|
8 mars 1835 - Numéro 25 |
|
|
|
LYON, le 8 mars.
[1.1]Aujourd’hui, de 10 heures du matin à une heure du soir, le scrutin sera ouvert dans chaque section pour la nomination des nouveaux membres, chefs d’atelier, devant faire partie du conseil des prud’hommes. Il est de notre devoir de renouveler aux électeurs qu’ils ne doivent déposer leur vote qu’avec la conviction profonde que leur candidat est un homme consciencieux et désintéressé, un homme ferme, d’un zèle infatigable et dont les antécédens sont irréprochables, enfin un homme voulant l’émancipation industrielle et surtout la libre défense, si profitable pour nos chefs d’atelier qui sont dans l’impossibilité de défendre eux-mêmes leur cause par-devant le conseil. Ici nous rappelons aux électeurs que le devoir d’un citoyen exige qu’ils soient tous présens aux élections ; car l’absence d’un membre serait peut-être préjudiciable aux chefs d’atelier en général, un vote de moins pourrait faire manquer l’élection du plus digne des prud’hommes ; en conséquence, nous aimons à croire que le zèle de nos électeurs les animera de la plus sainte des causes, dont le résultat sera pour nous tous d’un avantage immense. Le scrutin sera fermé à une heure.
L’ESPÉRANCE. Les anciens représentaient cette divinité sous l’emblême d’une femme tenant d’une main une ancre, et de l’autre, invitant les mortels par ses gestes et un sourire aimable, à mettre en elle leur espoir. L’espérance est un sentiment de confiance qui nous soutient dans l’attente d’un bien que la fortune semble nous promettre, et qui nous fait jouir d’un bonheur anticipé. C’est un miroir magique qui nous séduit ; un présent de la divinité, d’autant plus agréable, qu’en nous conduisant comme par enchantement dans le sentier des vicissitudes humaines, elle couvre de fleurs l’abîme prêt à nous engloutir. L’espérance est le fanal bienfaisant qui nous éclaire sur la mer orageuse de la vie, et sans ses bienfaits, sans le baume consolateur qu’elle répand sur les plaies de l’humanité, qui pourrait soutenir tant d’épreuves, tant de traverses, tant de maux qui nous accablent ? Pour faire apprécier tous les dons de l’espérance, envisageons-la dans les différentes positions de la vie, et nous verrons que depuis le berceau jusqu’à la tombe, elle seule soutient le fil de notre existence. Dès le berceau, l’espérance semble nous entourer d’un [1.2]prestige enchanteur. Cette mère de famille, en portant un regard d’amour sur son premier-né, oublie ses peines, ses souffrances, et aime à se bercer de l’espoir de lui devoir un jour sa félicité. L’adolescence lui paye aussi son tribut. C’est elle qui lui donne le courage de surmonter les difficultés sans nombre d’une éducation monotone en lui soulevant le voile de l’avenir, et en semblant l’inviter à étancher sa soif à cette coupe d’ambroisie à laquelle se sont désaltérés tant de génies. Mais c’est surtout dans l’âge mûr, dans cette saison de la vie où tous les maux se combattent avec toutes les jouissances, que nous jetons avec plaisir un regard sur ce rayon de joie qui brille dans les yeux de cette divinité ! Le cœur de l’homme est un abîme sans fond que rien ne saurait remplir, et la félicité la plus pure comme le malheur le moins supportable, boivent à longs traits la liqueur enchantée préparée par l’espoir. Elle seule donne à l’âme cette force surhumaine pour supporter ses maux, et semble même investir la jouissance de ce coloris qui nous la rend encore plus aimable. En effet, jetons un coup-d’œil rapide sur ces hôpitaux, séjour de privations et de souffrances, interrogeons ce malade qui semble, par l’excès de ses douleurs, ne plus tenir à la terre, et nous apercevrons encore ce rayon d’espérance qui le soutient, et lui donne le courage de braver ses maux. Ce nautonier dont la tempête a brisé le vaisseau et qui, dans une frêle chaloupe, devient le jouet de la