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1 mars 1835 - Numéro 24 |
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LA MÉFIANCE ET LA DÉFIANCE. [1.1]Je crains les Grecs jusque dans leurs présens. Virgile. La méfiance est un soupçon en mal qu’on a d’une personne qu’on juge de mauvaise foi et de duplicité, ou le peu de faveur qu’on accorde à une entreprise qu’elle a fondée ou dont elle a la gestion. La défiance, au contraire, n’existe que par son défaut d’expérience et de connaissance des hommes. La première a pour base le vice et la fraude bien connus, tandis que la seconde n’est qu’imaginaire et n’a pour s’étayer qu’une pusillanimité qui l’épouvante. L’une est louable, l’autre est dangereuse : celle-ci prévient les maux, celle-là oppose une digue aux actions les plus désintéressées. L’homme de bien peut prendre pour règle la défiance, tout en faisant son possible pour acquérir les informations propres à assurer ou à détruire sa prévention, tandis qu’il doit avoir grand soin de ne pas se fixer inconsidérément par la méfiance ; car si la défiance est un doute moral, la méfiance est un jugement prononcé et basé sur la défaveur que la conduite de telle ou telle personne a fait naître dans notre esprit. On ne saurait donc trop se prémunir avant de préjuger. L’opinion publique étant elle-même la peine des actions dont elle est juge, ne saurait manquer d’être sévère sur les choses qu’elle condamne. Ainsi, lorsque par exemple, un commis de fabrique a, par ses antécédens défavorables, donné prise en plus d’une occasion au blâme et au mépris par ses exactions et ses spéculations frauduleuses dans les maisons où précédemment il était employé ; il est tout naturel que nous l’investissions de notre méfiance, et que dans la crainte d’être encore le jouet de son caprice, ou la victime de son astuce, nous ne voulions pas renouer affaire avec lui. Mais si au contraire nous sommes en rapport avec une maison que nous jugeons honnête, et que, au sortir du magasin nous nous assurions si tout a bien été porté sur notre livre en son lieu ; qu’en rentrant dans nos ateliers nous nous empressions de reconnaître les matières qui nous ont été confiées, pour voir si le poids concorde avec l’insertion ; le motif qui nous fait agir ainsi est la défiance, en ce que, comme dans l’exemple précédent, nous n’avons pas des faits pour appuyer notre jugement, mais seulement un doute qui nous fait prendre nos sûretés. Si la méfiance, comme dit le sage, est la mère de sûreté, il faut bien se garder aussi de porter son opinion trop inconsidérément. S’il répugne à l’homme de bien de s’allier [1.2]avec un être flétri par l’opinion publique, s’il se croit deshonoré de ce rapport, parce qu’avant tout il s’attache à sa réputation, il met aussi tous ses soins à se convaincre avant d’arrêter son jugement. Semblable au loup de la fable, il ne juge pas du particulier en général, parce que dans une circonstance qui se rattache au présent, il a été trompé par une personne peu délicate et qu’il a été dupe de sa bonne foi, il ne dira pas : je ne veux plus accorder ma confiance à personne ; mais je veux me tenir en garde vis-à-vis de tous ceux qui me feront des propositions ; je veux étudier leur conduite, connaître leur moralité ; je veux voir si tels ou tels qui cherchent à me détourner de faire ce pas, ne sont pas conduits par l’intérêt. Avant de jeter comme eux un blâme sur cette entreprise, je veux connaître si la probité en fait mouvoir les ressorts. Il arrive souvent que