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15 février 1834 - Numéro 30
 

 




 
 
     

[1.1]CHAMBRE DES DÉPUTÉS1. ? février. Rapport de M. Paixhans, du projet de loi sur l?état des offîciers ; conclut à son adoption. ? Suite de la discussion sur l?augmentation de la gendarmerie dans l?Ouestl?Ouest. Des pouvoirs judiciaires seront confiés aux simples BRIGADIERS. À l?égard de ceux-ci, l?article n?est adopté que par 161 contre 141. ? La loi est votée ensuite : 212 contre 57.

février. ? M. Dupont de l?Eure envoie sa démission ; il la motive sur la mort de son parent et ami Dulong, et sur ce que le gouvernement et les chambres oubliant leur commune origine, s?éloignent de la révolution de juillet pour revenir aux traditions et aux hommes de la restauration ; il se plaint de l?état de siège de la capitale (juin 1832), de la captivité illégale de la duchesse de Berry, d?un budget énorme, d?une armée de 400,000 hommes qui ne donne ni la paix, ni la guerre, etc. M. Laffite développe sa proposition sur le dessèchement des marais ; elle est prise en considération, malgré le comte Joubert qui croit la propriété compromise. ? Discussion du projet de loi sur les CRIEURS PUBLICS. M. Garnier-Pagès prononce un éloquent discours contre ; il est appuyé par MM. de Sade, Salverte, général Bertrand général, et combattu par MM. Fulchiron, etc.

février. ? Suite de cette discussion. Discours remarquable de M. Cabet. MM. Chapuis-Montlaville et Odilon-Barrot attaquent ce projet, qui est défendu par MM. Viennet, Mahul, Persil, etc.

février. ? Suite. M. Persil ayant dit que tous les honnêtes gens demandaient cette loi, est forcé par Garnier-Pagès de se rétracter. ? On repousse tous les amendemens, et notamment celui de MM. Auguis et Anglade qui demandent qu?on excepte les journaux ayant cautionnement et gérant responsable, et celui de M. Laurence qui demande avec M. Auguis le renvoi des contrevenans devant la cour d?assises. ? On adopte celui de M. Defailly qui étend aux chanteurs publics les dispositions de cette loi. L?art. 5, qui assujettissait au timbre les écrits de 2 feuilles et au-dessous, est rejeté. ? La loi est votée par 212 contre 122. ? M. Corcelles l?a appelée publiquement loi d?amour.

février.? Discussion de la proposition relative à M. Cabet. Ce député se défend avec talent et énergie. La majorité accorde l?autorisation de le poursuivre demandée par M. Persil. ? M. Amilhau fait le rapport d?un grand nombre de pétitions demandant la réforme électorale. La chambre passe à l?ordre du jour presque sans discussion. ? MM. Cabet et d?Argout, qui avaient échangé des paroles très vives, viennent déclarer qu?ils n?ont pas eu l?intention de s?offenser personnellement.

10 février. ? Le ministre des finances communique plusieurs projets de loi de simple administration. ? Discussion du projet de loi sur la liquidation de l?ancienne liste civile.Le garde-des-sceaux apporte le projet de loi sur l?organisation du conseil-d?état adopté par l?autre chambre. ? M. Réalier-Dumas lit sa proposition sur l?impôt des boissons.

10 février. ? Suite de la discussion du projet de loi sur la liquidation, etc.

Fabrique Lyonnaise.

Depuis quelques mois, le prix élevé des soies, suite d?une spéculation qui est loin, selon nous, d?être licite, et la diminution des commandes ont affligé l?industrie de la classe la plus nombreuse des travailleurs lyonnais. Ceux-ci ont supporté et sont encore disposés à supporter cet état de choses avec patience, parce qu?ils sont justes, et ne voudraient pas rendre les négocians responsables d?événemens indépendans de leur volonté ; aussi quelle que fût la misère, point de plaintes ne s?étaient [1.2]élevées jusque il y a peu de jours. Ces plaintes ont bientôt pris un caractère alarmant, et la situation est devenue tellement grave, que, depuis hier, la fabrication totale des étoffes de soie a été arrêtée. Nous devons raconter les faits pour mettre au courant de ce qui se passe l?autorité et les citoyens étrangers à la fabrique.

