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5 février 1832 - Numéro 15
 

 




 
 
     

[1.1]Une souscription est ouverte au bureau de l'Echo de la Fabrique en faveur des blessés, des veuves et des orphelins des trois journées de novembre. Nous en appelons à toutes les ames généreuses, à ces cœurs philantropes qui ont secouru l'infortune jusque sur des rives étrangères, et dont l'humanité ne manquera pas de venir au secours de leurs concitoyens malheureux.

LYON.
AUX CHEFS D'ATELIERS POSSÉDANT QUATRE MÉTIERS.1

Une ordonnance vient de vous conférer un droit, celui d'élire les membres du conseil des prud'hommes. Cette ordonnance, en privant du même droit les neuf dixièmes des chefs d'ateliers, a mis en vos mains leur avenir. Qu'on ne s'y trompe point ; de la nouvelle composition du conseil des prud'hommes dépendent la prospérité ou la décadence de notre industrie ; car c'est de ce conseil qu'on doit attendre les nombreuses améliorations désirées depuis long-temps. Que les chefs d'ateliers se pénètrent de ces questions : Qui doit fixer une mercuriale ? qui doit juger les différens entre l'ouvrier et le fabricant ? qui doit protéger l'ouvrier contre l'égoïste ? qui doit, enfin, faire tomber ces abus sans nombre qui accablent et ruinent l'ouvrier ? C'est le conseil des prud'hommes que les chefs d'ateliers sont appelés à nommer. Eux seuls tiennent en leurs mains l'avenir de leurs frères et de leurs amis. Négliger un droit acquis, ce serait une insouciance qu’on ne saurait comment qualifier. D'ailleurs, [1.2]les chefs d'ateliers possédant quatre métiers sont responsables envers ceux qu'on a privés du droit d'élire leurs juges, du bon ou mauvais choix des membres du conseil. L'intrigue, la cabale peuvent s'en mêler, et ce n'est que par le nombre des électeurs qu'on peut les déjouer.

Nous allons donner quelques renseignemens aux électeurs, car nous comptons beaucoup sur leur zèle. Les noms des chefs d'ateliers possédant quatre métiers seront inscrits d'office à leur mairie respective ; des listes seront affichées portant le nom de tous les électeurs ; l'électeur, dont le nom aura été omis, se présentera à la mairie et réclamera son inscription dans le délai accordé par l'autorité. Après la clôture des listes, l'autorité doit envoyer des lettres ou cartes aux électeurs ; l'électeur qui n'aura pas reçu sa lettre ou carte, ira la réclamer à la mairie dans le délai fixé. Aura lieu ensuite l'élection directe par arrondissement.

Les chefs d'ateliers doivent, dans leurs intérêts, se réunir et précéder par des élections préparatoires les élections définitives. Ici on doit faire abnégation de toute vanité, de toute ambition ; les affections de l'amitié, celles même de famille, tout doit céder aux intérêts communs. Que les électeurs choisissent des hommes fermes et dévoués aux intérêts de la classe ouvrière ; des hommes que rien ne fasse fléchir, ni l'appât de l'or, ni les caresses du riche ; des hommes enfin connaissant parfaitement la fabrique, et pouvant raisonner celui qui s'écarterait de la ligne tracée par la justice. Que des grandes promesses n'éblouissent point les chefs d'ateliers, il est des hommes qui promettent beaucoup et tiennent peu, nous en avons fait la triste expérience. Il faut des hommes [2.1]connus par leurs précédens, dont la carrière soit exempte de reproche. Avec de tels prud'hommes, les chefs d'ateliers sont sûrs d'obtenir justice, et Lyon verra dans peu refleurir son commerce presque anéanti par les dilapidations.

ABUS DU MONTAGE DE MÉTIERS.1

Le plus monstrueux des abus, celui qui a réduit un grand nombre de chefs d'ateliers à la misère, c'est sans doute le montage de métiers, propagé à tel point qu'il ne se passe pas une seule séance du conseil des prud'hommes qu'il ne s'y présente plusieurs réclamations de ce genre ; abus scandaleux qui s'est introduit par la diversité des articles de goût, par la concurrence que les négocians se font entre eux, et surtout par leur avidité à découvrir et à se saisir du genre de leurs échantillons.

Les chefs d'ateliers sont ainsi exposés, depuis plusieurs années, à faire des frais pour monter et ajuster leurs métiers, dépenses qui, suivant les articles, varient depuis la somme de 20 fr. et dépassent quelque fois celle de 100, sans y comprendre les harnais, ustensiles que l'ouvrier est obligé d'acheter, et qui souvent ne lui servent plus à la fin de l'article.

Pour faire une comparaison, je répéterai qu'il arrive souvent qu'un ouvrier, après avoir dépensé 20 fr. pour frais d'ampontage, appareillage, remettage, etc., après avoir passé une semaine pour monter et ajuster le métier, ne tisse qu'une ou deux petites pièces, qui ne produisent qu'une somme de 50 francs après un mois et demi ou deux mois que le métier a été disposé : le négociant ne continue plus de faire fabriquer cet article, et le chef d'atelier a dépensé, comme nous l'avons dit :

Pour son montage : 20 fr.
Payé à son ouvrier pour 50 aunes de façon. : 25 fr.
Enlaçage de cartons, dévidage, cannetage. : 10 fr.
Total : 55 fr.

Par ce compte, le chef d’atelier a dépensé 5 francs de plus qu’il n’a reçu de façon, s’est occupé à ajuster son métier, à corriger les erreurs, soit de la faute du négociant, de l’ourdisseuse ou du liseur de dessins, a fait plus de vingt courses au magasin, qui, en les supposant de trois heures chacune, font un total de 60 heures, ou quatre jours de travail, usé ses harnais et logé son ouvrier. D'après un pareil compte, où nous avons pris pour exemple la plus mince dépense pour frais de montage, et qui peut se multiplier dans la même proportion, soit pour les dépenses comme pour le montant des façons, on n'aura plus de peine à concevoir la détresse des chefs d'ateliers, ainsi que l'urgente nécessité où seront les prud'hommes de fixer une jurisprudence pour servir de base aux défrayemens à allouer dans des cas semblables. Car, dans le cas ci-dessus, nous croyons que le defrayement devrait être de 25 francs, et que le maître-ouvrier y aurait encore perdu. Mais, pour fixer une base qui fût équitable pour tous, et qui pût répondre à toutes les difficultés qui peuvent s'elever, on pourrait fixer le 10 p. 100, appliqué de la manière suivante : lorsque le chef d'atelier aura fait 20 fr. de dépense pour disposer son métier à un négociant, le négociant devra lui faire fabriquer sur la même disposition, au même prix convenu en montant le métier, jusqu'à la concurrence de 200 fr. de façon, et si ce dernier ne peut lui faire fabriquer que pour la somme de 100 francs, il devra lui rembourser 10 fr. ; cette règle serait applicable à toutes les proportions, seulement on pourrait y faire [2.2]exception, dans le cas où le total de la façon serait au-dessous de 50 fr., cas où les dépenses faites par le chef d'atelier doivent lui être entièrement remboursées.

