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9 novembre 1834 - Numéro 8
 

 




 
 
     

LA CONCURRENCE ET LES MACHINES.

[1.1]Voilà disent quelques-uns, les deux grandes plaies de l’industrie. La première oblige le détaillant à vendre au rabais ; pour cela il faut qu’il achète à vil prix, et par conséquent que le salaire du travailleur subisse une réduction progressive.

La seconde remplace par des machines les bras de l’ouvrier qui a besoin de travailler pour exister ; elle le plonge dans la misère en lui retirant les moyens d’utiliser son industrie.

Ainsi donc, plus il y a de concurrence, plus les produits du travail s’avilissent, plus le travailleur voit décroître le prix de sa journée ; plus il y a de machines, moins les bras de l’homme peuvent trouver de l’occupation, plus les ouvriers sont malheureux.

Voilà le mauvais côté de la concurrence et des machines ; et nous ne faisons pas de doute qu’on ne dût faire tous les sacrifices pour arrêter l’une et supprimer les autres, en admettant que ce fut chose possible et juste, si les inconvéniens dont on se plaint n’étaient compensés par de grands avantages, et même si la somme des avantages ne l’emportait évidemment sur celle des inconvéniens.

Disons d’abord un mot sur la Concurrence. Elle est utile au consommateur, puisqu’elle lui procure à bon marché ce qu’il achèterait cher sans elle. C’est un avantage qu’il faut prendre en considération, et en considération d’autant plus grande que le nombre des consommateurs est évidemment beaucoup plus considérable que celui des producteurs, ou pour mieux dire, puisque tous les producteurs sont en même temps consommateurs, soit de leurs propres produits, soit d’autres produits et que toutes les industries doivent être envisagées simultanément, c’est-à-dire, d’un point de vue élevé et général.

Si la concurrence produit nécessairement la baisse des prix, elle augmente aussi nécessairement la consommation : car, au bout du compte, chacun, achète en proportion de ses moyens ; il se prive lorsque les objets manufacturés sont à un prix élevé ; il se passe au contraire ses fantaisies, lorsqu’ils sont à bon compte, et la consommation s’accroît ou s’arrête, suivant que les prix baissent ou s’élèvent.

D’un autre côté la concurrence ne pourrait guère être entravée qu’au moyen de mesures vexatoires ; il faudrait faire, pour chaque industrie qui aurait à s’en plaindre, et dans chaque localité, ce que nous faisons sur les frontières. Il faudrait ici établir des droits protecteurs, là, promettre et payer des primes. Qui en profiterait ? Les intrigans. Les monopoles et les priviléges ne profitent qu’au petit nombre. Et d’ailleurs, où trouver assez de barrières, assez d’employés pour empêcher l’importation des marchandises et produits manufacturés qu’on fabriquerait et qu’on introduirait en contrebande ou en violation des mesures restrictives ? Voyez ce que sont les douanes, voyez qui elles protègent, et dites si le travailleur, leur doit autre chose [1.2]que de payer, hors de prix, la plupart des objets de première nécessité.

Il y a dans la valeur des produits manufacturés trois choses à considérer : 1° Le prix de la matière première ; 2° Les frais d’exploitation ou d’établissement ; 3° Les frais de fabrication ou de main-d’œuvre.

La concurrence amenant la baisse des prix, le manufacturier se croit obligé pour y résister, de réduire le salaire des ouvriers. C’est là qu’est le mal. Il arriverait au même résultat en faisant des économies sur les achats de la matière première, et surtout sur les frais d’exploitation. Qu’est-ce qui empêche le manufacturier de faire sur l’achat des matières premières les économies qu’il réussit presque toujours à obtenir sur la main-d’œuvre ? C’est que ceux qui les lui vendent, traitent avec lui d’égal à égal, à la Bourse ou au café. L’ouvrier ne peut traiter avec lui que chapeau bas. Et pour ne nous occuper que de la fabrique d’étoffes de soie ; dans quel lieu le marchand donne-t-il rendez-vous au chef d’atelier ? dans un lieu qui n’indique nullement la liberté, aussi le peuple si expressif dans les sobriquets qu’il donne aux hommes et aux choses, l’appelle la Cage. Là, dans la discussion du salaire, toute respectueuse de la part de l’une des parties, un tiers incommode intervient toujours en faveur du négociant, ce tiers est le besoin de vivre.

