AMÉLIORATION INDUSTRIELLE.
3e article.
(Voir les numéros des 21 et 28 décembre.)
Nous avons vu que les élémens industriels et commerciaux sont au nombre de trois, placés dans un état continuel de lutte et d’hostilité.
[2.1]Nous avons promis dire quels ont été les résultats de cette lutte, en ce qui intéresse les travailleurs, afin qu’ils sachent à quoi s’en tenir et ce qu’ils ont à faire.
Nous ferons donc observer que celui des trois antagonistes qui jusqu’à présent a le plus joui des avantages de la victoire, c’est le commerçant. Sans doute il y a eu bien des naufrages sur cette mer hasardeuse du négoce, et tel qui s’est vu un moment nageant au milieu des joies de l’opulence, s’est senti un peu plus tard précipité dans la misère et la pauvreté. Mais ces chutes, ces désappointemens industriels n’ont pas empêché le commerce, pris en général, de prospérer aux dépens des autres classes, et il n’est pas moins parvenu à attirer à lui la plus grosse part proportionnelle dans la répartition des richesses, produites par le travailleur, et cela parce qu’il s’est trouvé dans une position plus avantageuse, et aussi parce qu’il a mieux su employer le mensonge et la ruse, parce qu’il a réussi souvent à inspirer au consommateur une confiance imméritée par ses protestations qu’il vendait à perte, qu’il ne gagnait rien du tout, alors même qu’il prélevait sur le consommateur, sous le nom de bénéfice, un impôt énorme et tout arbitraire de 10 à 30 p. %, et quelquefois bien davantage.
Mais à propos de l’examen de ces faits, il ne faudrait pas que le travailleur vint se récrier contre le commerçant et se prendre en haine contre lui, à son tour il aurait grandement tort ; car il n’a pas dépendu du travailleur d’exploiter le commerçant, au lieu d’être exploité par lui ; toutes les fois qu’il a pu le faire il n’y a pas manqué : toutes les fois qu’il a pu prendre sa place et lui laisser la sienne, il l’a fait, et encore aujourd’hui il n’est peut-être aucun de ceux qui se plaignent de l’égoïsme du négociant, qui ne désirent de parvenir à la position qu’il occupe, non pas pour faire mieux et être plus bienfaisant que lui, mais bien pour avoir la chance de réaliser comme lui de gros bénéfices. Reconnaissons donc qu’en fait d’égoïsme les classes laborieuses et les classes commerciales n’ont rien à se reprocher, leur intention est la même ; il n’y a de changé qu’une position autre et un savoir-faire différent.
Pourtant que cela ne nous fasse pas sortir de notre sujet, et ne laissons pas de constater ce fait important, savoir : Que la classe des commerçans a su, non-seulement se créer de grands avantages, de grandes facultés pour faire fortune, c’est-à-dire pour acquérir par une occupation de quelques années, le droit excessif et anti-social de vivre ensuite eux et leur famille dans une opulence plus ou moins fastueuse et une longue oisiveté, mais encore que les membres de cette classe ont abusé de leur position pour troubler à tout instant l’équilibre de la production et de la consommation, soit par des spéculations qui arrêtent le travail en le privant momentanément de la matière première qui est son aliment, soit en forçant le travailleur par une baisse exagérée dans les salaires, de se priver comme consommateur des produits dont l’écoulement est tout [2.2]à la fois nécessaire à l’entretien de ses forces et à la prospérité commerciale elle-même.
De sorte qu’on peut dire avec vérité que le commerce poussé jusque-là, est arrivé au point de se fermer d’une main le débouché qu’il s’efforce d’ouvrir de l’autre. A force de faire un mauvais usage de sa puissance, à force de devenir oppresseur, il s’opprime lui-même et se suicide par ses excès.
Or nous disons que c’est là qu’est le mal social. Que c’est là par conséquent qu’il faut appliquer le remède, en donnant au commerce une forme nouvelle destinée à le régénérer, et qui puisse produire une amélioration réelle, positive, évidente dans le sort de tous, et plus particulièrement dans celui des consommateurs laborieux, des travailleurs.