Ainsi, avec de pareilles bases, bien entendues, le négociant pourrait combiner sa disposition avec la durée de sa commission, et l'ouvrier assuré d'un défrayement pourrait disposer son métier au négociant en toute confiance.

Dans notre prochain N°, nous continuerons de discuter sur le même abus, où nous démontrerons l'utilité des conventions, signées des deux parties, toutes les fois qu'un chef d'atelier est obligé, outre ses frais de montage, d'acheter des harnais, qui souvent surpassent du double le montant des façons de l'étoffe que le négociant lui fait fabriquer sur cette disposition.

DE L’INSTRUCTION POPULAIRE.1

Les sages de tous les temps et de toutes les opinions ont dit que pour rendre l'homme meilleur il fallait l'instruire. L'instruction développe son intelligence, le préserve d'une corruption morale, et toute nation jalouse de sa gloire, de sa puissance, doit chercher tous les moyens de la propager parmi le peuple.

Aujourd'hui, dans ce siècle tant vanté comme siècle des lumières, est-ce de bonnee foi qu'on vient nous dire, tout a un terme, les nations ont assez avancé dans la carrière de la civilisation, il faut qu'elles reculent ? Eh quoi ! vous croyez, parce que vous avez des orateurs brillans à la tribune ; parce que vous avez au barreau des jurisconsultes consommés ; parce que vous avez des capitaines peut-être meilleurs que ceux de Sparte et de Rome, vous croyez toucher au sommet de la civilisation. Mais vous n'avez donc pas voyagé dans cette France la première nation du monde ? Vous n'avez donc pas vu le paysan de la Bretagne, des Vosges, de la Provence, du Languedoc, ne sachant pas lire, et comprenant le français à peu près comme un Lapon ? Vous n'avez donc pas vu autour des principales villes du royaume le laboureur n'ayant aucune idée littéraire et ne sachant que compter tant bien que mal le revenu de ses terres ? et cette classe d'hommes qui peuple les villes et qu'on appelle barbares ou prolétaires n'est-elle pas privée de toute instruction ? Ainsi, en France, dans le pays le plus vanté pour la civilisation, sur trente-deux millions d'habitans, vingt millions languissent dans l'ignorance la plus complète.

Si les masses populaires sont peu instruites, est-ce leur faute ou celle de ceux qui les gouvernent ! C'est ce que nous allons examiner.

On reproche à cette classe, qu'on appelle peuple, de négliger l'éducation des enfans. Voilà certes une accusation grave, est-elle fondée ? donne-t-on les moyens nécessaires à cette classe de mettre à profit les leçons de morale mises à la portée du peuple ? dans une grande ville, dans Lyon par exemple, lorsque l'ouvrier pendant 8 à 10 ans, gagne de 28 à 32 sous par jour, et si ce temps est celui où deux de ses enfants sont en âge de s'instruire, pourra-t-­il penser à leur éducation ? tandis que l'un sera occupé au cannetage et l'autre à tourner une mécanique pour gagner leur pain, il nous semble que ce n'est pas trop possible que ces enfans ainsi enchaînés profitent des bienfaits de l'instruction. Nous supposons même que ces enfans ne soient point occupés, le père pourra-t-il les envoyer à l'école et payer les mois ? on nous dira peut-être qu'il existe des écoles gratuites, et c'est là où nous voulions en venir. Combien en compte-t-on à Lyon pour une ville de 200,000 ames ? Nous en comptons une, [3.1]celle dirigée par l'honorable M. Bailleul. Que nos administrateurs, qui en partie ont souscrit pour cette école, se rappellent les sujets qui en sont sortis, ils jugeront par là du bien qu'eût produit l'établissement de semblables écoles dans tous les quartiers. Nous avons, il est vrai, les frères de la doctrine chrétienne ; qu'on nous pardonne notre opinion, mais nous croyons que ces écoles ne sont plus de notre siècle ; et d'ailleurs, elles ont un assez grand nombre d'élèves sans que pour cela les classes pauvres en soient plus instruites.

Nous en concluons donc que pour que les classes populaires puissent profiter de l'instruction, première source de bonheur et de prospérité d'un état, il faut qu'un père puisse par son travail subvenir aux besoins de sa famille, afin que ses enfans passent leur jeune âge dans les écoles primaires. Il faut que dans les villes où les ouvriers forment la majeure partie de la population, les écoles lancastriennes soient multipliées à ce que chaque quartier en ait une ; il faut qu'on en établisse dans le moindre village.

Alors, nous croyons qu'on pourra parler des progrès de la civilisation ; alors, nous croyons qu'on rendra les hommes meilleurs, et que chacun d'eux connaissant ses droits sera plus dévoué à ses cocitoyens et à sa patrie à laquelle il croira tout devoir.

