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11 janvier 1835 - Numéro 2
 
 

 



 
 
    

L’arrêt de la cour rendu contre la Tribune Prolétaire est ainsi conçui :

En ce qui touche l’appel de J. M. Legras gérant du journal intitulé la Tribune Prolétaire :

Attendu qu’il est constant, comme l’ont déclaré les premiers juges, que dans plusieurs des numéros du journal dont il s’agit, l’appelant a inséré divers articles tous désignés et spécifiés par le jugement dont est appel ; lesquels contenant des considérations ou réflexions relatives à la politique, traitant ainsi des matières politiques qu’il est évident dès-lors que l’appel dudit J. M. Legras se trouve dénué de tout fondement puisque, faute par lui d’avoir fourni un cautionnement avant la publication d’un tel journal, il avait ouvertement commis une contravention qui le rendait passible des peines prononcées par l’art. 6 de la loi du 9 juin 1819, et par le dernier paragraphe de l’art. 3 de la loi du 18 juillet 1828 ;

En ce qui touche l’appel a minima de M. le procureur du roi :

Attendu qu’il porte sur ce que, par le jugement dont est appel, les premiers juges ont voulu établir une distinction entre ce qu’ils appellent matières politiques proprement dites, c’est-à-dire des réflexions ou considérations relatives à la politique et les nouvelles politiques : distinction d’où ils font résulter qu’une insertion de nouvelles politiques, dans le journal de l’appelant ou dans tout autre journal publié sans cautionnement préalable, ne constituerait pas la contravention qu’emporte l’omission du cautionnement prescrit par les deux lois précitées ;

Attendu que pour hasarder une telle distinction, les premiers juges se sont fondés sur ce que l’obligation d’un cautionnement préalable (laquelle fut imposée très expressément par l’art. 1er de la loi du 9 juin 1819, aux propriétaires ou éditeurs de tout journal ou écrit périodique consacré, en tout ou en partie, aux nouvelles ou matières politiques) n’aurait pas été reproduite par la loi ultérieure du 18 juillet 1828 que quant à ce qu’ils appellent matières politiques proprement dites et non point quant aux nouvelles politiques ; mais ; qu’en cela les premiers juges ont pleinement méconnu les vraies dispositions de la dernière loi et la pensée et le but du législateur ;

Attendu, en effet, que suivant les paragraphes 1 et 3 de l’art. 3 de la loi du 18 juillet 1828, les journaux ou écrits périodiques paraissant plus d’une fois par mois, comme celui dont il s’agit, ne peuvent être exempts d’un cautionnement préalable à leur publication qu’autant qu’ils sont consacrés exclusivement, soit aux sciences mathématiques, soit aux travaux et recherches d’érudition, soit aux arts mécaniques et libéraux, c’est-à-dire aux sciences et aux arts dont s’occupent les trois académies des sciences, des inscriptions et des beaux-arts de l’Institut royal ;

Attendu que suivant le paragraphe 3 de ce même article, l’exemption du cautionnement préalable s’étend aussi aux journaux ou écrits périodiques paraissant deux fois au plus par semaine qui, étrangers aux matières politiques, sont exclusivement consacrés aux lettres où à d’autres genres de connaissances non spécifiés dans l’article précédent ;

Attendu que de là il suit fort clairement qu’il n’y a que les journaux littéraires ou scientifiques d’une manière exclusive ; c’est-à-dire tout à fait étrangers aux matières politiques qui se trouvent exemptés du cautionnement préalable par la dernière loi du 18 juillet 1828 ; qu’ici les mots matières politiques ont, dans le sens de la loi, une acception générale et absolue, laquelle embrasse indéfiniment tout ce qui peut tenir à la politique d’une manière quelconque : et que si le mot nouvelle n’y est pas joint, comme il l’était dans les dispositions analogues de la loi du 9 juin 1819, ce n’est là que l’omission d’une sorte redondance, omission d’où ne peut surgir aucune argumentation raisonnable : car, comment, une nouvelle peut-elle ne pas constituer une matière politique, si elle est politique en elle-même, et qui ne sait pas d’ailleurs jusqu’à quel point de telles nouvelles peuvent quelquefois être de nature à exciter des troubles ou de fausses alarmes ? Il est donc manifeste qu’un journal où elles sont insérées, ne pouvant être réputé étranger aux matières politiques, le gérant tombe en contravention s’il ne fournit pas un cautionnement avant de le publier.

Attendu encore qu’un autre motif qui se trouve énoncé dans le jugement dont est appel consiste à alléguer que depuis la loi du 18 juillet 1828, divers journaux auraient contenu ces sortes d’insertions, sans que, sous ce rapport, ils aient été poursuivis ; mais qu’un tel argument ne signifie autre chose si ce n’est qu’une contravention, un délit, parce qu’ils seraient quelquefois demeurés impunis, devraient l’être toujours ; qu’enfin et en dernier résultat, [2.2]l’existence de la contravention dont il s’agit ne peut donner lieu au doute le plus léger. La prétendue distinction qu’ont pour la pallier supposée les premiers juges entre les matières et les nouvelles politiques, n’étant qu’un abus de mots, une vaine subtilité non moins irrationnelle qu’elle est contraire au texte littéral de la loi, à son véritable sens, et à son esprit bien entendu, expliqué au besoin, soit par les débats parlementaires qui précédèrent l’émission de la loi, soit par les monumens ultérieurs de la jurisprudence ;

Attendu au surplus, que c’est le cas d’aggraver du moins l’amende dont le minimum seulement, a été prononcé contre Legras, par les premiers juges ;

Par tous ces motifs, la cour rendant droit sur les appels,

Dit et prononce qu’il a été mal jugé par le jugement dont est appel, en ce qui touche la distinction qu’ont voulu établir les premiers juges entre les matières et les nouvelles politiques, d’où résulterait l’indue conséquence qu’un journal périodique peut contenir des insertions de nouvelles politiques, sans qu’il y ait, pour le gérant obligation de fournir un cautionnement préalable. Émendant, met, quant à ce, le jugement dont est appel au néant et déclare constante contre J. M. Legras la contravention qui avait été signalée sous ce rapport, par le réquisitoire de M. le procureur du roi ;

Met, quant aux autres dispositions du jugement dont est appel, l’appel dudit J. M. Legras au néant, ordonne, en conséquence, que la peine d’un mois d’emprisonnement, qui a été prononcée contre lui, sortira à effet, le condamne en l’amende de 600 fr. et aux dépens.

Notes (L’arrêt de la cour rendu contre la Tribune...)

 

 

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