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8 février 1834 - Numéro 29
 
 

 



 
 
    
M. PRUNELLE

ET L?ECHO DES TRAVAILLEURS.

Nous avons enfin obtenu la permission de faire poser des affiches pour annoncer la création de l?echo des travailleurs. Raconter toutes les difficultés que nous avons éprouvées, énumérer nos courses pour arriver à ce résultat, serait aussi ennuyeux pour les lecteurs qu?il a été fastidieux pour nous de nous y soumettre. Mais nous ne pouvons passer complètement sous silence les obstacles que nous avons eu à surmonter ; car l?intérêt général de la presse, et même celui du commerce, se confondent dans cette circonstance avec le nôtre. Il s?agit de savoir, et nous portons cette question au tribunal de l?opinion publique, il s?agit de savoir s?il dépend d?un maire de s?opposer à la publicité d?une entreprise commerciale, et cela pour son bon plaisir, sans être tenu de donner aucune raison et sans qu?il reste aux citoyens aucun recours contre une décision arbitraire.

Nous devons dire, parce qu?il faut rendre justice à chacun, que nous n?avons triomphé de l?obstination de M. Prunelle que par l?intervention, éclairée et soutenue de M. le préfet. Que serait-il arrivé si ce fonctionnaire avait épousé les idées étroites et illégales de M. le maire ?

Nos placards sont, chacun peut en juger, on ne peut plus inoffensifs. Impossible à l?autorité la plus méticuleuse de les blâmer dans leur rédaction ; c?est donc bien à l?entreprise même que M. Prunelle voulait s?opposer. Nous allons raconter les faits en peu de mots : Ayant soumis, au mois de novembre dernier, à M. Prunelle, un exemplaire de ces placards pour qu?il y mit son permis d?afficher, nous fûmes étrangement surpris lorsqu?il nous fut rendu avec ces mots écrits de la main même de cet administrateur : Refusé, en conformité de l?art. 1er de la loi du 10 décembre 1830. Nous recourûmes [1.2]à cette loi et nous vîmes qu?elle ne contenait d?autre prohibition que d?afficher des écrits, des nouvelles politiques, des proclamations, ce qui est en effet naturel ; mais pouvait-on, sans sortir des limites du sens commun, assimiler l?annonce d?un ouvrage politique, d?un journal quelconque, à des écrits, des nouvelle politiques ? Telle était la question. Notre gérant et notre rédacteur en chef se rendirent à la mairie ; ils trouvèrent M. Prunelle inflexible. Pourvoyez-vous auprès de M. le préfet, qu?il casse mon arrêté. Ce fut sa seule réponse.

Une pétition fut présentée à M. le préfet. Ce magistrat s?empressa d?écrire à M. le maire, mais ce dernier persista dans sa volonté qu?un raisonnement quelconque était cependant loin d?étayer. Lassés d?attendre en vain, nous demandâmes à M. le préfet qu?il lui plût de casser l?arrêté du maire. Etrange anomalie ! des citoyens obligés de demander au représentant du pouvoir exécutif, protection contre le représentant du pouvoir municipal. Ici nous fûmes arrêtés par un incident auquel on est loin de s?attendre. En vertu de quelle loi, nous répondit M. Gasparin, le droit d?afficher est-il soumis au visa de MM. les maires ? Je n?en connais pas : comment youlez-vous que je casse l?arrêté que vous me dénoncez ? Des recherches faites par plusieurs jurisconsultes n?amenèrent aucun résultat. Le conseil nous fut même donné de sommer, par huissier, M. le maire de donner son visa, et, en cas de refus, d?afficher et d?attendre le procès qui nous serait fait. Ce conseil, nous allions le suivre ; mais, voulant épuiser auparavant toutes les voies pacifiques, nous nous adressâmes à M. le préfet, en lui demandant non plus de casser l?arrêté du maire, puisqu?il y répugnait, mais de nous autoriser lui-même à faire afficher dans toute l?étendue du département. Voici sa réponse :

Lyon, le 25 janvier 1834.
Monsieur,
Dans la lettre que vous m?avez fait l?honneur de m?écrire hier, vous me demandez l?autorisation de faire placarder, dans l?étendue du département, une affiche par laquelle vous annoncez la publication de l?Echo des Travailleurs.
Cette affiche, dont un exemplaire était joint à votre lettre, ne me paraît rien contenir qui soit de nature à empêcher que vous ne la fassiez placarder. Mais il n?existe, à ma connaissance, aucune disposition législative de laquelle on puisse tirer l?induction que je sois en droit de vous accorder ou de vous refuser l?autorisation que vous réclamez.
Recevez, monsieur, l?assurance de ma parfaite considération.
Le conseiller d?état, préfet du Rhône, GASPARIN.

Dans l?entrevue que nous eûmes alors avec M. Gasparin, il nous engagea à tenter une dernière démarche pour vaincre l?obstination de M. Prunelle. Nous suivîmes cet avis, et, en remettant un second exemplaire de notre affiche avec la lettre ci-dessus de M. le préfet, [2.1]nous prévînmes M. le secrétaire de la mairie de nos dispositions à passer outre en cas de refus et à appeler enfin sur cette affaire l?investigation de toute la presse, intéressée comme nous au triomphe de la légalité et du bon sens. Nous ne savons si c?est à ces menaces dont M. Prunelle a pu sentir la portée, ou si c?est à un retour de justice dû à sa conscience d?homme privé, que nous avons obtenu cette permission que l?arbitraire seul pouvait refuser.

Nous devions ce narré qui précède, soit pour expliquer le retard de la pose de nos affiches, soit pour prévenir, par la publicité, le renouvellement de semblables vexations. Nous avons fait notre devoir.

 

 

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