A. V.

Le Courrier ministériel de Lyon1 a publié dans son numéro de dimanche dernier, une lettre d'un abonné, dans laquelle on cherche pour la vingtième fois à propager contre l'un de nos fabricans les plus recommandables des bruits injurieux, vingt fois tombés sous le mépris qu'ils méritent. Bien qu'il n'ait pas osé désigner par son nom l'honorable citoyen qu'il attaque, il ne nous a pas été difficile de deviner sur qui l'honnête Basile du Courrier de Lyon a voulu répandre son venin qu'il enveloppe d'un si ridicule pathos. Ces efforts d'une basse envie pour ternir une réputation qu'elle ne peut égaler ne nous surprennent pas beaucoup. C'est le serpent qui s'obstine à mordre à la lime. Mais ce qui nous étonne davantage, c'est que le gérant du Courrier de Lyon ait consenti à insérer dans son journal une lettre qu'il sait bien ne contenir que de plats et méchans mensonges. Le gérant du Courrier de Lyon sait mieux que personne dans quel véritable but le fabricant, qu'il laisse calomnier dans sa feuille, avait formé son établissement de Londres. Le gérant du Courrier de Lyon était employé dans cet établissement. Il sait qu'il fut fondé avec l'assentiment de M. de St-Cricq, alors ministre du commerce, pour procurer aux produits des fabriques lyonnaises un débouché qui leur était fermé en Angleterre ; il sait que la maison à laquelle il était attaché n'allait pas introduire dans la Grande-Bretagne les seules soieries de ses manufactures, mais encore celles d'un assez grand nombre de fabricans de Lyon, et qu'il a suffi de son apparition à Londres pour faire lever la prohibition dont les produits des fabriques lyonnaises étaient frappés en Angleterre ; il sait que l'établissement d'outre-mer dont il faisait partie a cessé d'exister aussitôt que la libre introduction des étoffes de Lyon a été permise dans les îles britanniques ; il sait enfin qu'il a personnellement quelques obligations au chef de la maison si indignement diffamé dans le journal qu'il dirige. Nous ajouterons que si l'honorable industriel dont on veut noircir les intentions a perdu une partie de sa fortune dans ses opérations à Londres, ce peut être un très-grand crime aux yeux des loups-cerviers du juste-milieu, mais qu'il en est pleinement absous par la reconnaissance [3.2]de la classe ouvrière qui n'ignore pas que c'est à ses tentatives que la fabrique de Lyon a dû l'écoulement de ses produits en Angleterre.

Quant aux vues ambitieuses qu'on prête à l'homme que nous nous faisons un devoir et un plaisir de défendre, nous ne savons quelle place, quels honneurs on pourrait lui offrir qui valussent à ses yeux la haute considération qu'il recueille de ses travaux industriels. L'honnêteté publique peut juger maintenant la valeur de ces imputations inventées par la calomnie et publiées par l'ingratitude.

Le Courrier de Lyon, dans un article intitulé : Des journaux de Lyon, parle ainsi de notre feuille : « l'Echo de la Fabrique, qui pourrait être d'une utilité immense à notre industrie, s'il était rédigé dans un autre esprit, et s'il n'avait malheureusement pour but d'exciter les ouvriers contre les fabricans. »

Notre feuille étant consacrée aux intérêts industriels, nous n'en remplirons point les colonnes par des réponses faites aux attaques que la prévention dirigera contre nous. Nous ne chercherons point non plus à faire rire de pitié nos lecteurs par l'exposé de nos débats particuliers avec telle ou telle feuille. Pourtant que le Courrier de Lyon sache que nous n'entendons pas ce qu'il veut dire par un autre esprit, nous croyons que l'esprit qui a toujours présidé à nos articles est celui des francs patriotes et des amis de la paix publique alliée à la liberté.

Quant au reproche d'exciter les ouvriers contre les fabricans, c'est une de ces préventions qui commencent à vieillir. Non, l'Echo de la Fabrique n'excitera jamais les ouvriers contre les fabricans, et si sa mission est de défendre les premiers, on a vu qu'il s'est fait une loi de rendre justice aux derniers quand ils ont su le mériter par des actes de générosilé.

Ainsi que le Courrier de Lyon n'avance plus de pareilles insinuations ; qu'il poursuive sa carrière avec autant de fermeté et de franchise que nous en mettons à poursuivre la nôtre, et qu'il pense surtout que les lecteurs des journaux ne s'amusent pas beaucoup des disputes violentes et souvent dégoûtantes de quelques journalistes.

Nous félicitons le Courrier de Lyon d'avoir pris l'initiative pour une souscription en faveur des ouvriers en soie pour dégager les ustensiles du Mont-de-Piété1. C'est bien ! très-bien ! mais c'eût été mieux, si le Courrier de Lyon n'avait pas ajouté pour les ouvriers peu économes. Que les écrivains du Courrier soient bien pénétrés que ce n'est pas le peu d'économie, mais bien le peu de gain qui est la cause de la misère de la classe ouvrière.

Nous nous permettrons une observation : nous croyons que peu d'ustensiles sont engagés au Mont-de-Piété, mais en revanche que de familles qui n'ont point de linge, pas un seul drap pour mettre à leurs lits, pas une chemise pour leurs enfans : voilà les effets que la souscription devrait aussi dégager ; alors que de bénédictions combleraient les philantropes qui auraient concouru à de telles œuvres !

Un journal de Lyon ne cesse de parler du mouvement extraordinaire qui s'est opéré à la condition ; chacun se demande ce que deviennent ces ballots de soie, et les noms de Zurich et d'Eberfeld sont prononcés avec inquiétude. En effet, comment se fait-il, si cette soie ne passe point à l'étranger, que beaucoup de métiers soient sans travail et [4.1]que dans certains articles, les unis, par exemple, on ait diminué les façons augmentées il y a deux mois de 10 c. où certes la condition et les ateliers des teinturiers n'étaient point encombrés comme on nous les donne aujourd'hui. Ainsi, ou il y a cupidité de la part de quelques fabricans, ou les soies dont les conditions et les ateliers de teinturiers sont remplis, passent à l'étranger. Dans l'un ou l'autre cas, nous demandons une explication franche ; car il ne s'agit pas de dire que les ouvriers travaillent quand ils meurent de faim, et que le commerce brille quand il y a stagnation.

Nous pensons que ceux qui ont prôné pompeusement l'état brillant du commerce et les sommes immenses que doivent en retirer les ouvriers, voudront bien nous eclairer à ce sujet, car nous, nous ne jugeons que d'après les faits. Quand nous voyons un tiers de métiers sans ouvrage et diminuer les façons, nous ne pouvons pas nous extasier à la manière des écrivains de certaines feuilles sur la prospérité du commerce.

D'après les soies mises à la condition pendant le mois de janvier dernier, les fabricans ont préparé pour deux millions de façon aux ouvriers en soie de Lyon... quel total !1 et les ouvriers se plaignent ! deux millions dans un mois ! Les ingrats !!!

Il y a à Lyon trente mille métiers qui doivent fournir l'existence à 60 mille personnes ; on travaillera trente jours pour employer la soie dont il est question, ce qui fait vingt-deux sous pour chaque ouvrier... quelle journée !!!!