vague, qui chaque minute étendue sur sa tête, semble le plonger au fond de l’abîme, sacrifie encore avec confiance dans le fond de son cœur sur l’autel de l’espérance. Le proscrit qui la larme à l’œil a fui sa patrie, a laissé sur la terre natale les objets les plus chers à son cœur, sur une roche déserte, tourné vers cet horison qu’il adore, semble perdre à jamais l’espoir d’y reporter ses pas : l’espérance s’empare-t-elle de son âme, l’obstacle semble brisé, elle lui peint en perspective les lieux qu’il chérit, son imagination semble savourer les délices des lieux qui l’ont vu naître, et tout en le trompant, à défaut de la réalité, lui présentant une ombre elle adoucit ses chagrins. Et vous que la misère accable, que le malheur semble poursuivre à plaisir, et qui ne sortez d’une peine que pour être plongés dans une autre encore plus triste, qui peut vous donner la force et le courage de supporter tant de vicissitudes ? qui a pu vous enseigner l’art de dompter la nature ? Lorsque, manquant de tout, délaissés dans votre infortune, pressés par des enfans qui vous demandent un pain que vous ne pouvez leur procurer, qui est-ce qui calme votre désespoir ? qui est-ce qui vous suggère telle démarche ? [2.1]qui est-ce qui vous fait sacrifier ce respect humain pour chercher parmi vos semblables un remède à vos maux, si ce n’est l’espérance ! Elle seule obscurcit le nuage qui vous voile vos peines, elle seule vous montre la route où, par du travail et de la persévérance, vous surnagerez pendant la tempête, en attendant un meilleur avenir. Et vous, heureux du siècle dont la magnificence et le faste éblouissent tous les regards, qui passez nonchalament votre vie au sein des plaisirs et qui savourez abondamment toutes les jouissances, on pourrait croire que vous ne vous attachez pas à l’espérance, en ce qu’elle ne saurait rien vous promettre, en ce que tous vos désirs sont satisfaits, prévenus même s’il est possible. Hé bien ! dans le fracas de vos fêtes, dans la dissipation de vos salons, sous l’ombrage paisible de vos berceaux de verdure, la jalousie, cette inquiétude de l’âme, causée par la jouissance d’un bien, d’une dignité dont jouit un autre, tout en causant votre supplice, vous sert d’autel sur lequel vous sacrifiez à cette divinité enchanteresse ; car en faisant briller à vos yeux l’éclat d’une dignité future elle double votre félicité. Si tout lasse quand on possède, tout charme quand on espère. Aussi voyons-nous que celui qui a le plus de jouissances, celui sur lequel le destin semble avoir épuisé ses faveurs, est le plus souvent victime du désespoir ; il lui semble n’avoir plus rien à espérer, et pourtant il n’est pas satisfait ; à défaut de malheurs réels il s’en forge de factices, et parce qu’il ferme les yeux aux ressources que lui offrait encore l’espérance dans la possession de cette dignité, dans la frivolité de cet honneur, de cette passion qui le maîtrise et qui n’est pour lui qu’un bonheur imaginaire, il tombe, frappé du fer que le désespoir lui a enfoncé dans le cœur. Le vieillard même, à qui la nature entière semble échapper, descend encore dans la tombe protégé par l’espérance. C’est elle qui le soutient dans ses derniers momens, c’est elle qui, peignant à son imagination débile les délices d’une vie future, semble émousser à ses yeux le tranchant de la faulx redoutable qui doit rompre le fil de ses jours. Pour nous, travailleurs, dans les circonstances pénibles qu’entraîne notre condition, offrons souvent en holocauste à cette divinité nos peines et nos souffrances ; ayons confiance dans un meilleur avenir, et pour cela travaillons tous sans relâche à notre bonheur commun. Faisons fructifier les moyens qui sont en notre pouvoir pour adoucir nos peines, réalisons les rêves de l’espérance en appelant de tous nos vœux cette bonne harmonie universelle qui doit être notre félicité commune.
