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23 novembre 1834 - Numéro 10
 
 

 



 
 
    

PRESSE PROLÉTAIRE.

[4.1]Nous apprenons avec peine que le Grappilleur, journal de Reims et de la Marne, a cessé de paraître. Son rédacteur en chef et gérant, M. Hyppolite Tampucci1 avait fait prendre à cette feuille un essor digne de plus de succès. La cause du prolétariat, vient de perdre un organe dévoué, un défenseur dont le talent, pour briller d’un plus grand éclat ne demandait qu’un théâtre plus élevé. Nous avons remarqué dans ce journal, des articles du plus grand mérite, sur les dissensions qui ont eu lieu dernièrement entre les maîtres et ouvriers fileurs de Reims, et sur l’émancipation du prolétaire et de la femme. Nous reproduirons ces derniers pour mettre les lecteurs à même d’en juger.

Voici un extrait du discours en forme d’adieu que M. Tampucci adresse à ses abonnés, dans son numéro du 2 novembre, qu’il annonce devoir être le dernier.

Lorsque, il y a quinze mois, nous avons fondé ce journal, nous ne nous dissimulions pas tout ce qu’il fallait braver de préjugés, d’apathies, pour faire prospérer une semblable entreprise. Reims, arriéré de beaucoup dans la vie active que nous ont donné les révolutions de 1789 et 1830, ne pouvait de suite se transformer et adopter des idées aussi larges que le demande notre époque de progrès. Aussi, avons-nous marché le plus lentement qu’il nous a été possible de le faire, afin de ne pas décourager tout-à-coup ceux qui vivaient autour de nous. Ce n’est que lorsque les circonstances et notre devoir l’exigèrent impérieusement, que nous avons élevé la voix pour réclamer ou pour flétrir.

Mais Reims, peu habitué à ce langage franc et nerveux, nous a souvent mal compris, néanmoins, sachant que quelques sacrifices étaient nécessaires, nous avons continué, comptant sur le zèle des vrais patriotes, sur les sympathies de tout homme d’honneur. Et ces sympathies, nous sommes fiers de le dire, ne nous ont pas manqué ; mais faibles et n’osant se montrer au grand jour, parce qu’il aurait fallu pour cela sortir de cette apathie qui laisse s’éteindre une idée forte et généreuse, par la peur de troubler une paix casanière dont on s’est fait une funeste habitude. Ainsi, telle personne qui pense comme nous n’oserait cependant l’avouer en public ; on étendrait tellement ses pensées au laminoir de la périphrase, qu’il n’en resterait rien au bout de l’opération. Tout cela est triste à avouer, mais cela est vrai, et, par conséquent, doit être dit : car le temps est passé d’avancer que toute vérité n’est pas bonne à dire. La vérité ! c’est la vie de l’homme : toutes ses pensées, tous ses actes doivent se résumer en elle.

Et qu’on ne vienne pas nous dire, comme on l’a fait quelquefois, que le Grappilleur avait des idées trop avancées. Le journalisme, tel que nous le comprenons, est un apostolat, un journaliste doit marcher en avant, sans cela à quoi sert-il ? Les apôtres du Christ avaient des idées avancées, et c’est pour cela qu’ils furent persécutés ; mais, aussi, c’est par suite de ces persécutions que la fraternité évangélique a pris racine et a fructifié. Et puis, d’ailleurs, au point où le progrès est parvenu, il n’y a que les hommes de mauvaise foi qui le nient ; tous les autres le reconnaissent et ont applaudi le Grappilleur chaque fois qu’il a osé le proclamer.

Parfois, nous le savons, notre parole a frappé rudement aux oreilles de gens qui ne sont pas habitués à semblable langage. Mais c’est que lorsqu’en écrivant on ne cède pas au besoin de gagner de l’argent, mais à une conviction forte et profonde des droits, des misères de ceux que l’on défend, alors le cœur se gonfle d’amertume et la parole s’échappe bouillante encore d’indignation et de douleur. Mais jamais une calomnie n’a souillé nos pages, jamais une erreur involontaire n’a manqué d’être éclaircie […]

Bien des dégoûts nous ont abreuvé depuis que nous nous sommes mis à l’œuvre, mais nous nous y attendions ; nous savions que la lâcheté, la mauvaise foi sont irascibles ; que la fatuité de l’ignorance et de l’incapacité est implacable, et ce n’est pas devant toutes ces choses que nous aurions reculé : celui qui se présente au combat a déjà fait le sacrifice de sa vie. Nous avions pensé ainsi.

Nous laissons donc la place libre à qui voudra la remplir. Nous adjurons tous ceux qui s’intéressent à l’avenir de l’humanité à ne pas reculer devant des sacrifices que nous ne pouvons continuer ; ils pourront dans la création d’un nouveau journal apporter plus de lumières et de talent, mais non un désintéressement plus complet, ni une plus ardente conviction des devoirs d’un homme qui se voue au bonheur de ses semblables.

Nous avons transcrit, en l’abrégeant, ce morceau, dans lequel une véritable éloquence, celle du cœur, se fait sentir ; nous l’avons transcrit malgré sa longueur, parce que c’est à peu près par là que se résume trop souvent l’histoire du journalisme.

[4.2]Nous insérerons dans un prochain numéro, les vers satyriques que M. Tampucci a adressé aux Welches Rhemois, Le poète a noblement vengé le journaliste.

Notes (PRESSE PROLÉTAIRE. [4.1] Nous apprenons avec...)
1 Hyppolite Tampucci (1807-) dont les Poésies venaient de paraître.

 

 

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