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19 octobre 1834 - Numéro 5 et Supplément
 
 

 



 
 
    

POLICE CORRECTIONNELLE.

(Présidence de M. Pic.)

Audience du 17 octobre.

Nos lecteurs se rappellent que le 28 du mois dernier neuf chefs d’atelier, compris le gérant de cette feuille, et deux cabaretiers, furent préventivement arrêtés, comme ayant contrevenu à la loi des associations, en essayant de reconstituer le mutuellisme. Ils comparaissaient aujourd’hui devant la police correctionnelle, sous  la prévention d’organisation d’association prohibée, et l’un d’eux encore, sous la prévention de détention illégale d’armes de guerre.

L’audience est ouverte à huit heures et quart. Les prévenus sont assistés de Mes Jules Favre, Sériziat, Desprez, leurs défenseurs ; M. le substitut Durieu occupe le siége du ministère public.

Après la lecture des procès-verbaux, M. le substitut s’efforce de prouver que les prévenus ont cherché à ressusciter [1.2]l’association mutuelliste ; que la fondation du journal l’Indicateur n’a été qu’un prétexte pour cacher cette coupable tentative. Il regarde une réunion, surprise par la police chez un sieur Groupillon, cabaretier, et dans laquelle vingt-huit personnes ont été trouvées buvant et jouant au billard, cinq autres pliant des prospectus de l’Indicateur, comme un conciliabule anarchique.

Nous avons remarqué dans ce réquisitoire, d’ailleurs assez vide de preuves, une déplorable acrimonie de langage, à laquelle le caractère de M. le substitut nous donnait le droit de ne pas nous attendre. Les prévenus ont été représentés par lui comme les causes au moins imprudentes de désastres futurs. Les terreurs que la police a semées tout récemment dans les casernes, et qui agite la ville, ont été exploitées comme des symptômes d’agitation nouvelle. Enfin il a demandé une condamnation comme un gage indispensable du repos, sans lequel Lyon devait devenir le théâtre de collisions sanglantes.

M. Jules Favre s’est levé : Je serais en droit de m’étonner après l’enseignement de ces débats, de l’insistance du ministère public et de la violence inaccoutumée de ses paroles. Certes, il me serait facile d’opposer l’amertume à l’amertume. – Cette barre m’est trop féconde en tristes ressouvenirs, pour qu’il me soit possible d’effacer d’un trait leurs irritantes blessures.

L’aurais-je fait, serais-je parvenu à comprimer le passé tout au fond de ma poitrine, qu’il s’en élèverait encore, malgré moi, des plaintes sombres et découragées, au récit de ces nouvelles douleurs que ces poursuites révèlent et font naître. Je pourrais dire que lorsqu’il me faut lutter de ma raison et de mes sentimens contre des délits de convenance et d’occasion, tenir pour exécutoires et saintes des lois de transition et de colère, je suis tenté d’oublier cet appareil judiciaire, de vous entretenir comme nos protecteurs et nos amis, [2.1]de vous démontrer non pas que tel article est inapplicable, tel procès-verbal erroné, telle conséquence exagérée, mais que le ministère public s’est radicalement trompé, et qu’entraîné par le scrupule de son zèle, il a desservi les intérêts généraux qu’il pensait protéger.

Cette discussion serait grande et digne de vous, digne de la justice dont vous êtes les organes, elle serait aussi la meilleure, je me trompe, la seule véritable défense des prévenus. Néanmoins je la dois humilier et rétrécir aux proportions qui m’ont été faites ; je dois défendre sur le terrain des textes aveugles, au nom desquels notre liberté est menacée ; car, opposer à leurs brutales injonctions la tyrannique nécessité des besoins sociaux, la sainteté des principes évangéliques liant tous les hommes par des nœuds de fraternité et d’amour, ce serait ineptie. Que m’importe vos douleurs, nous dit la loi, vous n’aurez pour les soulager d’autres consolations que celles contresignées de ma police. Je sèmerai partout l’isolement et la méfiance, je corromprai les affections généreuses, je dissoudrai, et la société marchera tranquille et prospère.

