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12 février 1832 - Numéro 16
 
 

 



 
 
    
LYON.
LES OUVRIERS EN SOIE ET M. FULCHIRON.1

Paix et oubli ! voilà ce que nous n?avons cessé de proclamer depuis les jours terribles où nous avons eu à déplorer la perte de tant de concitoyens. Paix et oubli, ont répondu par sympathie ceux qui nous ont confié leur défense.

Déjà un ciel plus pur brille sur notre cité, et chacun cherche à faire disparaître les traces de la tempête. L?ouvrier, faisant abnégation de tout ressentiment, ne parle plus que de concorde ; et le fabricant, suivant ce touchant, ce sublime exemple, nous apporte son offrande pour les victimes de ces temps de malheur qui ne devraient plus s?offrir à la pensée. Mais cet envain que nous ayons, ouvriers et fabricans, recouvert d?un peu de terre les victimes de nos dissensions civiles, une main sacrilége vient d?arracher la mousse légère qui commençait à la couvrir ; elle a exhumé des tombeaux les cendres encore [1.2]fumantes ; et, secouant la torche de la discorde, elle a cherché à jeter parmi nous de nouvelles semences de haine.

Voilà l??uvre de M. Fulchiron, voilà l??uvre d?un député appelé à défendre indistinctement l?intérêt de ses concitoyens. Ah ! sans doute, nous nous trompons, le pauvre n?est point le compatriote du député du Rhône ; cet un être tellement inférieur, qu?on peut l?égorger sans qu?il inspire de la pitié ; et s?il ose dire qu?il a faim, s?il ne veut point mourir sans importuner, par sa plainte, le grand qui passe ses jours dans les délices, M. Fulchiron se chargera de vous dire que c?est un factieux, que c?est un rebelle?

Nous avions dit que nous ne parlerions plus des scènes sanglantes qui nous désolèrent pendant trois jours ; mais on calomnie indignement, on insulte une classe d?hommes qui mérite au moins le respect ; le silence de notre part serait adhérer à la diffamation, et par cela même, nous nous rendrions coupables d?une indigne lâcheté.

Sans doute, c?est avec regret que nous revenons sur ces questions de désastres ; mais on nous y ramène malgré nous, et nous allons suivre dans sa diatribe l?homme qui a osé soulever le voile qui couvre tant d?horreurs.

C?est avec un sentiment d?indignation que nous avons lu le discours de M. Fulchiron à la chambre des députés, si l?on peut appeler discours quelques phrases dictées par la haine et souillées par la plus basse calomnie ; nous allons lui répondre, nous faisant gloire d?avoir moins de fiel et d?être plus justes que lui.

[2.1]M. Fulchiron représente, dit-il, cette illustre et malheureuse cité ; ah ! sans doute, illustre et malheureuse ! mais n?est-ce qu?au riche qu?elle doit sa grandeur ? et le pauvre, celui qui, par son travail, par son industrie, la rendue sans rivale, est donc indigne de la sympathie de M. le député ? Il ne doit donc avoir pour sa part dans ses sorties virulentes que la calomnie et la diffamation?

Il n?y a pas eu guerre civile dans les événemens de Lyon a-t-il dit, il y a eu attaque à la propriété. Quel est le citoyen, quel est le Lyonnais dont le c?ur ne se brise pas de douleur en entendant de pareilles imputations ? Il y a eu attaque à la propriété ?... est-ce M. Fulchiron qui pourrait le prouver ? ne se souvient-il plus de ces ouvriers qui veillaient à la porte des magasins, des comptoirs et peut-être à la sienne ? de ces ouvriers qui ont eu Lyon en leur pouvoir, et qui s?organisèrent comme par enchantement pour protéger les propriétés de ceux qui les dénigrent aujourd?hui ? Ne se souvient-il plus que, demi-morts de misère, sans aucune ressource dans leurs ménages, ils ont veillé à côté des coffres-forts, et que la fortune de leurs adversaires a été partout respectée ? Sans doute, il veut parler de deux ou trois maisons dévastées, dévastations que nous déplorons autant que lui ; mais sont-ils coupables ceux qui avaient essuyé, pendant une demi-journée, le feu des croisées de ces maisons ? c?est ce que nous ne voulons pas résoudre, tout en plaignant ceux qui en ont été victimes.

