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19 février 1832 - Numéro 17
 

 




 
 
     

[1.1]Une souscription est ouverte au bureau de l’Echo de la Fabrique en faveur des blessés, des veuves et des orphelins des trois journées de novembre. Nous en appelons à toutes les ames généreuses, à ces cœurs philantropes qui ont secouru l’infortune jusque sur des rives étrangères, et dont l’humanité ne manquera pas de venir au secours de leurs concitoyens malheureux.

LYON.

Le Courrier de Lyon nous attaque de nouveau ; et pour cette fois il paraît décidé à rompre une lance avec nous. Dieu soit loué ! nous pourrons dire enfin toute notre pensée sur cette pauvre feuille. Et comment ne nous attaquerait-il pas ? nous avons provoqué l’indignation de ses patrons, en qualifiant de basse calomnie le discours de leur coryphée, de l’homme qui, étranger à notre ville et à ses intérêts (car ce n’est que par ses propriétés qu’on y connaît M. Fulchiron), a osé, nous le répétons, calomnier le classe industrielle, en traitant les hommes qui la composent de pillards, de conspirateurs contre la propriété, de prolétaires à mauvaises intentions ; et c’est nous qu’on accuse de provoquer à la haine, parce que nous défendons les intérêts du pauvre ; et celui qui traite ce pauvre comme un vil scélérat, celui-là est un homme modéré, il ne dit rien qui ne soit un trait d’éloquence, il peut diffamer, calomnier à son aise ; pourvu qu’il ne parle que des prolétaires, ce sera un vertueux citoyen et l’un de nos meilleurs orateurs.

[1.2]De quel droit le coryphée du Courrier de Lyon parle-t-il des événemens qu’il ne connaît pas, de ce qu’il ignore complètement. A-t-il vu les ouvriers se livrer au pillage ? les a-t-il vus conspirer contre la propriété ? Qu’on ne vienne donc pas dire que notre feuille est provocatrice, quand nous repoussons au nom de nos compatriotes de telles imputations. Les provocateurs sont ceux qui insultent par le mensonge à une population entière, en faisant planer sur elle des soupçons odieux, et dont sa conduite l’a si dignement justifiée.

Le Courrier de Lyon est vraiment heureux dans le choix des sujets qu’il traite ; c’est surtout cette dénonciation des feuilles non politiques qui est de bon goût. Admirez la beauté de ceci : Nous déposons 16,000 fr. dans les caisses de l’Etat, avant de paraître ; et des malveillans, des prolétaires, des Saint-Simoniens, pourront, sans la moindre formalité, mettre entre les mains des classes pauvres des publications provocatrices, etc. Voilà certes trois noms singulièrement accolés : malveillans, prolétaires et Saint-Simoniens. Ainsi, c’est bien entendu, d’après le Courrier de Lyon, on ne peut pas être pauvre et honnête homme ; prolétaire, c’est être malveillant, et Saint-Simonien c’est sans doute réunir les deux autres épithètes. Méditez bien ceci, messieurs les admirateurs du Courrier de Lyon, et vous nous direz si parler ainsi de la classe pauvre, qui est la plus nombreuse, n’est pas un peu provoquer les passions et mettre en doute le repos de la société. Pour nous, nous croyons que dans l’organisation sociale il faut des riches et des pauvres, c’est-à-dire des prolétaires et des hommes de la propriété ; mais comme tous sont utiles dans cette organisation, nous croyons aussi qu’ils se doivent [2.1]de mutuels égards, et qu’une classe ne doit point écraser l’autre, et la regarder comme composée d’îlotes faits pour servir à la fortune et aux caprices des grands.

Le Courrier dit qu’on devrait exiger 32,000 fr. de cautionnement d’une feuille qui parle au pauvre de son indigence et aux ouvriers de leur salaire... Ainsi, au pauvre qui n’a pas assez de pain pour sa famille, il faut lui dire qu’il est très-heureux d’en avoir un morceau ; à l’ouvrier qui ne gagne que vingt sous par jour, il faut avoir un cœur assez froid pour lui dire qu’il est bien plus heureux que s’il n’en gagnait que dix. Voilà la logique du Courrier de Lyon. Mais que répondre à cela ? nous en serions bien en peine, car si raisonner ainsi n’est pas le comble de la démence, c’est au moins le comble de l’absurdité.

Voyez quelle élégance de style, quelle délicatesse lorsqu’il raconte ingénument qu’il a versé 16,000 fr. pour n’avancer que des utopies aux gens lettrés et aux oisifs ! quelle supériorité de pensée, et surtout quelle urbanité de langage, lorsqu’il dit que ce cautionnement ne lui sert qu’à raconter ses nouvelles aux gobe-mouches des cafés (ce sont ses propres expressions) ; et certes nous qui ne sommes que de pauvres prolétaires, nous ne nous permettrions pas de telles insultes, car nous honorons trop nos compatriotes pour croire avec le Courrier que nos cafés ne sont peuplés que de gobe-mouches.

Pauvres lecteurs du Courrier, on vous traite bien cavalièrement ! n’importe, payez toujours, c’est la feuille indispensable, c’est le paratonnerre contre l’orage ; c’est une digue où vient se briser le torrent populaire... et ne voyez-vous pas cet essaim de prolétaires prêt à tout envahir, se jetant sur la propriété et proclamant la loi agraire ? Vous allez nous dire que tout est calme, que le peuple n’aspire qu’a travailler au sein de la paix, et qu’enfin vous ne voyez rien de ce que nous vous disons : cela peut être ; mais le Courrier de Lyon le voit, lui, et vous devez payer, bien payer ses rêveries...

Enfin, nous attendrons patiemment que l’indignation de ces messieurs soit un peu apaisée, pour qu’ils nous répondent, nous reposant sur la justice de notre cause et sur le ridicule de ce pauvre Courrier de Lyon.

LES POLONAIS.1

D’une mère cherie
C’est un fils désolé !
Rendons une patrie
Une patrie,
Au pauvre exilé !
(Béranger.)