Vanité ! les justes doléances d’une population froissée ne s’apaisent point par la destruction et l’emprisonnement. Vaincues sous une forme, elles se reproduisent sous une autre ; proscrites par la loi, elles se réfugient sur un sol neutre, où les armes sont impuissantes. Infatigables, parce qu’elles sont nécessaires, énergiques, parce qu’elles ont la conscience de leur légitimité ; elles bravent toutes les résistances, et finissent tôt ou tard par obtenir la consécration du droit écrit, dont le divorce avec le droit naturel des faits humains ne saurait être éternel. Voilà pourquoi, Messieurs, vous entendez encore parler du mutuellisme ; voilà pourquoi des citoyens honnêtes auxquels vous ne pouvez refuser votre estime, viennent braver les coups de la justice, comme des victimes jeunes et dévouées. Le mutuellisme est une formule variable avec l’orage ; les idées qu’il représente sont des réalités tout autrement positives, indéracinables, parce qu’elles touchent à des questions d’existences. On les dédaigne, elles grandissent ; on les effraie, elles sont plus exigeantes ; on les persécute, elles gémissent et saignent mais elles vivent. Toujours prêtes à saisir la moindre trouée pour se manifester et demander merci au pouvoir qui les muséle ; faut-il vous rappeler le passé ? Il y a quatorze mois que dans cette enceinte même le mutuellisme fut admis à la douloureuse initiation de ses tribulations judiciaires ; alors il fut démontré que son origine n’était pas dans une vaine fantaisie de compagnonnage, ni dans un plan gastronomico-oratoire de banquets et de vides harangues, ni dans le creuset brûlant des passions politiques ; sa source était plus grande, c’était la nécessité urgente de protéger la classe ouvrière, que les désordres de la concurrence et les cupidités de certains négocians poussaient de baisse en baisse jusqu’à la limite hideuse de la faim et du désespoir. Ce redoutable enseignement fut si bien mis en relief par tous les détails de l’audience, que le magistrat qui remplissait les fonctions du ministère public, s’en émut ; il ne craignit pas de confesser hautement sa sympathie pour les violations de la loi. Il promit publiquement [2.2]d’appeler l’attention de l’autorité supérieure sur un mal qui menaçait également notre industrie et notre législation. Nous, Messieurs, tout en rendant justice à la droiture de ses intentions, nous portâmes à l’autorité le défi solennel de guérir une plaie, nous réclamâmes comme le seul remède possible, la liberté d’une association franche, avouée, d’autant plus intéressée à l’ordre que l’ordre était indispensable à son existence. Depuis, qu’est-il devenu ? nous le disons avec une sincérité qui ne sera pas suspectée, c’eût été pour nous une indicible joie, de voir le gouvernement s’occuper du malaise de nos concitoyens, faire un appel aux enquêtes, essayer des réformes simples que l’expérience et le raisonnement indiquaient. Mais, point. On s’est cuirassé d’inertie et d’indifférence ; j’ai tort ; on s’en est pris aux associations, du désordre qu’elles cherchaient à réparer ; on les a enveloppées dans la proscription dont on frappait les sociétés politiques ; on les a forcées ainsi de faire cause commune avec elles, et de signer un pacte impie de résistance brutale ; notre ville infortunée est devenue le champ-clos où le pouvoir a battu cette résistance en brèche et lui a donné pour sépulture la ruine de nos demeures incendiées. Certes, nous consentirions à jeter un voile sur tant de désastres, s’ils avaient d’un pas avancé la question, s’ils avaient, ne fût-ce que pour un jour, fermé le gouffre au bord duquel nous balançons. Loin de là, ils l’ont davantage creusé. Les souffrances sont plus vives, les terreurs plus ingouvernables, et nous avons de moins des associations, cinq ou six cents jeunes français qui se sont entre-tués, huit ou dix millions dévorés, sans compter ceux qu’on donne annuellement au budget de la guerre.