LE BAL ET L’HOTEL-DIEU.1

Oh! sans doute, nous sommes des rigoristes !... Nous ne voulons pas croire à l'assertion du Courrier de Lyon, qui dit que danser de la part de la classe aisée, c’est rendre service à la classe ouvrière. Eh bien ! oui, messieurs dansez ! dansez ! dansez encore ! que cela fait du bien au malheureux qui n'a pas du pain ! et ces rafraîchissemens qui abondaient au bal, que cela adoucissait la poitrine du malheureux épuisé par les souffrances. La musique était délicieuse... et l'ouvrier faisait entendre le râle de la mort sur son lit de douleurs... Oh ! sans doute, ces messieurs doivent avoir des imitateurs ! Mais voici un petit tableau qui pourrait leur procurer le moyen de mieux employer leur argent.

Il entre, année commune, à l’Hôtel-Dieu de Lyon, 15.000 malades, tant de Lyon que des dix-sept départemens environnans. Sur ce nombre, les ouvriers en soie de Lyon et des faubourgs, en fournissent, année commune, 3 mille, dont un peu plus de la moitié en femmes, et la mortalité est du dixième.

Ainsi, on peut calculer qu'il meurt par an 300 ouvriers en soie à l'Hôtel-Dieu, et que cette classe forme un 5me des malades.

Dans une salle de femmes, sur 1.217 entrées l'année dernière, il y a eu 502 ouvrières en soie.

Ainsi, messieurs, dansez ! dansez ! cela fait tant de bien à la classe ouvrière...

AU RÉDACTEUR.

Lyon, le 3 février 1832.

Monsieur,

Vous annoncez, dans votre feuille du 29 janvier, que quelques fabricans de Lyon, se trouvant à Paris, ont [4.2]sollicité du gouvernement diverses mesures en faveur de notre industrie ; qu'ils en ont reçu la promesse de supprimer le droit d'entrée sur les soies étrangères, mais qu'ils n'ont pu obtenir une faible prime de 2 pour cent qu'ils demandaient pour la sortie des articles unis d'un prix moyen.

Je viens, Monsieur, vous communiquer quelques observations sur le résultat des démarches de ces messieurs, vous priant de les insérer dans votre feuille, si vous le jugez à propos.

Il me semble que, puisque le gouvernement est disposé à faire l'abandon du droit, comme encouragement à la fabrique de Lyon, la conversion de son produit en une prime de sortie serait préférable à sa suppression. C'est ce que je vais faire voir.

D'abord, je remarquerai que la baisse que produirait la suppression sur le prix de nos articles, serait trop modique pour avoir quelque influence sur leur consommation intérieure. L'on en sera convaincu tout-à-l'heure, lorsqu'on la connaîtra. Une différence de prix aussi petite serait absolument sans considération pour ceux qui portent des vêtemens de soie.

La question de la suppression du droit ou de sa conversion en une prime de sortie, doit donc être considérée seulement dans ses rapports avec notre consommation extérieure ou nos exportations.

Or, la suppression ne produirait sur nos articles unis, qui ont le plus besoin de protection, qu'une baisse beaucoup moins grande que celle qui résulterait de la conversion. Je crois pouvoir l'établir clairement.

Une première considération s'offre d'abord à cet effet. La soie dégrevée du droit ne pourrait pas baisser d'une valeur proportionnelle à ce droit, parce que le dégrèvement en augmenterait la demande, et en provoquerait ainsi la hausse chez le producteur étranger. Alors, comme il est probable que le bénéfice qu'il procurerait à l'industrie serait partagé à peu près également entre ce dernier et le fabricant français, la soie ne baisserait donc que 2 1/2 p. 100, au lieu du 5, montant du droit.

Après cette première considération, en vient une seconde qui lui est subordonnée. La baisse éprouvée par la soie étrangère, en produirait une autre sur la soie indigène ; mais celle-ci serait moindre que celle d'où elle procéderait, attendu que les besoins de cette dernière qualité de soie sont beaucoup plus considérables que ceux de la soie étrangère.

Ainsi, les articles exportés étant fabriqués avec deux qualités de soie qui auraient supporté deux baisses différentes, dont la plus grande serait de 2 1/2 p. 100, ne jouiraient donc sur la matière dont ils seraient tissés que d'une baisse moyenne, qui, par conséquent, serait moindre que cette plus grande.

L'on trouve ensuite par un calcul approximatif, dont l'analyse serait ici trop fastidieuse, que cette baisse moyenne de la matière ne serait que d'environ 1 3/4 p. cent, et que partant le prix de l'étoffe, qui comprend en outre celui de la main-d'œuvre, ne baisserait à peu près que de 1 1/4 p. cent.

Pour trouver actuellement la baisse que ce prix éprouverait, par la conversion du produit du droit en une prime de sortie, il suffit de connaître la valeur de la soie importée passible du droit, et celle des articles exportés susceptibles de la prime. Il est évident que le taux de la prime serait au taux du droit dans la proportion de la valeur de la soie importée à la valeur des articles ; c'est-à-dire que si, par exemple, la première valeur, celle de la soie, était de la moitié de la seconde, le taux de la prime serait aussi de la moitié de celui du droit, ou [5.1]de 2 1/2 p. cent, ce dernier étant de 5. Et, comme cette proportion paraît être à peu près celle qui existe réellement entre les opérations dont il s'agit, la baisse, ou la protection que l’on obtiendrait de la conversion du droit en une prime, serait donc deux fois aussi importante que celle donnée par sa suppression.

Il est vrai que par la conversion, notre consommation intérieure se trouverait exclue de toute participation au bénéfice qui résulterait de l'abandon du droit par le gouvernement ; mais puisque la faible part qui lui en reviendrait par la suppression serait, ainsi que je l’ai déjà fait remarquer, absolument sans aucune influence sur elle, tout le mérite de la conversion serait, dès-lors, de reporter en entier l'avantage résultant de l'abandon précité, sur nos exportations, qui seules ont besoin de plus en plus d'être protégées contre une concurrence redoutable.

Mais à cette raison décisive en faveur de la conversion, vient s'en joindre une autre qui n'est pas d'un moins grand poids.

J'ai observé précédemment que par la supression du droit la soie qui en serait dégrévée éprouverait chez le producteur étranger une hausse de la moitié du droit environ, et que cependant, par suite de ce même dégrèvement, revenant au fabricant français à un prix un peu moins élevé qu'auparavant, l'importation s'en trouverait aussi augmentée. La France perdrait donc, dans le cas de la suppression, une valeur égale à la moitié du produit du droit supprimé, plus une autre égale à l’augmentation des importations. Je dis qu'elle perdrait la somme de ces deux valeurs, parce que la protection de 1 1/4 pour cent serait trop faible pour produire quelque augmentation dans ses exportations, et lui offrir ainsi une compensation.

