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15 février 1835 - Numéro 22 |
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[1.1]On sait combien nous avons à cœur de changer en mieux la situation malheureuse dans laquelle se trouvent tous les travailleurs, nos confrères en infortune. On sait que l’Indicateur ne se contente pas, comme certains journaux, de parler à tort ou à travers sur des questions qui n’aboutissent à rien. Une fois notre plan tracé, nous allons droit au but, nous. Ainsi après avoir reconnu que la concurrence des marchands nous opprime, nous avons cherché à découvrir par quel moyen on pourrait contrebalancer et, plus tard, annuler entièrement ce mauvais effet, et nous avons trouvé que le consommateur, c’est-à-dire chacun d’entre nous peut, à l’aide de l’institution que nous avons indiquée, contribuer et parvenir sans peine à établir le contre-poids qui doit neutraliser la concurrence, dont les mauvais effets nous font souffrir la faim, le froid et toutes sortes de privations. Mais voilà que notre façon d’agir franche et résolue, nous suscite des difficultés de plus d’un genre. D’un côté on nous fait des procès de tendance en politique ; nous qui regardons la politique à l’égal de la chose la plus insignifiante, pour quant aux intérêts matériels des travailleurs. D’un autre côté, ce sont des objections que nous avions prévues, il est vrai, mais qui n’en sont pas moins des objections. Il arrive que certaines personnes qui n’ont jamais approfondi les questions d’économie sociale que nous avons traitées, et qui jusqu’à ce jour se sont accoutumées, pour tout remède, à se plaindre sans cesse et bien inutilement de leurs maux ; il arrive que ces personnes trouvent déjà que nous sommes bien audacieux d’oser provoquer une entreprise immense, puisqu’elle doit réaliser la réforme commerciale elle-même. Eh ! que nous importe l’opinion de ces trembleurs qui, dans leur faiblesse, ne savent que se plaindre de loin et courber leur tête sous le joug commercial sans seulement oser penser à s’y soustraire ; ne sont-ils pas libres, si cela leur plaît, de continuer à maintenir, quant à eux cependant, l’exploitation du travailleur par le commerçant. Mais pour tout homme qui possède un cœur chaud et quelque sentiment de justice, il n’y a pas possibilité d’être satisfait de ce qui existe, et tous par conséquent doivent s’intéresser à une amélioration générale, sous le rapport commercial et industriel. Ils doivent s’y intéresser d’autant plus qu’il ne s’agit pas d’obtenir la réforme par des moyens violens, employés en pure perte. Mais il ne s’agit que de se préparer à donner sa confiance pour ses achats au premier homme de courage et de bonne volonté qui la méritera, en offrant au consommateur des avantages positifs et des garanties de bonne foi, que nul marchand, jusqu’à présent, [1.2]n’a encore essayé de mettre en usage. Or, que l’augmentation du revenu des travailleurs vienne par une augmentation dans les salaires, ou bien par une diminution dans le prix des marchandises de première nécessité, n’est-ce pas toujours la même chose, et le résultat en est-il moins évident ? Eh bien ! puisqu’il ne nous est pas possible, grâce à cette funeste concurrence, de faire augmenter le prix de notre travail, tournons-nous d’un autre côté, et encourageons, par notre pacifique concours, celui ou ceux qui voudront faire usage de notre recette pour s’enrichir tout en nous soulageant un peu. Qu’une nouvelle concurrence entre les hommes généreux s’établisse de cette manière ; car cette concurrence-là sera bienfaisante. Préparons-nous à aller acheter tous en foule chez celui qui nous offrira quelque avantage, jusqu’à ce qu’un autre nous en présente encore de plus grands. C’est ainsi que peu à peu nous parviendrons à diminuer notre misère et à préparer une organisation industrielle et