Souscription gratuite pour la fondation d’une vente sociale d’épiceries, devant commencer la réforme commerciale : (Cinquième liste.) Mme Boucharlat, 2 f. M. Vernay, 5 f. Mme Roibet, 5 f. M. Boirivant, 5 f. Une dame du progrès, 5 f. M. Tron, 2 f, Mme veuve Bailly, 1 f. 50 c. MM. Bouchet, 5 f. Bourgeat, 5 f. J. Brun, 4 f. 50 c. Chevallier, 5 f. Bonnafous, 2 f. Jance, 4 f. 50 c. Fondanos, 4 f. Ray, 4 f. Debout Benoît, 4 f. 40 c. J. S. Hay, 3 f. 40 c. J. G., 3 f. 40 c. J. L. Brunier, 4 f. 40 c. Célut père, 4 f. 40 c. André Célut, 2 f. Mme Dubourg, 1 f. MM. Nicolas Rosso, 2 f. Brotonville, 35 c. Mlle Rose Girard, 2 f. MM. D. N. 5 f. Escot, 4 f. 40 c. J. P. S., 4 f. 40 c. P. B. R., 4 f. Termignon, 4 f. 40 c. Husson, 1 f. Guérin, 1 f. Grand, 2 f. Théodore Belmont, 20 c. Total, 133 fr. 5 c. Listes précédentes, 454 fr. 40 c. Total, 587 fr. 45 c.
CONSEIL DES PRUD’HOMMES.
Audience du 5 mars. présidence de m. ribout. Sur 18 causes appelées, 2 l’ont été sur citations, 3 ont été retirées, 2 ont fait défaut, et 3 ont été renvoyées, dont une à huitaine, une à quinzaine et une à samedi en conciliation. [2.2]Lorsqu’un chef d’atelier après avoir pris toutes les précautions imaginables, rend des rubans dont les lisières sont ternies ; le négociant a-t-il le droit de lui faire supporter tout, ou partie des frais du dégraissage ? – Oui. Mais comme dans cette cause le chef d’atelier avait mis en demeure le fabricant par un billet d’invitation, attendu qu’il voulait que ses rubans fussent visités par le conseil pour statuer sur la validité de la réclamation ; et que ce dernier n’a point obtempéré à cet avis et qu’il a expédié les pièces sans les faire visiter, il a été débouté de sa demande et contraint à supporter seul les frais du dégraissagei. Ainsi jugé entre Bosio, chef d’atelier, et Goibet, négociant. Lorsqu’un acte d’apprentissage porte pour réserve qu’en cas de maladie, ou autres causes légitimes, les parens pourront retirer leur enfant sans indemnité, et que le fait de maladie se trouve constaté par le rapport du médecin du conseil, que de plus, le chef d’atelier, par-devant témoin, a consenti à la résiliation des engagemens, à condition de rester possesseur de la somme qui lui avait été comptée en passant l’acte ; ce dernier peut-il revenir sur sa parole ? – Non. Seulement le conseil rétablit dans tous ses droits le chef d’atelier, si son élève reprenait la fabrication des velours en qualité d’apprenti ou de compagnon. Ainsi jugé entre Babolat, chef d’atelier, et Vital, apprenti. Un chef d’atelier qui a pris un apprenti pour le temps que nécessitera la confection d’une pièce, est-il en droit, vu la maladie de son élève, d’exiger une indemnité ? – Non ; attendu que le chef d’atelier est contrevenu à tous les usages connus dans la fabrique, le conseil a décidé que les conventions étaient nulles, que l’apprenti pourrait se replacer ailleurs pour faire un temps ordinaire, et a débouté le chef d’atelier de sa demandeii. Ainsi jugé entre Manisol, chef d’atelier, et Salidier, apprenti. Un apprenti peut-il obtenir la résiliation de ses engagemens par cause de maladie ? – Oui ; si elle est constatée par le médecin du conseil. Mais comme dans cette cause il a été établi par le rapport de ce dernier que l’apprenti jouissait d’une parfaite santé, que la maladie n’était invoquée que comme moyen d’éluder les conventions, que du reste la conduite de l’élève n’a pas paru satisfaisante ; attendu qu’il se retranchait encore, même à l’audience, sur une prétendue nourriture insalubre, fait qu’il a été facile au chef d’atelier