Les héroïques débris de l’armée polonaise ont traversé pendant plusieurs jours notre ville. Nous nous proposions d’en rendre un compte détaillé ; mais que pourrions-nous dire qui puisse surprendre nos compatriotes ! quelles expressions pourrions-nous employer pour rendre l’émotion de ce peuple de juillet, de nos concitoyens à l’aspect des héros de Groschow et d’Ostrolenska !2 Quelle est la plume assez brûlante qui pourrait peindre l’enthousiasme de toutes les classes de la population lyonnaise, et ce tableau animé dont nous avons été les témoins, vendredi, sur le quai St-Clair, au moment de l’arrivée de la colonne polonaise ! Que ce tableau était grand, sublime et triste tout à la fois ! Les débris de la nation la plus héroïque étaient reçus en triomphe par la plus grande, la plus terrible des nations ! Que d’espérance cela donne aux ames généreuses !…

[2.2]Honneur au corps d’officiers de notre garnison qui a si bien compris le devoir qu’il avait à remplir envers de malheureux proscrits ! Honneur à ces officiers qui ont, pour leur part, si bien acquitté la dette de la patrie ! Quel touchant, quel sublime spectacle que celui de nos braves promenant sous le bras ou en calvacade les héros de la Pologne ! Que cette sympathie promet pour l’avenir !…

Honneur aux citoyens de toutes les classes, hommes de la propriété et prolétaires, qui ont concouru par leur présence à cette fête de famille, comparable seulement à l’entrée du vénérable général Lafayette dans nos murs ! Que ce jour soit celui de la réconciliation complète entre des hommes animés par les mêmes sentimens et pénétrés du même amour pour la patrie et pour nos frères de la Pologne.

Honneur, enfin, à ces ouvriers qui suivaient les Polonais, comme l’ombre suit le corps, et dont les cœurs étaient déchirés de douleur de ne pouvoir leur offrir que des larmes !…

Héros de la Vistule ! descendans des Jagellons !3 si le destin moins contraire vous rappelle un jour dans cette patrie pour laquelle vous avez si héroïquement combattu, transmettez à vos descendans cette émotion que vous avez éprouvée en entrant dans la seconde ville du royaume, pour que vos fils et les nôtres ne formant toujours qu’un peuple, apprennent à l’univers que de tous les temps les Français et les Polonais furent frères.

A. V.

ABUS DU TRAVAIL DE NUIT.

L’excès du travail, en captivant l’ouvrier, et en l’attachant à un métier où se meuvent continuellement toutes les parties de son corps, est nuisible à la santé ; et d’après l’attestation des plus célèbres médecins de notre ville, les trois quarts des maladies des ouvriers de la fabrique proviennent de cette cause. Un travail assidu de dix-huit heures sur des métiers à la Jacquard, qui sont ordinairement pénibles à faire mouvoir, où l’estomac appuyé contre le rouleau reçoit le contre-coup du battant, empêche la digestion, dispose à l’irritation, première cause des maladies de langueur. Les médecins avouent ne pouvoir guérir ces maladies que par le repos, le changement d’état et de la bonne nourriture.

Comparons maintenant : si le travail ordinaire de l’ouvrier lui ruine sa santé, que devient celui qui est forcé de travailler pendant une semaine jour et nuit, et de ne suspendre son travail que lorsque ses forces l’abandonnent et que le sommeil l’accable ? qui ne se donnant même pas la peine de se mettre sur un lit, de crainte de trop se reposer, dort sur son métier, et se réveille bientôt tout tremblant, parce que le sommeil, dans cette position, est aussi pénible que le travail. Combien n’en voit-on pas qui, après de semblables excès, tombent malades, et demeurent un mois avant de pouvoir recommencer à travailler ; d’autres vont à l’hospice, et n’en reviennent pas. Combien de fois avons-nous vu des mères en pleurs, qui avaient perdu leurs enfans, que la docilité envers les négocians et la crainte de ne plus avoir de l’ouvrage forçaient à se captiver ainsi pendant dix nuits de suite, et être par cela la cause involontaire de leur mort.

Ceux qui sont étrangers à la fabrique d’étoffes de Lyon, croiront sans doute que ce travail de nuit est comme dans tous les autres états, ainsi que par toute la France, plus rétribué que celui de jour ; eh bien ! non ; il est [3.1]presque toujours accompagné de menaces de la part du négociant : « Si vous ne me rendez pas cette pièce tel jour, à telle heure, 15 centimes de rabais par aune ; si je n’ai pas ma pièce bien fabriquée pour le jour fixé, je ne vous donnerai plus d’ouvrage. » D’autres enfin qui pensent qu’il est plus facile d’amener à leurs fins les ouvriers par des promesses que par des menaces, leur promettent de leur donner toujours de l’ouvrage et de grands aunages. Mais si, par malheur un accident arrive, une goutte de cambouis s’échappe de la mécanique, la fumée des lampes de l’atelier rend quelques aunes de la pièce un peu moins fraîches que celles qui se sont fabriquées de jour ; au lieu de ces promesses, c’est un rabais, on parle même de mettre la coupe à moitié prix ; et si l’ouvrier parle d’aller réclamer aux prud’hommes, on lui répond : allez ! vous n’aurez plus d’ouvrage ; vous êtes un chicaneur. Dernièrement encore, un négociant avait promis à un ouvrier 3 francs s’il lui rendait un schal tel jour et à telle heure. L’ouvrier, après avoir travaillé plusieurs nuits, parvint à rendre son schal à l’heure convenue ; mais quel fut son désappointement, quand, au lieu de recevoir les 3 francs qui lui avaient été promis comme gratification, on lui fit un rabais de 5 francs, parce que son schal était trop court d’un pouce.

Pour détruire les douloureux et nombreux abus de ce genre, on devrait fixer la journée de chaque article, c’est-à-dire prendre la moyenne sur cent ouvriers. Ainsi, en prenant 100 livres d’ouvriers tissant le même article, et ou le jour du reçu et du rendu de l’étoffe est écrit, on prendrait pour règle de la journée le plus grand nombre qui auraient rendu le même aunage dans le même espace de temps ; ainsi donc, on trouverait sur cent ouvriers qui tissent le courant ordinaire, 30 métiers à 3 aunes par jour ; 40 métiers à 3 aunes 1/2 ; 20 métiers à 4 aunes ; 6 métiers à 4 aunes 1/2, et 4 métiers à 5 aunes. La journée pourrait être fixée à 3 aunes 1/2 pour cet article, et l’on pourrait faire le même calcul pour tous les articles. Comme il est de règle dans tous les états de payer aux ouvriers un défraiement pour le passage des nuits, on pourrait bien allouer 1 fr. 50 c. par chaque métier qui serait obligé de passer les nuits, pour faire un supplément de journée, qui serait partagé en donnant 1 fr. à l’ouvrier, et 50 c. au chef d’atelier, pour ses frais de chauffage, etc., ce qui est de toute justice ; et ce serait selon nous une bien légère indemnité à ceux qui sacrifient leur santé pour faire la fortune du négociant. Nous croyons qu’un pareil règlement ne peut manquer d’être pris en considération par le futur conseil ; c’est du moins l’espoir des ouvriers.

Conditions des soies.