Le mutuellisme a succombé dans cette catastrophe ; comme à toutes les puissances vaincues, on ne lui a pas épargné son épitaphe de haines et de récriminations ; on a voulu le rendre responsable de toutes les funérailles, et de toutes les dévastations. Vous avez même entendu le ministère public, oubliant l’austère impassibilité de ses devoirs, se faire l’écho de ses terribles accusations. Qu’il me soit permis de lui dire, que ces paroles sont au moins imprudentes ; représenté par ses chefs, le mutuellisme subit sa part des tortures préventives qui semble s’éterniser à mesure que l’instruction se complète et s’éclaircit. Il est peu généreux d’ajouter à ces douleurs, celles d’une sentence anticipée de condamnations. Nous n’essaierons donc pas de la combattre ; le jour et le lieu de la justification viendront, je l’espère, et Dieu le sait, ce n’est pas nous qui reculons devant eux. Du reste, cette opinion sévère ne fut pas celle de tous les magistrats de ce département, lorsque celui qui vous parle cherchait le lendemain de la victoire d’avril, à rallier les élémens dispersés du mutuellisme, et que, fidèle aux principes de publicité dont il voudrait entourer les institutions, il se flattait d’emporter d’assaut l’autorisation gouvernementale, ses ouvertures furent accueillies avec bienveillance, et de hauts fonctionnaires reconnaissant avec lui l’indispensable nécessité d’une association industrielle, après la crise violente dans laquelle le mutuellisme avait péri, lui promirent d’employer, pour sa résurrection légale, [3.1]tout leur crédit auprès du ministère. La stérilité de ces démarches ne vient donc pas de l’autorité supérieure, qui ne fut pas mise en demeure de se prononcer sur la convenance de la société ; mais les membres du mutuellisme, démoralisés par l’arrestation de leurs chefs, par la rupture violente de leurs relations, se tinrent obstinément à l’écart, attendant tout de la providence qui apaise les plus furieuses tempêtes, et fait luire pour les opprimés des jours de réparation et de salut. Ce n’était pas un vain espoir ; quand ces esprit furent calmés, les nécessités passées se manifestèrent avec un redoublement d’énergie ; pour les satisfaire, on avait deux moyens : la violation audacieuse et secrète de la loi, ou la tentative d’une carrière non encore frayée. Le premier était grand par les périls qu’il eût bravés, il avait de nobles antécédens : des frères aînés, auxquels se rattachent des noms illustres, qui ont remué le monde et dressé autant d’autels que d’échafauds. Mais il était condamné par son impuissance même ; le secret n’est plus dans nos mœurs modernes, les hardiesses de la presse l’ont tué, et les gouvernemens y ont gagné en sécurité ce qu’ils y ont perdu en facilité de tyrannie administrative. Il fallait donc chercher une autre voie ; cette voie fut celle de la presse, et le journalisme fut chargé de recueillir l’héritage du mutuellisme ; et de perpétuer son œuvre.

Oui, messieurs, de perpétuer son œuvre. Je dis ces mots, parce qu’ils sont vrais, et qu’il n’est pas plus dans les intentions de nos cliens que dans nos habitudes, de nous retrancher derrière un jésuitisme improvisé à l’audience, pour y mendier un acquittement ; et, d’ailleurs, l’œuvre du mutuellisme était-elle donc anarchique et révolutionnaire ! Secourir les ouvriers malheureux, combattre par le dévouement les accidens imprévus de la vie, prévenir par les prêts d’ustensiles, les chômages qui endettent et déshonorent les familles, éclairer les travailleurs sur leurs intérêts réciproques, sur le prix courant des façons, leur apprendre quelles maisons de commerce méritaient la confiance par sa droiture, quelle autre en était indigne par ses indélicatesses : tel était le but du mutuellisme ; but honorable, et qui se peut avouer. Pour y parvenir plus efficacement les ouvriers avaient choisi l’association ; ils s’étaient constitués en degrés hiérarchiques, d’après des présomptions de capacité et de vertu. Le pouvoir s’en est offensé, il a brisé l’association : mais la forme dissoute, l’esprit a survécu ; et le voilà inquiet, errant jusqu’à ce qu’il ait rencontré une enveloppe légale qui aille à sa manifestation. Cette enveloppe a été la presse, qui bien que persécutée, n’est pas encore mise au ban de nos institutions. Or, si cet esprit n’est pas mauvais, pourquoi l’attaquez-vous ? S’il est mauvais, comme il ne se révèle que par la presse, pourquoi nous parler d’association, lorsqu’il ne peut s’agir que de délit de journal !

