoin ; ils s’en autorisent ici pour vous présenter, sire, avec confiance un court résumé sur les principales questions dont il leur paraît urgent de s’occuper.

Le département de la Loire et la ville de St-Etienne se sont trouvés dans la position des localités, où le changement fréquent d’administrateurs a eu de fâcheux résultats, en ce qu’il a rendu inutiles les études faites par chacun d’eux ; et qu’il leur a été impossible de faire tout le bien qu’ils auraient pu obtenir, dès qu’ils connaissaient les besoins des habitans et surtout de ceux de notre cité manufacturière.

(La fin au prochain Numéro.)

 

 

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