la haine ou l’orgueil dictent le conseil qui vous est donné, dans certaines circonstances. Un homme, par exemple, jaloux de n’avoir pas le premier conçu telle ou telle idée qui peut amener une amélioration générale, de n’avoir pas lui-même tracé le plan, dicté les statuts de tel ou tel établissement, si vous lui en parlez, si vous lui demandez son avis, mettra tout en usage pour faire échouer le projet ; il y suscitera des obstacles, il révoquera en doute la bonne foi, la probité de ceux qui sont chargés de le mettre à exécution. S’il voit que tous ses traits s’émoussent, que, bien persuadés de la bonne harmonie, de la délicatesse de ceux qui doivent le régir, il ne peut vous convaincre, il emploiera sa dernière ressource, et fort d’un savoir qu’il sait que vous n’avez pas il emploiera l’arme du ridicule !… Méfions-nous de ces personnes ! que les antécédens de leur vie nous les fassent juger à leur valeur. Persistons dans nos sentimens, et il leur restera la honte, non-seulement de n’avoir pas fait usage de leurs moyens pour améliorer le sort de leurs semblables, mais encore d’avoir, autant qu’il leur a été possible, paralysé les actes généreux de ceux qui ne sont riches et forts que de leurs bonnes intentions. Il nous reste, travailleurs, à vous donner un dernier avis, qui est pour vous de la plus haute importance. Dans cette circonstance vous ne sauriez trop faire usage de la défiance. Elle sera pour nous l’ancre de salut qui doit préserver du naufrage le vaisseau de notre industrie. Nous touchons au terme fixé, où quelques-uns de vous doivent être investis de notre confiance, chargés de notre mandat, dépositaires de nos intérêts. (Nous parlons de l’élection des prud’hommes). C’est en ce moment qu’il faut redoubler de défiance, qu’il faut vous inquisiter minutieusement des antécédens, de la conduite, et de la fermeté de ceux auxquels vous voulez accorder votre suffrage. Qu’ils aient la sagesse pour [2.1]conseil, la vertu pour guide, et le courage de supporter l’égide qui doit vous protéger. A Dieu ne plaise que nous ayons la pensée de fausser vos intentions ; votre vote doit être libre, parce qu’il doit être dicté par votre seule conviction. Ne vous laissez pas influencer par les paroles de ceux que la jalousie poignarde, que l’intrigue conduit, et qui s’attachent moins à vos intérêts qu’aux leurs. Défiez-vous, mais ne vous méfiez pas sans motifs plausibles. Si nous ne pouvons être utiles, gardons-nous d’être nuisibles, et que ceux d’entre nous qui seront élevés à l’honneur de représenter leurs confrères, ne fassent usage de leur pouvoir que dans l’intérêt de tous et de la justice. A cet égard, nous rappelons aux chefs d’ateliers électeurs prud’hommes, qu’ils ne sauraient trop mettre d’empressement à remplir la mission à laquelle ils seront appelés dimanche prochain, 8 mars. Qu’ils pensent que ceux de leurs confrères auxquels le droit d’élire leurs prud’hommes n’est pas confié, attendent d’eux l’élection de mandataires irréprochables, fermes et consciencieux. Nous avons dit : Plus le vote est indépendant, plus l’élection est solennelle. Or, que les électeurs n’obéissent qu’à leur conviction, qu’à la connaissance intime qu’ils auront des qualités de celui auquel ils destinent leurs suffrages. Qu’ils se rendent tous à l’appel qui leur est fait, c’est pour eux un devoir des plus indispensables. Une réunion nombreuse imprime à l’élection un caractère important, et démontre mieux à l’élu toute l’étendue de ses devoirs.
CONSEIL DES PRUD’HOMMES.
