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26 octobre 1834 - Numéro 6
 
 

 



 
 
    

St-Étienne, 17 octobre 1834.

M. le Rédacteur,

C’est avec le plus vif intérêt que vos abonnés de St-Étienne ont lu le 2e numéro de votre estimable journal. L’œuvre que vous avez entreprise est belle ; la carrière, quoique semée d’épines, laisse apercevoir, dans le lointain, les charmes d’un succès qui n’est pas douteux, qui plus est, elle est hardie ; car si la vérité ne convient pas à l’opulence de ce siècle, cette classe démoralisée souffrira encore bien moins le reproche de ses vices.

Déjà même, il nous semble apercevoir sur des lèvres moqueuses, ce rire de mépris, qui semble étouffer au fond de sa conscience le remords salutaire, que soulève chez l’individu le reproche de ses turpitudes.

Par le temps qui court, vu le relâchement des principes sociaux, les hommes généreux qui se sacrifient pour le bien public, doivent s’attendre à supporter toutes les vicissitudes attachées à l’existence humaine ; mais, consolez-vous, vos traits ne tomberont pas tous sans avoir frappé quelques victimes, et sur cent n’auriez-vous extirpé qu’un abus ; n’auriez-vous fait rougir qu’un heureux du siècle sur sa mauvaise foi et ses exactions, votre but, sans être atteint, vous laissera la douce satisfaction que l’on ressent toute les fois que l’on a fait son devoir.

Votre arrestation n’a pas été pour nous un problême, il n’est pas étonnant que votre profession de foi et surtout la déclaration des principes d’équité dans lesquels vous voulez faire marcher le journal, n’aient éveillé bien des susceptibilités, ce qui est cause que l’on a été jusqu’à suspecter vos intentions généreuses, et enfin ont eu pour résultat de vous faire faire six ou huit jours de prison préventive, afin de vous encourager dans votre noble entreprise. Faire aux autres ce que l’on veut qui soit fait à soi-même n’est pas une morale à la mode, ce sont des principes de morale universelle ; l’égoïsme, ses intérêts propres, au mépris des droits de son prochain, voilà les vertus pratiquées dans ce siècle. De la fortune, n’importe par quels moyens ! la vertu viendra après.

Il est un passage dans les livres de notre religion, si [3.1]ma mémoire ne m’est pas infidèle, qui dit : Partout où vous serez deux assemblés en mon nom je serai au milieu de vous, et mon père entendra votre prière. Aujourd’hui, c’est bien différent ; il semble que ces principes sont bannis de la terre pour n’y plus revenir. Sans doute que Dieu en disant cela aux hommes, a pensé que ce serait dans le ciel ; là, au moins, à l’imitation des anges, les travailleurs pourront se réunir sans craindre d’être exposés continuellement à être en opposition avec les usages de notre terre.

En effet, les associations sont réellement détruites, pour peut-être ne jamais reparaître ; mais une chose qui ne se détruira jamais, c’est cette sympathie qui existe entre les hommes qui ont été associés ; ils n’ont plus, il est vrai, de règlemens, tout est détruit ; mais cet amour du prochain, ils le conserveront jusqu’à la mort. C’est ce qu’on peut appeler une association spirituelle, et celle-là subsistera toujours, les hommes et leur mauvais vouloir ne peuvent rien contre elle.

Agréez les sentimens d’amitié avec lesquels j’ai l’honneur d’être

P. R.

 

 

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