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23 novembre 1834 - Numéro 10
 
 

 



 
 
    
LYON.21, 22, 23 Novembre 1831.

[1.1]Quis talia fando…
Temperet a lacrymis !
A de tels souvenirs qui pourrait retenir ses larmes ! (virgile1.)

Il y a trois ans que la discorde jeta parmi nous sa pomme fatale ; que la mort déroula sur la cité son voile funèbre ; que le sang ruissela dans nos rues et sur nos places : sang français, versé par des mains françaises !…

Egoïsme, monstre de rapine et de fraude… C’est là ton ouvrage !… Toi seul as mis dans des mains, jusque là innocentes, ces armes meurtrières… toi seul as été sourd à ces cris de misère et de faim, qui faisaient retentir nos deux rives ; toi seul, il faut le dire, oui, toi seul as enfoncé ce poignard dans le sein de ses malheureuses victimes, dont le crime même à tes yeux, était de demander du pain !…

Vous soupirez, ames sensibles, de pareils souvenirs vous glacent d’effroi ? rassurez-vous, les mânes de nos généreux amis ne sollicitent pas la vengeance !… Leurs ames étoient trop belles pour la désirer, et nous, nous servirions mal leurs intentions, nous flétririons leur mémoire, si nous nous abaissions jusqu’à elle.

[1.2]Victimes généreuses, si l’idée de votre perte fait couler nos larmes, la perspective de notre émancipation, dont vous avez été le principe, nous console, nous fortifie, nous élève !… Oui, ombres chéries, votre sang n’a pas coulé en vain ; il a été le germe de cette régénération sociale à laquelle tendent tous nos efforts !… il a été l’engrais de cette terre d’amélioration que nous cultivons chaque jour, de laquelle sortira cet arbre majestueux qui nous couvrira de son ombre hospitalière, et contre lequel la hache de la cupidité s’émoussera toujours !...

Votre mort a grandi le prolétaire, elle a ennobli sa cause ! Ce n’est plus les armes à la main qu’il réclamera ses droits, loin de nous une semblable idée ; à Dieu ne plaise que par là nous fissions soulever d’indignation vos ames généreuses !…, désormais, c’est avec sagesse, c’est en signalant, en extirpant les abus, en poursuivant avec courage et persévérance la carrière que nous avons embrassée, que nous arriverons à un avenir plus prospère.

Mânes sacrés, à quel camp que vous ayez appartenu, recevez nos adieux !… En ces jours de tristesse les sentimens doivent être confondus, comme vos cendres ne font plus qu’une même poussière !… que la douleur nous rallie ; que nos larmes s’échangent ; et que la pensée des tombeaux qui s’ouvriront un jour pour nous, arrache de nos cœurs tout sentiment de haine !… acceptez nos couronnes, l’amitié les a tressé, nos larmes les arroseront chaque jour. Le temps ne dérobera rien à nos souvenirs, et pour perpétuer notre douleur, nos arrières neveux s’acquitteront d’âge en âge de ce devoir sacré.

Notes (LYON.21, 22, 23 Novembre 1831.)
1 Référence à l’apostrophe de Virgile (70-19 av. J-C) dans L’Enéide, lorsque Enée évoque à Didon les malheurs de Troie.

 

 

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