Au milieu de la stagnation des affaires, produite par les causes énoncées ci-dessus, deux articles seulement se sont soutenus, les châles et les peluches pour chapeaux. C?est cependant, le croirait-on ! sur ces deux articles que certains négocians, que nous nous abstiendrons de nommer, ont voulu opérer des rabais. Les châles ont été réduits par eux de 85 à 90 centimes le mille, prix auquel ils étaient fixés à 75 c. Les peluches dont l?aune se payait, il y a quelques années, 5 et même 6 francs, ne se payent plus aujourd?hui que 2 fr, 50 cent, à 3 fr., selon les réductions ; et c?est sur ce salaire aussi restreint, duquel il reste en définitif à peine 40 cent, par jour par chaque métier au chef d?atelier, que des négocians égoïstes ont voulu faire peser une diminution nouvelle de 25 cent, par aune. Pouvait-on le supporter ?

La société mutuelliste a compris sa tâche en cette circonstance, et 700 ou 800 métiers de peluches ont cessé de battre : tous ceux de la maison, qui la première avait diminué l?article châle, ont également été arrêtés, il y a de cela sept ou huit jours. Des pourparlers ont eu lieu ; on demandait à cette maison de reporter ses prix à 80 cent., et aux négocians en peluches de rétablir les prix payés, il y a quelque temps. Ces propositions, certes très raisonnables, n?ont pas été écoutées.

Une résolution grave, désespérée, a été prise. ON A ARRÊTÉ LA TOTALITÉ DES MÉTIERS.

Etrangers pour la plupart au mutuellisme, sans lui être hostiles, nous ne croyons pas convenable de donner notre avis personnel sur cette mesure qui est, on ne peut le nier, contraire aux principes de justice distributive qui ne permettent pas qu?un corps entier soit responsable des fautes de quelques-uns, que l?innocent soit frappé de la peine destinée à réprimer le coupable. Mais s?il était vrai que cette mesure, extra-légale n?ait été prise que pour répondre à une coalition des négocians, formée pour soutenir les baissiers, alors nous n?aurions rien à dire, et le soupçon d?injustice qui peut peser sur les ouvriers disparaîtrait.

Dans tous les cas, il ne s?agit plus d?examiner la justice, l?opportunité de cette mesure. La société mutuelle en la prenant, a dû en calculer les conséquences, elle a assumé sur elle une immense responsabilité, car cette mesure est une de celles que le succès seul justifie. Nous en attendrons donc avec confiance le résultat, et comme [2.1]dans d?aussi graves circonstances, tous les travailleurs, malgré la divergence des opinions, doivent être réunis, parce que leur intérêt est le même, et qu?on est de la grande famille avant d?être de telle ou telle société, les fabricans non mutuellistes n?ont pas cru devoir se séparer de leurs confrères. Ils ont arrêté comme eux leurs métiers. Par la même raison nous ne nous séparerons pas de la société mutuelliste, et nous ferons cause commune avec elle. Dans ces jours difficiles, la classe ouvrière ne doit former qu?un seul faisceau. Toutes les dissidences doivent s?évanouir ; toutes les volontés doivent converger vers le même but. Chacun doit à la cause publique le sacrifice de ses discordes et le tribut de ses lumières. Espérons cependant que cette crise ne sera pas de longue durée, et que négocians et ouvriers finiront par s?entendre, car il ne faut pas que la fabrique lyonnaise périsse.

Adresse des chefs d?ateliers et ouvriers passementiers

DE LA FABRIQUE DE RUBANS DE SAINT-ÉTIENNE,

AU ROI DES FRANÇAIS.

(Suite et fin.)

Dans votre sollicitude pour les intérêts de l?industrie, il vous a plu, sire, d?envoyer le ministre du commerce, pour explorer quelques établissemens de nos voisins ; s?il eût été possible de rapporter de son voyage des échantillons de toutes les fabriques anglaises, dans lesquelles les rubans se trouvent compris, ayant ces échantillons sous les yeux, on aurait pu comparer l?état des productions des fabriques rivales, et tirer d?utiles renseignemens sur les procédés ou résultats obtenus dans des industries en concurrence.

