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5 février 1834 - Numéro 28
 

 




 
 
     

ÉPHÉMÉRIDES LEGISLATIVES.

[1.1]CHAMBRE DES DÉPUTÉS. ? 1er février. Cette séance a été nulle à raison des obsèques de M. Dulong, qui ont empêché les députés d?y assister en nombre suffisant pour délibérer.

CHAMBRE DES PAIRS. 29 janvier. Discussion du projet de loi sur le conseil-d?état.

30. Suite de la discussion.

31. idem. La loi est rejetée par 91 voix contre 9.

ERRATUM DE L?ECHO DE LA FABRIQUE.

Dans le dernier N° de ce journal, à la lettre EDOUARD, p. 5, col. 2, lig. 2 du 2e §, il s?est glissé, une faute grave. On a mis dans votre N° 14 ; il faut lire dans le N° 14 de l?Echo des Travailleurs. Les lecteurs qui suivraient l?indication donnée par l?Echo de la Fabrique chercheraient long-temps. Est-ce que par hasard le rédacteur de ce journal ne se donne pas la peine de le lire ? Ce serait un peu fort.

LES TRAVAILLEURS ET LES CAPITALISTES.

L?économie politique, qui, lorsque les mots s?accorderont mieux avec les idées, et que la science elle-même aura fait de nouveaux progrès, s?appellera l?économie sociale, a maintenu le travail dans une condition tout-à-fait subalterne entre le capital et la production ; elle en a fait un agent aveugle et presque esclave. Les capitaux ne sont cependant que les instrumens de travail inventés par l?intelligence de l?homme et mis en ?uvre, animés en quelque manière par, ses mains et son habileté. Laissant de côté l?homme lui-même pour justifier l?état actuel de la société, fondé sur des priviléges de propriété, on a rattaché immédiatement la production au capital, en sautant par-dessus le travail, sans lequel ni la cause ni l?effet ne sauraient exister.

Entre ceux qui produisent, se place le capitaliste disposant de la production, qui n?est pas son ouvrage. C?est lui qui règle l?échange et qui fait les parts : il est tout simple qu?il prenne la meilleure. Il a un grand intérêt à séparer les producteurs, et, à force de les éloigner les uns des autres, il finit par leur persuader qu?il est 1?indispensable condition de leur existence.

Le prix réel d?un habit, d?une paire de souliers, d?un pain, tout ce que la nature demande de l?homme pour lui livrer ses produits, c?est une certaine quantité de travail ; mais après la nature vient le capitaliste qui exige encore du travailleur une plus grande quantité de travail. Avant d?avoir un habit, il faut qu?il paie un intérêt pour le mouton du fermier, un intérêt pour la laine du marchand, un intérêt pour les bâtimens et les machines du fabricant, un intérêt pour le capital du tailleur ; nous laissons de côté les salaires du travail réel, c?est évidemment la part la plus faible.

[1.2]Il est évident que les chefs du travail sont des travailleurs comme leurs ouvriers. Sous ce rapport, ils ont le même intérêt mais ils sont aussi capitalistes ou agens de capitalistes ; et sous ce rapport, leur intérêt est décidément opposé à celui des ouvriers. C?est ce double caractère des chefs du travail qui les sépare des ouvriers, distinction funeste, source de toutes leurs discussions. Le travail a besoin d?une direction active, intelligente, d?une surveillance éclairée ; mais il faut que cette action supérieure tienne toujours au travail et ne participe pas de l?oisiveté. Si les ouvriers s?insurgeaient contre leurs chefs et les chassaient, ils se feraient à eux-mêmes et à la société le plus grand tort. Ils doivent au contraire combiner leurs efforts avec leurs chefs par de mutuelles concessions, et se défendre ensemble contre les prétentions du capitaliste oisif.

Les combinaisons des ouvriers ne sont injustes que parce qu?elles ne comprennent pas tous les travailleurs, que parce qu?elles se trompent sur le but. Ils se tournent contre leurs chefs, avec lesquels ils devraient faire cause commune contre les capitalistes : la hausse du salaire ne doit être autre chose que la baisse des profits du capital. Le capital aura beau invoquer les droits acquis, s?entourer de lois répressives, il faudra qu?il cède ; et il ne faut pas croire que ce soit un présage de destruction pour la société, une situation particulière à notre époque : cette discussion a existé de tout temps. A mesure que la civilisation s?est développée, que la société a marché, la propriété des instrumens de travail a toujours été forcée de capituler avec l?intelligence et la force qui les emploient.