commerciale à notre profit et à celui de la grande société des travailleurs en général. Or, comme on le voit, dans tout ce que nous avons proposé il n’y a rien de difficile ni d’illégal ; nous ne faisons que transformer une concurrence oppressive et mauvaise, en une concurrence bienfaisante et favorable aux intérêts de tout le monde, chose que nous démontrerons facilement quand il le faudra. On voit que ce n’est pas notre faute si les projets que nous avons présentés n’ont pas été compris, même par quelques-uns de ceux qui les ont lus ; ce sont des projets qui veulent être étudiés quelque peu et que toutes les intelligences ne peuvent pas saisir du premier coup. Nous savons très-bien qu’il serait peut-être plus facile de faire adopter pour remède aux maux sociaux, quelque erreur pernicieuse ou d’entraîner une certaine partie du public travailleur à quelque fausse démarche qui n’avancerait rien, mais qui s’accorderait avec les idées routinières de beaucoup ; que de faire passer dans leur esprit des vérités positives, des combinaisons fécondes, mais nouvelles, qui par cette raison, demandent un peu de réflexion et d’étude. Nous savons tout cela et nous n’en sommes pas découragés, parce que nous savons aussi que rien ne résiste à la persévérance infatigable d’hommes convaincus et agissant d’après l’impulsion généreuse de leur cœur ; or, dans toutes les classes et principalement dans celle des travailleurs, il y en a aussi beaucoup de ceux-là, et leurs efforts suffiront pour créer cet avenir si beau, où le producteur sera de droit associé et intéressé d’une manière de plus en plus équitable dans le bénéfice résultant de la vente des produits qu’il aura fabriqués ou cultivés. [2.1]Ainsi donc, une fois pour toutes, ne nous arrêtons plus que l’œuvre ne soit en train d’exécution. Nous avons découvert un moyen praticable pour commencer cette réforme commerciale, dont le résultat sera notre affranchissement. Attachons-nous tous de quelque manière à sa réalisation, et il n’y a pas de difficulté qui tienne. Avec de la bonne volonté nous réussirons. M. D.
Souscription gratuite pour la fondation d’une vente sociale d’épiceries, devant commencer la réforme commerciale : (Deuxième liste.) MM. Sagier, 2 fr. 10 c. P.. 5 fr. H. A. T., 5 fr. Escoffier, marchand de métiers, côte St-Sébastien, 5 fr. Depaire, 5 francs. Perret, 10 fr. Berger, 2 fr. Corréard, Pierre-Antoine, 1 fr. Mme Marie-Jeanne C., 5 fr. Donnadieu, 3 fr. Guy, 1 fr. 50 c. Roche, 5 fr. Chavernox, 2 fr. Deloche, 1 fr. Vincent, St-Clair, 5 fr. Matthieu, 1 fr. Branchu, 5 fr. Combe, 1 fr. 50 c. Burgat, 1 fr. 50 c. Mathieu cadet, 2 fr. Boferding Henry, 50 c. Rose, 50 c. Caillot, 50 c. Hermite, 40 c. Ray, 50 c. Carrichon, 1 fr. Boferding aîné, 50 c. Conte, navetier, 50 c, Ponteille, 1 fr. Graille, 75 c. Brun, plieur, 50 c. Monnet Louis, 40 c. Monet, 50 c. Tevenet, 50 c. Dubois, marchand de métiers, 1 fr. Rouillat, 75 c. Gudin Michel, 10 fr. Gudin Joseph, 5 fr. Reitere Désiré, 5 fr. Noul, cafetier, 5 fr. Boucher, 1 fr. MM. Lïerkens et Alexandre, 2 fr. Total, 106 fr. 40 c.
AVIS AUX CHEFS D’ATELIER de la 2e section de soierie. Dimanche, 15 février, à 10 heures du matin et le dimanche suivant 22, à la salle du conseil de prud’hommes, aura lieu un scrutin préparatoire pour la nomination d’un prud’homme devant remplacer M. Labory. L’autorité, en cette circonstance, a daigné satisfaire aux désirs de MM. Bret, Lionnet, Pasquier, Pichon, etc., chefs d’atelier, électeur de cette section, qui en ont fait la demande. Nous donnons cet avis afin que les électeurs des autres sections, qui sont, nous n’en doutons pas, dans les mêmes intentions, aient à présenter incessamment leur demande. Nous pensons que les chefs d’atelier s’empresseront d’apporter dans l’urne préparatoire, un bulletin qui est pour eux de la plus haute importance.
CONSEIL DES PRUD’HOMMES.