de démentir, le conseil a décidé que les engagemens seraient résiliés et la somme de deux cents francs allouée au chef d’atelier à titre d’indemnité. L’apprenti ne pourra se replacer qu’en cette qualité. Ainsi jugé entre Garapon, chef d’atelier, et Goujet, apprenti. Lorsqu’une apprentie, qui a déjà travaillé neuf mois chez un premier maître qui est décédé, est placée dans une autre maison où, sur 10 métiers, on occupe 15 apprenties en les mettant alternativement 15 jours à la cuisine et 15 jours soit à faire des cannettes soit à travailler ; peut-elle, les conventions n’ayant pas été passées, se retirer de chez ce chef d’atelier sans lui donner une indemnité ? – Oui. Le conseil considérant que l’apprentie n’ayant pas eu de travail fixe, on ne peut envisager le temps qu’elle a passé dans l’atelier comme un essai, et que d’ailleurs 10 métiers ne peuvent suffire à 15 élèves, a débouté le chef d’atelier de sa demande et a laissé libre l’apprentie de contracter un engagement ailleursiii. Ainsi jugé entre Marteau, chef d’atelier, et Vignieux, apprentie. Un chef d’atelier peut-il au bout de 3 mois d’apprentissage faire [3.1]avoir un livret à une apprentie, sans la participation de ses parens ? – Non. Et attendu qu’il a enfreint tous les usages de la fabrique, le conseil a cassé les conventions, et a obligé le chef d’atelier à rendre à l’apprentie la somme de 80 fr. qu’il avait reçus, en lui ôtant toute indemnité. Ainsi jugé entre Couvert, chef d’atelier, et Badoil, apprentie. Dans l’affaire Broyas, maître teinturier, et Blanc, ouvrier, qui avait été ajournée pour un troisième essai, attendu que le sieur Blanc n’a rempli aucune des clauses stipulées dans le contrat, que le noir est très-inférieur et qu’il n’offre ni le brillant ni le craquant désiré, qu’au contraire, il laisse apercevoir une grande quantité d’huile ou d’autres corps gras qu’il a sans doute employés pour arriver à faire prendre à une livre de soie (de 15 onces) le poids de 28 onces qu’il s’était engagé à lui donner. Le conseil, après avoir pris connaissance du rapport des quatre membres qui avaient été délégués pour l’expertise, a décidé que le sieur Blanc, n’ayant pas atteint le but de sa convention, elle devenait nulle et qu’il lui était facultatif de travailler où bon lui semblerait.
i. Nous prévenons les chefs d’atelier à cet effet, que toutes les fois que les négocians veulent leur faire éprouver un rabais, il ne sera jugé valide qu’autant que le conseil aura ordonné une expertise pour justifier du fait. ii. Un chef d’atelier connaissant son état n’aurait jamais imaginé qu’on pouvait prendre un apprenti pour faire une pièce seulement. Mais on remarquera que ce maître est de la campagne et que sans doute s’il est si bien avisé, il ne sait pas ce que c’est qu’un compagnon ; car on serait tenté de croire qu’il pense qu’un maçon peut faire des souliers sans avoir fait d’apprentissage. iii. Si nous avons à nous plaindre de quelques négocians, nous avons des chefs d’atelier qui mériteraient notre haine si nous étions susceptibles d’en avoir pour quelqu’un. Or, ce M. Marteau, quelle espèce d’homme est-ce ? A-t-on jamais vu un chef d’atelier prendre 15 apprenties pour 10 métiers, et les occupant tour à tour à faire la cuisine ? Est-ce que cet homme inconcevable serait cuisinier et maître canut tout à la fois ? Est-ce qu’il tiendrait une gargotte pour le public, puisqu’il lui faut 15 cuisinières ? …
De tels procédés ne tendent qu’à jeter dans la fabrique de bien mauvais ouvriers qui ne peuvent que faire la perte et la ruine de nos ateliers.