La lutte qui existe aujourd?hui entre les ouvriers et leurs chefs, entre deux branches d?une même famille, reprendra bientôt son vrai caractère : ce sera simplement la guerre du travail contre l?oisiveté ; elle ne sera ni cruelle ni longue. Il n?y a plus aujourd?hui de force physique, ni d?influence morale qui puisse empêcher que le pouvoir et la richesse n?appartiennent au travail.

Coalition des ouvriers tailleurs d?habits.

DISCOURS prononcé par grignon, l?un d?eux, le 25 janvier, a l?audience de la cour d?appel.

L?audience est ouverte à neuf heures. Grignon prononce le discours suivant :

Traduit aujourd?hui devant vous, comme un des moteurs les plus zélés de la coalition, et entouré d?inculpations aussi fausses qu?absurdes, mon honneur m?oblige de prendre la parole, pour vous analyser, avec franchise, ma conduite dans tous les actes et démarches qui me sont imputés. Loin de vouloir chercher mon salut dans des tours adroits, ni dans des réfutations habiles, je me suis proposé de vous détailler avec sincérité toutes les causes et circonstances qui peuvent s?attacher à mon accusation.

Que demandons-nous ? 2 f. d?augmentation sur cinq jours de travail, [2.1]plus de justice et d?égalité dans nos rapports avec les maîtres. Demande injuste, nous dira-t-on. Vous êtes les ouvriers les plus heureux de la capitale ; c?est-à-dire, qu?il est possible que nous soyons les moins malheureux ; mais le mal des uns guérit-il celui des autres ?

Nos bourgeois prétendent qu?en travaillant raisonnablement, nous pouvons gagner 4 fr. 50 c. à 5 f. par jour. Ils concluent par là que l?on peut faire un habit en 4 jours. Néanmoins, tout tailleur doit savoir qu?en travaillant quinze et seize heures par jour, il en faut cinq bien complets, ce qui ne fait pas 4 fr. par jour.

Ainsi, en prenant la moyenne du salaire d?un ouvrier tailleur, et en le répartissant sur tous les jours de l?année, les calculs les plus exacts établissent que l?ouvrier tailleur ne gagne, au plus que 2 fr. par jour. Vous savez, messieurs, comme on vit à bon marché dans Paris ; et vous devez comprendre maintenant tout le crime de ces ambitieux qui ont osé demander 2 fr. d?augmentation sur cinq jours de travail.

Si vous jugez, messieurs, que notre condition ne doit point s?améliorer, que nous jouissons de tout le bonheur auquel nous avons droit d?attendre, c?est un crime à nous d?exiger davantage ; mais si, au contraire, vous êtes forcé de convenir que nous sommes très malheureux, pourquoi nous blâmer de vouloir adoucir notre sort ? Est-il juste et raisonnable que les bourgeois qui nous exploitent fassent leur fortune en quelques années et vivent en grands seigneurs au milieu des superfluités, tandis que leurs ouvriers gémissent dans le plus affreux dénuement ?

Ne craignez-vous pas qu?avant qu?il soit long-temps, si l?on ne fait droit à nos réclamations, le cri des ouvriers de Lyon ne soit répété par les ouvriers de la capitale ?

Mais avant d?en venir à cette dernière extrémité, nous avons résolu d?épuiser tous les moyens légaux et pacifiques. ? Plus que personne, nous avons à redouter les perturbations sociales, bien moins fatales à ceux qui ont des capitaux ou des rentes pour parer aux crises du commerce et de l?industrie, qu?à ceux qui ne possèdent rien et attendent le pain du lendemain du travail de la veille. Voila pourquoi, messieurs, nous avons montré autant de prudence que de modération dans les moyens que nous avons employés pour obtenir justice ; vous en jugerez par l?exposé historique de notre association.

En 1831, à l?époque où l?industrie éprouva de si grands malheurs, les maîtres tailleurs, bien loin de compatir à nos souffrances, et de vouloir participer aux pertes communes, se coalisèrent pour regagner dans la diminution de nos salaires, ce qu?ils avaient perdu dans les diminutions des commandes. Cette coalition des maîtres ne fut nullement réprimée, quoiqu?ils aient fait courir des circulaires pour s?engager mutuellement à diminuer les prix. Ainsi, la crise qu?amena la révolution devait être supportée tout entière par les ouvriers. Ce n?était pas assez pour eux d?avoir beaucoup moins de travail qu?auparavant, il fallait encore que ce travail fut moins payé. C?est de là que nous vint l?idée de nous former en société, afin de mieux protéger à l?avenir les intérêts généraux de notre corporation.