Audience du 12 février. présidence de m. ribout. Sur 22 causes appelées, 7 ont été retirées, 2 ont fait défaut et 5 ont été renvoyées, soit à huitaine, soit en arbitrage. Lorsqu’un chef d’atelier se permet de frapper son élève ; fait constaté par un procès-verbal du commissaire de police et l’attestation de deux médecins, les engagemens sont-ils résiliés ? – Oui. Mais, attendu que le chef d’atelier a contrevenu à la loi du 2 avril 1803, en frappant son apprenti, les conventions ont été résiliées sans indemnité. Néanmoins le père est resté passible de la somme de 50 fr. pour arriéré de tâches. Et comme l’apprenti a encore 8 mois à faire, il ne pourra se replacer qu’en cette qualité, sinon le chef d’atelier rentrera dans ses droits, et la somme fixée sur les écrits lui sera allouée. Ainsi jugé entre Mermet, chef d’atelier, et Corsin, apprenti. Lorsque l’agent comptable de la caisse de prêts exerce une contravention envers un fabricant qui n’a pas le livret d’un chef d’atelier emprunteur à la caisse, cette contravention peut-elle être considérée valide lors même que le chef d’atelier a à son avoir entre les mains du fabricant la somme de 120 fr. et qu’il n’est débiteur à la caisse que de 40 fr. ? – Oui ; attendu que le négociant est contrevenu à la loi sur les livrets. Comme le chef d’atelier s’est refusé d’ouvrir sa porte à l’agent comptable assisté de deux membres du conseil, lesquels voulaient connaître le [2.2]fabricant pour qui il travaillait, et qu’il a fallu faire ouvrir par un serrurier, il a été passible des frais d’ouverture. Ainsi jugé entre Arnaud, négociant, et G....., chef d’atelier. Lorsqu’un apprenti obtient, par raison de maladie, de passer quelques mois dans sa famille, doit-il rentrer au temps fixé s’il ne justifie pas de la prolongation de son indisposition ? – Oui ; et même comme il s’est écoulé un mois et demi depuis l’époque fixée pour sa rentrée, et que la mère de cet apprenti s’est renfermée dans un système de dénégation, ne voulant pas avouer où était son fils qu’elle déclarait être encore malade ; le conseil a décidé que si lundi, 16 courant , l’apprenti n’est pas rentré, les engagemens seront résiliés et une indemnité accordée au chef d’atelier. Ainsi jugé entre Durand, chef d’atelier, et Bazin, apprenti. Lorsqu’un arbitrage a été fait, que les parties ont consenti à la décision qui en a été le résultat, que celle même qui était débitrice a payé le prix stipulé dans la conciliation, peut-elle revenir sur son assentiment, sous prétexte qu’un tiers pour lequel l’objet a été confectionné ne veut pas le recevoir ? – Non ; attendu que le tiers n’était pour rien dans la cause et que le payement qui a été fait est une preuve irrécusable, que le débiteur s’en était rapporté aux experts. Dans cette affaire il s’agissait de deux planches que le sieur Cornue avait gravées pour le compte du sieur Lazarre. Ce dernier, qui prétendait être remboursé d’une partie de la somme qu’il avait soldée, a été débouté de sa demande. Lorsqu’un négociant prétend avoir compté à un chef d’atelier la somme de 100 fr. qui n’a point été portée sur le livre de ce dernier, mais seulement inscrite sur la caisse et le livre du fabricant, est-il fait droit au chef d’atelier réclamant le payement de sa créance ? Non ; attendu qu’une expertise a été faite, qui a constaté que le chef d’atelier avait pour habitude de prendre de l’argent à la fin de chaque pièce, et que le jour où le négociant prétendait lui avoir compté les 100 fr. il en avait rendu deux ; par là il a été débouté de sa demande et considéré comme ayant réellement reçu la somme. Ainsi jugé entre E..... chef d’atelier, et Billion-Candy, négocianti. Comme ces derniers avaient fait défaut et qu’ils ne se sont rendus qu’à une citation, ils ont été passibles des frais. Vu le défaut d’ordre, nous ne comprenons pas les motifs qui ont étayé ce jugement ; aucune preuve matérielle n’a pu convaincre le conseil que le chef d’atelier avait reçu la somme de 100 fr. Pas d’inscription sur le double livre du chef d’atelier ; seulement cette somme est inscrite sur le double du fabricant et sur le livre de caisse ; qu’est-ce que cela prouve ? Rien ; car on peut bien inscrire une somme quelconque sur ces deux livres, voire sur le grand livre : lorsqu’elle ne figure pas sur le double du chef d’atelier, toute inscription doit être considérée comme non avenue. A quoi servirait donc cet usage, consacré de temps immémorial, d’exiger que les livres des maîtres ouvriers tisseurs soient tenus à parties doubles ? Autant vaudrait dire que le livre du maître tisseur ne peut faire foi en justice. Ce n’est qu’une coutume inutile et incommode, quand on est disposé à payer les façons par une affirmation accompagnée du serment, comme l’a disposé le code civil dans les contestations entre maîtres et domestiques, en ce qui concerne la quotité des gages. Quant à nous, sauf le respect que nous portons aux décisions du conseil, nous ne comprenons pas un jugement de ce genre. Dans ce cas, les chefs d’atelier qui travaillent pour certaine maison feraient bien de prendre leur argent en rendant leur pièce, afin de ne courir aucun danger.