Il est entré dans cet établissement, depuis le 1er février jusqu’à ce jour, 700 ballots de soie, nombre qui paraît devoir être de beaucoup supérieur à celui du mois de janvier.

Ainsi, d’après le mouvement des soies qui s’est opéré, soit à Avignon, Alais, St-Etienne et dans cette ville, où les teinturiers sont très-pressés, une augmentation doit avoir lieu dans le prix des façons des étoffes de soie ; dans le cas contraire, nous croirons que réellement les soies teintes passent à l’étranger.

BOUTADE D’UN PROLÉTAIRE.1

L’ingénieux Lafontaine a peint la société dans la fable des Animaux malades de la peste. Il est pardonné au [3.2]tigre, au léopard, à l’ours, au lion, au loup, même au bélier qui a des cornes pour se défendre ; l’âne et la brebis seuls sont condamnés et punis de leurs méfaits. Eh lesquels ! Ils avaient, pour leur chétive consommation, tondu l’herbe d’un pré de la largeur de leur langue, les autres avaient ensanglanté la forêt. C’est à ce sujet qu’Alcibiade disait : les lois sont comme les toiles d’araignées, elles arrêtent les mouches, les gros insectes passent à travers. Ainsi, qu’un malheureux dérobe une gerbe de blé dans les champs, un pain sur la banque du boulanger, sans doute il est coupable (on pourrait cependant croire ce crime excusable ; non ! les législateurs, presque tous propriétaires, braves gens ayant au moins mille écus de rente, ont oublié de mettre la faim au nombre des circonstances atténuantes) ; aussi la loi l’atteint et le punit : c’est justice. Mais qu’un homme haut placé vole quelques millions dans la caisse confiée à sa gardei, la loi est impuissante contre lui ; il se soustrait à toute condamnation par une fuite que rien n’entrave. Voilà la justice de notre siècle d’argent. Dat veniam corvis vexat censura colombas.

Marius CH.....


i Kesner, caissier du trésor, vient de fuir en Belgique, laissant un déficit de 8 à 9 millions.

HISTOIRE DE JACQUES.

Suite. (V. notre N° 14.)

Un ciel plus pur annonçait à sa ville natale le calme après tant d’orages. La confiance s’établissait ; et Jacques retirait le fruit des leçons de paix et d’oubli qu’il avait données à ses concitoyens ; il recevait les bénédictions et du riche et du prolétaire. Son ame fière d’avoir servi de nouveau son pays, ne rêvait encore qu’améliorations et prospérité.

Il en était à méditer un mode d’association en harmonie avec les lois et les besoins des ouvriers ses compatriotes, afin de les préserver du fléau de la misère, quand une circonstance vint de nouveau exalter son ame passionnée de gloire et pleine de générosité. D’illustres proscrits, les généreux débris de l’héroïque Pologne arrivaient dans notre cité ; Jacques se ressouvint de ses vieux compagnons d’armes ; il fixa ce ruban qui décorait sa boutonnière et qu’il avait acquis en combattant au milieu des légions de Poniatowski ; des larmes obscurcirent ses yeux ; son cœur oppressé laissa échapper un soupir en touchant d’une main brûlante ce glaive si fatal aux oppresseurs de ce peuple de héros.

Il savait qu’une colonne de Polonais devait arriver ce même jour. Jacques fit préparer dans sa modeste demeure tout ce qui était nécessaire pour recevoir un ami, un frère, un vieux compagnon de gloire, et sortit pour aller au-devant des héros d’Ostrolenka.

Ils arrivaient par la barrière Saint-Clair. Jacques se précipita au-devant d’eux ; il saisit le premier qui se trouva près de lui et lui montrant sa décoration : cet un soldat d’Austerlitz et de Friedland, lui dit-il, qui vous demande d’honorer sa demeure ; vos frères me firent le même accueil lorsque notre drapeau parut pour la première fois dans les murs de Varsovie. Héros de la Pologne ! venez avec moi, je ne suis pas riche, mais vous trouverez dans ma famille tout ce que l’amitié peut offrir au courage malheureux !… Le Polonais, touché jusqu’aux larmes, accepta l’offre de Jacques, et le prenant sous le bras, ils regagnèrent le toit du pauvre, où une famille impatiente les attendait.

[4.1]A peine parurent-ils au milieu d’elle, que les enfans de Jacques s’attachèrent par sympathie aux mains du Polonais. Celui-ci les embrassa, et parlant un peu le français, il dit, avec un accent douloureux : et moi aussi, j’ai des enfans !... On s’assit, et toute la famille chercha à faire oublier à leur convive et ses malheurs et son exil.

Le Polonais avait toujours les regards fixés sur Jacques. Un sentiment qu’il ne pouvait définir agitait ce brave ; le souvenir de son jeune âge le berçait dans une douce mélancolie ; enfin, il rompit le silence et parla ainsi avec émotion : L’accueil que vous me faites rappelle mon enfance ; il me rappelle ces jours où ma patrie se croyant affranchie du joug de ses tyrans, vit, pour la première fois, flotter le drapeau tricolore sur la terre des Jagellons. Ce temps est bien loin de nous ! et s’il ne nous restait pas un peu d’espérance !... Un jeune Français, décoré du ruban que vous portez, fut accueilli avec enthousiasme au sein de ma famille : c’était aux bords de la Vistule, après les batailles d’Austerlitz et de Friedland. Ce Français était brillant de jeunesse et bouillant de courage ; son œil s’embrasait comme le vôtre au souvenir des combats ; et ses traits... ses traits avaient une si grande ressemblance... Jacques qui n’avait cessé de fixer le Polonais, semblait respirer à peine. Une explosion semblait être prête d’éclater dans son cœur oppressé ; un torrent de larmes était retenu comme par force dans ses paupières : vous souvient-il du nom de ce Français ! s’écria-t-il d’une voix entrecoupée ? oh ! oui ! répondit le Polonais, son nom ne s’effacera jamais de ma pensée ; il se nommait Jacques... Eh bien ! c’est moi, répondit le soldat d’Austerlitz en se précipitant dans les bras du Polonais. Leurs larmes se confondirent, et la famille de Jacques partageait la triste joie des deux héros. Revenus de leur émotion, le Polonais raconta son histoire et les malheurs de sa patrie. Jacques lui fit quelques détails de sa vie militaire et privée, et tous les deux se jurèrent une amitié éternelle.

Le Polonais resta quelque temps au sein de celle famille qu’il venait d’adopter, et partit quelques jours après avec ses compagnons d’exil, promettant de ne jamais oublier ses nouveaux amis, et Jacques regarda ces jours comme les plus beaux et les plus glorieux de sa vie.