En ce qui touche les frais d’exploitation, il n’est pas de petit marchand qui ne veuille avoir à lui un beau magasin, des commis nombreux, un logement convenable ; et n’employa-t-il que cinquante ouvriers, il veut qu’avant de les solder, il trouve sur le produit de la vente, de quoi payer la matière première, le loyer de ses appartemens, l’intérêt du capital qu’il a exposé soit à lui soit à ses commanditaires, et enfin une somme pour l’usure de tout le matériel de son établissement ; or, ces frais s’élèvent comparativement à des sommes plus fortes que le salaire des ouvriers.

Il est donc bien certain que si le manufacturier disposait autrement de ses ressources, il arriverait au même résultat en payant plus cher la main-d’œuvre ; mais en s’arrangeant de manière à ce que ses frais d’établissement et d’exploitation fussent moins considérables.

Quant aux machines, elles sont l’objet de préventions nombreuses ; nous savons qu’introduites dans une industrie quelconque elles ont toujours pour effet brutal et immédiat de mettre à la réforme les bras dont elles prennent la place ; mais cet inconvénient, qu’on ne saurait assez déplorer pour les malheureux qu’il peut réduire au désespoir ou plonger dans la misère, et que la société tout entière selon le but de son institution, doit adoucir à l’égard des victimes, cet inconvénient est toujours compensé par des avantages immenses. Nous ne répéterons pas à ce sujet les argumens connus tirés de l’invention de l’imprimerie et de la machine à laquelle Jacquard a donné son nom, argumens qui pour être devenus des lieux communs, n’en sont pas moins restés des vérités. Il nous suffira de dire qu’il [2.1]est sans exemple qu’une machine ait été introduite dans une industrie quelconque sans augmenter la consommation, par conséquent sans rendre utile à côté d’elle un plus grand nombre de bras que ceux qu’elle avait remplacés et sans faire sortir immédiatement l’industrie qui l’employait de l’état d’inertie dans lequel elle languissait.

exposition publique et gratuite

DES PRODUITS DES FABRIQUES ÉTRANGÈRES,i

AU PALAIS SAINT-PIERRE.

Suite. – V. les nos 2, 3, 5 et 7.

chine. Quatre pièces foulards écrus, de la Chine, ont été exposée. Nous ne doutons point que ces soieries ne fassent aux nôtres une concurrence redoutable, sur les marchés de l’Amérique. Ces pièces sont belles et tissées avec des matières propres à l’article. Une pièce sous le n° 158 Corah, 7/8 de large, est cotée à 4 f. 2 c. sans escompte. Cette pièce dont les fils sont gros et ouverts est d’une réduction faible, elle ressemble à une toile claire. Deux pièces du même genre, mais d’une réduction plus forte, sont portées, l’une au prix de 4 fr. 24 centimes, l’autre à celui de 4 f. 46 c. l’aune. Ces pièces quoique légères ont un maniement plus dur que celle de nos foulards ordinaires, elles semblent fabriquées avec des matières crues et décrouées en pièce, par un procédé autre que celui en usage en France. C’est sans doute par des procédés qui nous sont encore inconnus que ces étoffes conservent la couleur primitive de la soie, qui en Chine, comme le coton, a habituellement la couleur claire du Nankin. Le brillant que prend alors la soie par le décreusage, n’altère ni le maniement, ni la qualité de l’étoffe. C’est ce qui explique la réputation de durée et de solidité des foulards de la Chine et des Indes. Depuis quelques années, la fabrication des foulards a fait de grands progrès, à Lyon ; après avoir essayé diverses qualités de soie, on est parvenu à en fabriquer qui n’imitent pas parfaitement, il est vrai, ceux de la Chine, mais les surpassent par l’éclat, la beauté, et la nouveauté des dessins. Pour profiter des avantages que nous donne l’impression sur étoffe, et fournir entièrement les marchés d’Amérique, il conviendrait de les fabriquer avec de la soie de Chine, ce serait plus rationnel que d’acheter les foulards écrus de la Chine, pour les livrer à l’impression et les réexporter ensuite. En agissant ainsi on se familiariserait avec la qualité de la soie. Il serait peut-être mieux de chercher à en introduire en France la culture.

Quoique les moyens pour arriver à ce but semblent d’une exécution difficile, ils se réduisent pourtant seulement à se pourvoir de la graine des insectes qui la produisent, et à connaître la qualité du mûrier, dont les feuilles doivent servir à leur nourriture. Parvenus à ce point, resterait seulement la question du décreusage, qui, selon nous, avec une prime d’encouragement donnée à nos teinturiers chimistes, ne tarderait pas d’être résolue.