Audience du 26 février. présidence de m. ribout. Sur 28 causes appelées, 3 l’ont été sur citations, 8 ont été retirées, 3 ont fait défaut, et 8 renvoyées, soit à huitaine soit en conciliation. Lorsqu’un chef d’atelier a des raisons suffisantes, constatées par un des membres du conseil, est-il admis à la résiliation des engagemens qu’il a contractés ? – Oui. Une indemnité lui est allouée, et l’apprenti ne peut se replacer qu’en cette qualité. Ainsi jugé entre Blanc, chef d’atelier, et Marmonier, apprenti. Lorsqu’un chef d’atelier, après avoir fait des échantillons pour une maison de fabrique, n’est pas satisfait du prix qu’on lui propose, le conseil nomme des experts pour fixer les prix : mais si le chef d’atelier n’est pas satisfait de l’estimation, peut-il en référer au conseil ? – Oui. Dans cette cause, considérant que le prix fixé par les experts était suffisant, vu qu’ils ont porté à deux fr. l’aune l’étoffe que le négociant avait cotée à un fr. 75, le conseil a maintenu leur décision et, de plus, a fixé la somme de dix fr. pour indemnité des journées perdues. Le conseil a en outre décidé qu’un peigne rendu par le chef d’atelier et qui n’avait pas été inscrit sur son livre, serait porté de suite comme reçu. Ainsi jugé entre Perret et Termier, négocians, et Portier, chef d’atelier. Lorsqu’un chef d’atelier a un élève dont l’insubordination est telle que les parens eux-mêmes ne peuvent en jouir, fait constaté par la déposition du membre du conseil délégué à cet effet, est-il autorisé à la résiliation des engagemens ? – Oui : la mère de l’apprenti est passible d’une indemnité, et son fils ne pourra se replacer que pour finir le temps fixé pour son apprentissage. Ainsi jugé entre Gounetan, chef d’atelier, et Salamite, apprenti. Lorsqu’un chef d’atelier reçoit chez lui un ouvrier dont le livret est chargé, doit-il au chef d’atelier d’où il sort un récépissé de ce livret et la promesse de retenir le cinquième des façons que fera cet ouvrier ? – Oui. Ainsi jugé entre Lhôpital et Mercier, chefs d’atelier.
Un de nos abonnés nous écrit la lettre suivante pour démentir deux principaux faits de la vie de Jacquard, nous n’en garantissons pas l’exactitude ; mais nous avons trouvé à propos de l’insérer, attendu que dans les recherches les plus scrupuleuses, ainsi que dans les informations que nous avons prises à cet égard, il n’est pas venu à notre connaissance que de pareils faits soient arrivés. [2.2]Monsieur le rédacteur, Ayant lu dans le 22e n° de l’Indicateur, un passage concernant M. Jacquard, ainsi conçu : Une invention qui devait amener de si grands résultats, fut saluée, à Paris, par l’indifférence ; à Lyon par la persécution. Lorsque Jacquard voulut introduire sa machine, les ouvriers s’ameutèrent contre lui : de toutes parts on le dénonçait comme l’ennemi du peuple, et l’homme qui devait réduire les familles à la mendicité. Trois fois sa vie fut menacée, et cette haine aveugle en vint à une telle exaspération, que le conseil des prud’hommes crut devoir détruire publiquement le nouveau métier. Il fut mis en pièces sur la place des Terreaux, aux acclamations des spectateurs. Selon l’expression toute biblique de Jacquard, le fer fut vendu pour du vieux fer, et le bois comme bois à brûler. Et il n’y a pas de doute que les cendres ont dû être jetées au vent. Je ne m’informerai pas, monsieur le rédacteur, où la Revue du Lyonnais a puisé de si étranges absurdités, parce que je sais bien qu’il n’est pas besoin de faire parler les morts pour calomnier la population industrielle et laborieuse de la ville de Lyon. Il s’y rencontre assez de vivans, ainsi qu’ailleurs, qui, pour acquérir une ignominieuse célébrité, se disputent à l’envi la triste gloire d’y concourir, et de se partager la besogne. Je n’ai pas non plus la prétention d’empêcher que ce tissu, aussi fabuleux que mensonger, prenne un caractère