M. Jules Favreraconte ici sur quels ridicules mésentendus le ministère public a échafaudé sa poursuite. Quelques chefs d’ateliers se sont réunis pour fonder un nouveau journal, l’Indicateur, ils ont eu diverses conférences pour s’entendre sur cette publication. L’une d’elles a été dénoncée comme un rassemblement mutuelliste, [3.2]et M. Prat envahissant le domicile de Groupillon, a rapporté dans un pompeux procès-verbal, qu’il avait saisi l’association en permanence. M. le maire s’est ému et lorsque M. Favier, par une déférence singulière, l’avertissait du jour et du lieu d’une des réunions, il refusait une autorisation qu’on ne lui demandait pas, et proposait pour local une des salles de l’hôtel-de-ville, et pourquoi ? parce que le cabaret de Groupillon ne lui convenait pas. Ensorte que pour être tolérés par lui, ces établissemens devront fournir un certificat de bonne vie et mœurs, et que ceux qui s’aviseraient de désaltérer des gosiers mal pensans seront mis à l’index, comme au moyen-âge la maison où un hérétique avait couché ! Je conseillais, dit M. Jules Favre, à mon client de répondre à M. le maire qu’il n’avait pas besoin de son autorisation ; mais d’ailleurs aucune réunion n’a eu lieu depuis.

Discutant la question de droit, l’avocat n’a pas de peine à démontrer qu’on ne rencontre nulle part de traces d’association, si ce n’est dans les suppositions de MM. Prat et Tachon-Imbert. La publication de l’Indicateur répondant à une objection du ministère public qui avait été jusqu’à soutenir que la loi prohibait les associations de journaux, M. Jules Favre établit que toute association faite en vertu d’une loi antérieure à celle de 1834 subsiste valablement sans le permis de la police, et que les tribunaux sont seulement juges souverains de la question de savoir si la publication du journal n’est pas simplement un voile pour cacher une association prohibée. L’avocat continue :

Aurons-nous plus de peine à détruire les argumens tirés des procès-verbaux. Je les ai lus attentivement et je n’y ai trouvé dans l’un, qu’une misérable parodie des expéditions du Manège et des Amis du peuple ; dans les autres, que des cancans ramassés dans les ruisseaux, des coqs-à-l’âne d’agens de police, gravement postés devant une chandelle et faisant leur rapport à la mairie sur l’heure à laquelle on la couvre de l’étouffoir, et vingt autres niaiseries de la même force.

Après avoir caractérisé l’assemblée tenue chez Groupillon, prouvé qu’elle n’était composée que de buveurs inoffensifs, établi le vide des autres témoignages, M. Jules Favrepoursuit :

Si les procès-verbaux ne sont que ridicules, la prévention est jugée. Le corps de délit manque, et avec lui s’évanouit ce menaçant fantôme d’association, fantasmagorie de l’invention de M. Prat. Nous ne croyons pas en effet que la procédure ainsi ruinée se puisse rasseoir sur les aveux prétendus des prévenus consignés dans leur journal et répétés à l’audience. On n’a pas compris leur pensée, et vraiment la faute ne leur en est pas imputable. On dirait que dans cette affaire on a rivalisé de quiproquos, et que les plus saines intelligences se sont abdiquées pour les commodités du réquisitoire. Qu’ont dit les écrivains de l’Indicateur ? qu’ils voulaient continuer l’œuvre du mutuellisme. Mais par quels moyens ? par l’association ou la presse ? ils le déclarent hautement, c’est par la presse.

Certes, en présence d’une affirmation si tranchée, il faut une préoccupation bien têtue pour découvrir la [4.1]continuation de l’association. Quoi ! nous venons vous dire : nous ne pouvons, nous ne voulons plus être associés, et vous en concluez que nous le sommes ! vous prétendez nous punir comme associés ! n’est-ce pas nous avertir que vous nous poursuivez parce que nous n’avons pas changé, que nous avons le même esprit, le même cœur, les mêmes souffrances ; parce que nous avons la hardiesse de nourrir l’espoir d’un avenir meilleur, et d’y travailler !

Je m’empresse de le reconnaître : le ministère public désavouerait cette doctrine non-seulement comme barbare, mais encore comme insensée. Il sait que les idées de liberté et d’émancipation sont des germes vivaces que la faulx des mauvaises lois ne tranche pas ; il sait que, créés à l’image du même Dieu, tous les hommes ont droit à un égal bien-être, à une égale protection sociale ; qu’il ne jalouse donc pas à ceux qui souffrent le triste avantage de se plaindre, de se communiquer leurs espérances, de se dire quels remèdes conviennent à leurs plaies saignantes ! les prévenus ne demandent pas autre chose ! brisés comme association, ils se sont relevés sous l’égide de la libre discussion ! ils ont embrassé l’autel de la publicité ! c’est là, au milieu de nos tristes discordes, un lieu d’asile ! que les partis se gardent d’y toucher, tous peuvent en avoir besoin, aucun n’est invincible ! que la magistrature et la loi ne craignent pas de s’incliner respectueusement devant les douleurs qui s’y viennent abriter, elles y sont inviolables !