i. Dans cette cause, M. le président a dérogé à l’usage établi dans le conseil qui veut que si une des parties ne répond pas au second appel d’après une citation, elle soit jugée par défaut. M. Candy n’étant pas présent, le chef d’atelier a été prié d’aller l’avertir. Si le cas eut été contraire nous doutons qu’on eût montré la même obligeance.
Monsieur le Rédacteur, En réponse à l’article inséré dans votre dernier N°, concernant l’affaire Murat et Tocanier, j’ai l’honneur de vous faire observer : que j’ai voulu éviter une dispute de mots et non consacrer un [3.1]principe de prescription. Je n’ai coopéré à la condamnation de M. Murat, que d’après son refus réitéré de continuer, bien persuadé que s’il eut accepté l’offre (peut-être simulée) qui lui était faite par M. Tocanier, il aurait vraisemblablement placé son adversaire dans la nécessité de payer une indemnité plutôt que de faire fabriquer une étoffe qui n’était plus vendable il y a un mois. Si nous eussions eu une jurisprudence fixe, j’aurais agi autrement ; mais le cas étant contraire, je ne me suis nullement arrêté aux 28 jours pas plus que je ne l’aurais fait pour 8 jours ou moins. Je saisis cette occasion pour inviter les chefs d’atelier à ne jamais démonter la moindre partie de leurs métiers, avant de faire des réclamations de cette nature, attendu qu’ils fourniraient un excellent moyen de défense à leurs adversaires, qui pourraient non-seulement nier de les avoir soldés, mais encore supposer que c’est le chef d’atelier qui a demandé à être soldé. Agréez, etc. charnier. Nous n’avons pas eu la pensée que M. Charnier ait voulu consacrer un principe ; mais nous sommes étonnés qu’il ait adhéré à une rédaction qui semble en consacrer un ; car on lit dans la conciliation : Nous avons reconnu qu’effectivement le sieur Murat n’avait pas assez fabriqué pour parer aux frais de son montage de métier, mais comme sa réclamation n’a été faite que 28 jours après que son compte a été réglé, etc. Nous ne répéterons pas ce que nous avons dit sur la maison Tocanier ; mais nous ferons observer que, puisque le livre du sieur Murat a été soldé et qu’il ne l’a été que parce qu’on ne lui donnait plus d’ouvrage, le négociant devait être passible d’une indemnité ; dans le cas contraire, la considération de 28 jours ne devait nullement intervenir dans la décision qui a débouté le sieur Murat de sa demande.
BON A SAVOIR. Nous aurions cru que tous les fabricans s’étaient conformés aux décisions du conseil de prud’hommes, relativement aux tirelles et à l’enlassage de cartons. Aujourd’hui, nous apprenons avec peine que la maison Villefranche a placardé deux tableaux dans ses magasins, ainsi conçus. – On ne paye point d’enlassage de cartons. – On n’accorde point de tirelle et on n’en reçoit pas. Cependant ces chefs d’atelier pourraient se faire faire leur droit sans le secours même du conseil ; car M. Lionnet vient de nous apprendre que ces Messieurs lui ont payé l’enlassage et la tirelle : alors il ne s’agirait que de demander.
