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8 mars 1835 - Numéro 25
 
 

 



 
 
    

L’ESPÉRANCE.

Les anciens représentaient cette divinité sous l’emblême d’une femme tenant d’une main une ancre, et de l’autre, invitant les mortels par ses gestes et un sourire aimable, à mettre en elle leur espoir.

L’espérance est un sentiment de confiance qui nous soutient dans l’attente d’un bien que la fortune semble nous promettre, et qui nous fait jouir d’un bonheur anticipé. C’est un miroir magique qui nous séduit ; un présent de la divinité, d’autant plus agréable, qu’en nous conduisant comme par enchantement dans le sentier des vicissitudes humaines, elle couvre de fleurs l’abîme prêt à nous engloutir. L’espérance est le fanal bienfaisant qui nous éclaire sur la mer orageuse de la vie, et sans ses bienfaits, sans le baume consolateur qu’elle répand sur les plaies de l’humanité, qui pourrait soutenir tant d’épreuves, tant de traverses, tant de maux qui nous accablent ?

Pour faire apprécier tous les dons de l’espérance, envisageons-la dans les différentes positions de la vie, et nous verrons que depuis le berceau jusqu’à la tombe, elle seule soutient le fil de notre existence.

Dès le berceau, l’espérance semble nous entourer d’un [1.2]prestige enchanteur. Cette mère de famille, en portant un regard d’amour sur son premier-né, oublie ses peines, ses souffrances, et aime à se bercer de l’espoir de lui devoir un jour sa félicité. L’adolescence lui paye aussi son tribut. C’est elle qui lui donne le courage de surmonter les difficultés sans nombre d’une éducation monotone en lui soulevant le voile de l’avenir, et en semblant l’inviter à étancher sa soif à cette coupe d’ambroisie à laquelle se sont désaltérés tant de génies.

Mais c’est surtout dans l’âge mûr, dans cette saison de la vie où tous les maux se combattent avec toutes les jouissances, que nous jetons avec plaisir un regard sur ce rayon de joie qui brille dans les yeux de cette divinité ! Le cœur de l’homme est un abîme sans fond que rien ne saurait remplir, et la félicité la plus pure comme le malheur le moins supportable, boivent à longs traits la liqueur enchantée préparée par l’espoir. Elle seule donne à l’âme cette force surhumaine pour supporter ses maux, et semble même investir la jouissance de ce coloris qui nous la rend encore plus aimable.

En effet, jetons un coup-d’œil rapide sur ces hôpitaux, séjour de privations et de souffrances, interrogeons ce malade qui semble, par l’excès de ses douleurs, ne plus tenir à la terre, et nous apercevrons encore ce rayon d’espérance qui le soutient, et lui donne le courage de braver ses maux.

Ce nautonier dont la tempête a brisé le vaisseau et qui, dans une frêle chaloupe, devient le jouet de la vague, qui chaque minute étendue sur sa tête, semble le plonger au fond de l’abîme, sacrifie encore avec confiance dans le fond de son cœur sur l’autel de l’espérance.

Le proscrit qui la larme à l’œil a fui sa patrie, a laissé sur la terre natale les objets les plus chers à son cœur, sur une roche déserte, tourné vers cet horison qu’il adore, semble perdre à jamais l’espoir d’y reporter ses pas : l’espérance s’empare-t-elle de son âme, l’obstacle semble brisé, elle lui peint en perspective les lieux qu’il chérit, son imagination semble savourer les délices des lieux qui l’ont vu naître, et tout en le trompant, à défaut de la réalité, lui présentant une ombre elle adoucit ses chagrins.

Et vous que la misère accable, que le malheur semble poursuivre à plaisir, et qui ne sortez d’une peine que pour être plongés dans une autre encore plus triste, qui peut vous donner la force et le courage de supporter tant de vicissitudes ? qui a pu vous enseigner l’art de dompter la nature ? Lorsque, manquant de tout, délaissés dans votre infortune, pressés par des enfans qui vous demandent un pain que vous ne pouvez leur procurer, qui est-ce qui calme votre désespoir ? qui est-ce qui vous suggère telle démarche ? [2.1]qui est-ce qui vous fait sacrifier ce respect humain pour chercher parmi vos semblables un remède à vos maux, si ce n’est l’espérance ! Elle seule obscurcit le nuage qui vous voile vos peines, elle seule vous montre la route où, par du travail et de la persévérance, vous surnagerez pendant la tempête, en attendant un meilleur avenir.

Et vous, heureux du siècle dont la magnificence et le faste éblouissent tous les regards, qui passez nonchalament votre vie au sein des plaisirs et qui savourez abondamment toutes les jouissances, on pourrait croire que vous ne vous attachez pas à l’espérance, en ce qu’elle ne saurait rien vous promettre, en ce que tous vos désirs sont satisfaits, prévenus même s’il est possible. Hé bien ! dans le fracas de vos fêtes, dans la dissipation de vos salons, sous l’ombrage paisible de vos berceaux de verdure, la jalousie, cette inquiétude de l’âme, causée par la jouissance d’un bien, d’une dignité dont jouit un autre, tout en causant votre supplice, vous sert d’autel sur lequel vous sacrifiez à cette divinité enchanteresse ; car en faisant briller à vos yeux l’éclat d’une dignité future elle double votre félicité. Si tout lasse quand on possède, tout charme quand on espère. Aussi voyons-nous que celui qui a le plus de jouissances, celui sur lequel le destin semble avoir épuisé ses faveurs, est le plus souvent victime du désespoir ; il lui semble n’avoir plus rien à espérer, et pourtant il n’est pas satisfait ; à défaut de malheurs réels il s’en forge de factices, et parce qu’il ferme les yeux aux ressources que lui offrait encore l’espérance dans la possession de cette dignité, dans la frivolité de cet honneur, de cette passion qui le maîtrise et qui n’est pour lui qu’un bonheur imaginaire, il tombe, frappé du fer que le désespoir lui a enfoncé dans le cœur.

Le vieillard même, à qui la nature entière semble échapper, descend encore dans la tombe protégé par l’espérance. C’est elle qui le soutient dans ses derniers momens, c’est elle qui, peignant à son imagination débile les délices d’une vie future, semble émousser à ses yeux le tranchant de la faulx redoutable qui doit rompre le fil de ses jours.

Pour nous, travailleurs, dans les circonstances pénibles qu’entraîne notre condition, offrons souvent en holocauste à cette divinité nos peines et nos souffrances ; ayons confiance dans un meilleur avenir, et pour cela travaillons tous sans relâche à notre bonheur commun. Faisons fructifier les moyens qui sont en notre pouvoir pour adoucir nos peines, réalisons les rêves de l’espérance en appelant de tous nos vœux cette bonne harmonie universelle qui doit être notre félicité commune.

 

 

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