A. V.

Une pétition renfermant des vues d’amélioration pour la culture du mûrier et la propagation de cette culture dans tous les départemens, a été présentée à la chambre des députés, dans la séance du 10 février. Nous croyons faire plaisir à nos lecteurs en donnant en entier une pièce d’un si grand intérêt pour la fabrique d’étoffes de soie de Lyon.

Toulouse, ce 30 août 1831.

A MM. les membres composant la chambre des députés.

Messieurs,

« Les soies que nous recevons de l’étranger nous imposent un tribut annuel de 69.655,493 fr., quoique nous possédions tous les élémens qui favorisent cette intéressante production. Je désirerais que le gouvernement encourageât la culture des mûriers, autrefois si florissante dans nos contrées, par les attraits de la croix-d’honneur ou toute autre récompense, en faveur de celui qui d’ici à deux ans en aura planté le plus grand nombre, d’après l’étendue de sa propriété, et qu’une contribution [4.2]foncière de 500 fr. à la charge du terrain seulement, fixât le minimum admis à la concurrence.

Je voudrais encore, pour éveiller le patriotisme de ceux qui s’abandonnent trop légèrement à l’idée flatteuse de la supériorité de notre industrie, que l’état des importations qui pèsent sur la France et dont le chiffre énorme s’élève à 616,353,397 francs, fût publié et affiché tous les ans dans les diverses communes du royaume, sans oublier le renouvellement de l’offre d’un million pour le fil n° 300, celle du prix décennal pour le chef-d’œuvre de musique. »

J’ai l’honneur d’être, etc.,

Arzac oncle.

Cette pétition a été renvoyée à M. le ministre du commerce.

AU RÉDACTEUR.

Monsieur,

Je suis de cette petite aristocratie de quatre métiers que vient de créer l’ordonnance relative a la réorganisation du conseil des prud’hommes. Je suis donc fier du droit qu’elle me confère et je veux en user religieusement, car je crois que de la nouvelle composition du conseil, comme vous l’avez fort bien dit, dépendent notre sort et celui de la fabrique d’étoffes de soie. Pourtant, comme je suis peu instruit en matière électorale, je viens vous faire quelques questions, auxquelles je vous prie de répondre pour m’éclairer, ainsi que ceux qui, comme moi, sont appelés pour la première fois à remplir un devoir qu’on ne saurait négliger sans se rendre coupable envers ceux que l’ordonnance prive, je ne sais trop pourquoi, du droit d’élire leurs juges.

Voici les questions que j’ai l’honneur de vous poser : 1° Les prud’hommes peuvent-ils être pris parmi les chefs d’ateliers ne possédant pas quatre métiers, et qui, par cela, ne sont pas électeurs ? 2° Les prud’hommes peuvent-ils être choisis en dehors de leurs arrondissemens respectifs, ou faut-il que le prud’homme ait son domicile dans l’arrondissement qui l’élira ? 3° Comme j’ai vu figurer sur les listes des chefs d’ateliers et des fabricans les mêmes noms, c’est-à-dire les mêmes personnes, est-ce que ces personnes auront le droit de voter dans deux collèges, avec les chefs d’ateliers comme chefs d’atelier, avec les fabricans comme fabricans ?

Veuillez, M. le rédacteur, dans l’intérêt de la classe que vous défendez, répondre cathégoriquement aux questions que je vous adresse, afin de nous éclairer pour que nous puissions nous fixer sur le choix de nos candidats et réclamer au besoin devant qui de droit.

J’ai l’honneur d’être, etc.,

J. B. F. ouvrier en soie.

Note du Rédacteur. Nous voudrions pouvoir répondre à notre correspondant aussi clairement qu’il le désire, mais ni l’ordonnance ni les arrêtés de M. le préfet n’ont rien défini sur les questions qu’il nous fait, et nous sommes nous-mêmes dans le doute. Cependant, nous croyons pouvoir prendre sur nous de faire quelques observations à ce sujet ; d’abord, nous croyons qu’il n’est pas entré dans la pensée des ministres de donner aux électeurs le droit de choisir leurs prud’hommes parmi les chefs d’ateliers ne possédant pas 4 métiers, et nous sommes presque certains qu’on ne permettra pas de tels choix, ce qui, selon nous, ne serait qu’une anomalie.

Pour la question relative au choix des prud’hommes en [5.1]dehors de l’arrondissement, nous croyons pouvoir répondre affirmativement : l’ordonnance n’en parle pas, ni aucun arrêté de M. le préfet, mais on ne peut borner l’élection au point de ne pas permettre aux électeurs de choisir leurs juges où bon leur semble, pourvu qu’ils aient la capacité et le cens voulu.

Quant au double vote, la charte de 1830 l’ayant aboli, nous ne pensons pas qu’on veuille le ressusciter pour les élections du conseil des prud’hommes ; d’ailleurs nous attendrons qu’un arrêté de M. le préfet nous éclaire mieux sur toutes ces questions.

AU MÊME.

Monsieur,

Vous avez inséré dans votre N° du 12 février un article signé : Un ouvrier malheureux, dans lequel mon nom est cité. Je viens donc vous sommer, au nom de la loi, d’insérer ma réponse qui sera fort courte.

Je démens sur tous les points le contenu de cet article ; il n’y a pas un seul fait qui soit vrai ; et je défie celui qui se dit un de mes ouvriers de pouvoir le prouver.

Comment se fait-il, Monsieur le Rédacteur, que vous accueillez aussi légèrement des allégations mensongères, à l’égard desquelles vous êtes exposé à recevoir des démentis aussi positifs.

Agréez, Monsieur, l’assurance de ma considération,

Gauthier.

Note du Rédacteur. Nous insérons la lettre de M. Gauthier sans aucun commentaire ; comme elle ne prouve rien, nous persistons à croire véridique la lettre insérée dans notre dernier N°, et signée : Un ouvrier malheureux.

Nous recevons assez souvent des lettres sans signatures ou avec des initiales. Nous prévenons nos correspondans que nous n’insérerons que celles signées en toutes lettres.

Il nous arrive quelquefois des lettres d’une telle longueur, que notre feuille pourrait à peine les contenir ; et lorsque nous refusons l’insertion, ou que nous ne faisons que les analyser, on nous taxe de partialité. Les journalistes seraient bien malheureux s’ils étaient obligés d’accueillir toutes les lettres et de les insérer dans leurs feuilles. Nous en avons reçu, cette semaine, quatre de quatre grandes pages, et une seconde sur l’enseignement populaire, du même auteur de celle analysée dans notre dernier N°, où il nous reproche de n’avoir pas inséré sa première lettre en entier, qui aurait tenu trois à quatre colonnes.