Depuis long-temps, les ouvriers tailleurs se plaignaient de la modicité de leur salaire, et de l?exigence toujours croissante de leurs maîtres. Un des maîtres tailleurs augmenta le travail de certaines sans vouloir augmenter le prix ; la tyrannie qu?il exerçait sur ses ouvriers devenait tous les jours plus insupportable ; ceux-ci indignés résolurent non seulement de ne point se soumettre à ses exigences, mais encore de demander 2 fr. d?augmentation sur cinq jours de travail. Le maître, qui craignait de perdre ses ouvriers, et qui sentait, d?ailleurs la justice de leurs réclamations, accéda à leur demande.

C?est une chose bien remarquable, messieurs, que toutes les fois que nous avons demandé une augmentation de salaire, nos réclamations nous ont été toujours inspirées par l?incroyable despotisme de nos bourgeois, et, lorsqu?ils veulent, eux, nous faire subir une diminution.

Encouragés par ce succès, tous les ouvriers qui avaient les mêmes griefs et se trouvaient dans le même cas, suivirent cet exemple ; les mêmes réclamations retentirent dans les ateliers, et se propagèrent dans une partie des grandes maisons. C?est de ce moment que commencèrent les réunions. On résolut de former une commission ; le projet se réalisa : je fus élu président.

Avant d?aller plus loin, je vous prie, messieurs, de bien observer que la dureté d?un maître a été la seule étincelle qui ait mis tout en feu.

Il n?y a donc pas eu de moteurs, comme on l?a prétendu, dans notre coalition. On pouvait la prévoir depuis long-temps ; elle devait naître infailliblement de notre malheureuse position et de l?égoïsme de nos bourgeois.

C?est donc injustement que plusieurs d?entre nous ont été condamnés à des peines plus ou moins graves, pour avoir travaillé plus ou moins activement à la coalition. Troncin, par exemple, qui se trouvait président de la société philantropique, s?est tenu tout-à-fait en dehors du mouvement, et s?est renfermé strictement dans les bornes du réglement ; mais la société lui ordonna de prendre de nouvelles mesures, et de suivre le mouvement général ; il était de son devoir, de son honneur de ne point abandonner son poste et de rester dévoué à la volonté générale, dont il était le premier agent ; alors même qu?il eût eu une opinion contraire, il ne pouvait, sans se couvrir de honte, déserter ses fonctions.

Ces observations s?appliquent également à Morin, que le hasard seul mit en cause. Morin se trouvait à la commission, comme bien d?autres ; il était là pour voir ce qui se passait, et de quelle manière on défendait ses intérêts. Comme on le connaissait capable de tenir les écritures, on lui proposa cet emploi ; il l?accepta sans difficulté et sans craindre de se compromettre : car il savait que les maîtres s'étaient aussi coalisés, et ne pouvait s?imaginer que le gouvernement se mêlât de notre querelle et prît parti contre les ouvriers.

[2.2]Ce qu?il importe de constater ici, c?est qu?aucun des accusés n?ont poussé à la coalition, c?est que les ouvriers tailleurs sont assez avancés pour ne subir l?influence de personne ; qu?ils comprennent parfaitement leurs intérêts, et que leur intérêt seul a été le mobile de leur conduite. Vous trouverez l?immense majorité du corps d?état animée des mêmes sentimens que nous. Toutefois, si malgré l?évidence de ces raisons, il vous faut absolument un moteur, n?accusez que moi ; que tout retombe sur moi ; car c?est moi qui, en ma qualité de président, ai le plus travaillé à défendre les intérêts de mes camarades.

La commission fut chargée par ses mandataires de secourir les ouvriers sans travail, avec les fonds produits par la cotisation de ceux qui travaillent : elle devait régulariser le mouvement, le diriger avec sagesse et éviter avant tout la confusion et les rassemblemens.

Bien loin de forcer les ouvriers à quitter leurs ateliers, son premier soin fut, au contraire, de modérer l?élan général, et d?empêcher surtout qu?on ne fit grève dans trop de maisons à la fois : si elle s?était laissé maîtriser par l?impulsion générale, tous les ateliers de Paris eussent été évacués dans deux ou trois jours. Pendant quinze jours notre attitude nous donna les plus heureux résultas. Soixante-dix à quatre-vingt bourgeois avaient fait droit à nos réclamations : le reste était sur le point de les suivre, et tout allait finir sans bruit, lorsque cinq à six maîtres s?avisèrent de réunir un grand nombre de leurs confrères pour s?engager à ne pas céder à nos justes réclamations. Cette décision excita les ouvriers, loin de les arrêter, et les ateliers devinrent de plus en plus déserts.