Le n° 150, est une pièce tissu foulard très fin, pour robe, sous le nom de China-Silk. Cette pièce un peu plus blanche que les précédentes, n’en paraît pas moins fabriquée de la même manière, c’est-à-dire crue, mais avec de la soie montée, ce qui en a dû rendre le tissage facile. Cette pièce est belle, elle est fixée au prix de 4 f. 50 cent. sans escompte. Sans doute pour aller en concurrence avec ce prix, il faudrait que les soies fussent au moins à 30 p. 100 au-dessous du prix actuel. Les observations que nous avons faites ci-dessus, s’appliquent également à cette dernière.

italie. Cinq échantillons de la maison Rivat, de Florence, ont été exposés quelques jours avant la fermeture de l’exposition.

Ils se composaient d’une lustrine, noir fin, bien fabriquée, du poids de 50 grammes l’aune, et cotée au [2.2]prix 6 f. 60 c. escompte 6 %. 2° d’une cravate 7/8 noir fin, du poids de 85 grammes la cravate, cotée au prix de 85 f. la douzaine. 3° D’une pièce cramoisi fin, pour rideaux 3/4 de large, pesant 36 grammes l’aune, cotée au prix de 6 f. 50 c. sans escompte. 4° D’un taffetas pour cravates, 3/4, du poids de 40 grammes, coté 60 fr. 70 c. la douzaine. 5° D’une cravate ¾ écossaise sergée, quadrillée blanc sur un fond violet, du poids de 45 grammes, à 84 fr. la douzaine sans escompte. Tous ces articles peuvent aller de pair avec les nôtres pour le choix des matières et la bonne fabrication. Les prix sont à peu près les mêmes que ceux de Lyon, quelques connaisseurs ont même prétendu qu’ils seraient plutôt au-dessus qu’au-dessous. Il en résulte une concurrence qui ne saurait nuire à nos exportations, mais nous ferme entièrement les marchés d’Italie.


i. Cet article avait été omis à l’imprimerie ; il doit précéder le résumé que nous avons annoncé et que nous renvoyons à un prochain numéro.

CONSEIL DES PRUD’HOMMES.

Séance du novembre 1834.

Président, M. Riboud. Membres : MM. Berthaud, Chantre, Cochet, Dufour, Dumas, Fichet, Ferréol, Micoud, Perret, Putinier, Roux, Verrat, Wuarin.

24 causes sont appelées dont 4 sur citation ; 3 ont été renvoyées à huitaine ; 2 à quinzaine, une arrachée. 4 ont été jugées par défaut dont une par congé-défaut contre le demandeur qui ne s’est pas présenté.

Les causes suivantes ont seules présentées de l’intérêt.

L’apprenti qui ne veut pas continuer en l’état, est-il libre de demander au bout de quatre mois la résiliation des conventions ? – Oui.i

A combien peut-il réduire cette indemnité ? – A 37 fr. 50 c. par mois.

Si l’apprenti se replace ailleurs, en cette qualité, le maître a-t-il droit de répéter le surplus de l’indemnité qui avait été fixée ? – Oui.

Ainsi jugé entre Perrichon et Duchêne père et fils.

L’apprentie tailleuse, dont la maîtresse s’est mariée, et par suite habite un domicile séparé de son atelier, ce qui l’empêche de le surveiller elle-même, peut-elle demander la résiliation des conventions, moyennant une indemnité autre que celle stipulée dans les conventions ? – Oui.

Ainsi, jugé entre la demoiselle Revol et la dame Gremillard, née Buisson. Cette dernière prétendait que la surveillance exercée par sa sœur était suffisante. Le conseil avec raison n’a pas été de cet avis. Le maître doit ses soins directs à l’élève. Mais une indemnité était due et le conseil sans s’arrêter à celle portée dans les conventions l’a fixée à 200 f.

Le négociant doit-il reprendre au même prix que le fabricant l’a acheté, le remisse d’un métier d’étoffes de soie unies, lorsque ce métier n’a pas fait suffisamment d’ouvrage pour l’indemniser des frais ? – Oui.

Ainsi jugé entre Planche et Guillot.