SUISSE. canton de zurich. Il y a plusieurs siècles que le canton de Zurich est renommé pour son commerce et son industrie ; mais ce n’est que de la paix que datent les grands développemens de l’industrie de la soie. En 1814, on ne comptait que [ ?],000 métiers environ, dont la production se bornait à du florence et à quelques articles légers pour la consommation de la Suisse et de l’Allemagne. – En 1833, le nombre de ces métiers s’est élevé à 10,000, et leurs produits variés ont été expédiés en Allemagne, en Russie, en Italie, en Amérique, en Angleterre et même en France, malgré les droits. L’industrie de la soie n’est pas la seule qui se soit développée avec énergie dans ce canton : il faut citer encore celle du coton et de la filature. Lorsque Lyon, par son goût et son influence dans le monde fashionable, crée et fait prendre quelque article en soie et coton, Zurich s’en empare bientôt et recueille, pour ainsi dire, ce que Lyon a semé. A Zurich, l’ensemble de l’organisation industrielle est la même qu’à Lyon, mais elle diffère dans les détails. Comme à Lyon, le fabricant n’est qu’exceptionnellement propriétaire des ustensiles, et il distribue le travail aux ouvriers lorsque les demandes arrivent. L’absence de travail est moins funeste à l’ouvrier suisse qu’au nôtre, parce qu’il vit à la campagne. En général, il est propriétaire de la chaumière qu’il habite et du champ qu’il cultive ; et ce champ, au besoin, lui donne du pain. Cette espèce de double profession de cultivateur et de tisserand, [3.2]explique pourquoi les commandes s’exécutent plus lentement dans les fabriques suisses que dans les nôtres, et pourquoi aussi ces fabriques font moins d’ouvrage en été qu’en hiver, ce qui est l’inverse des faits observés dans les fabriques dont les ouvriers habitent les villes. Le compagnonnage y est bien moins répandu qu’à Lyon, et généralement le travail s’exécute en famille, en sorte que le salaire se divise rarement. La position de l’ouvrier suisse lui permet donc de travailler à très-bas prix, sans qu’il en résulte pour lui les privations qui sont ailleurs la conséquence de façons trop réduites. Mais le bas prix de la main-d’œuvre n’est pas l’unique cause des avantages qu’ont ces fabriques dans la production des étoffes légères. Il faut compter encore au premier rang de ces causes : l’abondance et partant le bas prix des capitaux ; la régularité et la simplicité de la vie ; l’absence presqu’entière d’impôts ; l’absence de douanes et de tarifs protecteurs, qui enchérissent partout l’existence, la main-d’œuvre et la production. Pour diriger et employer les 10,000 métiers de Zurich, il y a tout au plus 25 fabricans ; pour un nombre égal de métiers, il y en aurait ici une centaine. Est-ce un mal, est-ce un bien ? Je crois que, vu les développemens que prend partout l’industrie et la concurrence qui en résulte, la grande division est un mal ; car il est certain, qu’en général, plus la masse d’affaires est grande, et moins les frais généraux pèsent sur les marchandises. bale. Presque toutes les observations que je viens de faire s’appliquent à la fabrique de Bâle. J’en ajouterai une seule qui donnera l’explication du grand bon marché des produits de Bâle, bon marché qui fait le désespoir de Saint-Etienne et de toutes les fabriques de rubans de l’Europe. Les capitaux sont encore plus abondans à Bâle qu’à Zurich ; et les fabricans y considèrent plutôt leur industrie comme placement d’argent, que comme spéculation : ils sont donc satisfaits lorsqu’à la fin de l’année leurs opérations ont pour tout bénéfice, porté l’intérêt du capital employé à 6 p. cent. (Un Mot sur les Fabriques étrangères, de M. A.-D.)
NÉCROLOGIE.