AVIS. Un chef d’atelier, travaillant depuis plusieurs années pour la maison Rivière père et fils, a jusqu’au mois d’octobre dernier, reçu les 15 grammes accordés pour la tirelle. Mais depuis cette époque, et sans en avoir prévenu le chef d’atelier, M. Rivière a jugé à propos de le priver des 15 grammes que toutes les maisons de fabrique accordent ou doivent accorder, d’après la décision du conseil des prud’hommes, et un usage qui par son ancienneté, a pris force de loi, qui veut qu’à la fin de chaque pièce tissée, il soit fait une tirelle ou passé 15 grammes à ceux qui n’en font point. Nous pensons que la maison Rivière père et fils, daignera prendre cet avis en considération.
Monsieur le Rédacteur, Dans l’intérêt de mes confrères, et pour leur donner une idée de la manière d’agir de la maison Reignier et Dégoltière, je vous prie d’insérer la présente dans votre journal, toujours ouvert aux justes réclamations. Travaillant depuis près de deux ans pour la maison Reignier et Dégoltière, je reçus au mois de janvier dernier une disposition d’écharpe au prix de 1 fr. 25 c., d’accord de faire 100 aunes sans pouvoir exiger aucun défraiement, si le métier ne confectionnait que cet aunage. Le prix fut couché sur la disposition et de plus sur mon livre, en me donnant la première pièce. Lorsqu’elle fut achevée, ces messieurs, sans doute pour accroître leur bénéfice, comme leur conduite m’autorise à le croire, non-seulement ne marquèrent le prix de la seconde qu’à raison de 1 fr. 20 c. ; mais encore ils se permirent de raturer le mot cinq qui avait été écrit en tête de la première pièce reçue. Je crus d’abord que c’était une erreur du commis de la maison que je pouvais facilement faire rectifier. Mais une troisième pièce ayant été donnée et portant aussi 1 fr. 20 c. je crus alors devoir faire mes réclamations. Quelle fut ma surprise, lorsque ces messieurs m’annoncèrent que c’était par erreur que le prix avait été porté à la première pièce à raison de 1 fr. 25 c., vu qu’ils n’en donnaient que 1 fr. 20 c. aux autres chefs d’atelier qui avaient monté le même article. Je leur fis une observation toute naturelle en leur exposant que les arrangemens des autres n’avaient rien de commun avec les miens, et que d’ailleurs, ce qui prouvait la véracité de ma réclamation, était ma disposition sur laquelle le prix avait été coté. A ce récit, ces messieurs pensèrent que je pourrais l’avoir égarée, et que par-là, je perdrais tout titre à l’appui de ma réclamation, ce que je ne pensais pas, vu que mon livre en faisait foi ; ils me demandèrent de la leur exhiber pour preuve. Je leur fis observer que si pourtant elle se trouvait égarée, je tenais beaucoup à ce que l’on ne suspectât pas ma bonne foi ; que d’ailleurs la convention était écrite sur mon livre ; que depuis que j’étais en rapport avec eux ils n’avaient pas eu occasion de se méfier de moi, et que je n’étais nullement dans l’intention d’abandonner la moindre partie de mon droit. Voyant enfin que mes observations étaient inutiles, et qu’on conservait l’espoir, sous prétexte de ma disposition perdue, de me priver d’une partie du prix convenu, je leur promis de la leur montrer, ce que je fis effectivement, et pour lors seulement j’ai obtenu satisfaction. Je dois pourtant vous dire, M. le Rédacteur, que ces messieurs ne voulant pas rétablir la rature qu’ils avaient apposée sur mon [3.2]livre, m’ont porté les 5 c. par forme de gratification ; et pour me punir de n’avoir pas voulu me laisser exploiter, ils m’ont mis mon métier à bas. J’ai l’honneur d’être, etc. P. Nous pensons que Messieurs Reignard et Dégoltière, n’ont pas dans cette circonstance consulté leurs intérêts ; car en portant les cinq centimes par forme de bonification, ils n’annullaient pas par-là le prix convenu, et si le chef d’atelier eût été un malhonnête homme, il était dans son droit de l’exiger.