Dans ces circonstances, la commission prévoyant que notre position allait devenir très embarrassante, et qu?enfin la misère pouvait nous forcer de céder à nos maîtres, la commission, dis-je, crut devoir alors consulter la volonté générale, résolue qu?elle était de ne rien faire que de l?assentiment de tous. Elle prit le parti de convoquer les ouvriers, de leur faire un rapport sur la position du corps d?état, et de leur demander de nouvelles instructions. La réunion eut lieu ; nous étions plus de trois mille. La question suivante fut posée : Resterons-nous dans nos ateliers sans augmentation de salaire, ou persisterons-nous dans nos réclamations ? Nous persisterons, répondit l?assemblée d?une voix unanime. Dès que la volonté générale fut bien constatée, la commission se hâta de prendre les mesures les plus sages pour concilier les intérêts présens des ouvriers avec l?amélioration future qu?une attitude ferme pouvait leur procurer.

Notre premier soin fut de créer une police destinée à maintenir le bon ordre, tant à l?intérieur qu?à l?extérieur des lieux de réunion ; les ouvriers qui étaient de service devaient empêcher qu?aucun étranger ne s?insinuât parmi nous, et qu?il ne se formât aucun groupe au-dehors, afin de ne fournir aucun prétexte à l?intervention de la police.

Nos calomniateurs ont osé dire que la commission avait décidé que l?on battrait les ouvriers qui ne se conformeraient pas à ces instructions. Je défie l?accusation d?administrer la moindre preuve a cet égard, je défie nos ennemis de venir nous soutenir en face cette infame calomnie.

Messieurs, s?il y a eu des voies de fait, on ne peut les attribuer qu?à des querelles particulières, dont la commission ne peut être responsable. Du reste, ces voies de fait étaient de peu de gravité. Pendant que la commission travaillait avec activité à remplir le mandat qu?elle avait reçu dans l?assemblée générale, les maîtres se coalisaient de leur côté, se mettaient en rapport avec la police, entassaient dans les journaux calomnie sur calomnie, et travaillaient par leurs agens à mettre la discorde parmi nous. Dès-lors on put voir quelle serait l?issue de la querelle. D?un côté, des ouvriers rongés par la misère, calomniés, persécutés ; de l?autre, des bourgeois riches, unis par l?égoïsme, soutenus et protégés par la police.

De ce moment, je ne doutai plus que j?étais poursuivi très activement par la police. Je ne restai plus si assidûment à la réunion, rue de Grenelle St-Honoré. Je n?avais pas pour cela abandonné le poste que l?on m?avait confié : je continuai à remplir mes fonctions. Mais dans une réunion où je ne me trouvai pas, on crut que je ne remplissais plus mes fonctions. Il est encore plus probable qu?il s?y trouvait des maîtres tailleurs, qui exigeaient que nous nous trouvions, mes collègues et moi, réunis, le lendemain matin, à la commission. C?est de cette réunion qu?émane cette pièce transcrite dans l?une des pièces du procès, par laquelle il était dit que Grignon garderait ses fonctions jusqu?à ce qu?il fût arrêté. Le lendemain on pensait que cette décision m?aurait déterminé à me trouver au rendez-vous de cette réunion, et que j?y serais arrêté ; car la police s?y était rendue pour arrêter la commission.

L?arrestation qui se fit produisit sur le corps d?état un effet contraire à celui qu?on s?en était promis. Les ouvriers, d?un mouvement spontané, augmentés ou non, quittèrent en masse les ateliers, disant qu?ils ne travailleraient que quand on aurait élargi leurs camarades. Il ne fallait rien moins que la prudence de la nouvelle commission qu?on venait d?élire, pour les décider à rentrer dans les ateliers. Quelque temps après, notre coalition tomba ; nous fûmes forcés de céder à la détresse, aux persécutions de la police et à la puissante coalition des maîtres.

Je me résume : les ouvriers tailleurs sont obligés, pour vivre misérablement, de se livrer à un travail excessif et continuel ; ils ne se nourrissent que d?alimens grossiers, ils se logent dans des greniers sales et incommodes, ils ne participent à aucune jouissance de la vie : si jamais ils s?avisent de chercher quelques distractions à leurs souffrances, ils sont obligés, pour couvrir cette dépense, de se priver des objets de première nécessité. Ce n?est pas tout, ils ont encore à supporter les injures et le profond mépris de ceux qu?ils enrichissant par leur travail ; et ce qui ajoute à tous ces maux, ce qui rend la vie à charge, c?est l?idée que cet état de misère et d?infamie doit durer autant que nous.