Quant à ce qui touche l?introduction de nos rubans en Angleterre, il résulte de l?application du tarif sur quelques articles de satin, gazes et cordons en uni et petits façonnés, qui occupaient à St-Etienne un grand nombre d?ouvriers, qu?elle équivaut à une prohibition, ce qui ne serait pas arrivé, si des personnes versées dans cette partie eussent été consultées. La loi sur la libre exportation à l?étranger des soies grèges, ouvrées et teintes, vient de nous faire connaître qu?elle a donné une grande activité aux fabriques étrangères, auxquelles il ne manquerait que cela, avec la libre exportation des métiers et machines, pour pouvoir lutter avec avantage avec la fabrique de St-Etienne.

Depuis très long-temps, toutes les chambres du commerce de France demandent que les lois sur les brevets d?invention, de perfectionnement et d?importation, soient soumises à une révision et appliquées aux besoins actuels de nos fabriques ; que n?étant pas distraits de leurs juges naturels, qui sont les prud?hommes et les tribunaux de commence, les inventeurs ne soient plus exposer à perdre un temps précieux et des sommes considérables en procès auprès des justices de paix ; que, dans la disposition de cette législation, un caveat, comme il en existe en Angleterre, puisse permettre à l?ouvrier inventeur d?un procédé nouveau, et qui n?a pas les fonds suffisans pour l?exploitation de son industrie, de faire des essais en public, et qu?il lui soit accordé un certain temps pour former une société qui lui donne les moyens de tirer un parti avantageux de son invention. Jusqu?à présent, votre gouvernement, sire, a délivré des brevets à tous ceux qui en demandaient, sans examen préalable, et la communication des pièces déposées par les brevetés, est donnée dans les bureaux du ministère du commerce ; de là naît la facilité, pour les contrefacteurs, d?imiter les procédés brevetés, en échappant au délit de contrefaçon des brevets, surtout de ceux de nos ouvriers qui ne sont pas assez bien spécifiés et qui pêchent souvent par les formes.

Les fabricans et les ouvriers qui ont apporté des améliorations et des perfectionnemens dans la fabrique de rubans de St-Etienne, n?ont reçu jusqu?à présent aucun encouragement : nous demanderions donc que des primes fussent souvent accordées aux manufacturiers et aux ouvriers qui ont introduit des perfectionnemens dans la fabrique. Nous désirerions aussi que, dans la nomination du jury départemental, chargé de donner son avis sur les objets présentés à l?exposition de l?industrie nationale, le nombre des membres, au lieu d?être de cinq, comme il l?était dans les années précédentes, fût porté à douze, [2.2]afin que nous puissions y voir figurer le nom d?un de nos ouvriers passementiers.

La classe ouvrière de St-Etienne aurait besoin d?une école pratique des arts et métiers, appropriée à ses besoins et à ses diverses branches d?industrie, dans laquelle une partie serait organisée, en école de tissage, dans le genre et sur les mêmes élémens que celle de Tours, et où les fils de nos fabricans et de nos ouvriers viendraient puiser de bonne heure des connaissances qui leur permettraient de perfectionner cette fabrication. Notre ville doit, il est vrai, à la sollicitude de notre maire actuel pour tout ce qui peut propager l?instruction parmi la classe ouvrière, une école d?adultes et de dessin linéaire et une bibliothèque publique, à laquelle il manque une grande partie des ouvrages consacrés à l?industrie et aux beaux-arts ; elle lui doit encore un conservatoire des arts et métiers et des produits industriels de l?arrondissement de St-Etienne.

Il ne nous appartient peut-être pas, sire, de vous signaler tous les abus qui existent, et toutes les améliorations à introduire dans l?industrie manufacturière de notre département, et principalement dans la fabrique de rubans, qui forme nos seuls moyens d?existence. Cette tâche est au-dessus de nos forces ; nous la laissons à des hommes versés dans la science de l?économie politique : notre seule affaire, à nous, est d?avoir du travail. Nous nous sommes permis de signaler à votre majesté tout ce qui pouvait empêcher l?accroissement et le développement de l?industrie manufacturière qui nous concerne ; notre cause est non-seulement celle de la fabrique de St-Etienne et de celle de Lyon, avec laquelle nos intérêts sont étroitement liés, mais encore celle de la France industrielle tout entière.

Confians en la paternelle bonté de votre majesté, sire, nous avons laissé nos c?urs s?épancher librement. Veuillez prendre en considération notre exposé, et nous permettre de déposer à vos pieds l?expression des sentimens du plus profond respect et du parfait dévoûment

Avec lequel nous sommes, SIRE, De votre majesté, Les très humbles et très obéissans sujets,

Les délégués des chefs d?atelier et ouvriers de la fabrique de rubans de St-Etienne.

