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18 janvier 1835 - Numéro 18
 
 

 



 
 
    

AMÉLIORATION INDUSTRIELLE.

5e article.

(Voir les numéros précédens)

Dans l’ardeur de notre zèle pour l’amélioration sociale, nous voudrions pouvoir dire en deux mots ce qu’il y a à faire pour cela et comment il faut s’y prendre pour réussir ; puis être compris et exécuter de suite et rapidement les projets qui nous sont suggérés par les sentimens de justice et de progrès dont nous sommes animés. Nous voudrions aller d’autant plus vite, qu’il nous semble sentir, derrière nous et à nos côtés, quelque chose de soupçonneux qui semble vouloir retenir notre essor et se placer comme un obstacle insurmontable en travers de notre route.

Mais traîtant un sujet neuf et quelquefois abstrait, indiquant des moyens nouveaux dont l’exécution n’est pas sans quelques difficultés, nous sommes obligés, malgré l’impatience que nous éprouvons d’arriver à la réalisation de nos théories. Nous sommes obligés, disons-nous, d’employer un temps précieux à développer les moyens que nous proposons, et à les développer de manière à être compris du grand nombre, puisque ce n’est que par le concours libre et volontaire du grand nombre que les résultats pourront être obtenus. Nous n’avons pas besoin d’insister sur ce sujet ; le public travailleur, dont l’intérêt nous préoccupe d’une manière si spéciale, sait aussi bien que nous qu’il vaut mieux un retard de quelques mois, lorsque ce retard est employé à murir un projet aussi vaste que celui dont nous avons pris l’initiative, qu’une précipitation aveugle ou insensée qui voudrait agir avant de savoir ce qu’il convient de faire et dont le résultat inévitable serait de faire échouer les meilleurs projets.

Reprenons donc notre sujet où nous l’avons laissé et avant de faire usage de la nouvelle puissance dont nous avons fait la découverte, recherchons avec soin, nous consommateurs laborieux, ce que nous devons exiger du commerce, soit dans l’intérêt social, soit dans l’intérêt individuel ; car en fait d’institutions et de réformes, la sagesse consiste à ne jamais sacrifier un de ces termes à l’autre. Lorsque nous serons bien fixés sur ces points principaux qui embrassent à la fois l’avenir et le présent, nous trouverons bien le moyen de nous faire écouter et obéir.

[1.2]Une des premières conditions à imposer à nos antagonistes, un des plus importans avantages que nous puissions désirer de remporter, c’est d’obtenir du commerçant la vérité, c’est-à-dire la publicité dans ses opérations. Cet avantage serait immense dans ses résultats présens et futurs. On ne sait pas assez combien les intérêts matériels du peuple sont lésés journellement par les manœuvres frauduleuses du commerce, combien sa santé, sa force, son bonheur sont compromis par les falsifications dans les denrées dont il se nourrit et les altérations dans les produits dont il se revêt, soit pour se parer, soit pour se mettre à l’abri de l’intempérie des saisons. Mais ce n’est pas là tout. La publicité dans les opérations commerciales aurait pour conséquence nécessaire d’amener l’abolition successive de tous les mauvais effets de la concurrence ; il n’est pas jusqu’à l’équilibre entre la production et la consommation qui ne puisse être facilement maintenu alors, lui qui de nos jours, perdu à tout instant, amène ces fréquentes crises industrielles, pendant lesquelles le salaire baisse pour ne plus se relever ; qui cause ces mortelles cessations de travail, ces interruptions dans la production qui arrivent imprévues, soit dans leur époque, soit dans leur durée, et qui, au grand détriment de la masse des richesses sociales, laissent se consumer dans l’inaction tant de bras robustes, tant de forces précieuses qui, quelques mois après, peut-être se consumeront d’une autre manière, par un travail excessif du jour et de la nuit. Vous vous rappelez les accusations que nous avons portées contre l’oppression, l’anarchie, le désordre du commerce actuel ? eh bien ! tous les motifs de ces diverses accusations disparaîtraient successivement, à mesure qu’une véritable publicité s’établirait dans les opérations commerciales.

Car alors tout pourrait être soumis aux calculs de la statistique ; les besoins comme les moyens de la consommation étant connus, une prévoyance sociale s’établirait et, agissant par la voie de la presse, de la publicité, règlerait à l’avance la production de tels et tels produits : au lieu d’y avoir surabondance d’une part et rareté de l’autre comme cela arrive si souvent de nos jours, il y aurait partout, et toujours, abondance et travail.

Par le moyen de la publicité commerciale, une organisation unitaire de l’industrie pourra donc réellement avoir lieu ; et comme cette organisation sera née et vivra par le fait d’une impulsion continue donnée par le travailleur en sa qualité de consommateur, elle ne pourra s’effectuer qu’au profit de la société entière. Aussi cette impulsion réformatrice remontant de degré en degré, d’anneau en anneau, parcourra toute l’échelle du commerce, pour en [2.1]régénérer chaque partie, et parviendra bientôt au point de départ, à la production. Alors le travailleur et l’industrie sortiront enfin du cercle sans issue, où ils sont enchaînés et où ils étouffent tous deux sous le poids d’une double compression.

