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30 novembre 1834 - Numéro 11
 
 

 



 
 
    

HISTOIRE DE LA CHATTE DE SAINT LUPICIN.

Monsieur Lupicin, alors était abbé dans le village qui porte son nom, là il fréquentait une dame qui avait une petite chatte très-familière, à laquelle il s’attacha singulièrement, et dont il fut payé de retour, chose extraordinaire. La dame qui s’en aperçut lui en fit cadeau. M. Lupicin s’attachant tous les jours de plus en plus à sa jolie chatte, ordonna à son valet de la traiter comme le maître. Ce valet, grand trisaïeul de Scapin sans doute, n’étant pas très-content de mettre chaque jour deux fois la serviette à une semblable maîtresse, et de lui verser à boire comme à une marquise ordinaire, aurait envoyé les dîners et M. l’abbé ainsi que la chatte à tous les diables, s’il n’eût pas imaginé un [4.2]tour admirable pour se défaire de cette importune ; car il était encore obligé de la mener promener dans le verger du prioré. Voici le fait :

Chaque fois que le bon Lupicin disait sa messe, le premier Scapin saisissait un fouet et s’approchait de la chatte, fermée dans une chambre. Là il faisait un signe de croix, et ensuite à grands coups de fouet sur la chatte qui sautait à droite et à gauche, jusqu’au plancher même, pour éviter les mauvais traitemens de son bourreau.

Lorsque ce domestique infernal crut que la chatte était au fait de ce métier, c’est-à-dire qu’elle était douce et familière quand on la caressait et que quand on faisait le signe de la croix elle fuyait en poussant des miaulemens épouvantables. Il pensa qu’il était temps d’en prévenir son maître. Si bien qu’un jour au moment du dîner, le fourbe, d’un air consterné, dit à monsieur Lupicin : Ah ! monseigneur, quelle mauvaise bête vous avez chez vous, ce n’est point une chatte ordinaire, c’est la femme du diable, j’en suis sûr, nous sommes perdus si elle reste encore deux jours au prioré, car lorsque je fais ma prière elle veut me dévorer.

Le bon abbé croyant son valet devenu fou, se mit à table sans réplique, et toujours vis-à-vis de sa chatte. Alors le Scapin fit un signe de croix. Cette malheureuse chatte croyant de recevoir son prêt comme par le passé, pousse ses miaulemens ordinaires et saute à droite, à gauche, renverse les bouteilles, brise les assiettes, arrache la calotte à l’abbé épouvanté qui ne doutait plus qu’il avait à faire à une diablesse, ordre fut donné de la tuer. Le valet ne fut pas long à l’exécuter. Le vieil abbé dîna seul encore six ans et mourut l’an 1200 dans la conviction que le diable avait dîné trois mois avec lui ; car ce ne fut qu’après sa mort que le Scapin raconta l’histoire qui étonna tous les benets du village.

 

 

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