Etonnez-vous après cela de voir parmi nous quelques ouvriers débauchés et menant une conduite irrégulière : croyez-vous qu?il ne [3.1]faille pas du courage et de la persévérance pour se maintenir honnêtes et vertueux dans une affreuse condition ? Riches, vous pourriez dormir tranquilles et certains de continuer votre productive exploitation, si nous étions tous des débauchés, des hommes immoraux, car ce ne sont pas ceux-là qui s?occupent de leur instruction et de leur émancipation. Il n?y a que les ouvriers sages et vertueux qui connaissent leurs droits, leurs dignités, qui sentent toute l?horreur de leur sort et qui cherchent à l?améliorer progressivement, en attendant que nous arrivions à un affranchissement complet. Eh bien ! messieurs, je suis au nombre de ces derniers, car je souffre cruellement, non-seulement, de mes maux, mais encore de ceux de mes frères. Messieurs, nous nous sommes réunis paisiblement pour faire valoir nos réclamations ; nous n?avons nullement troublé la tranquillité publique, nous nous sommes coalisés pour résister à la coalition continuelle des maîtres, nous avons fait ce qu?avaient fait et ce que font nos maîtres. Vous allez nous apprendre s?il y a deux codes en France, l?un pour les riches et l?autre pour les pauvres. Vous allez nous apprendre si, dans ce siècle de lumière et de civilisation, la prison est la seule réponse qu?on fasse aux malheureux qui invoquent la justice et l?humanité.

Suite de l?Adresse

DES CHEFS D?ATELIERS ET OUVRIERS PASSEMENTIERS, ETC.

Il y a quelques années, le prix des façons des articles de rubans façonnés était, pour le :

n° 7. 2 fr.
n° 9. 2 fr. 75
n° 12. 3 fr. 50
n° 16. 5 f.
n° 22. 7 f.
n° 30. 10 fr.

pour la façon de chaque douzaine d?aunes de rubans fabriqués ; il est vrai de dire qu?alors il y avait peu de métiers à la Jacquard à St-Etienne, et que depuis cette époque, l?invention des battans à procédés, a facilité la fabrication. Les prix des façons de ces mêmes rubans, exécutés sur les mêmes métiers, étaient descendus d?une manière si effrayante pour les maîtres ouvriers, qu?ils ont cru devoir mettre une limite à l?abaissement des façons des articles de rubans façonnés que l?on pourrait leur commander. En conséquence ils sont convenus entre eux qu?ils demanderaient de la douzaine de rubans :

n° 7. 1 fr.
n° 9. 1 fr. 25
n° 12. 1 fr. 50
n° 16. 1 fr. 75
n° 22. 2 fr. 50
n° 30. 3 fr.

A ce prix, l?ouvrier compagnon gagnera, pour la moitié de ce qu?il aura tissé sur un de ces métiers, environ 1 fr. 70 c. à fr. par jour, et il ne restera au maître ouvrier possesseur des métiers, guère plus de 55 à 80 c. pour chacun des métiers qu?il aura ; sa moitié se trouvant diminuée d?environ 1 fr. par les divers frais qui sont à sa charge. Ainsi s?il a trois ou quatre métiers, il n?aura pas plus gagné que chacun des ouvriers qu?il aura employés, et aura eu à supporter tous les risques de la fabrication.

Dans des circonstances aussi critiques, sire, l?association des chefs d?ateliers et ouvriers de St-Etienne, tous possesseurs de plusieurs métiers, dont le moindre vaut de 800 à 1 000 francs, tous amis de l?ordre, du travail, de la tranquillité, ne peuvent être assimilés à d?hostiles coalitions d?ouvriers ; ils se croient libres de donner leur travail à un prix modéré, et de mettre une borne à l?abaissement successif des prix des façons, qui ne leur laisserait bientôt plus aucun moyen de pouvoir vivre en travaillant et élever leurs enfans.

Permettez-nous, sire, de vous faire observer qu?un des principaux vices de l?organisation sociale actuelle, est l?éloignement de la classe industrielle et ouvrière de toutes les assemblées où se discutent les intérêts de la fabrique ; et c?est en rappelant la bonne harmonie entre les fabricans, les chefs d?atelier et les ouvriers, que l?on peut espérer d?arriver au résultat de l?amélioration du sort des classes ouvrières, demandée par tous les gens de bien.