historique et passe ainsi à la postérité. Je sais que ma plume est trop faible pour éviter à nos arrière-neveux, d’être autorisés à croire de bonne foi, après ce qu’ils auront lu, que nous étions des demi sauvages, qui trois fois ont voulu attenter à la vie de M. Jacquard. C’est seulement dans l’intérêt de l’honneur et de la vérité, que je désire faire savoir à mes confrères que c’est absolument faux que les ouvriers en soie aient attenté à sa vie, ni même conçu de la haine contre lui à cause de son invention. J’ai été un des premiers qui aient travaillé avec une de ses machines, et le seul durant plusieurs années à m’en servir ; et certes, que l’on ne croie pas que je sois doué d’une assez audacieuse témérité pour m’être ainsi exposé à la vindicte publique, et partager le danger qu’il avait encouru. Au contraire, étant d’un naturel très-craintif, si l’on avait autant porté de haine à l’inventeur de la machine, non-seulement j’aurais fui la maison où elle était, j’aurais même évité avec soin de passer dans la rue où est située la maison. Plusieurs négocians, ainsi que des étrangers, sont venus différentes fois, pour voir fonctionner le métier sur lequel je travaillais ; il est inutile de dire que je n’ai jamais entendu blâmer ni l’inventeur ni l’invention, par aucun de ces messieurs. Un bien plus grand nombre de chefs d’atelier sont aussi venus pour le même motif. En conséquence, j’ai été à portée, mieux que bien d’autres, de juger l’opinion qu’ils en avaient ; je peux assurer avec vérité que je ne me suis jamais aperçu qu’aucuns d’eux eussent la moindre envie de blâmer l’inventeur : les uns trouvaient l’invention passablement bonne ; d’autres la jugeaient inutile, à cause des difficultés très-nombreuses que l’on éprouvait alors à les faire fonctionner ; car M. Breton ne s’était pas encore occupé à les perfectionner et simplifier, M. Jacquard ayant obtenu le droit exclusif de lire les dessins sur les cartons, durant l’espace de dix années consécutives ; ce qui s’opérait alors avec le marteau et l’emporte-pièce à la main, ce qui était excessivement long à exécuter, et par conséquent, une cause bien suffisante pour écarter la crainte que son invention put réduire les familles à la mendicité. J’ai été dans le cas de me transporter un grand nombre de fois chez lui ; il ne m’a jamais parlé des craintes que l’on prétend qu’il devait éprouver, et assurément il lui eut été bien difficile à me le persuader, attendu que je le rencontrais souvent hors de chez lui, ayant des objets en main, relatifs à ses machines, et qui étaient bien propres à le faire connaître à ce public que l’on accuse d’avoir trois fois voulu attenter à sa vie. J’avoue cependant qu’il aurait été bien facile alors à un malin faiseur de nécrologie de me causer de grandes inquiétudes, s’il lui eut pris fantaisie de m’apprendre que dans quelques années, et pour apaiser une grosse émeute populaire, une mécanique semblable à celle avec laquelle je travaillais, serait livrée à toutes les rigueurs d’un autodafé, juridiquement ordonné par un conseil des prud’hommes… Par un conseil des prud’hommes !... Oh ! que ce conseil des prud’hommes m’aurait fait faire de réflexions. J’avais déjà entendu parler d’émeute et aussi d’autodafé, quoique d’une manière plus historique ; j’aurais bien pu me figurer un brisement de mécanique ; mais un conseil de prud’hommes ! Jamais je n’aurais pu deviner ni dans quel lieu on devait pêcher les hommes qui devaient être investis de si bizarres attributions. Car ce ne fut que quelques années plus tard, et lorsqu’un bon nombre de métiers fonctionnaient avec les mécaniques dites à la Jacquard, dans plusieurs quartiers de la ville de Lyon, que le [3.1]conseil des prud’hommes y a été installé, en vertu d’un décret impérial. Recevez, monsieur, l’assurance de mes salutations affectueuses, Un vieux solitaire des remparts.