Il me paraît donc démontré par les considérations que je viens de présenter :

D'une part, que la suppression ou droit d'entrée ne procurerait à nos exportations qu'un secours illusoire par sa faiblesse et qu'elle ferait sortir de France quelques millions de plus ;

D'autre part, que la conversion du produit du droit en une prime de sortie, serait une protection beaucoup plus efficace, en même temps qu'elle nous sauverait la perte des capitaux qui suivrait la suppression.

Le choix entre ces deux moyens se trouve donc indiqué à la fois par notre intérêt particulier et par celui du pays, ici heureusement encore réunis.

J'ai l'honneur d'être, Monsieur, avec la plus parfaite considération,

Votre très-humble et obéissant serviteur,

D.....

AU MÊME.

Monsieur,

Vous avez fondé un journal dans l'intérêt de la classe industrieuse, et par cette spéculation honorable, vous avez rendu un immense service à la société et à la ville de Lyon en particulier. Les prolétaires sont vos cliens, vos abonnés, vos lecteurs. C'est en leur nom que je crois devoir vous signaler un abus qui, pour être minime, n’en est pas moins un.

Cet abus (du moins je le crois tel), le voici : Chaque personne qui entre à l’Hôtel-Dieu est obligée de payer 2 liards les jours ouvriers, et un sou les dimanches et fêtes. Cette rétribution est peu de chose, il est vrai, mais c'est souvent le denier du pauvre, et si le pauvre ne peut pas y satisfaire, il est privé de voir l'être qui lui est cher et [5.2]qui languit sur un lit de douleur. Je désirerais connaître en vertu de quelle loi ce droit de péage est imposé. Vous savez qu'aucun impôt, aucune redevance ne peuvent être perçus qu'en exécution d'une loi votée par les deux chambres. J'espère que l'administration des hospices vous donnera une solution satisfaisante.

J'ai l'honneur d'être, non pas votre très-humble et obéissant serviteur, mais bien votre dévoué concitoyen.

Marius Ch...

Note du Rédacteur. - Nous sommes de l'avis de notre correspondant ; il nous semble qu'au lieu d'une rétribution forcée, on devrait placer un bassin à la porte avec un placard au-dessus, invitant chacun à déposer volontairement son offrande. Ce serait plus légal et nous croyons que l'Hôtel-Dieu y gagnerait.

AU MÊME.

Monsieur,

Je suis établi depuis vingt-cinq ans, et dans mes vues peu ambitieuses, je n'ai jamais eu que trois métiers. J'ai passé le bon temps de l'empire, où certes on gagnait un peu plus de vingt-huit à trente-deux sous (car, soit dit en passant, il y a dix ans qu'on ne vit pas). Pendant le temps de prospérité, je me suis procuré une petite aisance : j'ai acheté (pardonnez-moi ces détails) une petite propriété à la campagne ; ce qui m'a valu le droit d'élire le maire et les adjoints de ma commune. Mais jugez de ma surprise, lorsque je me suis vu exclu du rang des électeurs pour la nomination du conseil des prud'hommes, parce qu'il me manque quatre poteaux de métiers, seraient-ils vermoulus. Qui aurait cru que la capacité électorale tiendrait à un battant de plus ou de moins ? Dans les autres lois d'élections sans doute le cens électoral représente une valeur réelle ; mais ici, c'est vraiment pitoyable ! Je ne suis pas électeur moi, et mon fils, qui n'est pas le plus fortuné des hommes, vous pouvez vous en rapporter à moi, pourra se pavaner aux élections, parce qu'il a quatre métiers...

Je tiens beaucoup à l'organisation du nouveau conseil ; je me suis donc mis en tête de suivre la marche des élections, et comme je crois que, depuis juillet 1830, le double vote, de flétrissante mémoire, est aboli, pourquoi, sur les listes des électeurs, voit-on figurer quelques noms dans la catégorie des fabricans et dans celle des ouvriers ? Pourquoi les associés sous la même raison de commerce, les frères même, figurent-ils chacun comme électeurs ? Voilà de la justice ?...

Je ne suis pas électeur, parce que je n'ai pas eu l'idée, il y a un mois, d'acheter un bois de métier qui m'eût coûté 20 francs ; et MM. tels ou tels le sont, parce qu'ils sont six associés.

Si vous trouvez quelques réflexions dignes d'être insérées dans votre journal, veuillez avoir la complaisance de leur donner la publicité.

Je suis, etc.

Un ouvrier en soie, qui n’a que trois métiers.

Nous avons reçu de la mairie l’affiche suivante, pour être insérée dans notre journal.

mairie de la ville de lyon

Logement des troupes de passage.

Abonnemens militaires annuels.

Nous, Maire de la ville de Lyon,

Vu la délibération du conseil municipal du 18 janvier [6.1]présent mois, approuvée le 21 par M. le préfet du Rhône, relative aux abonnemens militaires de 1832,

Donnons avis :

Que les abonnemens militaires pour l’année 1832, au moyen desquels les habitans de la ville de Lyon seront dispensés de loger les troupes de passage et les militaires voyageant isolement, seront ouverts a l'Hôtel-de-Ville, dans le bureau attenant à celui des logemens militaires, savoir ;

Pour la division du nord, depuis le 30 janvier jusqu'au 13 février inclusivement, de 9 heures du matin à une heure de l'après-midi.

Pour la division du midi, du 13 février au 25 du même mois :

Pour la division de l'ouest, du 26 février au 9 mars prochain, aux mêmes heures que ci-dessus.

Le prix de la rétribution volontaire et facultative pour l'habitant qui voudra user du moyen qui lui est offert, est fixé ainsi qu'il suit :

Les habitans non imposés à la contribution personnelle et mobilière, et ceux imposés à la contribution personnelle seulement, payeront : 2 fr.
Ceux imposés à la contribution personnelle et mobilière, de 7 fr. à 18 fr. 99 c. : 3 fr.
Ceux de 19 fr. à 21 fr. 99 c : 4 fr.
Ceux de 22 fr. à 31 fr. 99 c : 5 fr.
Ceux de 32 fr. à 41 fr. 99 c : 6 fr.
Ceux de 42 fr. à 56 fr. 99 c : 8 fr.
Ceux de 57 fr. à 66 fr. 99 c : 10 fr.
Ceux de 67 fr. et au-dessus : 12 fr.