JACQUARD. – suite. Nous allons tracer ce dont nous avons parlé dans notre précédent N°, concernant l’histoire des découvertes de Jacquard, rapportées par lui-même à l’âge de 80 ans, devant la chambre de commerce de Lyon et le docteur Anglais Bowring1. Avant la paix d’Amiens, la société royale de Londres avait proposé un prix considérable pour l’inventeur d’un procédé mécanique, applicable à la confection des filets. Un extrait de ce programme, traduit par un journal français, tombe sous les yeux de Jacquard, dans une réunion d’amis. Dès ce moment, il a conscience de sa vocation. Après bien des essais infructueux, la machine est trouvée ; Jacquard fabrique un filet, le met dans sa poche et n’y pense plus. Un jour, cependant, se rencontrant avec un ami qui avait entendu lire le programme, il jette le filet sur la table et s’écrie : Voici la difficulté résolue. C’était assez pour lui d’avoir réussi ; il ne s’occupait pas autrement des résultats de la découverte ni du prix proposé. Admirable désintéressement ! A quelque temps de là, Jacquard se voit mandé chez le préfet : grande fut sa surprise. J’ai entendu parler, lui dit le magistrat, de votre habileté dans la mécanique. Jacquard n’y concevait rien et se confondait en excuses ; le filet lui était sorti de la mémoire, ainsi que la machine qui l’avait produit. Son étonnement redoubla quand le préfet lui montrant le filet, ajouta : J’ai ordre du premier consul d’envoyer la machine à Paris. [4.1]En peu de jours, le mécanisme rétabli et complété, fut mis sous les yeux du préfet, avec un filet à demi tissé. Il put lui-même compter le nombre des mailles, frapper du pied la barre, et ajouter une maille au tissu. Le résultat ne se fit pas attendre, en effet. Jacquard, mandé de nouveau à la préfecture, y reçut un accueil qui n’était guère de nature à le rassurer. – Vous allez partir pour Paris, M. Jacquard, dit le préfet, par ordre du premier consul. – Pour Paris, Monsieur ? cela se peut-il ? Qu’ai-je donc fait ? Comment puis-je laisser là mes affaires ? – Non-seulement vous partirez pour Paris, mais vous partirez aujourd’hui même et à l’instant. Ce n’était pas une époque où l’on pût résister aux ordres de l’autorité. Une chaise de poste attendait le mécanicien, et l’emporta rapidement vers la capitale, sous l’escorte d’un gendarme qui ne devait pas le perdre de vue. Jacquard n’était jamais venu à Paris : on le mena droit au conservatoire, où les premières personnes qu’il vit, furent Napoléon et Carnot2. Carnot lui dit brusquement : Est-ce vous qui prétendez faire ce que Dieu lui-même ne ferait pas, et former un nœud sur une corde tendue ? Jacquard fut interdit par la présence du maître et par la présence du ministre ; il ne put répondre un seul mot. Mais Napoléon, avec cette condescendance des esprits supérieurs, le rassura, lui promit sa protection et l’encouragea à poursuivre ses recherches. Ce fut l’origine de sa fortune et de sa gloire. Le voilà installé au conservatoire. On lui ordonne de construire une machine pour la confection des filets, et il la construit. Tous les secrets de la mécanique, qu’il ne lui a pas été donné d’étudier dans les livres, ni avec les yeux de la science, il les prend là sur le fait au milieu de toutes les merveilles de l’industrie. Bientôt il découvrira le principe unique qui domine toutes les combinaisons du tissage. Un châle magnifique, tissé pour Joséphine, sur un métier qui a coûté plus de vingt-mille fr., lui donne l’idée d’appliquer à ces ouvrages de luxe, un mécanisme plus simple et moins onéreux ; une machine oubliée de Vaucanson3, sera pour lui cette lumière qui fait jaillir la puissance d’invention. La machine qui porte le nom de Jacquard, parut à l’exposition de 1801. Le premier consul récompensa cette admirable découverte par une pension annuelle de six mille francs ; il avait prévu la révolution qu’elle devait opérer dans l’industrie. Le jury se montra moins clairvoyant. « Une médaille de bronze est accordée à M. Jacquard, inventeur d’un mécanisme qui supprime un ouvrier, dans la fabrication des tissus brochés. » Ce sont les propres termes du rapport. Une invention qui devait amener de si grands résultats, fut saluée, à Paris, par l’indifférence ; à Lyon, par la persécution. Lorsque Jacquard voulut introduire sa machine, les ouvriers s’ameutèrent contre lui. De toutes parts on le dénonçait comme l’ennemi du peuple, et l’homme qui devait réduire les familles à la mendicité. Trois fois sa vie fut menacée, et cette haine aveugle en vint à une telle exaspération, que les prud’hommes crurent devoir détruire publiquement le nouveau métier. Il fut mis en pièces, sur la place des Terreaux, aux acclamations des spectateurs. Selon l’expression toute biblique de Jacquard, le fer fut vendu pour du vieux fer, et le bois comme bois à brûler !