LYON. Je ne voulais parler que des fabriques étrangères ; mais après avoir examiné leur position, j’éprouve le besoin de dire quelques mots sur Lyon, son passé, son présent et son avenir. Il n’est pas en Europe de situation plus naturellement commerciale que celle de Lyon ; et l’on comprend que dès qu’il a existé des hommes dans ce pays, ils ont dû le choisir d’abord pour s’y donner rendez-vous, afin d’échanger le produit de leurs grossiers travaux, et plus tard pour s’y établir et commercer. Aussi, bien avant l’alliance de Rome, Lyon et ses habitans étaient déjà célèbres dans les Gaules par leur commerce. Cette alliance augmenta beaucoup l’importance de la ville de Lyon, et pendant long-temps, elle fut le marché le plus considérable et le plus fameux de l’empire romain. La chûte de Rome, entraîna aussi la chûte du commerce de Lyon ; mais les avantages de la position l’y rappelèrent bientôt, et ce furent les Italiens qui, étant à cette époque les plus habiles commerçans du monde, le rétablirent. Comme ils avaient obtenu de grands priviléges, le commerce et l’industrie de Lyon restèrent long-temps dans leurs mains, et ils devinrent, pour ainsi dire, maîtres de la ville où ils étaient cantonnés par nation : les Florentins, les Gênois, les Piémontais qui, tous, avaient des priviléges particuliers. Peu à peu les Suisses et les Allemands s’introduisirent à côté des Italiens, leur firent concurrence et devinrent presque aussi puissans qu’eux. A la fin les Lyonnais, instruits par ces divers étrangers, furent assez forts pour se passer d’eux ; et tous les priviléges qu’on leur avait accordés leur furent successivement retirés. Les Italiens ne relevèrent pas seulement le commerce de Lyon, ils fondèrent son industrie. A côté de celle de la soie, bien d’autres ont fleuri qui peu à peu se sont éteintes ; et parmi elles je citerai la chapellerie, l’une des plus importantes et des plus anciennes ; elle doit son déclin à l’établissement de manufactures de chapeaux dans toutes les villes considérables de l’Europe, et de l’Amérique. La fabrique de dorures autrefois si puissante, qui a perdu, par le changement des modes et par l’altération des titres, le débouché si considérable du Levant. L’industrie cotonnière qui, avant que l’Angleterre y pensât, occupait à Lyon jusqu’à 2,000 métiers qui produisaient pour plus d’un million de livres tournois en futaines et en basins, dont la chaîne était en lin ou en chanvre et la trame en coton. Voici comment M. d’Herbigny, intendant de la généralité de Lyon, qui écrivait en 1698, explique sa chûte : « Le premier inconvénient qui a mis ce commerce si bas, est l’augmentation de 20 livres tournois sur l’entrée du coton filé, dont cette fabrique ne peut se passer, l’autre est la cherté des denrées dans Lyon, principalement du vin… Il s’est établi de ces manufactures en Flandres, à Marseille et autres lieux où elles peuvent mieux se soutenir, parce que les droits n’y sont pas, à beaucoup près, aussi gros qu’à Lyon. » Il faut que notre sol convienne bien à l’industrie de la soie et qu’elle y ait poussé de bien profondes racines ; car, depuis sa création, bien des crises terribles l’ont ébranlée, qui semblaient devoir l’anéantir. Les plus fortes furent bien certainement celles qui suivirent la révocation de l’édit de Nantes et le siége de Lyon. Quoique j’aie déjà parlé des conséquences de cet acte extraordinaire, je ne puis résister au désir de citer, [4.1]à ce sujet, un passage d’un ouvrage très-utile et