St-Etienne, le 13 novembre 1833.

Lyon, le février 1834.

Monsieur,

Forcé de répondre aux assertions de MM. Grillet et Troton, je rappellerai en peu de mots que tout ce que contient ma précédente n?est que l?exposé des exigences qu?ils ont exercées à mon égard ; ils ont tort de recourir à des inventions pour se justifier, je puis affirmer qu?ils ont manqué à la vérité. Il n?est point vrai : 1° que ce soit mon apprenti qui ait donné lieu aux différens survenus entre nous ; 2° que mon livre soit sans rature ; 3° que mon ouvrage ait été reçu sans prévention et que j?aie fixé moi-même les rabais ; 4° que je n?aie que 5 fr. 50 c. de rabais sur 2,500 fr. de façon ; 5° que le mot gratification ait été employé par moi ; 6° que j?aie rendu des châles mouillés. Aussitôt que l?ouvrage qui me restait à faire pour ces messieurs a été achevé, je me suis empressé de régler avec eux : ils ont adhéré à recevoir de suite 400 fr. J?ai débattu mes intérêts comme dans une affaire de commerce ; j?ai donc traité avec eux et je n?ai point mendié leurs dons. Quoique ouvrier, je ne suis pas, Dieu merci, dans une position difficile. Quant à l?emploi qu?ils pensent faire de mon argent, n?ayant plus à régler avec eux, je souhaite seulement qu?il ne serve à suborner aucun maître, l?appât serait pour eux un piège ; Il suffit pour juger en définitive MM. Grillet et Troton, de savoir que j?ai fait pour eux six pièces : trois ont été réglées à 45 grammes de déchet par kilogramme, et les trois autres à 80 grammes ; cette différence est-elle légale ? Aussi le dévidage du Thibet pour fond, quoiqu?il fût convenu qu?il me serait payé 3 fr. le kilogramme toutes les fois qu?ils me le donneraient en flotte, il leur a plu de le régler à 2 fr. Si MM. Grillet et Troton sont outragés par les faits et démentis que je reproduis, qu?ils aient à en prouver le contraire, alors ils seront pleinement justifiés aux yeux du public, et le calomniateur sera dévoilé.

J?ai l?honneur, monsieur, d?être votre dévoué,

chapeau (Antide).

Fabricant, rue Grolée, n. 1

A la demande de plusieurs abonnés, le journal ne paraîtra plus que le SAMEDI matin. Le prix sera réduit à 1 fr. par mois, 2 fr. 50 c. par trimestre, fr., pour mois, et 10 fr. pour un an.

Le format du journal sera augmenté, ce qui permettra de continuer à varier la rédaction.

CONSEIL DES PRUD?HOMMES.

Président, M. Riboud (13 février).

[3.1]On remarque une grande, affluence dans l?auditoire. Christ, imprimeur sur étoffe, fait appeler les mariés Bodin pour qu?ils lui rendent 100 fr. qu?il leur a avancés pour les engager à venir travailler avec leur fils chez lui. Les mariés Bodin disent que cette somme, plus une autre pareille, leur avait été promise, et que le sieur Christ ayant refusé de leur avancer les autres 100 fr., ils avaient été fondés à refuser de travailler. Le conseil condamne les mariés Bodin à rendre les 100 fr. avancés, à défaut de preuve de la convention par eux alléguée.

Guignel, cordier, réclame à Heurard, ouvrier, une somme de ? qu?il lui aurait avancée pour divers vêtemens achetés et payés au sieur Melin et autres personnes qui sont présentes. ? Heurard dit que cette somme était gagnée lorsqu?il a acheté ses effets. Le conseil, voyant que le sieur Guignel a fait sur le livret du sieur Heurard des conventions d?apprentissage pour deux années à 1 fr. 25 c. par jour, et attendu que l?apprenti était mineur, annule les conventions et déboute Guignel de sa demande, attendu qu?il n?a point de livre qui constate l?avance faite.