Nous terminons par inviter, comme l’a fait un journal de notre ville, les auteurs de longues lettres de créer une feuille où ils déposeront leurs verbeuses discussions.

Nous recevrons toujours avec plaisir toute correspondance qui se rattachera à la cause industrielle, à l’instruction des classes pauvres, et enfin à l’humanité.

NOUVELLES DIVERSES.

- A la Louisiane on vient d’inventer un instrument qui, mu par la vapeur, creuse la terre, l’enlève et la jette de côté. Ainsi les gens qui vivent comme des machines, pourront se faire enterrer à la mécanique.
(Le Voleur.)1

[5.2]- La souscription ouverte à Strasbourg, dans les bureaux du Courrier du Bas-Rhin, en faveur des Polonais, s’élevait le 10 février, à 26,605 fr.

- Les autorités d’Alger viennent d’ordonner la publication d’un petit journal français-arabe, intitulé le Moniteur Algérien. Cette feuille, qui sera consacrée spécialement aux annonces administratives, judiciaires et commerciales, paraîtra une fois par semaine. Le premier numéro a été publié le 27 janvier.2

- On mande d’Archangel du 20 janvier (1 février), que le froid y est devenu si rigoureux que le mercure y a gelé dans les tubes des thermomètres, et que par suite, il n’a plus marqué les degrés d’intensité du froid.
(Moniteur du Commerce.)

- On vient de découvrir un nouveau papier que l’on obtient de copeaux de bois bouillis dans un alcali minéral ou végétal. Cent livres de bois et douze livres d’alcali donnent une rame de papier.
(France nouvelle.)3

- D’après un relevé des registres de la cour des insolvables, 60,000 personnes ont été arrêtées pour dettes, à Londres et dans la banlieue, pendant l’année 1831. Le total des frais de ces arrestations s’élève à dix millions de francs.

- M. Année, inventeur d’un procédé économique pour carder et filer la laine sans employer l’huile et les substances grasses, a présenté au roi trois coupons de draps fabriqués d’après ce procédé. Un de ces coupons faisait partie d’une pièce de drap bronze riche, de la plus belle qualité, sortant de la manufacture de MM. Jourdain-Ribouleau, de Louviers ; l’autre, d’une pièce de drap bleu, de la fabrique de MM. Lemaire et Randoing, d’Abbeville ; et le troisième d’une pièce de drap de même couleur, venant de la fabrique de M. Gerdret, de Louviers. Ces draps sont d’une exécution parfaite, et l’importance de cette découverte qui affranchira la France de la plus grande partie du tribut qu’elle paye à l’étranger pour les huiles de fabrique, mérite de fixer l’attention du ministère du commerce.
(Moniteur du Commerce.)

- Une expédition, partie de Copenhague au mois de mai dernier, est parvenue jusqu’à la côte du Groënland. Il y a huit siècles que des colons norwégiens s’établirent sur cette côte, et depuis lors tout accès avait été interdit par les glaces. L’expédition y a retrouvé les descendans de ces anciens colons ; ils professent encore le christianisme, que leurs ancêtres y avaient porté avec eux. Leur langue est celle des Norwégiens du dixième siècle.
(Débats.)

Saint-Étienne. La fabrique des rubans a repris de l’activité, il s’est vendu beaucoup de soie, et tous les ouvriers espèrent une augmentation du prix de leur salaire qui leur est promis depuis quelque temps. Quelques fabricans ont déjà augmenté les facons.

- On écrit d’Avignon, que les affaires ont repris une activité incroyable. Les garances ont subi une hausse considérable, et les fabricans de florences ont vidé rapidement leurs magasins. Par suite, on annonce de nombreux achats en soie, qui ont déterminé une forte hausse sur les soies grèges et ouvrées.
(Précurseur.)

EXPOSITION DE L’INDUSTRIE A MOSCOU.

- Pendant le séjour de l’empereur Nicolas à Moscou, on a fait dans le Kremlin une exposition des produits de l’industrie russe. Cette exposition comptait six salles. Dans la première étaient les produits chimiques ; les sucres, les porcelaines, la quincaillerie, la coutellerie, les cristaux, les fontes, l’horlogerie, les instrumens de mathématiques et de chirurgie. Les étoffes de soie et de coton filés occupaient la 2me [6.1]salle. La 3me était remplie de soieries, étoffes diverses, passementeries, schals, rubans, et le métier à la Jacquard, perfectionné par les frères Goutchkoff. Dans la 4me se trouvaient les draps et les lainages, la tondeuse longitudinale de Nielsen, et des échantillons de laines. Les deux dernieres pièces contenaient des chapeaux, des ouvrages en écaille, gants, papiers de tenture, toiles, un lit mécanique de Krause, des forte-pianos, la machine à filer le lin de Hermann, des peaux, des fleurs artificielles, etc. Près de 200 manufacturiers, fabricans ou propriétaires d’établissements industriels, artistes et artisans, ont concouru à cette exposition qui a donné une idée assez exacte des progrès de l’industrie en Russie.
(Journal de St-Pétersbourg du 26 novembre.)

ASIE : - Indoustan.

Fabrique des schals de Cachemire.