C?est du manque de communications entre les fabricans et les ouvriers, qu?est venue la première cause du mal qui existe presque dans toutes les branches d?industrie manufacturière de la France. Pour porter remède à cet état de choses, il nous semble urgent que les fabricans, à notre exemple, forment une association composée d?hommes désintéressés, amis de l?ordre et de la tranquillité. Des délégués, en nombre égal à ceux que nous nommerions, seraient choisis par cette commission, pour former un comité de famille, dans lequel seraient discutés les intérêts de toute la fabrique et le moyen de faire respecter les droits de chacun. [3.2]Cette réunion de tout ce que la fabrique offrirait de plus respectable et de plus éclairé, et reconnue par l?administration, qui pourrait être présidée par un des membres de la chambre du commerce, traiterait toutes les questions de travail et d?ordre ; chaque membre pourrait faire part de ses observations sur les moyens d?accroître la prospérité de nos manufactures, et l?ensemble des délibérations prises serait transmis à la chambre du commerce, de là à l?administration départementale, et enfin au gouvernement de votre majesté.

De ces communications fréquentes entre les fabricans et les ouvriers, il pourrait résulter une amélioration qui se trouve étouffée faute d?encouragement, et de précieuses données sur la position de la fabrique. Ainsi, s?agirait-il de signaler, pour la fabrication des rubans, quelques vices à faire disparaître, quelque amélioration ou perfectionnement à introduire, quelques encouragemens à donner, on aurait recours à ces commissions.

Vous voyez, sire, qu?il s?agirait que votre majesté conférât aux fabricans et aux ouvriers un droit d?élection ; on vous objectera que notre industrie est déjà dotée d?une chambre de commerce et d?un conseil de prud?hommes qui sont les juges naturels des fabricans et des ouvriers ; mais les ouvriers n?ont jusqu?à présent pas été appelés à faire partie des chambres consultatives et de commerce. Aux prud?hommes ils sont appelés à concourir à la composition de ce tribunal, en petite partie, encore est-il bon d?ajouter que ce tribunal est plutôt appelé à juger les discussions qui s?élèvent en matière de commerce entre les fabricans et les ouvriers qu?ils emploient.

L?exclusion à laquelle nous semblons être condamnés, est un des moyens dont on tire parti, pour nous prouver que nous sommes privés de tous moyens de nous défendre, et que la classe des manufacturiers et propriétaires riches est seule appelée à la représentation particulière et nationale. Du moment où des défenseurs, librement choisis parmi nous et parmi les fabricans, seront appelés à s?occuper de nos intérêts, à donner leurs avis sur les moyens d?améliorer l?industrie et les lois relatives à notre travail, le défi à nos passions cesserait, et toute coalition deviendrait impossible devant un droit légal ouvert à la raison.

Les ouvriers de St-Etienne sont amis de l?ordre et de la tranquillité, au maintien de laquelle ils sont intéressés aussi bien que les fabricans. Leur association n?a rien de politique qui puisse porter ombrage au gouvernement ; tous ses membres ont promis de s?aimer comme des frères et de verser tous les mois, une petite somme destinée à venir au secours des ouvriers qui seraient dans le besoin ; ils s?en autorisent ici pour vous présenter, sire, avec confiance un court résumé sur les principales questions dont il leur paraît urgent de s?occuper.

Le département de la Loire et la ville de St-Etienne se sont trouvés dans la position des localités, où le changement fréquent d?administrateurs a eu de fâcheux résultats, en ce qu?il a rendu inutiles les études faites par chacun d?eux ; et qu?il leur a été impossible de faire tout le bien qu?ils auraient pu obtenir, dès qu?ils connaissaient les besoins des habitans et surtout de ceux de notre cité manufacturière.

(La fin au prochain Numéro.)

M. williams, oculiste honoraire de LL. MM. Louis-Philippe Ier, roi des Français, et Léopold Ier, roi des Belges.

Au Rédacteur.

Lyon, 24 janvier, 1834.

Monsieur !

Vous avez vu par ma lettre ci-jointe que j?eus l?honneur d?adresser à M. le procureur du roi, le 24 du courant, que j?exprimais mon étonnement sur les étranges observations de M. le commissaire de police ; mais j?ai été encore bien plus étonné, ce matin, d?entendre M. Favre, juge d?instruction, me demander mes diplômes. Je lui en ai présenté treize. Il ne voulut pas même consentir à les regarder, en disant : Je demande seulement votre diplôme d?oculiste. Je lui répondis : Cette formalité est impossible à remplir ; car il n?existe pas en Angleterre et en France un oculiste qui puisse produire un diplôme comme oculiste. J?ajoutai que ce manque de formalité n?était pas inconnu de S. M. Louis-Philippe, qu?en conséquence il avait donné ses ordres pour qu?on m?envoie le plus promptement possible le brevet d?oculiste honoraire du roi pour me prouver sa royale protection.

[4.1]Le juge me répondit que le roi n?avait pas le droit, de me protéger comme oculiste. Ses paroles m?étonnèrent. Je suis fâché de n?avoir pas demandé à M. Favre s?il désirait que je communique cette observation à sa Majesté. Voila, Monsieur, la pure vérité. Peut-être, comme étranger, ai-je mal compris ses intentions, mais je crois bon de vous en rendre compte.