Une cause s’est présentée entre Guicher veloutier à Ste-Foy, et Poulet, son apprenti. Ce dernier a été condamné à payer 26 aunes pour tâches arriérées dans l’espace de 7 mois. De plus l’atelier a été mis sous la surveillance de l’adjoint du maire de Ste-Foy. Nous ne savons pas si M. l’adjoint acceptera cette mission, qui de prime abord ne nous paraît pas trop de sa compétence.

FABRIQUE DE TULLES.

[3.1]Les prud’hommes de la section de bonneterie, tulles, etc. tiennent tous les lundis, à 5 heures et demie, une audience pour la conciliation des causes spéciales à leur industrie. Nous avons remarqué à la séance de lundi dernier une affaire assez importante.

Brun occupait à façon de maître, un métier chez Martin, qui en était le propriétaire. La pièce à fabriquer était pour le compte de ce dernier, et devait contenir 120 flottes à 90 c. l’une. Martin ayant eu besoin de son métier, lorsqu’il n’y avait que 64 flottes de faites, crut suffisant de prévenir huit jours à l’avance, Brun. Ce dernier l’a fait appeler devant le conseil, qui a décidé que le délai de huitaine n’avait lieu que dans la fabrique de bas, bonnets, etc., et non dans celle de tulles ; que dans cette dernière, la totalité de la façon devait être perdue pour l’ouvrier qui refusait de continuer le travail entrepris, et devait par conséquent lui être payée, quoique non faite, si le refus venait du maître. Martin a donc été condamné à payer à Brun, la façon des 56 flottes restant à faire.


i. Le conseil a fait erreur. Le code civil dispose formellement (art. 1152), que lorsque les dommages intérêts ont été prévus et stipulés, les tribunaux ne peuvent allouer ni plus ni moins, ni renvoyer le paiement d’une portion à une époque indéterminée, et sous une condition non stipulée dans la convention. Si ce jugement est déféré au tribunal de commerce, il sera infailliblement cassé. Libre à l’apprenti de refuser de continuer son apprentissage, mais par ce fait seul il doit la totalité de l’indemnité convenue. Le conseil n’a le droit de modérer une indemnité stipulée que lorsque des torts réciproques ou des circonstances non prévues par l’acte constitutif, comme on verra plus bas dans l’affaire de demoiselle Revol contre dame Gremillard, se présentent.

FAMILLE SAINT-SIMONNIENNE.

Dimanche dernier ont eu lieu les funérailles de Marguerite Belvèze, saint-simonienne. L’autorité s’étant opposée à ce que le cercueil fut recouvert du drap et des insignes de la société, et cette dernière ayant refusé de se servir du drap mortuaire ordinaire, il en est résulté que ce cercueil a été privé de toute enveloppe. Deux discours ont été prononcés sur la tombe, l’un par la demoiselle Reverdet, l’autre par M. Terson, apôtre1. M. Prat, commissaire central de police, a saisi celui-ci. Nous reproduisons le premier.

Frères et sœurs, disons adieu à Marguerite Belvèze, que nous venons d’accompagner ici ; disons-lui adieu, car tous éternellement nous ne nous retrouverons que dans le sein de Dieu.

A voir la fréquence de nos apparitions au milieu des tombeaux, ceux qui ne jugent que d’après des faits matériels, sourient à l’idée que bientôt les restes du dernier saint-simonien pourront être déposés dans ce lieu, sans la moindre escorte. A ceux-là, ne rendons pas sarcasmes pour sarcasmes ; absorbés qu’ils sont par le présent, ils ne comprennent pas le passé, et n’ont pas le sentiment de l’avenir.

Mais nous, qui sommes jetés en avant, comme des points qui doivent indiquer le passage, marchons avec calme, le monde saura bientôt, s’il ne le sait déjà, que la cendre de nos morts, n’est pas dans un lieu unique et que le soleil l’éclaire déjà en Orient comme en Occident !

A ceux qui ne jugent que d’après des faits matériels, d’immenses travaux accomplis, viendront bientôt révéler que la famille saint-simonienne, ne se compose pas d’une poignée d’individus, qui ne s’occupent que de leur bien-être particulier ; ils sauront que son ambition est plus noble et plus belle, qu’elle aspire au bonheur de l’humanité.

Ici nous devons expliquer notre pensée toute entière ; par humanité, nous comprenons tous les membres de la grande famille, portant face humaine ; chaque individu, homme ou femme, concourant à l’œuvre générale, selon les facultés qu’il tient de la Providence.