M. Fulchiron dit que les ouvriers se sont livrés au pillage? Et c?est un Lyonnais qui doit connaître tous les événemens de novembre, qui ose avancer à la tribune nationale un mensonge que nous ne savons comment qualifier ?? Comment, tandis que la masse des fabricans rend aujourd?hui justice à la modération, à la bonne conduite des ouvriers ; quand plusieurs de ces ouvriers sont nantis de certificats signés par le gérant de la banque et couverts par des noms les plus honorables, comment, disons-nous, ose-t-on proférer tant d?atroces calomnies ? L?orateur peut sans doute dire toute sa pensée à la tribune et exhaler son erreur ou sa mauvaise foi, mais libre, aussi à nous, dans une sainte indignation, de défendre des malheureux dont tout le crime est d?être pauvres et de vouloir en travaillant donner du pain à leurs familles.

Les ouvriers, a dit M. Fulchiron, ont mis en péril les saintes lois de la France : témoins oculaires de ce drame sanglant, nous n?avons jamais vu les ouvriers méconnaître les lois et nous en appelons en témoignage l?autorité, cette autorité que les vainqueurs surent respecter, parce que ce n?était point dans le but de changer les institutions que les ouvriers s?étaient armés, et puisqu?on nous force à le répéter, nous dirons que ce n?était que pour repousser l?agression. Et quelles armes avaient ces ouvriers si ce n?est que celles qu?ils prenaient en se jettant dans les rangs de ceux qu?on envoyait pour les massacrer !

Il est pénible pour nous de rappeler de si tristes souvenirs ; mais on veut du scandale. Tandis qu?a Lyon, l?ouvrier et le fabricant oublient le passé, tandis que beaucoup se tendent la main en signe de reconciliation ; à Paris, à la tribune nationale, un député de Lyon cherche, à ranimer les haines, et semble regretter le peu de confiance qui commence à renaitre parmi nous.

Le député du Rhône termine sa série de diffamations en disant que les troubles de Lyon étaient le résultat d?une conspiration des prolétaires contre la propriété. Ici notre indignation est à son comble : pour faire justice de la calomnie la plus affreuse, nous faisons un appel à tous les négocians, à tous les banquiers, enfin, à tous ceux qui possèdent de la fortune et qui ont un c?ur généreux ! n?ont-ils pas tous [2.2]rendu justice aux ouvriers, lorsqu?après les avoir vus maîtres de tout, on les a vus respecter les propriétés et les personnes, et mettre des sauve-gardes partout où il y avait de l?or?

Voilà où l?aveuglement peut conduire un homme pour justifier une poignée d?égoistes. Il ne craint point de déchirer l?appareil qui couvre une plaie encore saignante, et cet homme, ce n?est point un prolétaire, c?est M. Fulchiron?

Par amour de la concorde et de l?union, les ouvriers n?ont pas voulu remuer la fange sanglante de ces événemens ; mais puisqu?on les accuse des crimes qu?ils n?ont pas eu la pensée de commettre, comme leur conduite l?a bien prouvé, ils se lassent de ces éternelles accusations, et à leur tour demandent une enquête sévère, munitieuse, éclatante ; car il est temps que l?on rende justice à chacun.

Quant aux décorations dont parle l?orateur, et qui ont été décernées aux gardes nationaux, nous nous abstenons de longues réflexions qui ne pourraient être que pénibles. Que ceux qui croient les avoir méritées, les portent et s?en glorifient : Dieu veuille que sous elles leurs c?urs ne battent point quelquefois, déchirés par de tristes souvenirs.

M. Fulchiron met son espérance dans les enfans !? Avant qu?ils soient en état de marcher sur les traces de leurs pères, nous pensons que d?autres idées prévaudront, et qu?en dépit de lui, les prolétaires et les fabricans se tendront la main pour éviter toute colision, en rejetant sur l?honorable député toutes les diatribes dont il gratifie ses compatriotes.

Notes (LYON.
LES OUVRIERS EN SOIE ET M. FULCHIRON.)

1 L?auteur de ce texte est Antoine Vidal d?après la Table de L?Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

 

 

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