Nous saisissons cette occasion pour rappeler aux personnes qui, en 1831, ont pris des abonnemens extraordinaires pour les troupes de cantonnement (abonnement qu'il ne faut pas confondre avec celui de passage, qui a lieu tous les ans et que nous annonçons aujourd'hui), que le reliquat provenant de cet abonnement extraordinaire, s'élevant à la somme de 27,364 f. 18 c., sera rendu aux ayant-droit au prorata de la somme que chacun d'eux aura versée.

Aussitôt que le décompte sera fait, un second avis annoncera l'époque du remboursement, ainsi que le lieu où il sera effectué.

Fait à l'Hôtel-de-Ville de Lyon, le 28 janvier 1832.

Le maire de la ville de Lyon, Prunelle.

MAIRIE DE LA VILLE DE LYON.

Conseil des Prud’hommes de Lyon.

Nous, Maire de la ville de Lyon,

Vu l'ordannance du Roi, du 15 janvier 1832, sur l'organisation du conseil des prud'hommes ;

Vu les art 4 et 11 de l'arrêté de M. le préfet de ce département, portant :

Art. 4. Pendant les cinq jours qui suivront la publication de la liste des chefs d'ateliers, électeurs du conseil des prud'hommes, tout individu omis pourra présenter sa réclamation à la mairie.

Dans le même délai, seront admises à la mairie les réclamations contre les individus indûment portés sur cette liste

Art. 11. Les formes et les délais prescrits par notre présent arrêté, seront observés à l’égard de la liste des marchands-fabricands.

Donne avis

Que les réclamations seront reçues, à la mairie, au [6.2]bureau des contributions, à partir de ce jour jusqu'au 7 du présent mois, depuis 9 heures du matin jusqu’à 4 heures du soir.

Fait à l’Hôtel-de-Ville, Lyon, le 1er février 1832.

Le maire de la ville de Lyon, prunelle.

Note du Rédacteur. - Il nous semble que l'autorité devrait prolonger le temps accordé pour les réclamations ; nous savons qu'un grand nombre d'électeurs ont été omis. Par conséquent, ce n’est pas dans cinq jours que peut s’opérer la révision des listes.

NOUVELLES DIVERSES.

On lit dans le Sémaphore de Marseille :

De la science dans ses rapports avec l’industrie.

La volonté de l'homme se manifeste par la pensée et par l'action : il y a en lui intelligence et force, qu'il soit considéré isolément ou dans ses rapports avec les autres hommes. Les sociétés ont donc deux sortes de besoins, l'activité spirituelle et l'activité matérielle, qui trouvent à se satisfaire par la science et par l'industrie. Il découle de ce qui précède que ces deux formes de la politique sociale étant deux expressions différentes d'un même principe, doivent avoir entre elles une connexion intime. Il ne peut pas plus exister d'industriels sans savans que de savans sans industriels. Ils parcourent tous les deux le même cercle d'idées : l'un pense, l'autre exécute. Le premier se sert du second pour matérialiser ses conceptions, et le second du premier pour donner la vie à la matière. D'où vient donc qu'on rencontre encore des savans qui s'isolent du monde, négligeant l'enseignement des ateliers et se trouvant seulement à l’aise avec la poussière de leurs cartons ? Qui comprendra pareillement pourquoi il est des industriels prenant en pitié celui dont le langage matériel est une raison inverse de la richesse scientifique ? et d'autres qui, s'imaginant n'avoir besoin de rien apprendre, répugnent à se frotter à un homme sachant beaucoup, mais n'exécutant pas ? pourquoi, surtout, il en est certains craignant la science à l'égal de la peste ou de toute autre maladie contagieuse ? Certes, le fait reconnu, la question posée, sont intéressans à méditer et à résoudre. La société présente s'enquiert de la cause du divorce éclatant qui la frappe, elle en soupçonne l’injustice ; et en effet qu'est-ce que la pensée privée de sa traduction matérielle, et l'action dépouillée d'inspiration ?

La corrélation intime entre la science et l'industrie est si saisissable, qu'il est difficile de concevoir comment, le principe nettement posé, on voit précisément le contraire se réaliser chez les hommes. Pour se rendre compte de ce fait bizarre, il faut remonter au-delà et examiner quelle était dans le passé la constitution de l'industrie et de la science dans la société française. Comblons pour un instant l'abîme qui nous sépare de la féodalité, renouons la chaîne des temps pour saisir, s'il est possible, les conséquences de cet état d'autrefois pour l'ordre social actuel.

Parallèlement à la société spirituelle de l'église s'était élevée la société temporelle de la féodalité. Dans leur principe, l’une toute pacifique, l’autre toute guerrière ; légitimes toutes deux à leur époque, et ayant rendu de grands services à l'humanité, l'égalité chrétienne prépara l'égalité sociale, et la hiérarchie féodale établissait une équitable relation entre le travail du faible et la protection du puissant. Peu à peu l'une et l'autre déchurent [7.1]de leur essence. L'envahissement et la conquête devenus mobiles de la société temporelle, le régime de la guerre y fut établi. D’autre part, l'église fut envahie par les intérêts matériels, et la lutte fut aussi son partage. Alors guerre partout. La constitution civile fut la guerre : guerre avec corps d'armées, guerre en champ clos, guerre au nom de Dieu, guerre en Sorbonne, guerre aux écoles ; chacun, noble ou vilain, prêtre ou laïque, clerc ou maître, bachelier ou docteur, prenait rang sous une bannière hostile. La science elle-même avait son cachet d'antagonisme. Et s'il se rencontrait des savans véritables, c'était retranchés derrière la grille du couvent ou la haute muraille de l'abbaye. On conçoit en effet le besoin de se reléguer qu'éprouvaient les hommes livrés aux méditations pacifiques de la science, loin de la guerre, sous toutes les formes et partout. Ainsi séquestrée, la science ne pouvait éclairer l'industrie, et les grands hommes de l'époque se rejetaient dans les conceptions les moins applicables en apparence aux réalisations matérielles. Il eût fallu pour cela méditer sur les besoins des hommes que les savans délaissaient avec colère.

