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19 octobre 1834 - Numéro 5
 
 

 



 
 
    
ARRESTATIONS PRÉVENTIVES.

Et quand sur la paille infecte du cachot, le prévenu a dévoré son avoir, on le jette sur le pavé, en le menaçant de nouvelles poursuites s?il s?avise de gémir.
Jules favre. Anathème.

Combien de fois nous sommes-nous élevés contre la barbarie des arrestations préventives ? Nous avons eu même l?honneur de soutenir une polémique avec M. Chégaray ; mais après nous avoir concédé que la prudence du magistrat devait amender le vice de la loi, nous n?avons pas appris que le chef du parquet de Lyon ait accepté cette maxime pour règle de conduite. Encore dernièrement, onze citoyens paisibles ont dû leur liberté provisoire, non pas à une vie irréprochable, non pas à la garantie de quelques citoyens connus, ou bien à leur parole d?honneur de se représenter devant la Justice, mais à la consignation de 500 fr. Car il résulte du code pénal que 500 fr. valent mieux qu?une conduite irréprochable, que la garantie d?un ou de plusieurs citoyens, que la parole d?honneur d?un homme. Citerons-nous encore les nombreux citoyens emprisonnés à raison des événemens d?avril, et qui ont recouvert leur liberté après une détention de 2, 3, 4, 5 mois ? on nous accuserait de faire un appel aux passions politiques. Eh bien, en dehors de toute question irritante, nous rappellerons seulement trois exemples, qui prouveront le danger, l?injustice des arrestations préventives.

Un nommé Verrier, marchand mercier à Meaux, est arrêté à Paris comme étant un autre Verrier, forçat libéré, en surveillance à Rheims; il est resté plusieurs mois en prison ; au grand jour de l?audience, il a été reconnu innocent.

Une femme, Leroy, avait volé : on arrête son homonyme, la dame Leroy, et après 15 jours de détention, on rend cette dernière à sa famille.

Une marchande de fleurs avait commis une contravention, punie par la loi de 16 fr. d?amende ; elle est arrêtée, et retenue 20 jours en prison.

Pendant ce temps, et indépendamment des angoisses de la prison, que sont devenues les affaires commerciales de ces individus ? Une ruine complète n?a-t-elle pas pu en être la suite ?? Plus tard, la calomnie ne s?emparera-t-elle pas de ces faits ? Et un long cri d?effroi ne sortirait pas de nos poitrines !

C?est là la justice de la France au 19e siècle. Eh ! dites-nous, si celle des Cafres et des Hurons ne la vaut pas.

Dites-nous, hommes impartiaux, où est en France la sûreté pour le prolétaire ; l?homme qu?aucune illustration [3.1]ne distingue assez pour empêcher qu?on le confonde avec un autre.

Dites-nous qui effacera cette tache indélébile qui va peser sur ces trois individus, et que la malveillance d?un ennemi saura bien exploiter ? Ceux qui les ont vu arrêter, l?un comme forçat libéré, l?autre comme voleuse, l?autre en plein marché peut-être, comment sauront-ils qu?ils étaient innocens ?

Eh ! pourquoi ces arrestations préventives ? De crainte qu?un coupable échappe. Que vous importe, magistrats ? l?exil n?est-il donc plus une peine et une peine grave ?

Imitez bien plus plutôt la sagesse romaine. Lorsque le soleil était couché, le Préteur ouvrait les portes de la ville, afin que les coupables qu?il avait condamnés pendant le jour pussent à la faveur des ombres de la nuit, s?éloigner en silence et chercher ailleurs des pénates hospitaliers.

Et si vous n?avez pas cette vertu sublime, imitez au moins la Convention.

La Convention, qu?il faut toujours citer lorsqu?on veut rappeler les hommes au culte de ce qui est vertueux, magnanime, rendit un décret pour indemniser les victimes des erreurs judiciaires.

Où est ce décret ? Fouillez dans vos archives ! il n?a pas été abrogé : l?humanité, la justice le réclament.

 

 

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