Les manufactures de schals de Cachemire, d’où sortent ces tissus précieux si estimés dans toute l’Europe, emploient près de 50,000 individus : il ne serait peut-être pas facile d’évaluer le nombre de schals fabriqués tous les ans ; mais on compte 16,000 métiers dans ces manufactures, et, en supposant que chaque métier donne cinq schals par an, le nombre serait de 80,000. Un seul schal peut occuper tout un atelier, si le tissu est d’une grande finesse, pendant l’espace d’une année, tandis que d’autres ateliers en fabriquent 6 ou 8 dans le même espace de temps. Les ateliers sont ordinairement composés de 3 ouvriers, et, lorsque le tissu est d’une qualité supérieure, il ne s’en fabrique pas plus d’un quart de pouce en un jour. Les schals qui demandent beaucoup de travail, se font par pièces dans divers ateliers, et l’on a observé que bien rarement les morceaux, lorsqu’on les assemblait, offraient les mêmes dimensions. Dans les ateliers, les ouvriers sont assis sur un banc : leur nombre varie de 2 à 3, de 3 à 4. Pour les schals simples, on n’emploie que 2 personnes, et l’on se sert d’un long métier lourd et étroit. Lorsqu’il faut mettre de la variété dans les dessins, on travaille avec des aiguilles de bois, et l’on a soin d’en avoir une pour chaque fil de couleur différente, sans avoir recours au métier. De pareils travaux s’accomplissent avec lenteur, et cela en raison de la richesse des dessins : les femmes et les enfans séparent la laine fine de toutes les matières hétérogènes ; les jeunes filles s’occupent à la carder avec leurs doigts sur la mousseline des Indes, pour allonger les fils et les nettoyer ; ensuite on la remet entre les mains des teinturiers et des fileurs. Le métier dont on se sert est horizontal et d’une grande simplicité : le tisserand est sur un banc ; un enfant, placé un peu plus bas, a les yeux fixés sur les dessins, et chaque fois que l’on roule l’étoffe, il avertit l’ouvrier des couleurs qui manquent encore et des bobines qu’il faut employer. Le Oostand, ou chef des ouvriers, surveille toutes les opérations ; s’il se présente un dessin nouveau auquel ils ne sont pas familiers, il leur apprend à en dessiner les contours, et leur montre en même temps les fils et les couleurs dont ils doivent faire usage. Les gages des premiers ouvriers sont de 4 à 5 sous par jour, et ceux des ouvriers ordinaires de 2 à 3. Lorsqu’un fabricant prend ce genre d’occupation, il réunit un certain nombre d’ateliers dans le même établissement, et il se réserve d’y exercer la surveillance, ou bien il fournit aux premiers ouvriers le fil travaillé par les femmes et passé à la teinture ; ils l’emportent et vont le manufacturer chez eux, après avoir reçu les instructions du fabricant concernant la qualité de la marchandise, la couleur et les dessins, etc. Aussitôt que l’ouvrage est livré, le fabricant porte les schals à la douane pour y recevoir une certaine marque ; puis il paie un droit proportionné à la valeur et à la qualité de la marchandise. L’officier du gouvernement ne manque pas d’estimer les objets au-dessus de leur valeur réelle. Le droit qu’on prélève est de 1/5. La plupart des schals exportés de Cachemire n’ont pas été lavés et sortent du métier. Amretseyr est le grand marché des schals ; à Cachemire même on ne les lave, ni ne les emballe aussi bien.
(Sentinelle du peuple.)1

CONSEIL DES PRUD’HOMMES.

Séance du 16 février.

(présidée par m. guérin.)

La séance est ouverte à six heures et demie. Il y avait un grand nombre d’auditeurs, et quoiqu’il y eût beaucoup de causes sur le rôle, plusieurs n’ont pu être expliquées par le défaut que faisait une des parties. Parmi les causes qui ont offert quelqu’intérêt, nous reproduisons les suivantes :

[6.2]Le sieur Fournier expose que son apprenti, qui a déjà paru au conseil, qui les avait conciliés, déclarant que l’apprenti devait rentrer chez son maître ou lui payer 50 fr. de défrayement, est effectivement rentré chez lui, mais s’est ensuite enfui pendant la nuit laissant entièrement ouverte sa boutique de tonnelier. Le sieur Fournier se plaint, que par suite de ce fait, il lui a manqué quelques outils. Le sieur Ringuet, père de son élève, étant ensuite venu pour traiter, lui avait offert 40 francs qu’il a refusés, ne croyant pas cette offre suffisante.

Le maître se rétracte ensuite de sa première déposition, disant que s’il lui a manqué quelques outils, il est loin de croire que ce soit son élève qui les lui ait soustraits.

Le conseil, considérant que le sieur Ringuet, père de l’apprenti, a déjà payé la somme de 100 fr. et une pièce de vin, convenue pour l’apprentissage de son fils, déclare que le sieur Ringuet payera la somme de 50 fr. au sieur Fournier et que l’apprenti devra finir son apprentissage ailleurs. Les parties demeurent ainsi conciliées.

Paraît ensuite la dame Olagnon, blanchisseuse de schals, qui a déjà paru au conseil, et dont la cause avait été renvoyée pardevant arbitre, où le sieur Chazon a négligé de se rendre. La cause est de nouveau renvoyée pardevant MM. Etienne et Rousset.

Un chef d’atelier expose au conseil qu’ayant donné sa soie à dévider, il se trouve en arrière de 15 onces sur 4 livres de soie, et présente une pentime de soie en mauvais état que cette dernière lui a rendue. Le conseil, vu l’absence de preuves, vu qu’aucun livre de compte n’a été tenu entre le chef d’atelier et la dévideuse, ne peut condamner la dévideuse qu’à payer la pentime qui est en mauvais état.

Une autre dévideuse réclamait à un chef d’atelier le montant des soies qu’elle lui avait dévidées. Le chef d’atelier expose au conseil qu’il a été forcé de retirer la moitié de sa soie de chez cette dévideuse, la soie qu’il a employée étant tachée. Le conseil ne pouvant prononcer a renvoyé l’affaire pardevant M. Rousset.

La dame Grimaud réclame aux sieurs Thomas et Joly, qui ont fait défaut, le prix de sa façon au prix courant, produit son livre, en demandant qu’il soit vérifié, se trouvant en solde, et ayant fabriqué des satins blancs que ces messieurs lui ont portés en façons à 15 cent. au-dessous du cours.

Le président déclare qu’attendu que les sieurs Thomas et Joly font défaut, et ont l’habitude de ne jamais se présenter au conseil, et qu’il est injuste que par de semblables menées, l’ouvrier perde son temps et attende ce qui lui est dû, renvoie la cause à samedi, à la charge aux sieurs Thomas et Joly de payer 3 fr. par jour à la dame Grimaud, jusqu’à ce que le conseil ait pu prononcer sur cette affaire,

La demoiselle Dupré réclame à la dame Suchet, le montant de ses façons qui lui sont dues, ayant travaillé quelque temps chez cette dernière, l’ayant avertie qu’elle ne travaillerait pas continuellement chez elle, a été forcée de la quitter avant de finir sa pièce, et amena même une ouvrière pour la remplacer. La dame Suchet n’ayant pu garder cette ouvrière, prétendait que la demoiselle Suchet devait finir sa pièce ou perdre la façon de ce qu’elle avait fait.

Le conseil, attendu qu’il n’y a pas mauvaise foi de la part de la demoiselle Dupré, puisqu’elle avait averti qu’elle ne pourrait pas toujours travailler dans cet atelier, concilie les parties en déclarant que la dame Suchet doit payer à son ouvrière ce qui lui revient.

[7.1]Mardi dernier, deux ouvriers compagnons réclamaient au sieur Garin la moitié du prix de la façon que lui payait le sieur Gentelet. L’étoffe était un courant à bande, payé 1 fr. par le négociant, et dont il est d’usage de payer la moitié au compagnon. Le sieur Garin avait cru devoir retenir 10 c. par aune, à un ouvrier, et 5 c. à l’autre, parce qu’ils avaient mal fabriqué cette pièce, et leur avait dit qu’il ne serait lui-même payé qu’à ce prix. Ces ouvriers surent que le prix de cette pièce avait été porté à 1 fr., et demandaient à être remboursés de ce qui leur revenait.