Et l'industrie elle-même, que pouvait-elle être alors au milieu de ce conflit d'armes de toute espèce ? hormis celle du sabre, de la lance et des grands chemins, il n'en existait point d'autres, si ce n'est en quelque coin obscur d'atelier gardé par le secret. Quel besoin pouvaient-ils éprouver de la science les industriels que protégeait leur petit nombre ? Les producteurs vivaient clair-semés dans le peuple, les destructeurs étaient parmi les heureux de naissance. Qu'on s'imagine l'industrie au berceau, avec ces convulsions continuelles, ces industriels rares, sans union et sans force ; de quel poids pouvaient-ils être dans la balance vis-à-vis d'une société fortement organisée, qui, de morale qu'elle était d'abord, devint ensuite la plus immorale de toutes ? Peu à peu néanmoins le nombre des travailleurs allait croissant ; quelques localités devinrent manufacturières : mais à l'industrie dans son enfance il fallait pour grandir des précautions multipliées, des privilèges, et des prohibitions à l'avenant ; et les producteurs, devenus plus nombreux, sentirent le besoin de s'unir et d'opposer leur nombre à la puissance brutale des seigneurs isolés du moyen âge. De là les corporations, et par suite les jurandes et les maîtrises. C'est ici qu'il faut chercher les fondemens de la puissance industrielle dans l'état. Les rois de France favorisaient à leur insu son développement en appelant les classes inférieures à leur secours pour surmonter la puissance des barons. Et quand ceux-ci furent terrassés, la monarchie militaire s'éleva sur les débris de l'oligarchie guerrière du passé. Toujours dura le régime de la violence, mais modifié d'une façon salutaire. Louis XIV, réalisant l'unité, permit à ce rejeton, encore frêle, de pousser des racines plus pénétrantes et des rameaux plus étendus. Du reste, toujours dédain pour les fruits du travail matériel, si ce n'est pour quelques industries privilégiées et destinées à satisfaire le luxe des hauts et puissans consommateurs. Louis XIV vendit des titres de noblesse pour pouvoir orner ses palais de tentures de soie et de vitraux aux fenêtres. Les palmes étaient aux travaux d'imagination. Louis XIV estimait beaucoup les artistes, pas assez les artisans. La réhabilitation de la science était déjà venue, pas encore celle de l'industrie ; aussi grandissait-elle seule et à l'ombre. La fin du règne de ce monarque glorieux prouva que son génie n’était pas encore initié à l'importance pacificatrice du travail.

Et quelle fut la direction générale du développement scientifique et industriel dans cette première période [7.2]historique que nous examinons, depuis la constitution de la féodalité jusqu'à la réalisation définitive de l'unité monarchique ? Elle fut toute individuelle et reflétant cet esprit de guerre qui dominait la société. Ainsi, les savans usaient les veillées du cloître à construire des problèmes qu'ils jetaient ensuite en défi à leurs rivaux. Les belles découvertes scientifiques faites pendant cette période atteignent les conceptions les plus élevées, mais parmi elles aucune, pour ainsi dire, n'est immédiatement applicable aux progrès industriels, ou du moins si cette réalisation s'est depuis accomplie, elle n'était pas soupçonnée par les inventeurs.

L'industrie ne se développe que pour satisfaire le besoin guerrier, le besoin de luxe, résultat du premier, ou le besoin de retraite, résultant des deux autres. Les instrumens de guerre, les meubles et les vêtemens d'apparat, les ornemens de couvens et d'églises, composent en grande partie le langage industriel de l'époque...

Nous voyons alors la science agrandissant leur domaine, mais dans un champ purement théorique ; les premiers germes de la puissance industrielle apparaître au milieu des modifications du pouvoir féodal décroissant ; et seulement à la fin de cette période quelques ministres et quelques rois prendre parti pour l'industrie, et celle-ci grandir, bien que ces premiers encouragemens fussent entachés d'hésitation.

CONSEIL DES PRUD’HOMMES

Séance du février,

(présidée par m. guérin.)

Le président ouvre la séance à six heures et demie ; l'auditoire était si nombreux, que la salle ne pouvait le contenir, et quelques personnes sont restées dans le corridor, en attendant de pouvoir entrer. Une cinquantaine de causes ont été appelées ; quelques-unes ont fait défaut, et un grand nombre étaient des dissensions entre les maîtres et leurs élèves ; ce qui n'est pas étonnant dans un état où l'on gagne si peu et où il faut tant travailler, que la misère soit en prise avec la misère. Tous les auditeurs ont pu remarquer avec quelle aménité le président cherchait à concilier les parties, en engageant les apprentis à faire leur devoir, à être dociles envers leurs maîtres ; aussi est-il parvenu à en concilier le plus grand nombre.

Les causes qui ont offert quelqu'intérêt, sont d'abord celle du sieur Comparin, dont l'affaire qui a été expliquée jeudi passé, avait été renvoyée à cette audience, les sieurs Lassaveur et Magnin devant fournir leur acte de vente ; l'acte portait l'acceptation des conventions passées entre les sieurs Comparin et Lassaveur, qui avaient été remises entre les mains de l'acquéreur. Le défenseur du sieur Comparin met sous les yeux du conseil une vingtaine de certificats, qui attestent la moralité et la bonne conduite du sieur Comparin, et conclut à ce que le sieur Magnin paye à son élève 50 fr. qu'il lui doit, ainsi que la somme de 400 fr. de défrayement, et les frais.

Le conseil déclare que les conventions de l'apprentissage ayant été acceptées par l'acquéreur, puisqu'il y en a eu continuation, il n'y a pas lieu à les rompre, et condamne ce dernier à reprendre son élève et à payer les frais.

La dame Olagnon, blanchisseuse et apprêteuse de schals, réclame au sieur Chazon un prix de 20 c. par [8.1]schals 4/4 à bordure, prix qui lui est payé par d'autres négocians, et que le sieur Chazon ne lui a porté à façon qu’à 2 c. 1/2 ; elle expose ensuite au conseil que ses livres ne sont pas en règle, qu’il est très-difficile de s’y reconnaître, et demande que son affaire soit renvoyée pardevant des arbitres pour fixer le prix et régler ses livres.

Le conseil renvoie l'affaire pardevant M. Estienne.

Le sieur Beaudy expose au conseil qu'il a fabriqué aux sieurs Pellein et Bertrand une pièce de grenadine cuite, passée sur 80 dents au pouce dans la même réduction, de largeur de 28 pouces, et demande que sa façon soit portée au prix de 1 fr. 30 c., au lieu de celui de 85 c., que le sieur Pellein lui a marqué sur son livre sans en être d'accord. Le sieur Beaudy réclame en outre un petit défrayement pour son montage de métier, n’ayant fait qu'une pièce et lui étant impossible de continuer au prix que lui offrent les sieurs Pellein et Bertrand.

Le conseil renvoie l'affaire pardevant MM. Second et Audibert.