Que dirai-je de plus ? descendrai-je dans l’examen grammatical des articles produits contre nous comme preuve. Il me suffit d’avoir prouvé que l’association est morte, et que nous n’avons pas voulu la rétablir. Je n’ai pas à laver les prévenus de persévérer dans des intentions qui les honorent, que j’encouragerai de toutes mes forces et que vous ne pouvez blâmer. Il serait étrange, j’allais dire monstrueux, que la justice flétrit des hommes qui font profession de s’aimer et de se secourir, qui tirent de la poussière des âges les bannières évangéliques, pour convier à leur ombre de fraternelles sympathies. Non ! je n’ai pas à craindre une décision sacrilége. Si les chefs d’atelier préparaient la réalisation de leur utopie par l’association, ministres de la loi, vous les frapperiez. Mais quand ils s’agenouillent devant elle, vous n’auriez pour eux que de l’estime et un acquittement.

Je me trouve ainsi conduit au terme de cette discussion. Vous me pardonnerez d’y avoir donné quelque solennité. Je n’ai pas cru qu’il me fut possible de passer légèrement sur les questions graves qu’elle soulevait. Lorsque je luttais pour le mutuellisme, je le regardais comme une institution d’avenir, comme la première page d’un livre encore fermé à beaucoup d’intelligences, que le temps était chargé de feuilleter et d’expliquer. Aujourd’hui que la tempête l’a arrachée, cette page, les vérités qu’elle m’enseignait n’en subsistent pas moins : aimer la classe ouvrière, répandre dans son sein des leçons de charité et d’union, des semences d’économie politique et de science pratique, lui procurer des moyens de travail, la garantir contre certaines rapacités [4.2]dorées qui boivent ses sueurs et ses larmes, c’est-là une œuvre noble et grande à laquelle les gouvernemens devraient sourire plutôt que de s’en effrayer. Car l’abrutissement et la misère enfantent la révolte, l’émancipation et l’aisance consolident les chartes. Cette œuvre, le mutuellisme la rêvait. Il est tombé, n’en parlons plus. Mais que les hommes de cœur qui persévèrent dans ses vues généreuses ne soient pas inquiétés lorsqu’à l’ombre des lois de leur pays, ils réclament l’exercice des droits reconnus et conservés ? Et si par l’erreur du ministére public, ils sont traînés jusqu’en police correctionnelle, qu’ils en sortent vengés par votre justice !

Mes Desprez et Sériziat présentent chacun pour leurs cliens des observations pleines de force et de netteté. Ils prouvent avec la dernière évidence que l’association ne résulte pas seulement du fait d’une ou plusieurs réunions, mais du concert des volontés coalisées, de l’ensemble des mêmes moyens, et surtout de poursuite d’un but pratique.

Le ministère public revient sur ses premières attaques ; il soutient qu’une réunion constitue une association par cela seul qu’elle a lieu entre plusieurs personnes dont la foi, les espérances, les pensées sont communes. Il relit complaisamment des pièces tout-à-fait étrangères au procès et qui, selon lui, prouvent que l’association mutuelliste existe encore. Il finit en adjurant la magistrature de ne pas manquer au parquet qui ne peut rien sans elle.

Après de courtes répliques des défenseurs, le tribunal entre dans la salle du conseil. Il en ressort au bout d’une demi-heure, et M. le président résume ainsi les débats :

Considérant ;

Que les réunions qui ont eu lieu chez le sieur Guillot, n’ont eu pour but que la constitution d’un journal ;

Considérant ;

Que les réunions qui ont eu lieu chez le sieur Groupillon, n’ont pas le caractère d’une association ;

Considérant enfin ;

Que plusieurs réunions de ce genre ne prouveraient pas qu’il y a association ;

Les prévenus sont renvoyés de la plainte.

 

 

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