Il a consenti seulement à prendre pour document, en ma faveur : l° le brevet du roi ; 2° l?arrêt de la cour royale de Paris, rendu en ma faveur en 1815 ; 3° celui de la cour de Valenciennes en 1828 ; 4° celui de la cour royale de Rouen, le 18 mai 1833 ; 5° celui de la cour royale de Paris, du mois d?octobre dernier. J?ai été toujours renvoyé de tous ces jugemens sans amende et sans dépens.

Sans doute, M. Favre désire montrer à sa Majesté qu?il est plus rempli de connaissance des lois que MM. les juges nombreux, les plus sages et les plus justes de France, qui se sont prononcés en ma faveur depuis près de 20 ans.

Agréez, etc.

john WILLIAMS.

M. clermont fils ouvrira dimanche prochain, 9 février, et continuera tous les dimanche et jeudi à 11 heures du matin, dans la salle de la société d?agriculture au palais des Arts, place des Terreaux, un cours public et gratuit de calcul différentiel et intégral.

? M. ..... vient d?ouvrir rue de la Loge, n. 4, un cours élémentaire de droit. Les leçons seront publiques et gratuites jusqu?au lundi, 10 février courant.

L?Écho de la Fabrique annonce que son nouveau gérant, M. Matrod n?a pas été accepté par l?autorité, attendu sa qualité d?étranger non naturalisé.

? Le défaut d?espace nous force de renvoyer au prochain numéro la lettre de MM. Grillet et Troton en réponse à celle de M. Chapeau et la réplique de ce dernier.

AVIS URGENT A TOUS LES PROPRIETAIRES.

Lundi prochain, 10 février, toutes les servitudes établies sur des maisons, ou héritages quelconques seront prescrites et acquises à ceux qui en profitent. Pour éviter cette prescription, les propriétaires qu?elles grèvent doivent de suite s?adresser à l?huissier de la justice de paix dans le ressort de laquelle demeure le propriétaire auquel ils veulent contester une servitude, ou à un homme d?affaires de leur choix.

considérations sur les théâtres

(Suite)

Mais depuis l?empire et la restauration, quelle a été la destinée du théâtre ? nulle. Quelle noble pensée est venue féconder la muse tragique ou comique ? aucune. Qu?ont-ils fait ces auteurs débarrassés des entraves de l?ancien régime ? rien. Qu?ont-ils voué à la gloire ou au mépris ? rien. La littérature abâtardie sous l?empire, s?est agenouillée devant le despote, et l?a encensé servilement. Sous la monarchie restaurée, même abaissement, même torpeur ; et alors que des ames généreuses élevaient leurs voix désapprobatrices contre des vices et des abus renaissant, la littérature s?enrichissait de ses largesses, grimpait au pouvoir, se chamarrait de rubans, s?endormait au fauteuil académique et ne produisait que des ouvrages sans vie et sans postérité. Enfin, depuis la révolution de 1830, qu?ont-ils créé ? qu?ont-ils inventé ? inventer, eux ? dérision ! mais pour nos dramaturges modernes, le théâtre n?est qu?un tréteau sur lequel on fait apparaître tout ce qui fut jadis grand et beau, et pourquoi ? pour l?avilir et 1e bafouer. Croyances historiques, morales ou religieuses, hommes et femmes célèbres, de toutes les époques, fameux dans le clergé, sur le trône, dans l?armée, la magistrature ou l?administration, tous ces personnages se montrent bien dans leurs anciens costumes ; mais parlent un langage bizarre, cynique, révoltant. L?adultère et la prostitution, l?inceste, le vol et l?assassinat sont des gracieux auxiliaires des auteurs contemporains. Les chefs de la littérature, Victor Hugo, Alexandre Dumas, Ancelot1, n?ont pas un ouvrage qui ne sue le crime. Faut-il des preuves à mes critiques amères ? Venez, noble perle du théâtre Français, venez vous, jadis si charmante, si suave de simplicité, de candeur et d?amour, venez nous dire si c?est bien vous que l?on retrouve dans cette Clotilde2, dans cette femme infame, dénonçant son amant comme assassin, son amant qu?elle adore, alors qu?elle le sait voleur et meurtrier. Et cependant Clotilde est la première pièce de notre premier théâtre ; si toutefois il est encore le premier.

