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20 décembre 1834 - Numéro 14
 
 

 



 
 
    

AMÉLIORATION INDUSTRIELLE1.

L’œuvre de l’Indicateur et le but de sa fondation, c’est, nous l’avons déjà dit, d’opérer une amélioration positive dans le sort des classes laborieuses ; c’est la mission que nous nous sommes donnée et pour laquelle nous avons appelé le concours de tous les hommes au cœur généreux. Déjà plusieurs ont répondu à notre appel, et leur plume nous a soutenus dans nos efforts ; nous avons la certitude que d’autres viendront, car notre œuvre est trop belle pour ne pas exciter à y prendre part, ces hommes à la fois ardens et sages, énergiques et prudens, qui savent vouloir avec fermeté et persévérence, sans jamais se départir des règles de la justice et des convenances sociales.

Bien fixés maintenant sur la marche que nous devons suivre, sur les résultats qu’il nous faut absolument obtenir, nous allons redoubler d’activité, afin de hâter le moment où nous pourrons offrir à nos concitoyens et au monde quelque chose de mieux que des phrases critiques sur l’ordre social actuel et l’esprit de rapine de tel ou tel, et à ce propos nous ne dissimulerons pas que notre feuille, aussi bien que toutes celles qui se disent consacrées à la défense des intérêts populaires, n’a guère indiqué jusqu’à présent que des améliorations d’une valeur assez faible. Nous sentons très-bien que ce n’est pas seulement à cette petite guerre que nous livrons contre l’égoïsme individuel, sur le terrain resserré des enlaçages des tirelles et des déchets, que nous serons jamais redevables d’avantage de quelque [1.2]importance. Mais patience, tout ne peut se faire à la fois : avant de passer outre, nous avons dû essayer de poser une borne aux empiètemens, aux exactions qu’une concurrence effrénée doit naturellement inspirer aux négocians. Or, parmi eux, il en est quelques-uns, heureusement en petit nombre, qui marchent quelquefois trop audacieusement à la tête des autres, lorsqu’il s’agit de violer les usages, de baisser les façons, en un mot, de pousser à son dernier degré l’effet déjà trop accablant de la concurrence commerciale, puisqu’il y a des hommes ainsi faits, que l’égoïsme seul les guide, il faut bien qu’il y en ait d’autres qui s’occupent à leur tenir tête et à les contrecarrer dans leur projet.

C’est donc dans l’intention de tirer tout le parti possible de la société telle qu’elle existe avec sa lutte industrielle et sa concurrence écrasante, que nous avons dû signaler ainsi, que nous continuerons de faire toutes les tentatives qui pourraient avoir des conséquences funestes pour les travailleurs. Nous ferons en sorte, par nos avertissemens, de les tenir en garde contre des exigences illicites, et peut-être parviendrons-nous à modérer un peu l’oppression commerciale en retenant par l’appréhension de cette flétrissure morale qu’imprime la publicité. Ceux qui se prévalent trop des avantages de leur position, en abuseraient vis-à-vis de l’ouvrier pauvre, qui trop souvent se trouve sans défense et livré à leur discrétion.

Mais gardons-nous toutefois de fausses illusions, si dans les rapports des classes différentes, il y a moins d’avanies, moins de grossiéretés dites ou faites, sans doute nous devons nous en applaudir. Mais rappelons-nous néanmoins que si une plus grande circonspection règne, c’est que peut-être les choses n’ont changé qu’en apparence ; plus de prudence, plus d’adresse sont employées, et voilà tout.

Répétons-le donc encore une fois, tout cela est de peu d’importance pour l’amélioration du sort du peuple, [2.1]si par l’effet de notre vigilance quelques vexations sont rendues moins nombreuses, si des faits mesquinement frauduleux deviennent un peu moins fréquens, le déplorable effet de la concurrence illimitée n’en subsistera pas moins, et parviendrions-nous même à empêcher complètement ce qu’on appelle les abus. Le salaire du travailleur resterait encore disproportionné à ses fatigues et insuffisant pour ses besoins.

Nous le disons donc sans détour, nos prétentions à nous sont beaucoup plus grandes ! nous ne pouvons nous contenter de glaner après tant d’autres dans un champ stérile et épuisé.

Dieu n’a-t-il pas donné à l’homme un magnifique domaine, en lui ordonnant de l’exploiter, soit par devoir, soit par plaisir et en lui promettant mille jouissances pour prix de ses fatigues ; ce domaine est immense, c’est la terre tout entière. Nous, travailleurs, nous obéissons à ses lois quant au travail : pourquoi donc la récompense ne nous parviendrait-elle pas !

Ah ! c’est, dit-on, parce qu’un arrangement commercial et industriel s’y oppose. Eh bien ! il nous faut attaquer cet arrangement corps à corps et avec résolution. Sans nous arrêter plus long-temps à des escarmouches, irritantes sans davantage gémir et nous plaindre de nos maux, nous allons prendre position pour conquérir pacifiquement le commerce et l’industrie au profit du travailleur de tout rang, c’est-à-dire de quiconque s’occupe d’une manière utile et honorable. Par cette noble entreprise nuls travaux, nuls sacrifices ne seront épargnés. Déjà quoiqu’à peine entrés dans la lice, nous sentons croître notre courage et nos forces, quelque chose nous dit que nos efforts améliorateurs seront couronnés de succès.

Courage donc, travailleurs ! car dans cet immense combat où nul sang ne sera versé et pour lequel nous n’emploierons que des armes légales, la concurrence sera vaincue dans ce qu’elle a d’abusif et d’oppresseur, le négoce lui-même, avec ses mensonges habituels, son apparence jésuitique de bonne foi, ses banqueroutes et tout son odieux cortège de fraude, sera frappé au cœur, afin que, nouveau phénix, il renaisse transformé et éclatant de vérité, de justice et de loyauté,

M, D.
(La suite au prochain numéro.)

Notes (AMÉLIORATION INDUSTRIELLE. L’œuvre de...)
1 Il s’agit ici du premier article de la série « Amélioration industrielle », dans laquelle Michel-Marie Derrion va détailler le plan de son épicerie coopérative destinée à rendre le commerce « véridique », et en ouvrir les premières souscriptions.

 

 

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