Luquin frères, négocians, demandent que Pinjon, fabricant, leur rende deux pièces qui lui ont été confiées, il y a huit jours, et qu?il n?a pas encore commencées, ou qu?il les fabrique au prix de 75 c. ? Le sieur Pinjon réclame pour les fabriquer 80 c., attendu que c?est le prix courant. Le conseil décide que les pièces seront rendues et que Pinjon recevra 50 fr. pour toute indemnité.i

Gastin, fabricant, réclame que le conseil fixe le prix des pièces qu?il a reçues de Gelot et Ferrier, négocians, d?après les conventions qui existent entre eux. Le conseil fixe le prix à 80 c. le mille et délègue MM. Perret, Reverchon, Verrat et Troubat pour visiter les trames, et en cas d?infériorité ou de remise d?autre matière que celle d?usage, une augmentation sera faite.

M. Mollin, liseur, a récusé la compétence du conseil par le motif que sa profession n?y était pas représentée. Le Conseil a passé outre en disant qu?il était institué pour juger les causes de fabrique et que le lisage en était une, et l?a condamné à acquitter et garantir le fabricant qui l?avait fait appeler sur la demande originaire du négociant.ii


i. M. Perret a soutenu de tout son pouvoir le sieur Pinjon, et a fait observer à Luquin que Pinjon ne pouvait pas travailler à 75 c., puisqu?il payait à d?autres fabricans 80 c., et du reste que c?était le prix courant. Des bravos unanimes sont partis de l?auditoire. Nous y joignons notre voix impartiale. On nous trouvera toujours prêts à rendre justice à qui de droit ; toute opposition systématique est loin de notre pensée.
ii. L?incompétence proposée n?était pas fondée, moins par le motif que le conseil a donné, que parce que la cause principale étant de son ressort, celle, en garantie, en dépendait.

considérations sur les théâtres.

 (Suite et fin.)

En vérité, les drames modernes sont-ils des ouvrages consciencieux ? Non, ce sont les fils bâtards des conceptions tudesques et shakespeariennes, dont la traduction des théâtres étrangers a empesté notre littérature. Nos jeunes poètes, la tête tout enflée des productions effrayantes de Schiller, de Goëthe, de Shakespeare, ont dépecé le grand cadavre de notre histoire de France, ils en ont saisi les lambeaux les plus sanglans, les plus infects, et les ont juchés sur le théâtre, accouplant, pêle-mêle, rois et bourreaux, prêtres et voleurs, assassins et magistrats, princesses et prostituées. Est-ce donc là du courage ? Et en fouillant dans les tombeaux, en déversant le mépris sur ces grandes ombres, en les vouant à la haine publique, croient-ils avoir aussi bien mérité de la gloire que s?ils avaient attaqué le vice dans son triomphe, la vanité dans sa richesse, l?impudence sous son habit brodé, la paresse dans son fauteuil académique, la sottise pédante sous le masque dont elle couvre sa doctrine ? Mais non, en agissant ainsi, il fallait de la hardiesse, de la bravoure, [3.2]et la littérature n?est plus, qu?une entreprise commerciale, qu?un trafic de bourse pour gagner de l?or, beaucoup d?or, toujours de l?or.

Toutefois, j?en conviens, deux théâtres politiques absorbent pendant le jour l?attention publique. Là se débattent les grands intérêts nationaux, là acteurs et spectateurs attendent le dénoûment, et préalablement paient, pour que la pièce continue ; mais le soir, quand on veut rire, quand par délassement on entre au Vaudeville, que vous offre-t-on pour exciter votre hilarité ? madame Duchâtelet1, trompant et son mari et Voltaire son amant, pour passer avec M. de Saint-Lambert, capitaine de dragons, un caprice qui n?aura pas de lendemain, ou bien l?abbé de Gondi, provoquant M. de Chalais ; et la duchesse de Chevreuse, dévorée d?amour, oubliant tout pour ce même Chalais que le duc, son mari, assassine loyalement en duel d?un coup de pistolet ; puis le cardinal Richelieu, en rochet et en camail, prêchant à Anne d?Autriche l?adultère et lut débitant ses doux propos d?amour sur l?air de femme sensible.

Au Gymnase, le marivaudage et M. Scribe, essaient de se maintenir, mais comment ? comme dans tous les théâtres, en extrayant d?un roman délicieux un sujet qu?il rend pâle, froid, invraisemblable, mais qu?il couvre de mots spirituals et d?un dialogue vif et de bon ton.