Le conseil a déclaré, qu’étant d’usage d’allouer aux compagnons la moitié du prix payé par le fabricant, le sieur Garin devait payer à ses ouvriers 50 c. par aune. Alors le sieur Garin a dit que, par ce fait, il était forcé de réclamer au sieur Gentelet un défraiement, que ses commis s’étaient refusés de lui allouer, ayant fait la dépense du remisse, ainsi que d’autres frais pour monter son métier.

Cette affaire, qui a reparu aujourd’hui, a été renvoyée par-devant MM. Rey et Rousset, où le sieur Garin ayant démontré qu’il n’avait aucun bénéfice, après sa dépense prélevée, et le sieur Gentelet, de son côté, ayant dit que ses intentions n’étaient point de constituer en perte ses ouvriers, le sieur Rey a concilié les parties, déclarant que le sieur Gentelet paierait au sieur Garin 10 fr. de défraiement.

Parmi les découvertes aussi importantes que multipliées qui viennent chaque jour signaler les progres de la science, et qui sont destinées à donner un nouvel essor à notre industrie manufacturière, il en est peu, après les nouvelles mécaniques du sieur Jaillet, destinées à remplacer les Jacquard1 et dont nous rendrons compte lorsqu’il sera en position de pouvoir en livrer à la vente ; il en est peu, dis-je, qui rendront de plus grands services aux chefs-d’ateliers, que les mécaniques et rouets à dévider et à faire les canettes, séparés ou simultanément, inventés par le sieur David, qui s’est constamment appliqué à leur donner toute la perfection dont elles sont susceptibles, qui peuvent faire les canettes avec toute la propreté possible et en autant de bouts qu’on désire, ayant la facilité de donner la forme cylindrique, bombée ou cônique aux roquets, bobines et canettes, ce qui les rend propres à être employées à tous les genres d’étoffes.

Mais ce n’est pas seulement sous le point de vue industriel, mais encore sous le point de vue physique et moral, que ces nouvelles inventions sont un bienfait pour toutes les villes manufacturières, où ces mécaniques ne manqueront pas de se répandre, quand on en connaîtra toute l’utilité. Le résultat de ces inventions sera l’économie du temps et des matières, en faisant en 6 heures l’ouvrage de deux enfans que l’on captive à un rouet à canettes depuis l’âge de 7 à 8 ans, les privant ainsi de toute éducation et de tous les délassemens de leur âge et auxquels le mouvement de ces rouets est tellement nuisible qu’un grand nombre de ces malheureux deviennent difformes et semblent être les victimes nés des misères de l’état de leurs parens, qui pour leur donner du pain, sont forcés de les captiver, tout en déplorant les moyens que la nécessité les force d’employer envers eux. Honneur au sieur David, qui par son invention facilitera l’instruction et le bien-être de la classe industrieuse de toutes les cités manufacturières. Déjà il a reçu une médaille de perfectionnement de la société d’encouragement pour l’industrie.

(Voir les Annonces.)

LITTÉRATURE.

asmodée.

[7.2]C’est sous ce titre rendu populaire par l’auteur du Diable Boiteux, que M. Berthaud publie une satire hebdomadaire. Quatre numéros ont paru, tous favorablement accueillis par le public. Le jeune poète sympathise avec la gloire et le malheur. C’est un véritable enfant d’Apollon et de la liberté ! Ne voulant pas être crus sur parole, nous allons citer quelques vers d’Asmodée, et nous aurons suffisamment fait l’éloge du talent et du patriotisme de l’auteur.

Ainsi qu’un jeune oiseau dont les ailes naissantes
Aux buchettes du nid s’agitent frémissantes,
Et vont chercher dans l’air un but à leur essor ;
Lassé de louvoyer autour de la barrière,
J’ai jeté sur mon dos la pelisse guerrière
Et je viens affronter le sort.

...
Mais j’ai vu suinter au front du prolétaire,
Les larmes du travail, la sueur de la terre ;
Et mon cœur s’est brisé, froissé par la douleur.
J’ai vu, sous les haillons de la sombre misère,
Se dérouler vivant un effroyable ulcère ;
Et j’ai dit : secours au malheur !

J’ai vu l’oisiveté, l’avarice sordide,
Insulter en passant l’indigence candide,
Et j’ai dit : pauvre peuple, abusé tous les jours !
J’ai vu rongeant ses poings, la sublime canaille
Endurer jusqu’au bout la faim qui la tenaille ;
Et j’ai dit : quoi... souffrir toujours !...

...
Nous n’avions qu’à parler, la Pologne était libre ;
...
...
Et le monde criait : bravo ! bravo ! la France !
Et l’empire géant recouvrait sa puissance,
Et ses frontières sur le Rhin.

La guerre et le juste-milieu ; M. Prunelle ; Le Courrier de Lyon ; et M. Varenare, procureur du roi, servent de texte aux quatre livraisons qui ont paru. Elles étincellent de beaux vers et de sentimens énergiques, nous y renvoyons les lecteurs, il nous suffit d’avoir fait connaître le genre de l’auteur. Il y a de l’avenir dans ce jeune homme. Espérons en lui un digne émule de Barthélemy. Dans un cadre plus restreint, sur un théâtre moins grand, Asmodée rivalisera avec Némésis.

Marius CH…….

SOUSCRIPTION

En faveur des veuves, des orphelins et des blessés des trois journées de novembre.

4me liste.

MM. Chaboud, chef d’atelier à la Croix-Roussse. : 5 fr.
Gonnetan, veloutier, à la Guillotière. : 2 fr.
Un anonyme. : 10 fr.
Fontan, cafetier. : 15 fr.
Total. : 32 fr.

ANNONCES DIVERSES.

[8.1]l. david,
mécanicien breveté
Place de la Croix-Paquet, au bas de la côte Saint-Sébastien

Prévient le public qu’il est l’inventeur des mécaniques simplifiées à dévider et à faire les canettes, qui se font très-bien par son procédé, même à trois bouts. Les canettes à un seul bout y sont prises à la flotte, et évitent le dévidage ; mais rien n’est comparable à l’avantage que procurent ses mécaniques à ceux qui emploient du coton, de la fantaisie et de la laine, où avec ses mécaniques ou ses rouets une personne peut, en six heures, faire autant d’ouvrage que deux canetières. L’inventeur, à qui une médaille a été décernée avec mention honorable par la société d’encouragement, confectionne ses mécaniques à la volonté de l’acheteur, dans toutes les dimensions, et également de tous les nombres de guindres, soit de formes longues, rondes et à fer-à-cheval, ou à volonté ; on peut exécuter deux ou trois de ces opérations à la fois. Le sieur David, pour se mettre à la portée des circonstances, a diminué ses prix, qui étaient déjà très-modérés.

bourse militaire.
assurance mutuelle pour le recrutement
.