Alors ce sera le moment propice pour attaquer ce qu’il y a de vicieux dans le mode de la production ; alors il y aura possibilité de mettre les salaires en rapport exact avec le travail et la fatigue du producteur ; alors une aisance, je dis plus, une richesse générale existera réellement pour tous. Car alors on pourra songer à multiplier ces machines ingénieuses qui décuplent les forces de l’homme ; leur action étant sociale et leurs produits équitablement répartis, elles n’auront plus les inconvéniens funestes d’aujourd’hui, qui changent en fléau pour le travailleur ce qui devrait être un bienfait pour lui.

Voilà pourquoi la publicité est la condition principale que nous devons exiger dès notre début dans la carrière des améliorations. Nous avons d’autant plus raison pour cela, que le négoce lui-même y gagnera aussi beaucoup. Car alors le travail du commerçant sera élevé à la hauteur d’une fonction publique, et ce qu’il perdra en esprit de rapine, il le gagnera en estime et en considération.

Mais nous avons dit que nous pouvions obtenir quelque chose de plus encore. Nous avons dit que le consommateur pouvait exiger d’entrer lui aussi en participation du bénéfice commercial. Oui, cela est possible ; je dis mieux, cela est juste et nécessaire. Mais il y a encore besoin de faire à ce sujet quelques observations. Sans doute nous vous avons révélé une grande vérité, lorsque nous vous avons dit que par votre qualité d’acheteurs vous étiez tout puissans vis-à-vis du commerce. En effet, comme consommateurs, le négoce dépend entièrement de vous. Le marchand vous est soumis comme par force, car il sait que vous pouvez, à votre gré, lui laisser ou lui retirer la fonction de vendeur, sans qu’aucun pouvoir ait rien à dire à cela ! Mais n’oubliez pas cependant que plus votre puissance est grande, plus il est nécessaire que vous en fassiez un usage modéré. Maîtres absolus de votre volonté, c’est justement parce que les caprices vous sont permis que vous n’en devez pas avoir : d’ailleurs, je vous le dis, gardez-vous bien des abus de pouvoir, c’est l’écueil que vous avez à craindre : votre puissance, toute grande qu’elle soit, s’annulle subitement là où l’injustice commence.

Ce qui nous a inspiré ces réflexions, ce sont diverses conversations que nous avons eues avec beaucoup de personnes qui, comme nous, ont eu le désir de former des établissemens de vente d’objets de consommation générale, dans le but de se soustraire à l’impôt du marchand. Mais ce qui en a rendu et ce qui en rendrait toujours l’exécution en grand impossible, c’est l’exigence des fondateurs ou participans et leur peu de connaissance de la nature humaine.

La plupart se dissimulent tout-à-fait les difficultés d’une gestion commerciale et croient que pour faire marcher d’une manière productive des établissemens semblables, il suffit de mettre à leur tête de simples commis à émolument.

Beaucoup voudraient aussi qu’à l’exclusion du gérant, du capitaliste et du fonds social, le consommateur profitât seul du bénéfice, qui serait ainsi dévoré tout entier par le présent au préjudice de l’avenir.

Erreur ! erreur !

N’oublions jamais l’avenir ; car l’avenir, c’est le lendemain, c’est la minute qui va suivre celle qui s’écoule dans ce moment.

Rappelons-nous aussi du vieux dit-on : Qui veut trop avoir n’a rien ; car il est souvent notre histoire !

Mais assez sur ce sujet.

Nous vous répétons donc, travailleurs, que si nous nous y prenons bien, nous pourrons, tout en enrichissant encore le commerçant régénéré : et ceci est une condition indispensable. Nous pourrons obtenir que le quart du bénéfice commercial nous soit acquis et serve à augmenter notre revenu annuel. Si nous nous laissons guider par la sagesse et la prévoyance, voici, au sujet de la répartition du bénéfice social, ce qu’il conviendrait de désirer : le bénéfice net des établissemens de distribution, des maisons de ventes sociales, serait pendant les premiers temps [2.2]divisé en quatre parts égales. L’expérience dira plus tard si cette égalité devra être modifiée ou non.

La première part serait la vôtre. Le premier quart du bénéfice net vous serait distribué annuellement deux mois après l’inventaire ; il vous serait réparti dans la proportion du montant des achats que vous auriez faits dans le courant de l’année. Cette part serait donc employée à soulager un peu le présent ; ce serait une augmentation de revenu qui ne vous coûterait pas autre chose qu’une juste préférence accordée à celui qui vous en ferait jouir.

Le deuxième quart serait la part de la prévoyance ; il serait mis à profit pour l’avenir d’une manière très-avantageuse, en servant à l’accroissement d’un premier fonds social, sur l’utilité duquel nous aurons beaucoup à dire ; car il nous aidera à marcher avec une rapidité étonnante à la complète transformation du commerce et de l’industrie. Nous y reviendrons plus tard.

Le troisième serait réparti aux capitalistes qui auraient concouru par des prêts d’argent à la réforme commerciale.

Enfin le quatrième, servirait à récompenser le zèle des gérans et autres fonctionnaires, et à exciter davantage leur esprit d’ordre, d’économie et d’activité.

Travailleurs : voilà en peu de mots ce qu’il nous faut obtenir au plutôt ; voilà les premiers avantages que nous vous proposons de conquérir, à l’aide de cette puissance qui est attachée à votre qualité de consommateurs. Ces résultats sont d’autant plus désirables, qu’en eux sont contenus les germes d’un grand nombre d’améliorations de tous genres que nous pouvons déjà entrevoir et que par leur moyen il nous sera facile de réaliser.

M. D.

(La suite à un prochain numéro.)

 

 

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