Souscription gratuite pour la fondation d’une vente sociale d’épiceries, devant commencer la réforme commerciale : (Quatrième liste.) Mlle Bélonie Brochet, 2 fr. Mme Marie Nivon, 1 fr. MM. Roux 5 fr. Tripier, 5 fr. Mlle C. 5 fr. M. D., 2 fr. 50 c. M. R. 1 fr. Huguenin, 1 fr. Mme Corréard, 2 fr. M. Gamichon, 2 fr. Pontet, 5 fr. Chabrier Scipion, 2 fr. Vilquin, 50 c. Champard, 50 c. Gaillard, 1 fr. Vignard René, 2 fr. Vincent, 1 fr. Fombonne, 1 fr. Moine, épicier à la campagne, 1 fr. Total, 40 fr. 50 c. Listes précédentes, 413 fr. 90 c. Total, 454 fr. 40 c. Sur la liste du numéro précédent, ont été omis Mme Catherine, 5 fr. Phyly aîné, 5 fr., compris dans le total.
SUR LA PROBITÉ DU TRAVAILLEUR. La probité est de tous les rangs et de tous les siècles ; elle appartient à toutes les conditions ; elle ennoblit tous les âges, elle fait la gloire du malheureux, en même temps qu’elle fait celle du riche. On peut définir la probité : l’amour de toutes les vertus civiles. La probité défend le crime ; il faut obéir ; la vertu commande la pratique du bien, mais l’obéissance est libre. On estime la probité, on respecte la vertu, on doit de la reconnaissance à la vertu ; on pourrait s’en dispenser à l’égard de la probité ; parce qu’un homme éclairé, n’eût-il que son intérêt pour mobile, n’a pas pour y parvenir de moyen plus sûr que la probité. Nous avons dit que la probité fait la gloire du travailleur. Pour nous en convaincre, envisageons d’abord l’habitant des campagnes. Aussi simple que sa modeste chaumière, privé pour l’ordinaire de l’instruction qui développe nos facultés morales, il ne laisse pas pour cela de sacrifier sur l’autel de cette Divinitéi. Son âme pure comme l’azur des cieux, aussi naïve que candide, ne saurait, par le moindre détour, diminuer sa misère, et la seule idée d’effleurer la propriété d’autrui le fait frémir. Le remords est banni de sa couche, parce que le crime n’a pas placé les rideaux qui l’entourent ; ses mains endurcies au travail ne trempent point dans le cloaque de la cupidité. Il est pauvre ; mais sa pauvreté même fait sa gloire, parce que le peu qu’il a il ne le doit qu’à ses sueurs et que sa position lui laisse même la douce satisfaction d’ajouter chaque jour une fleur à sa couronne, en partageant avec ses frères malheureux le pain noir qu’il a su se procurer par des voies licites et délicates. Si de l’humble métairie nos regards se portent sur l’orgueilleux castel, que ne dirons-nous pas de l’air de corruption qu’on y respire ? Sans parler de ces procès injustes que ses maîtres soutiennent pendant des années, pour s’approprier souvent le champ de la veuve et de l’orphelin, trop faibles pour lutter contre leur puissance colossale ; sans parler de ces routes tortueuses, de ce dédale de perversité et d’astuce dans lequel ils s’enfoncent pour subtiliser à un égal une place qu’ils convoitent, un honneur qu’ils sollicitent, une distinction qui semble manquer à leurs titres ; que ne dirons-nous pas de ces moyens frauduleux par lesquels chaque jour ils augmentent leur patrimoine au détriment des malheureux qui, par leurs