C’est à ce titre, que nous femmes, accomplissons aujourd’hui un acte religieux, et que nous venons remplir l’un des devoirs que la société impose à ses membres.

Marguerite, qui fut la compagne de Belvèze, était pénétrée des sentimens que nous venons manifester ici ; éclairée par la foi nouvelle, elle s’est endormie au sein de Dieu, en croyant à la vie éternelle !

Devant cette conviction, disparaissaient tous ses maux, elle avait compris que tout progrès s’enfante douloureusement, et qu’après les jours de souffrance, viennent les jours de joie ; c’est aujourd’hui la consolation de celui auquel elle fut unie ! Adieu ! Marguerite !

Que ton exemple nous soit en aide aux jours de la douleur ; et que ceux qui nous entoureront alors, témoignent par leur amour, comme il arrive aujourd’hui pour toi, que notre mission dans ce monde a été remplie dignement. Adieu !

MISÈRES PROLÉTAIRES.

Comment faire pour vivre ?

[3.2]« Je suis porteuse à la halle, mon mari m’a laissée avec quatre enfans ; je gagne 15 à 20 sous par jour, quand je travaille, et j’ai pour 12 sous de loyer. Il faut donc que les aînés gagnent leur pain. Je les envoie chanter sur le boulevard, on les arrête, je les envoie vendre des épingles, on les arrête encore. Je n’ai donc plus d’autre ressource que de prendre mes quatre enfans et d’aller me jeter à l’eau avec eux. »

C’est ainsi que la femme Meynie, accusée de faire mendier ses enfans a défendu sa cause. Le tribunal l’a acquittée.

« Mon embarras est grand, les sergents de ville me disent il te faut une permission, M. le commissaire de police me répond, tu es trop jeune pour avoir une permission. Il en résulte que je ne puis chanter sans me faire arrêter ; il faut pourtant bien que je mange, et je vous jure que je n’ai pas l’intention de me mettre voleur. La loi ne dit pas qu’à 15 ans on est trop jeune pour chanter dans la rue. Or j’ai 15 ans, j’ai l’âge de chanter et je chante ; car, encore une fois, il faut que je mange, et la nature m’a donné un terrible appétit. »

Le tribunal a encore acquitté le chanteur Pinot, âgé de 15 ans, qui lui tenait cet énergique langage.

Pour nous, nous demandons ce que vaut la société à l’égard de la femme Meynie et du jeune Pinot ? Pourrait-on nous répondre quelque chose de satisfaisant ?

QU’EST-CE QU’UN HOMME DE CONDITION ?

La Gazette des Tribunaux rend compte dans l’un de ses derniers numéros (8 octobre, N° 2850), du procès d’un sieur Bonaldi, fils d’un juge de paix, de Corse, jugé aux assises de Bastia, pour tentative de meurtre, dans une rixe particulière. Voici comment elle s’exprime en parlant de l’accusé. « Il était facile de voir qu’il appartenait à une famille notable. Le chef du poste, chargé de l’escorte, l’a tellement senti, qu’il s’est comporté à son égard avec toute la politesse due à un homme de condition. » Nous demandons à la Gazette ce qu’elle entend par un homme de condition, par la politesse qui lui est due ? Ce langage est-il constitutionnel ? a-t-on rayé de la charte ce principe fondamental, que tous les citoyens sont égaux devant la loi ? Il a eu raison ce chef d’escorte, d’avoir de la politesse pour Bonaldi, mais il ne lui en devait ni plus ni moins qu’à tout autre. Entre Bonaldi, fils d’un juge de paix et un manœuvre, je ne vois que le hasard de la naissance et quelques écus.

JURISPRUDENCE.
notices utiles a tous les citoyens.

(Suite. Voyez N° 2.)

9° Cour de cassation. A jugé le 30 juillet 1834 que l’adjudicataire sur expropriation forcée (a fortiori par tout autre mode d’acquisition) pouvait cependant être évincé, par le vendeur originaire exerçant les droits de résolution du contrat faute de paiement, et obligé de délaisser ou payer lors même qu’il avait payé son prix d’adjudication en vertu d’une sentence d’ordrei 1. Icard C. Laugier, section des requêtes.

10° Tribunal de Commerce de paris. A jugé le 23 septembre 1834, que le tiré qui n’a pas donné son acceptation, peut demander son renvoi devant les juges de son domicile lorsqu’il est assigné solidairement [4.1]avec le tireur et les endosseurs devant ceux du domicile de l’un de ces derniers. Platzmann frères, de Lyon, contre Dulac, chapelier.

