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9 octobre 1834 - Numéro 3
 
 

 



 
 
    

Si l’instruction était plus généralement répandue parmi les ouvriers, ils sauraient mieux apprécier leurs droits dans leurs justes limites. Ils sauraient connaître les moyens par lesquels ils pourraient en obtenir la jouissance, sans s’exposer à se mettre en contravention avec la loi, ou à se voir privés d’ouvrage, s’ils ne veulent se laisser frustrer une part de leur salaire par ceux auxquels leurs sueurs profitent.

Certainement il existe des tribunaux devant lesquels ils peuvent exposer leurs griefs et obtenir justice ; mais la nécessité rigoureuse de travailler constamment pour suffire aux premiers besoins, leur fait craindre que leurs efforts pour se soustraire à la cupidité et à la mauvaise foi, ne les mettent dans une position plus précaire encore ; car il est des hommes qui sont assez vils pour se venger de ceux qui veulent ne pas accepter leur capacité pour loi.

Ces réflexions nous sont suggérées par le livre d’un chef d’atelier que nous avons eu sous nos yeux. Sur ce livre nous y avons remarqué l’astuce, la mauvaise foi, l’irrégularité. Eh bien ! malgré ces justes motifs d’appel devant le conseil des prud’hommes, le chef d’atelier est si malheureux qu’il appréhende, en se faisant rendre [1.2]justice, d’être privé d’ouvrage, et que ce qu’on lui a extorqué ne puisse, en l’obtenant, compenser les pertes que lui fera faire la suspension de son métier qui peut, dans ce moment surtout, être très longue.

Au besoin, nous citerions la maison qui abuse indignement de la misère et de la faiblesse d’un pauvre père de famille.

C’est ainsi que les ouvriers par leur misère et le défaut d’instruction se trouvent sous la dépendance des hommes cupides qui, par leurs spéculations scandaleuses perpétuent cet état de privations et de souffrances où un ordre de chose abusif les a placés, c’est dans cette différence de position et de moyen qui existe entre les diverses classes de notre industrie qu’il faut rechercher la cause des maux sur lesquels nous avons à gémir. Trop souvent des faits semblables à celui que nous signalons se reproduisent et viennent soulever l’indignation des honnêtes gens ; car rien n’est plus odieux que de ravir une partie d’un morceau de pain à celui qui n’a pas même pour vivre son stricte nécessaire.

Nos codes contiennent bien des lois qui punissent la fraude, mais elles sont impuissantes pour punir les exactions dont les ouvriers sont si souvent victimes, c’est à la publicité à suppléer au défaut de la loi, c’est à elle à flétrir, à stigmatiser les hommes rapaces, artisans de discordes et de misère, dont l’existence semble être consacrée à entretenir des dissensions funestes. C’est à la presse à conquérir pour les ouvriers une position plus indépendante, et qui les mette à l’abri d’une exploitation égoïste qui ne leur laisse pour toute perspective que la crainte d’aller mourir sur le lit de l’Hôpital.

Les ouvriers, dit-on, sont libres d’accepter ou de refuser les conditions qu’on leur propose. D’après le fait dont nous avons parlé plus haut, on peut facilement se convaincre combien ce prétendu droit est illusoire ; car la nécessité qui les domine ne leur permet pas de manifester la moindre irrésolution pour accepter les propositions qui leur sont faites, tant ils craignent de [2.1]supporter une suspension d’ouvrage qui les priverait de la faculté de donner du pain à leurs enfans. En effet, comment la misère peut-elle être libre dans ses transactions avec l’opulence ? comment peut-elle débattre des conventions, alors que la faim la presse ? et la faim, c’est un mal horrible ; la misère s’empresse toujours d’y satisfaire.

Lorsque la misère pourtant fait un effort pour s’affranchir des rudes conditions qu’on lui impose si ses efforts ne sont pas dirigés par la prudence, et une certaine instruction : elle ne fait que rendre sa position plus accablante, car son succès n’est plus attaché à une combinaison plus ou moins heureuse ; il est livré tout entier au hasard qui rarement le favorise, c’est donc vers l’instruction que les ouvriers doivent diriger leurs efforts et leurs soins, c’est là où est leur véritable planche de salut par elle, leur misère ne sera plus un obstacle difficile à surmonter pour arriver à l’amélioration de leur sort. Ils auront une meilleure intelligence des moyens qui leur sont permis pour combattre l’égoïsme, détruire les abus et rendre impuissantes les machinations de l’intrigue.

Ce n’est pas de cette instruction qui donne la science dont nous voulons parler, les ouvriers n’ont ni le temps, ni l’argent nécessaire pour se la procurer ; mais nous parlons de celle qui donne les sentimens de ce qui est juste, honorable, qui met à l’abri des fausses insinuations, qui fait juger sainement de la valeur de chaque chose, et qui rend apte à la discussion calme et réfléchie ; droit naturel dont aucun ne doit être privé.

Alors que chacun aurait une connaissance exacte de ses droits et devoirs, les différens se videraient sans violence, et l’harmonie dans les rapports entre fabricans et ouvriers n’étant plus si souvent interrompue, les développemens de notre belle industrie n’éprouveraient plus des entraves déplorables, et nous verrions luire des jours plus heureux pour les industriels et les commerçans.

 

 

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