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5 octobre 1834 - Numéro 3
 
 

 



 
 
    

M. LAGRANGE.

Mademoiselle Jeanne Dubuisson vient de rappeler l’attention sur ce détenu auquel ses ennemis politiques (il ne saurait en avoir d’autres), sont obligés eux-mêmes de rendre justice. Nous engageons les lecteurs à prendre connaissance de l’article intéressant que sous le titre : Un trait d’une vie, elle lui a consacré dans le Numéro 27 du Papillon, qui a paru jeudi dernier ; mais nous ne pouvons résister au plaisir d’en donner une courte analyse ; quelque décolorée qu’elle soit elle plaira.

M. Lagrange, soldat d’artillerie de marine, montait la Bellone, frégate française. Cette frégate poursuivie par un bâtiment anglais de force supérieure parvint cependant à lui échapper. En ce moment, le jeune artilleur ne pouvant maîtriser sa joie, s’écria : Enfoncés les Anglais ! Une querelle s’élève entre lui et le capitaine d’armes, généralement accusé d’avoir servi en Angleterre et d’en avoir rapporté des sentimens peu français. Lagrange, après avoir frappé son supérieur, qui l’avait tutoyé d’une manière inconvenante, s’oublia jusqu’à menacer de mort son commandant, et il aurait exécuté sa menace si on ne l’en eût empêché. Arrêté par suite de cet acte grave d’insubordination, dans lequel, quelque blâmable qu’il soit on reconnaît un caractère énergique, un sentiment profond de la dignité d’homme et un amour-propre national qu’on ne peut moins faire l’admirer, et qui sont encore les attributs distinctifs du caractère de M. Lagrange, il devait passer devant un conseil de guerre.

Lagrange aurait sans doute été condamné à mort, la discipline militaire le voulait et il attendait son sort avec une fermeté d’âme stoïque. Heureusement pour lui, une tempête furieuse survint ; on le sortit de la barre de justice à laquelle il était attaché depuis deux semaines, et il fut transféré à bord du Revenga, vaisseau américain, avec l’équipage de la Bellone avariée ; on oublia son coup de tête ; il était aimé, personne ne le rappela, ensuite il passa avec sa compagnie sur le Superbe, ce même vaisseau qui a dernièrement fait naufrage. Depuis il est entré au service civil, nous ignorons quand et comment. Les événemens d’avril l’ont trouvé remplissant avec distinction les fonctions d’ingénieur des ponts et chaussées.

La Providence a conservé les jours du soldat, elle ne permettra pas que la tête du citoyen tombe sur un échafaud ni que d’indignes fers meurtrissent ses mains.

 

 

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