peines, leurs labeurs, sont non-seulement les artisans de leur fortune, mais encore la cause efficiente de leurs félicités. La probité décore les haillons du pauvre, elle l’ennoblit, elle l’élève ; mais l’opulent qui transige avec elle, qui la regarde comme indigne de son rang [3.2]est un être méprisable ! Il est vrai que parfois sa distinction, sa fortune semblent plaider en sa faveur et jeter le manteau de l’oubli sur ses exactions. Mais ne perdons pas de vue qu’en fait de procédés, on est bien près de l’avilissement quand il faut recourir à l’indulgence. Pour faire ressortir tout le beau de la probité du prolétaire, parcourons la cité ; jetons un coup-d’œil sur cet homme du peuple, sur cet honnête artisan, et voyons si sa probité n’est pas plus grande que celle de ces gens qui, placés dans une position plus élevée, lui jettent souvent un regard de mépris ! En lui tout est bonne foi ; souvent son âme s’effarouche des moyens les plus innocens ; sa franchise descend jusqu’à la minutie, et quoique certain pour l’ordinaire qu’il est victime de la fraude la mieux calculée, il se fait un scrupule d’user de représailles : le travail est sa loi, la probité sa devise ! Ouvrons au contraire la porte d’un comptoir, du magasin, nous verrons que bien souvent cette vertu, la probité, ne saurait y fixer son séjour. Qui pourrait narrer toutes les supercheries, tous les subterfuges qui sont mis en usage pour tromper la bonne foi et de l’artisan et du consommateur ? Dans quelques-unes de nos maisons de fabrique, par exemple où l’on déifie la fraude et où l’on lutte à qui mieux mieux pour enlever d’une main à l’ouvrier ce que l’on semble lui confier de l’autre, tantôt en rejetant un usage qui, par sa durée, a pris force de loi, on le prive des avantages que des maisons délicates et consciencieuses accordent avec autant de plaisir que de justice ; tantôt en recourant à des procédés iniques, l’on s’approprie une partie de la façon d’un malheureux qui, lors même qu’on la lui laisserait intacte, pourrait à peine suffire aux besoins de sa famille. Celui-ci profite de la misère publique pour faire peser sur les infortunés qu’il exploite, sa verge de fer ; et celui-là qui se joue des devoirs les plus sacrés, dont les regards impudiques convoitent chaque jour une nouvelle idole, n’accorde souvent une préférence de travail qu’en faveur d’un crime ! Ne trempons pas plus long-temps dans cet Achéron infect notre plume pudique ; tirons un rideau sur ces turpitudes, et gardons-nous de faire fumer l’encens devant de tels sacrifices. Un jour viendra où le commerce régénéré, vomira de son sein ces âmes viles, ces âmes sans délicatesse qui le déshonorent. Pour nous, travailleurs, persistons dans la pratique du bien ; que la probité soit l’auréole brillante qui décore nos fronts. S’il ne nous est pas donné de laisser à nos enfans une fortune, léguons-leur du moins avec orgueil l’honneur et la vertu ; eux seuls élèvent le citoyen ; ce sont là les vrais titres de noblesse !
i. Sauf quelques exceptions ; car il est aussi au village des ambitieux et des corrompus, mais en petit nombre.