11° Id. La mention de sans garantie de ma part, mise au dos d’un billet à ordre n’affranchit pas celui qui l’a mise, du recours des endosseurs postérieurs et lui donne seulement un droit de garantie contre celui à qui il a cédé ainsi la lettre de changeii.

O. et J. contre T. V. et F., 25 septembre 1834.


i. Cet arrêt est extrêmement important pour les acquéreurs d’immeubles. Ils ne sauraient trop vérifier avant de payer leur prix si l’immeuble qu’ils acquièrent est grevé de priviléges, hypothèques légales, etc. MM. de Courdemanche et Trolong, ont déjà signalé cet inconvénient.
ii. Ce jugement est rapporté par le Journal du Commerce de Paris (4 octobre dernier, n° 5986.) Il nous paraît injuste et contraire à la liberté des transactions. Le principe qu’on ne peut transmettre plus de droits qu’on en a, est ouvertement violé. Nous pensons que la cour d’appel réformera cette sentence.

Mercredi prochain, 12 novembre, à 9 heures du matin aura lieu la rentrée des classes de l’école des Beaux-Arts au Palais St-Pierre.

THÉÂTRES.

grand-théâtre. – Hier a eu lieu un concert vocal et instrumental donné par M. Th. Haumann1, violoniste distingué, de passage à Lyon, au bénéfice des victimes de l’inondation de St-Etienne.

M. Provence, nouveau directeur, s’est associé à cette bonne œuvre en mettant à la disposition de M. Haumann, la salle et les artistes. Il faut espérer que cet acte de philanthropie lui portera bonheur.

gymnase. – Judith et Holopherne, vaudeville en deux actes par M. Théaulon, a été joué mardi dernier et les jours suivans. Ce vaudeville est très gai, leste sans être obscène, et en général bien joué, il a obtenu un succès complet : nous renvoyons à un prochain numéro des réflexions que nous pensons pouvoir faire sur sa moralité, car nous voudrions en trouver jusque dans un vaudeville et si l’on fait attention que le théâtre est une école (chaque jour on le dit), on s’étonnera moins de notre rigorisme.

Incessamment les premières représentations de Jacquemin, roi de France ; Les deux borgnes, vaudeville et la Vénitienne, drame. Du nouveau, Monsieur le directeur ! du nouveau, n’en fut-il plus au monde, c’est le cri des loges et du parterre. Vous voyez bien ce peuple est blasé, il a besoin de fréquentes et fortes émotions. Tous ses jouets de la veille lui déplaisent.

MÉMORIAL HISTORIQUE.

EXTÉRIEUR. espagne. – L’emprunt Guebhard, annulé par la chambre des procuradores, a été reconnu par celle des proceres.

savoie. – Le général Dessaix1, dont le nom est cher aux lyonnais, est mort à Marclaz, près Thonon, le 26 octobre dernier, âgé de 70 ans. – Il s’opposa à l’attentat du 18 brumaire, et fut proscrit à cette époque. – Il commanda Lyon en 1815, et fut nommé, en 1831, général de la garde nationale de cette ville ; mais il refusa. Il a un frère, médecin distingué, à Lyon.

suède. – En vertu d’une ancienne loi, qui punit de mort toute offense à la personne du roi, le Cap. Lindenberg, rédacteur d’un journal libéral, avait été condamné à cette peine pour un article sur les théâtres ; on lui avait offert une commutation, mais il avait refusé, disant qu’il ne voulait pas grâce, mais justice, et il avait demandé seulement que l’exécution eut lieu le 8 novembre, jour de sa fête. – Par ordonnance du 20 octobre dernier, Charles-Jean (Bernadotte)2 a donné une amnistie générale de tous les délits politiques et crimes de lèse majesté, commis depuis son élévation au trône. Le Cap. Lindenberg s’est trouvé compris dans cette amnistie.

INTÉRIEUR. paris. – Par ordonnance du 29 octobre, la démission du maréchal Gérard, de président du conseil et ministre de la guerre, est acceptée. – M. Rigny, ministre des affaires étrangères est chargé de l’intérim.

– Au nombre des élèves admis à l’école normale (section des lettres), nous avons remarqué les jeunes lyonnais dont les noms suivent : MM. Bouiller, Heune, Revol, Taulier.