Les Variétés changent aussi leur genre facétieux et grivois pour prendre le drame populaire et la comédie historique. Pour le drame populaire c?est bien, mais la comédie historique, et par conséquent M. Ancelot2, le grand monopoleur, que viennent-ils faire dans cette galère ? Et à quoi ne doit-on pas s?attendre lorsqu?on commence par Madame d?Egmont, la cour de Louis XV, le maréchal de Richelieu, et madame Dubarry ?

Quand au théâtre du Palais-Royal, y joue-t-on de véritables pièces ? Non, ce ne sont que de petits canevas et de jolis couplets pour faire briller la charmante Dejazet3, seule et unique actrice de cette délicieuse bonbonnière : c?est bien, très bien, mais on doit demander mieux.

Alors où donc aller pour rire, être ému et intéressé tout à la fois ? Est-ce au Cirque-Olympique, théâtre de Liliputiens, où, en une soirée, un demi-siècle passé devant vos yeux ; où la république, l?empire, les cent-jours et la restauration, suffisent à peine pour soutenir l?attention pendant trois heures ; où Napoléon n?est qu?un mannequin ridicule, l?impératrice qu?une poupée disgracieuse et mal costumée. Là, le seul auteur de la pièce, c?est le décorateur, là les vrais auteurs sont les chevaux.

Et le Siège d?Anvers, grand brouhaha historique compose des lambeaux du Moniteur rédigé avec la faconde ampoulée de M. Sauvo4, qu?en dirai-je ? qu?on vous jette, de la poudre aux yeux qui vous prend à la gorge, et qu?au milieu des quatre mille coups de fusils qui partent ou qui ratent, vous avez l?inappréciable avantage de voir dresser devant vos yeux une batterie d?artillerie, composée d?une demi-douzaine de grands coquetiers, qui, en guise d?obusiers, lancent très agréablement de jolies bombes de carton remplies d?artifice, lesquelles vont démolir les remparts de la citadelle, avec l?assistance d?un garçon machiniste, qui, à l?aide d?une grande perche, pousse à chaque coup de feu un rempart ou un parapet de la forteresse ; le tout pour la plus grande gloire de l?armée française et la honte des braves Hollandais.

Ainsi donc tout est épuisé, tragédie, comédie, drame, vaudeville, et mimodrame, il ne reste plus rien? Si, j?oubliais ce malheureux Opéra-Comique. Vous le croyiez mort, et moi aussi ; et je regrettais peu ce genre bâtard, dont le libretto ridicule doit perpétuellement le jour à la plume éternellement fade de M. Planard5. Mais enfin un succès a constaté son existence, un seul, et le Pré aux Clercs est venu augmenter la douleur des amis d?Hérold, compositeur élégant, plein de charme, d?harmonie, et de cette mélodie douce et pénétrante, qui laisse dans le souvenir des motifs neufs et gracieux, Il n?est plus !?, et la muse lyrique a écrit sur le théâtre de la Bourse : Les chants avaient cessé !?

Et quoi ? la bonne musique n?a-t-elle donc plus d?organe ? [4.1]Si vraiment, mais pour un petit nombre de fidèles, de dévots, de fanatiques, qui, courbés d?admiration devant la lyre italienne, ne pâment et ne tressaillent qu?aux accents des Rubini, des Tamburini6, des Malibran, des Pasta, des Grisi. Heureux dilettanti, à vous toutes les joies du siècle, musique enivrante, cantatrices et chanteurs ravissans, salle mignonne, lambrissée de dorures, embaumée des plus suaves odeurs, décorée des plus jolies, des plus jeunes, des plus élégantes femmes de l?univers. Je le répète, à vous seuls les voluptés, les félicités de la mélomanie.

J?arrive au terme de ma revue critique ; il ne me reste plus qu?à parler du Grand-Opéra, et désormais je puis prodiguer les louanges. Là du moins je goûterai un plaisir vrai, profond, qui viendra embellir mes rêves et charmer mon sommeil.

Merveille de grace et de légèreté, sylphide enchanteresse, Taglioni7, coquette pudique et voluptueuse, vous qui dans la nature tenez le milieu entre l?homme et l?oiseau, venez captiver mes regards, exciter mon enthousiasme. Délicieux composé de souplesse et de force, vous savez avec art embellir vos mouvemens, arrondir vos membres délicats, quitter la terre pour y retomber, pour y bondir, à l?égal de la colombe, de la tourterelle des bois. Dans votre danse suave et lascive, comme une jeune épouse le lendemain des noces, on retrouve cette décence qui purifie, cette vivacité qui excite, cet abandon qui enivre. A vous la couronne de Terpsychore, à vous les applaudissemens unanimes de l?univers.