fort remarquable, que publie M. Stéphane Flachat (l’Industrie1). « Après la mort de Colbert, le mouvement industriel et commercial de la France s’arrêta : la révocation de l’édit de Nantes porta à notre industrie un coup dont les conséquences sont incalculables. L’esprit d’invention naît toujours de l’esprit d’examen. Une partie de nos plus habiles manufacturiers étaient protestans ; ils durent émigrer, et emportèrent du sol natal plus que des capitaux, le talent et l’expérience qui savaient les mettre en œuvre. De combien de richesses cette fatale mesure n’a-t-elle pas privé la France ! combien de débouchés lui a-t-elle fermés ! » Avant la Révolution, Lyon comptait 18 mille métiers, tant pour l’uni que pour les différens genres. Ils consommaient annuellement 10 à 12 mille quintaux de soie, dont un tiers en soie de pays. Le façonné que les effets de la guerre et de la Révolution ont entièrement détruit, tombait peu à peu et était remplacé par l’uni. Tous les documens consultés tendent à prouver que, de 1600 jusqu’à 1686, époque de la révocation de l’édit de Nantes, le nombre des métiers s’était élevé de 6 à 9,000 et même 12,000 ; plus tard, et entre autres années, en 1699, il était au-dessous de 4,000 d’après M. Roland de la Platière2, inspecteur des manufactures ; de 1,750 environ jusqu’en 1786, il s’éleva et se maintint à peu près à 12,000, variant cependant quelquefois de 2 à 3,000, par suite de la disette des soies, des deuils prolongés, des guerres ruineuses, des changemens du goût et de la mode, etc. De 1786 à 1788, le nombre des métiers s’éleva, momentanément, de 15 à 18,000 ; c’était sans doute une des conséquences du traité de commerce de 1786. Par ce traité, l’Angleterre maintenait bien la prohibition des soieries françaises ; mais comme beaucoup d’autres articles étaient admis, la contrebande dût devenir plus facile et plus considérable. En 1789, le nombre des métiers fut réduit à 7,500. De 1795 à 1800, conséquence du siége et des guerres, il varia de 2,500 à 3,500. De 1801 à 1812, beau temps de l’empire, il se releva sans presque jamais dépasser 11 à 12,000. Mais dès la paix de 1815, l’échange des produits avec tous les pays du monde étant devenu facile, l’impulsion donnée à la fabrication fut prodigieuse, et le nombre de nos métiers s’éleva bientôt à 20,000. De 1820 à 1823, il fut porté à 24,000. Et de 1824 à 1825, époque des plus fortes expéditions pour l’Amérique, il dépassa 27,000, dont 18,000 dans la ville et 9,000 dans les faubourgs. Ce mouvement d’extension et d’activité avait été trop précipité pour pouvoir se soutenir ; une crise terrible aux Etats-Unis fut une conséquence des spéculations inconsidérées de 1823, 1824 et 1825, et par réaction, un calme long et profond désola notre industrie et consomma les épargnes faites par nos ouvriers pendant les bonnes années. En 1826, presque tous les métiers à la Jacquard étaient à bas, et je n’exagère pas en disant que de 27,000 le nombre total de nos métiers était réduit à moins de 15,000. On comprend que, dans un pareil moment, le débouché de l’Angleterre apparut comme une providence. Les conséquences immédiates de ce nouveau débouché furent la vente de beaucoup de marchandises fabriquées, et la mise en activité d’un grand nombre de métiers. La somme des importations directes et indirectes des soieries de Lyon, de Saint-Etienne et Saint-Chamond, s’éleva, dès la première année, à plus de 25,000,000 francs. (Un Mot sur les Fabriques étrangères, de M. A.-D.)