Le sieur Coissard réclame au sieur Michel un prix de 1 fr. qui lui a été promis par le commis du sieur Michel, sur une étoffe 4/4 réduction de 120 coups au pouce, sur les fonds Batavia, et 90 c. sur les fonds taffetas.

Le sieur Michel tranche la question en disant que le prix de 90 c. est marqué sur son livre, et que c'est une question de droit.

Le sieur Coissard répond à cette assertion qu'il n'est pas difficile au négociant de s'établir des droits, puisqu'il peut marquer les prix à volonté ; que pour lui, confiant dans les promesses qui lui avaient été faites, il avait travaillé pensant avoir 90 c. pour les fonds taffetas, et 1 fr. les Batavia, prix sans doute au-dessous de ce qu'il devrait être.

La cause a été renvoyée à la séance prochaine.

Une contestation a lieu entre un chef d'atelier et son ouvrier, dans laquelle le chef d'atelier demande que son ouvrier qui était sorti de chez lui rentre pour y finir sa pièce, ou perde la façon de 24 aunes d'étoffes, valant 12 fr. à l'ouvrier. Cet ouvrier consent à perdre sa façon plutôt que de rentrer chez son maître, promet rembourser la dépense qu'il a faite, et demande que son livret lui soit rendu, ce que le conseil accorde.

ANNONCES DIVERSES.

bourse militaire.
assurance mutuelle pour le recrutement.

Administrateurs : MM. Debar et C.e, rue Montmartre,
N° 165. à Paris.

L'assurance comprend 60 départemens, les fonds ne seront déposés chez le notaire que la veille du tirage. On souscrit de 100 fr. à 1.200 fr.
L’administration fournira un remplaçant au souscripteur qui aura déposé 1.000 fr. et lui restituera 500 fr., s'il est réformé.
S’adresser pour le département du Rhône, au Directeur, galerie de l’Argue, escalier L.

[8.2]en vente,

Chez Baron, libraire, rue Clermont,

essai sur les moyens de faire cesser la détresse de la fabrique,
par
e. baune,
professeur à l’institution saint-clair.

en vente

Au Bureau de l’Echo de la Fabrique,

réplique de m. bouvier du molart aux récriminations insérées dans les journaux ministériels du 6 janvier.

rapport fait a m. le président du conseil et au ministre du commerce, par deux chefs d’ateliers.

Ce rapport, de 8 pages format in-4°, imprimé sur beau papier et caractères cicéro neuf, sera déposé dans tous les lieux désignés pour l'abonnement au journal, où chacun pourra se le procurer pour le prix de 50 cent, destinés au soulagement des blessés, des veuves et orphelins des trois journées de novembre.

AVIS.

A vendre, une quarantaine de peignes en bon état, de diverses réductions, en 5/12, 11/24, 3/3 et 7/12.
S'adresser au Bureau du Journal.

A vendre, à bon marché, une petite mécanique longue, à marche. S'adresser chez M. Becqx, rue St Jean, n° 8, au 2me, allée du pharmacien.

A louer, emplacement pour un ou deux métiers pour maître ou maîtresse, sur le quai de la Baleine, avec un cabinet indépendant.
S’adresser au Bureau du Journal.

- A vendre un métier de peluches pour chapeaux avec accessoires, ayant un remisse en soie.
S'adresser au Bureau du Journal.

A vendre, un atelier de six métiers en velours façonné et uni, avec beaucoup d'ustensiles et accessoires.
S'adresser chez M. Drivon cadet, côte des Carmélites, à la barrière de fer.

- On demande plusieurs ouvrières pour des courans et des unis.

- On demande des ouvriers compagnons pour des métiers de peluches pour chapeaux.
S'adresser au Bureau du journal.

Notes (LYON.
AUX CHEFS D'ATELIERS POSSÉDANT QUATRE MÉTIERS.)

1 L’auteur de ce texte est Antoine Vidal d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

Notes (ABUS DU MONTAGE DE MÉTIERS.)
1 L’auteur de ce texte est Joachim Falconnet d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

Notes (DE L’INSTRUCTION POPULAIRE.)
1 L’auteur de ce texte est Antoine Vidal d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832). Rapidement Marius Chastaing se fera dans L’Echo l’autre principal chantre de l’instruction. Ses thèses sur « l’égalité sociale » vont dès lors s’inscrire dans la vulgate démopédique républicaine de ces premières années de 1830 ; si le nécessaire est absolument indispensable à l’émancipation physique, l’instruction est la base de l’émancipation morale : « […] il faut à tous les hommes cette instruction élémentaire qui les civilise, et leur apprenant leurs droits, leur enseigne aussi leurs devoirs. Alors disparaîtront la grossièreté, la brutalité qu’on reproche à la classe pauvre ; alors, et comme par enchantement, se développeront les vertus morales, dont le germe est en elle » écrira Chastaing rapidement (numéro du 27 mai 1832) alors qu’en octobre de la même année il inaugurera au sein même de L’Echo de la Fabrique une nouvelle rubrique, les « lectures prolétaires », pensées comme un véritable « cours d’instruction » offert aux lecteurs canuts (numéro du 14 octobre 1832).

Notes (Le Courrier ministériel de Lyon a publié...)
1 L’auteur de ce texte est Joachim Falconnet d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

Notes (Nous félicitons le Courrier de Lyon...)
1 Le Mont-de-Piété de Lyon avait été créé par un décret napoléonien en novembre 1810. L’Echo de la Fabrique annoncera, en particulier durant l’année 1833 les principales adjudications. Toutefois les journalistes de L’Echo étaient de plus en plus critiques vis-à-vis de cette « institution spoliatrice » et usurière, créée selon eux par un Bourbon, Louis XIV, institution légale qui organisait pourtant un transfert de ressources paradoxal, des plus misérables, vers les mieux nantis. A l’automne 1833, une des plumes de L’Echo propose de la rebaptiser, « mont de spoliation », (numéro du 22 septembre 1833).

Notes (D'après les soies mises à la condition...)
1 La conjoncture économique est alors en train de se retourner et la fabrique commence à sortir de la phase dépressive des années 1827-1831. La période 1831-1839 sera marquée d’une part par une croissance mesurée mais régulière ainsi que par la dépendance croissante de la soierie lyonnaise vis-à-vis du marché américain. Référence : P. Cayez, L’Industrialisation lyonnaise au 19e siècle, ouv. cit., 1ère partie, chapitre 3, « Le développement de l’économie traditionnelle », p. 196-299.

Notes (LE BAL ET L’HOTEL-DIEU.)
1 L’auteur de ce texte est Léon Favre d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

 

 

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