… Le besoin est l’excuse de ces erreurs. Le métier Jacquard supprimait, en effet, un ouvrier dans la fabrication des étoffes de goût, et les hommes égarés qui le repoussaient n’avaient pas compris qu’en simplifiant les rouages de la production, il devait multiplier le travail. Il donnait à l’industrie française le moyen d’étendre ses produits, dans le genre où la supériorité lui est acquise sur tous ses concurrens, dans les étoffes de luxe, qu’enrichit l’art du dessin. Déjà, et à mesure que le monopole des tissus unis échappait aux Lyonnais par la concurrence des fabriques étrangères, celui des tissus de luxe prenait de plus grands développemens. En 1788, sur quatorze mille sept cent quatre-vingt-deux métiers, Lyon n’en comptait que deux cent quarante pour les étoffes façonnées ; en 1801, époque de la découverte de Jacquard, le tissage des façonnés entrait pour 2,800 métiers dans les 7,000 que la fabrique alimentait encore malgré ses pertes. En 1812, le nombre des métiers était de 10,720 ; et en 1825, après l’installation définitive des Jacquard, de 20,101. Aujourd’hui, sur trente-deux mille métiers qu’emploient Lyon et la banlieue, ces [4.2]machines ingénieuses comptent pour près d’un tiers. La population qui exploite cette industrie forme un ensemble de soixante mille personnes, dans sept mille ateliers. (Revue du Lyonnais.) (La suite au prochain numéro.)
COURS DE GRAMMAIRE FRANÇAISE, (orthographe, syntaxe et versification). Dans une séance publique et gratuite, annoncée pour aujourd’hui, Dimanche, à 3 heures précises, M. Vidal fera l’exposé de son plan et de ses principales idées. On se procure des billets au salon de lecture, port Saint-Clair, n° 20, à Lyon.
lesinerie excessive. On rapporte qu’un homme de finance, ayant remarqué que ses domestiques, pour se dédommager un peu du régime sévère auquel ils étaient assujettis, remplissaient leurs poches des débris des repas en desservant sa table somptueuse. Comment pensez-vous qu’il s’y est pris pour remédier à cet abus ruineux ? Il a tout simplement supprimé les poches de toutes les livrées de ses domestiques. Avis à ceux qui aiment l’économie.
NOUVELLES.
gisors.– Le feu vient de détruire un établissement de tissage mécanique formé tout récemment à Inval, près Gisors, par MM. J. Ch. Davillier et compagnie, et qui n’était en pleine activité que depuis un mois. Cette nouvelle usine, succursale de celle beaucoup plus considérable que la même maison possède à Gisors, avait coûté, dit-on, 400,000 fr., et était assurée pour cette somme, par deux compagnies. Cet incendie paraît avoir une cause toute fortuite : une pierre qui s’est détachée d’un tuyau de cheminée a donné passage au calorique, et une poutre s’étant enflammée, a communiqué le feu tant aux cotons qu’aux métiers, qui en peu de temps, ont été réduits en cendres. La cloche qui servait à indiquer les heures de travail, a été mise en fusion, tant était grande l’intensité de la chaleur. Personne n’a péri. (Journal des tissus1.)
ANNONCES.
En vente : Au Bureau de l’Indicateur et chez les principaux Libraires de Lyon. constitution de l’industrie, ET ORGANISATION PACIFIQUE DU COMMERCE et du travail; Par M. Derrion. Prix : 1 fr. Au profit du premier fonds social gratuit. A vendre, pour livrer toutes préparées, plusieurs mécaniques de rencontre à dévider, rondes, longues et rangs à marche de toutes grandeurs, et à un prix très-modéré. S’adresser, place Croix-Paquet, à M. David, mécanicien inventeur breveté des nouveaux dévidages et canetages ; lequel change celles construites sur ses nouveaux procédés, avec les anciennes. – A vendre, un métier travaillant, disposé en indien 6/4. S’adresser chez M. Débauche, place Rouville, maison Brunet, n° 1, au 5e.
Notes (NÉCROLOGIE.)
Référence ici à John Bowring (1792-1872). Lazare Carnot (1753-1823), scientifique et homme politique militaire français. Jacques de Vaucanson (1709-1782), inventeur et mécanicien français.
Notes (NOUVELLES.)
Il s’agit ici du Journal des tissus. Cours raisonnés des étoffes en tous genres, publié à partir de 1833 à Paris.
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