ANGLETERRE, Avant de quitter le continent, et d’aborder cette Grande-Bretagne, dont le commerce et l’industrie, poussés à des limites vraiment miraculeuses, en ont fait le pays le plus riche et le plus puissant du monde connu, j’éprouve le besoin de remplir une lacune que j’ai laissée, sans le vouloir, dans ce travail ; je veux parler de la marche de l’industrie de la soie en Europe, et particulièrement en Angleterre, depuis son importation de la Chine. L’industrie de la soie paraît avoir pris naissance en Chine, plus de deux mille ans avant l’ère chrétienne. On fait remonter à l’année 350, sous le règne de l’empereur Justinien, son introduction à Constantinople, d’où elle se répandit en Grèce, et particulièrement dans le Péloponèse. En 1147, le comte Roger II1, premier roi de Sicile, ayant saccagé Céphalonie, Athènes, Thèbes et Corinthe, fameuses alors pour le travail de la soie, emmena à Palerme un grand nombre de leurs habitans. De la Sicile, l’art de la soie se répandit peu-à-peu en Italie, et Venise, Milan, Bologne, Florence, Lucques, etc. furent bientôt renommées dans l’art d’élever les vers, de préparer la matière et de fabriquer les étoffes. Il paraît que vers la fin du 13e siècle, les papes introduisirent dans le comtat d’Avignon, les mûriers, les vers à soie, et même quelques manufactures de soieries ; mais ce ne fut qu’en 1480, sous Louis XI, que des ouvriers italiens, s’établirent à Tours, et seulement en 1520, sous François Ier, que des Milanais, des Florentins et des Lucquois, chassés par les guerres des Guelfes et des Gibelins, importèrent à Lyon le germe de l’industrie qui a rendu cette ville si florissante, et qui, à l’aide de Dieu et des efforts des hommes qui l’habitent, lui promet encore un long avenir de prospérité. John Kemp, au 14e siècle, introduisit l’industrie de la soie en [4.1]Angleterre ; mais ce ne fut que pendant le long règne d’Elisabeth qu’elle commença à se développer, malgré les guerres civiles qui, si long-temps, désolèrent l’Angleterre ; ses progrès furent soutenus, et en 1660, on comptait déjà 40,000 individus employés dans ses diverses branches. Mais c’est surtout de la révocation de l’édit de Nantes, (en 1685), que date le grand essor de cette industrie. On évalue à 50,000 le nombre des Français qui cherchèrent alors un refuge en Angleterre. Beaucoup d’entre eux qui, à Lyon ou dans le Midi de la France, avaient été employés dans la fabrication des soieries, s’établirent à Spitalfields. A cette époque, les soieries étrangères entraient librement, et il paraît d’après les tableaux de la douane, que de 1685 à 1692, temps des progrès les plus marqués des fabriques de soieries anglaises, leur importation annuelle s’éleva à la somme de 15 à 17,000,000 de fr. Mais en 1697, les réfugiés Français, les victimes de l’intolérance, demandèrent et obtinrent la prohibition des soieries des fabriques de France et d’Europe en général. En 1701, ils firent étendre les prohibitions aux soieries de Chine et des Indes. De cette époque jusqu’en 1824, l’industrie de la soie, a végété. La position des fabriques de Lancashire, est on ne peut plus favorable. Manchester, la capitale de ce comté, la ville la plus étonnante de l’Europe, sous le rapport manufacturier, semble appelée à jouer un jour, dans l’industrie de la soie, le rôle important qu’elle a su prendre dans l’industrie du coton. Là, tout est neuf, rien ne se rouille, tout se renouvelle avec une incessante activité. Les hommes semblent généralement doués d’une énergie, d’une force de volonté remarquable, qu’ils appliquent presqu’exclusivement aux travaux du commerce et surtout de l’industrie. Les noms de James Hargraves et de Richard Arkwright, les inventeurs des machines causes des prodigieux développemens de l’industrie cotonnière en Europe, suffiraient seuls à l’illustration de tout un peuple. Pour donner une idée de l’accroissement rapide de l’industrie de la soie à Manchester et ses environs, je dirai seulement qu’en 1823, le nombre des métiers employés à la fabrication des articles soie et mi-soie était de 5,500 ; en 1827 et 1828 de 12,000, et qu’on le porte aujourd’hui à 18,000. En 1823, on évaluait dans les établissemens de moulinage, le nombre des bobines à 21,000. et en 1832 à 84,000.