VARIÉTÉS.
UNE FAMILLE DE BANQUIERS. Mayer Anselme Rotschild, d’origine juive, était un marchand lapidaire de Francfort, où il est né en 1743. Il a eu cinq fils qui, suivant le conseil du bon Lafontaine n’ont pas tenté de rompre le faisceau fraternel. Ils sont tous associés et font des spéculations de banque dans toutes les parties du monde. Ces cinq fils sont : 1° Anselme, âgé de 61 ans ; 2° Salomon, [4.2]né le 9 septembre 1774 ; 3° Nathan, âgé de 57 ans ; 4° Charles, âgé de 46 ans ; 5° Jacob, né le 5 mai 1792. Les cinq fils Rotschild, ont établi leurs comptoirs, le premier à Francfort-sur-le-Mein, le second à Vienne et à Berlin, le troisième à Londres, le quatrième à Naples, le cinquième à Paris. Le montant des emprunts qu’ils ont soumissionnés depuis 1813, arrive à 160 millions sterling, soit quarante milliards. L’un d’eux avait eu envie de reconstituer la nation juive, et de se faire sacrer roi de Juda ; mais il a réfléchi, qu’à tout prendre, le métier de banquier était préférable. (L’Indicateur Stéphanois.)
mairie de la ville de lyon. SALUBRITÉ ET PRÉCAUTIONS SANITAIRES. AVIS. Diverses maladies règnent dans ce moment à Lyon, et reconnaissent en général, pour cause principale, la négligence des précautions qui seules peuvent assurer la salubrité de l’air et préserver la santé publique dans une grande ville. La propreté des rues et des habitations étant au premier rang de ces précautions, il est de notre devoir et de l’intérêt des habitans qu’elles soient ponctuellement observées, et qu’ainsi les ordonnances de police, tant sur le nettoiement des rues, que sur celui des appartemens, escaliers, cours et latrines, soient rigoureusement exécutées, nous invitons nos concitoyens à remplir avec exactitude les obligations que leur imposent ces ordonnances ; mais si contre notre attente quelques-uns ne déféraient pas à notre invitation toute dans leur intérêt, nous les prévenons que des ordres précis sont donnés pour constater les contraventions qui seraient commises en matière de salubrité, et qu’à dater du jeudi 5 mars prochain, toutes ces contraventions seront sévèrement poursuivies. Fait à l’Hôtel-de-ville, Lyon, le 28 février 1835. Le maire de Lyon, Vachon-Imbert, adjoint.
ANNONCES.
En vente : Au Bureau de l’Indicateur et chez les principaux Libraires de Lyon. constitution de l’industrie, ET ORGANISATION PACIFIQUE DU COMMERCE et du travail; Par M. Derrion. Prix : 1 fr. Au profit du premier fonds social gratuit. – On désire un compagnon ou une compagnonne pour une peluche. S’adresser au bureau. A vendre, pour livrer toutes préparées, plusieurs mécaniques de rencontre à dévider, rondes, longues et rangs à marche de toutes grandeurs, et à un prix très-modéré. S’adresser, place Croix-Paquet, à M. David, mécanicien inventeur breveté des nouveaux dévidages et canetages ; lequel change celles construites sur ses nouveaux procédés, avec les anciennes. – Un atelier de deux métiers en 600, tout travaillant avec leurs accessoires, ainsi que le mobilier, à vendre. S’adresser au bureau. – A vendre, un métier en 400 en 10 chemins, tout monté avec ses accessoires. On y joindrait un supplément de maillons si cela pouvait convenir. S’adresser au bureau.
Notes (LYON . Je ne voulais parler que des fabriques...)
Référence à L’Industrie. Exposition de 1834, rédigé par le saint-simonien Stéphane Flachat (1800-1884). Jean-Marie Roland de la Platière (1734-1793), économiste et homme politique français, il avait été nommé inspecteur des manufactures à Lyon en 1784.
|
|
|
|
|
|