– St-Prix3 ancien acteur du théâtre français, est mort le 30 octobre, âgé de 78 ans.

[4.2]– Le N° du National, du 31 octobre, a été saisi. – Celui de la Tribune, du 8 novembre, l’a été aussi.

– La cour d’assises a condamné, le 4 de ce mois, après six jours de débats, à 12 années de détention, comme coupable de provocation à la guerre civile, délit de presse, etc., un individu se prétendant fils de Louis XVI4, et connu sous les noms de baron de Richemont, colonel Gustave, Trans-Lamare, Henri Hébert, Legras et Estelberg. Il était aussi prévenu d’escroquerie ; il a été acquitté sur ce chef.

ambert. – M. Maignet (Étienne-Christophe), né à Ambert, le 9 juillet 1758, député à l’assemblée législative, conventionnel régicide, membre de la chambre des représentans en 1815, est mort le 25 octobre, à l’âge de 77 ans, dans une honorable pauvreté. Il était bâtonnier des avocats.

nîmes. – La fabrique de châles est dans l’état de stagnation le plus effrayant. Sur 10,000 ouvriers, plus de la moitié sont sans ouvrage ; le conseil municipal a voté l’ouverture d’ateliers de travail et une somme de 15,000 fr. pour le bureau de bienfaisance.

– Les autres branches d’industrie, notamment la fabrique de gants sont prospères.

lyon. – M. D’Albon, qui est mort le 28 septembre dernier, à sa terre d’Avanges, près Tarare, était né à Lyon, le 15 mai 1760.

– La souscription au monument Jacquard, s’élève en ce moment à 11,093 fr. (7e liste compris une somme de 3,000 fr. votée par le conseil municipal, à condition que ce monument sera élevé à Lyon.

– M. J.-B. Marcoz5, ex-conventionnel, est mort le 5 novembre.

– On a arrêté mercredi dernier, la femme d’un serrurier, sur le quai Bourgneuf, nommée Demange, accusée d’avoir tué son mari à coups de marteau.

– M. Provence, artiste distingué de l’Opéra, a été nommé directeur des théâtres de Lyon. Sa nomination termine heureusement un conflit qui était bien fâcheux. – Le Grand-Théâtre sera ouvert ce soir.

– M. Vincent, inspecteur de l’académie de Bourges, passe en cette qualité à celle de Lyon, en remplacement de M. Desguidi admis à la retraite.

– M. Couchoud, l’un des prévenus d’avril, contumace, a été arrêté. Le 28 octobre dernier 29 de ces mêmes prévenus, détenus à Perrache, et 11 détenus à Roanne, ont été mis en liberté. – Six ont été mis a la disposition du préfet, attendu leur qualité d’étrangers. – Quarante-deux qui étaient contumaces, ont reçu, avis du retrait des mandats d’arrêts décernés contre eux.

Le mot de la dernière Charade est émoi.

CANCANS.

Dans une cause célèbre qui se plaide en ce moment à Paris, nous avons remarqué les noms des avocats MM. Fusil, Piston, Briquet et Sirot. il y a aussi au barreau parisien un avocat qui s’appelle Chicoisneau. Allez donc à la postérité avec des noms comme ça.

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Notes (FAMILLE SAINT-SIMONNIENNE.)
1 Référence ici à Jean Terson (1803-1885).

Notes (JURISPRUDENCE.)
1 Référence ici à Raymond Théodore Troplong (1795-1869) et à Alphonse Decourdemanche (1797-1871). Ce dernier avait publié en 1831 un très important  Aux industriels : Lettres sur la législation en rapport avec l’industrie et la propriété qui participait de la réflexion générale sur les limites sociales  à prévoir au droit absolu de propriété.

Notes (THÉÂTRES.)
1 Il s’agit ici du violoncelliste belge Théodore Haumann (1808-1878).

Notes (MÉMORIAL HISTORIQUE.)
1 Mention du Général Joseph-Marie Dessaix (1764-1834)
2 Jean-Baptiste Jules Bernadotte (1763-1844), devenu en 1818 roi de Suède et de Norvège.
3 Il s’agit ici de l’acteur du théâtre français Jean-Amable Foucault (Saint-Prix), 1758-1834.
4 Le Baron de Richemont ( -1853) était l’un des nombreux faux Dauphins prétendant au titre de Louis XVII.
5 Jean-Baptiste Marcoz (1759-1834), mathématicien et homme politique.

 

 

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