Organes de nos compositeurs célèbres, dignes interprètes des Aubert, des Meyerbeer, des Rossini8, vos accens nobles et doux ont le rare privilége d?attirer la foule et de la charmer. Et pourquoi ces acclamations approbatives à la Muette, à Moïse, à Robert-le-Diable et à Gustave ? c?est que là tout est en harmonie, tout est grandiose, magique et mirifique, les décorations brillent de vérité, les costumes éblouissent de splendeur, et les danses, et les chants semblent rivaliser pour vous transporter dans un monde féerique, dans lequel l?imagination s?égare, oublieuse des intérêts de la terre, de ses fatigues, de ses chagrins. A vous les honneurs du triomphe, Adolphe Nourrit, Levasseur, Dabadie, Alexis Dupont, Derivis9, et vous, au-dessus de tous les autres, vous cantatrice savante, dont la voix toujours pure se joue des difficultés, et rivalise avec les chants du rossignol ; à vous, madame Damoreau-Cinti10 de savoir plaire sans effort, d?attendrir quand vos accens sont plaintifs, de rendre heureux quand ils expriment la joie et le bonheur.

J?ai fini ; ma tâche est achevée ; et pourtant j?ai un aveu à faire : oui, la raison m?ordonnait de critiquer sans pitié, de flétrir le genre adultère et sanglant adopté par tous nos théâtres ; et cependant je dois l?avouer : combien de scènes m?ont ému, combien de situations m?ont attendri ! Le bon sens me disait de rester froid et impassible quand mon c?ur, quand mes nerfs, battaient et tressaillaient avec violence. Mais plus ces émotions involontaires ont de charmes, plus il est facile de les faire naître ; plus aussi, des auteurs consciencieux, des hommes de talent doivent repousser de pareils moyens pour remuer un public ; car alors ce ne sont point des larmes douces et compatissantes qu?on obtient ; mais des cris de rage, des convulsions névralgiques indignes du vrai poète ami de la gloire et de la postérité.

F. DE M.

Anecdote du dix-septième siècle.

Le roi fit secrètement appeler dans son cabinet l?homme auquel on avait donné le surnom de geôlier. ? Baron, lui dit-il, on vante votre adresse. ? Sire, c?est me faire trop d?honneur. ? Personne, dit-on, ne sait mieux que vous frapper son adversaire d?un coup d?épée, ou lui envoyer une balle à plein corps, à une grande distance. ? Sire, ma lame est bonne, ma main sûre, et je suis à votre service. ? Eh ! bien, mon cher baron, ajouta le roi d?un air caressant, et qu?il savait si bien, prendre avec ses courtisans, le moment est [4.2]venu de me prouver votre bonne volonté. ? Parlez, sire? ? Ici le roi dit quelques mots à l?oreille du baron, puis il ajouta en lui prenant la main : « Celui que je vous désigne, il faut le provoquer au combat, viser juste et le mettre à mort, entendez-vous bien ? ? Sire, vous serez obéi. »

Le lendemain, 24 avril 1617, le baron de Vitry, qui avait été le geôlier du maréchal de Biron, plongea lâchement son épée dans le c?ur du maréchal d?Ancre, avant que celui-ci eût eu le temps de tirer la sienne du fourreau? Et le soir on dansa à la cour !

(La Tribune).

vers inédits faits en 1781,

Par SYLVAIN MARÉCHAL.

Rois ! vous devez un compte au dernier des humains ;
Le sceptre est un dépôt que le peuple en vos mains
Daigne vous confier et qu?il peut vous reprendre,
Si contre son bonheur vous osez entreprendre.
Vos droits ne sont sacrés qu?autant qu?il est heureux ;
Vous tenez vos pouvoirs du peuple et non des cieux.
Si vous n?aviez pour frein que des dieux invisibles,
Vous seriez trop puissans et trop inaccessibles.
Rois, qui tyrannisez, sachez qu?il est pour vous
Un châtiment plus sûr que le divin courroux.
Vos sujets aux abois, sur vos têtes sacrées,
Peuvent oser porter leurs mains désespérées,
Ressaisir la couronne et rentrer dans leurs droits.
De son Dieu, de son chef, oui le peuple a le choix ;
Il peut le rétracter, si son choix n?est pas sage ;
Et le trône et l?autel de ses mains sont l?ouvrage.
Quand l?artiste, frappé de chefs-d??uvre nouveaux,
Sur son marbre rebelle aperçoit des défauts,
Honteux, dans son dépit, il brise sa statue,
Et sur un autre marbre il détourne sa vue.
Rois ! vous n?êtes qu?un bloc, le peuple est le sculpteur ;
Dociles, respectez un ciseau créateur.