[4.2]Aimez-vous mieux l?incestueuse Thérésa, ou les crimes de la Tour de Nesle3? choisissez ? la première vous offre tout ce que l?imagination peut inventer de plus contraire à nos m?urs, le second tout ce que l?histoire nous raconte de plus licencieux et de plus sanglant. De plus licencieux, ai-je dit, de plus sanglant ; mais Lucrèce Borgia4 n?est-elle pas là, pour me démentir et pour réclamer la palme de l?infamie et de l?empoissonnement ? Et c?est Victor Hugo, c?est ce beau génie, qui s?égare dans ces routes boueuses et sanguinolentes ! et un premier, un second essai ne l?éclairent pas, ne le ramènent pas dans la bonne voie ? soit donc, soit ; mais s?il en est ainsi, laissons la critique sérieuse, ne raisonnons plus et employons le style goguenard et pantagruelique.

Belles dames aux oreilles chastes aux regards purs, qui voulez assister à ces atroces bouffonneries, faites ample provision de coton pour murer vos oreilles, emportez un éventail gigantesque pour cacher à vos yeux ces cent coups de poignards, ces mille coupes empoisonnées. Et si je m?adresse à vous, mesdames, c?est que presque partout vous êtes les héroïnes de l?adultère, de l?inceste et du poison.

Chaque soir, depuis la porte Saint-Denis jusqu?au boulevard du Temple, ce n?est que cris de mort et derniers soupirs. En passant devant la porte Saint-Martin, on entend balbutier : Au secours ! je me meurs !? Devant l?Ambigu-Comique, on hurle : Infame Assassin !?, Dieu ! c?est mon fils !? et devant la Gaieté, on vocifère à pleine gorge : Tuez !? tuez !? du sang !? du sang !? Partout la mort avec ses convulsions et son agonie, partout le ralement des moribonds empoisonnés, étranglés, poignardés. Vive Dieu ! si c?est là de la tragédie ou de la comédie, que faisaient donc ce farceur de Molière et ce polisson de Racine ?

(La suite au prochain Numéro.)

paris. ? M. Dulong n?était pas le gendre, mais seulement le parent de M. Dupont de l?Eure. Il n?est pas mort sur le coup, ainsi que nous l?avions dit, il n?est décédé que le lendemain à 6 heures du matin ; Ses obsèques ont eu lieu, le 1er février, dans le plus grand ordre et avec une manifestation républicaine qui en a imposé aux perturbateurs. On assure que le bal de la cour n?a pas été contremandé pour le jour de la mort de M. Dulong. Le président de la chambre des députés a prévenu que celui qu?il devait donner n?aurait pas lieu.

mallix (Ain). Le Typhus continue ses ravages.

portugal. ? Saldanha, général de don Pédro, est entré le 15 janvier dernier à Leiria, qui est la troisième ville de ce royaume.

? Le choléra fait de grands ravages à Santarem, où se trouve don Miguel.

espagne. ? La guerre civile continue. ? Le mouvement libéral se propage. ? On annonce la convocation des Cortès.

indes (Grandes). ? La Bibliothèque Populaire y est en ce moment traduite en deux langues à fur et mesure que les livraisons paraissent. (V. l?Echo N° 20 et 27).

savoie. ? Une nouvelle tentative est faite en ce moment pour l?affranchissement de cette belle contrée qui se souvient d?avoir, été française. Les héroïques débris de la Pologne y prennent une part active. Rien ne peut exprimer l?enthousiasme des populations genevoise et savoisienne. Une première colonne est entrée à St-Julien, Une insurrection vient d?éclater sur plusieurs points du Chablais, du Faucigny et de l?intendance de St-Julien. On annonce le départ de plusieurs patriotes lyonnais et grenoblois pour prendre part à cette révolution.

LYON. ? M. reverchon a interjeté appel du jugement du trib. de police correctionnelle, que nous avons rapporté dans le dernier numéro.

cancans.

Plusieurs boulangers nous ont fait remarquer que depuis quelque temps l?Echo de la Fabrique était dans le pétrin.

Si jamais l?Echo de la Fabrique tombe dans l?eau, les crocheteurs ont juré de le laisser noyer.

COSTUMES DE BAL.

M. ballefin esprit, rue St-Côme, n° 4, à l?entresol, tient un assortiment de costumes pour bals, neufs, dans tous les genres.

Notes (considérations sur les théâtres)
1 Jacques Arsène François  Ancelot (1794-1854), dramaturge et écrivain français.
2 Il s?agit ici de Clotilde, drame de Frédéric Soulié (1800-1847) et Adolphe Bossange (1797-1862).
3 La Tour de Nesle et Teresa étaient des pièces d?Alexandre Dumas (1802-1870).
4 Lucrèce Borgia, pièce de théâtre de Victor Hugo (1802-1885), présentée pour la première fois en 1833.

 

 

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