Par tout ce que nous venons de dire on peut déjà voir que nous nous sommes déclarés les antagonistes, non pas des commerçans, mais bien de la constitution actuelle du commerce. Les griefs ne nous manquent pas, résumons-les cependant et formons en un acte d’accusation formel et explicite.
Nous accusons la forme actuelle du commerce, 1° d’exciter à la mauvaise foi et au mensonge, en faisant que l’intérêt du commerçant se trouve en opposition avec l’usage des principes de vérité et de franchise si éminemment nécessaires dans les rapports multipliés que les hommes ont entre eux.
Nous l’accusons, 2° d’offrir les plus grandes facilités aux individus possédant des richesses pécuniaires, de faire un emploi oppressif de leurs capitaux, en faisant que leur intérêt se trouve très-souvent et très-injustement satisfait par des opérations connues sons le nom de spéculation et d’agiotage, opérations que l’usage permet quoiqu’elles soient, selon nous, illicites, immorales au dernier degré ; car nous accusons ces opérations de produire capricieusement des variations considérables dans le prix des matières premières, des denrées de première nécessité, ou autres produits en causant une rareté factice, une rapide augmentation, ou une baisse imprévue, toutes choses qui amènent des crises, des perturbations déplorables dans l’industrie ; qui déplacent des capitaux, mettent le désordre dans la production, et en définitive ôtent souvent les moyens d’existence à un grand nombre de travailleurs, qui ne peuvent vivre lorsque les matériaux du travail leur sont refusés. Nous accusons donc le commerce en général de prélever, sous le nom de bénéfice, un impôt exhorbitant sur le consommateur, impôt qui absorbe au profit d’un petit nombre la meilleure partie des richesses produites par tous.
Nous l’accusons encore de faire que l’intérêt du marchand consiste presque toujours à ce que dans les produits industriels ou agricoles, la qualité soit sacrifiée à l’apparence, ce qui excite à des altérations et à des falsifications, qui tout en étant un surcroît abusif de travail pour les classes laborieuses, compromettent trop souvent la santé publique.
Nous accusons encore la constitution actuelle du commerce de maintenir la masse des travailleurs dans un état précaire et misérable, en faisant que l’intérêt [3.1]momentané des individus à la fois commerçans et entrepreneurs de travaux, se trouve satisfait par une baisse progressive dans les salaires ; baisse que la concurrence illimitée pousse toujours jusqu’à la limite du possible, c’est-à-dire jusqu’à ce que la masse industrielle puisse à peine vivre et se vêtir grossièrement.
Cette accusation a une gravité immense, si l’on considère que la baisse des salaires compliquée par l’instabilité du travail, retiennent forcément la classe des travailleurs dans cet état d’ignorance qui comprime, abrutit l’homme, et ne lui permet de se développer que sous l’aspect des mauvaises passions.
Aussi, pour en finir, nous accusons la constitution actuelle du commerce et de l’industrie de faire que tous les hommes soient divisés entre eux et forcés de lutter les uns contre les autres avec toute l’animosité d’ennemis acharnés. Nous l’accusons de verser la haine entre les populations, de les exciter à l’usage de la dissimulation et de l’hypocrisie, et en opposant l’ambition à l’ambition, l’intérêt satisfait à l’intérêt froissé, la pauvreté à l’opulence, de pousser directement ou indirectement à tous les crimes privés ou sociaux, qui ont désolé le genre humain ou ensanglanté la surface de la terre.
Nous pourrions multiplier à l’infini le nombre des accusations contre la forme actuelle du commerce, mais il nous suffit de celles que nous venons de former pour motiver notre déclaration de guerre pacifique, guerre toute de loyauté, de publicité, de franchise, dont nous indiquerons les manœuvres et publierons le programme à partir du prochain numéro.
(La suite au prochain numéro.)
M. D.