Nouvelles générales.

paris. La Tribune, la Quotidienne et le Corsaire, ont été saisis.

La cour de cassation a rejeté le pourvoi de M. Armand Carrel.

10 février. Le tribunal de police correctionnelle a prononcé son jugement dans l?affaire de la coalition des garçons boulangers : 3 ont été condamnés à deux ans de prison ; 1, à un an ; 2, à six mois ; plusieurs, à trois mois, un mois et quinze jours ; 32 ont été acquittés.

givors (Rhône). Une ordonnance du 28 janvier dernier permet le remplacement du bac par un pont suspendu.

thoissey (Ain). Idem.

mallix (Ain) L?épidémie a cessé.

rouen (S. Inf.). Deux notaires, MM. Simonet et Poitrineau, ont disparu laissant un déficit considérable.

caen (Calvados). M. Fauvelet de Bourrienne1 ancien secrétaire de Bonaparte en Italie et en Egypte, est mort le 7 de ce mois.

randan (Puy-de-Dôme). Des troubles viennent d?avoir lieu par suite de la prétention de Mad. Adélaïde, s?ur du roi, d?être la propriétaire de la place publique.

chalon-sur-saône. La garde nationale vient de nouveau d?être dissoute sans aucun motif énoncé dans l?ordonnance.

cancans.

Le Courrier de Lyon a hérité de feu Lapalisse. Il nous assurait gravement, il y a trois jours, que les journées de novembre ne pouvaient pas avoir lieu. Eh ! parbleu, nous le savons bien, puisque nous sommes dans le mois de février.

Le Courrier de Lyon a beau dire, il y aura encore cette année des journées de novembre, et même un 21, 22 et 23 novembre.

Notes ([1.1] CHAMBRE DES DÉPUTÉS . ?  4  février...)
1 Parmi les nouveaux pairs et parlementaires mentionnés, Clement-Etremore Anglade (1800-1881), Pierre-Marie Auguis (1783-1844), Henry-Joseph Paixhans (1783-1854), François-Xavier de Sade (1777-1846) et Pierre-Catherine Amilhau (1793-1860).

Notes (considérations sur les théâtres.)
1 Référence probable aux pièces de Jacques-Arsène Ancelot, Madame Duchâtelet et de Victor Hugo, Marion Delorme.
2 La Comtesse d?Egmont, autre pièce de Jacques-Arsène Ancelot.
3 Pauline-Virginie Dejazet (1798-1875), actrice française.
4 Mention ici de la plume de François Sauvo (1772-1859), rédacteur et critique incontournable au Moniteur universel.
5 Le Pré aux Clercs, opéra-comique (1832), paroles de François-Antoine de Planard (1783-1855) et musique de Louis-Joseph Hérold (1791-1833).
6 Référence ici aux célèbres bariton, ténor, soprano italiens, Giovanni Battista Rubini (1794-1854), Giulia Grisi (1811-1869), Antonio Tamburini (1800-1876), Giuditta Pasta (1797-1865) et Maria Malibran (1808-1836).
7 Marie Taglioni (1804-1884), ballerine italienne.
8 Il s?agit ici des compositeurs, Daniel-François Aubert (1782-1871), Giacomo Meyerbeer (1791-1864), Gioachino Antonio Rossini (1792-1868).
9 Là encore il s?agit des chanteurs, ténors, Adolphe Nourrit (1802-1839), Nicolas Levasseur (1791-1871), Henri-Bernard Dabadie (1797-1853), Henri-Etienne Derivis (1780-1856), Alexis Dupont (1796-1874).
10 La cantatrice Laure-Cinthie Montalant, Damoreau-Cinti (1801-1863).

Notes (Nouvelles générales. paris . La Tribune ,...)
1 Louis-Antoine Fauvelet de Bourrienne (1769-1834), diplomate et homme politique français.

 

 

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