Administrateurs : MM. Debar et C.e, rue Montmartre, N° 165. à Paris.

L’assurance comprend 60 départemens, les fonds ne seront déposés chez le notaire que la veille du tirage. On souscrit de 100 fr. à 1,200 fr.

L’administration fournira un remplaçant au souscripteur qui aura déposé 1,000 fr. et lui restituera 500 fr., s’il est réformé.

S’adresser, pour le département du Rhône, au Directeur, galerie de l’Argue, escalier L.

en vente,

Chez Baron, libraire, rue Clermont,

essai sur les moyens de faire cesser la détresse de la fabrique,
par e. baune,
professeur à l’institution saint-clair

en vente   

Au Bureau de l’Echo de la Fabrique,

réplique de m. bouvier du molart aux récriminations insérées dans les journaux ministériels du 6 janvier.

[8.2]rapport fait à m. le président du conseil et au ministre du commerce, par deux chefs d’ateliers

Ce rapport, de 8 pages format in-4° imprimé sur beau papier et caractères cicéro neuf, sera déposé dans tous les lieux désignés pour l’abonnement au journal, où chacun pourra se le procurer pour le prix de 50 cent. destinés au soulagement des blessés, des veuves et orphelins des trois journées de novembre.

AVIS

Appel à tous les partisans de l’éducation,

SOCIÉTÉ NATIONALE POUR L’ÉMANCIPATION INTELLECTUELLE

(Les bureaux de la Société sont rue des Moulins, n° 20.)

Image1

AVIS

A vendre, un atelier de quatre métiers travaillant, soit en velours unis et façonnés, gros de Naples, et armures avec ustensiles et accessoires. On traitera aussi de la vente du mobilier ; le tout à juste prix.
S’adresser au Bureau du Journal.

A vendre, pour cause de départ, un atelier de 4 métiers de schals en très-bon état, et ayant les accessoires propres au travail, avec un bel appartement à louer, dans l’un des plus beaux quartiers de la ville. On traiterait aussi avec l’acquéreur de la vente du mobilier.
S’adresser au Bureau du Journal.

A vendre, 3 peignes en 45 portées 11/24.
S’adresser au Bureau du Journal.

- A vendre un métier de peluches pour chapeaux avec accessoires, ayant un remisse en soie.

- Carik à vendre à bon marché.
S’adresser au Bureau du Journal.

Notes (LES POLONAIS.)
1 L’auteur de ce texte est Antoine Vidal d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 Antoine Vidal fait référence ici aux batailles de Grochow (25 février 1831) et de Ostrolenska (26 mai 1831) lors de la guerre russo-polonaise ayant suivi l’insurrection de novembre 1830.
3 Le Royaume des Jagellons (1384-1572) marque pendant deux siècles la domination d’un gouvernement polonais sur un espace comprenant la Pologne, la Lituanie, la Bohême et la Hongrie ; le règne est symbolisé par la victoire de Ladislas Jagellon à la bataille de Grunwald (Tannenberg) en 1410 bataille qui sanctionne l’écrasement de l’ordre teutonique.
L’expression « Héros de la Vistule », qu’utilise ici Antoine Vidal, renvoie à la participation des troupes polonaises du Prince Joseph Antoni Poniatowski (1763-1813) aux grandes bataille de l’Empire, en particulier Austerlitz et Friedland. La « légion de la Vistule » rassemblait les principales troupes polonaises de Napoléon.

Notes (BOUTADE D’UN PROLÉTAIRE.)
1 L’auteur de ce texte est Marius Chastaing d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

Notes (NOUVELLES DIVERSES.)
1 Il s’agit du journal Le Voleur. Gazette des journaux français et étrangers publié à Paris entre 1828 et 1842. A cette date il fusionne avec Le cabinet de lecture (lancé en octobre 1829). Il paraissait tous les cinq jours.
2 Le Moniteur Algérien. Journal officiel de la colonie. Publié à Alger à partir de janvier 1832. Il sera remplacé, en 1861, par le Bulletin officiel du gouvernement général de l’Algérie.
3 La France nouvelle : Nouveau journal de Paris, politique, littéraire et industriel, publié de juin 1829 à juin 1833.

Notes (ASIE : - Indoustan.)
1 La Sentinelle du Peuple, feuille politique, agricole et industrielle, publiée à Paris entre octobre 1830 et septembre 1832. Fusionne peu après avec Le ruban tricolore pour devenir Le télégraphe, journal de Paris, des villes et des campagnes (1833-1837).

Notes (Parmi les découvertes aussi importantes que...)
1 Joseph Marie Jacquard (1752-1834), tisserand et mécanicien, inventeur entre 1801 et 1806 du métier à tisser semi-automatique qui porte son nom. Il eut l’idée d’équiper les métiers à tisser traditionnels d’un mécanisme sélectionnant les fils de chaîne à l’aide d’un programme inscrit sur des cartes perforées. Son invention permettait à un seul ouvrier de manipuler les nouveaux métiers. Au début du XIXe siècle il fut la cible des canuts qui accusaient son invention d’être, en particulier, cause de chômage. Mais à partir des années 1810-1815 le nouveau métier, constamment amélioré par la suite par d’autres mécaniciens, se généralisa. A sa mort, près de 30 000 métiers Jacquard battaient à Lyon. L’efficacité de la « fabrique » lyonnaise provenait en grande partie de cette capacité continuelle d’innovation, bien représentée ici par L. David, « mécanicien breveté » (voir l’annonce dans le même numéro). Les canuts en étaient d’ailleurs bien conscients, réclamant de façon de plus en plus appuyée une meilleure « organisation » de leur industrie. Dans le numéro du 8 juillet 1832 de L’Echo de la Fabrique, Arlès-Dufour soulignera que, morcelée, l’industrie lyonnaise nécessite une organisation plus rationnelle de ses efforts. Sur le plan plus strictement technique, il insistera sur la nécessité d’une « […] association pour faire, à frais communs, toutes les expériences, tous les essais, pouvant provoquer et activer le perfectionnement et le développement de notre industrie dans toutes ses branches » (L’Echo de la Fabrique, numéro 47).

 

 

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