La société commerciale des chefs d’atelier et ouvriers, pour la fabrication des étoffes de soie, qui est gérée sous la raison sociale Bonnard, Cherpine et Ce, a fait distribuer de nouveaux livrets qui contiennent les modifications jugées nécessaires pour que l’association ne soit pas de celles que la nouvelle loi atteint. Cette entreprise est de celles qui nous préparent une amélioration industrielle. Son succès dépend du concours libre des travailleurs qui pourraient, pour ses produits, offrir un immense débouché. Nous conseillons au comité administratif de cette société, de choisir pour diriger les opérations relatives à la fabrication, des employés ayant des connaissances spéciales, soit sur le commerce, soit sur l’industrie ; car nous pensons que cette maison ne doit pas se lancer dans une voie routinière. C’est une œuvre de progrès, elle doit donc se trouver un pas plus en avant que les autres fabriques. Tout dans ses opérations doit faire connaître que c’est un acheminement vers l’industrie émancipée.
Il n’est plus permis maintenant à un Français de mal écrire ou de mal parler sa langue ; une faute d’orthographe ou de grammaire couvre de ridicule celui à qui elle échappe, et l’on sait que dans les pays étrangers, l’étude de la langue française est le complément nécessaire d’une bonne éducation. Cependant, il faut l’avouer, cette étude est hérissée d’innombrables difficultés, causées, les unes par l’incohérence et la multiplicité des règles de la grammaire, les autres par la différence du langage écrit, au langage parlé, de l’orthographe à la prononciation. C’est pour faciliter ce travail que M. Edmond Vidal a conçu la pensée d’ouvrir en cette ville un cours de grammaire française, comprenant orthographe, syntaxe et versification. Sans prétendre tout approuver, nous applaudissons vivement aux vues neuves, aux principes pleins de clarté et de logique, développés dimanche dernier, par M. Vidal, dans une séance publique d’exposition préliminaire ; nous n’entrerons pas ici dans de longs et fastidieux détails [4.2]pour en discuter le mérite, nous dirons seulement : employer dans l’enseignement de la Grammaire la voie de l’analyse, sans pour cela renoncer entièrement à la synthèse, et remplacer l’ancienne et absurde classification des parties du discours par une nomenclature toute rationnelle, d’où découlent naturellement un petit nombre de règles simples et d’une application facile, telles sont les différences essentielles qui distinguent la nouvelle méthode de M. Ed. Vidal de toutes celles pratiquées jusqu’à ce jour dans nos écoles. Nous espérons donc que dans une ville comme Lyon, où tant de jeunes gens, avides d’instruction, ont besoin d’apprendre vite et facilement, nous espérons, disons-nous, que le zèle de notre jeune et savant professeur sera récompensé pur l’affluence des auditeurs et par les bienveillans encouragemens des personnes instruites et capables de l’apprécier.
AVIS. On a trouvé une carte de bordure ; ceux à qui elle appartient peuvent s’adresser au Bureau.
ANNONCES.
COURS de GRAMMAIRE FRANÇAISE, par M. Edmond Vidal. Il s’ouvrira le 5 mars, et durera quatre mois, occupant cinq séances par semaine (voir d’ailleurs le Prospectus). S’adresser au salon de lecture ; port Saint-Clair, n° 20. En vente : Au Bureau de l’Indicateur et chez les principaux Libraires de Lyon. constitution de l’industrie, ET ORGANISATION PACIFIQUE DU COMMERCE et du travail; Par M. Derrion. Prix : 1 fr. Au profit du premier fonds social gratuit. – On désire un compagnon ou une compagnonne pour une peluche. S’adresser au bureau. A vendre, pour livrer toutes préparées, plusieurs mécaniques de rencontre à dévider, rondes, longues et rangs à marche de toutes grandeurs, et à un prix très-modéré. S’adresser, place Croix-Paquet, à M. David, mécanicien inventeur breveté des nouveaux dévidages et canetages ; lequel change celles construites sur ses nouveaux procédés, avec les anciennes. – Un atelier de deux métiers en 600, tout travaillant avec leurs accessoires, ainsi que le mobilier, à vendre. S’adresser au bureau.
Notes (ANGLETERRE , Avant de quitter le continent, et...)
Référence ici à Roger de Hauteville (1095-1154), fondateur du royaume de Sicile en 1130.
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