Monsieur le Rédacteur,
Dans l’intérêt de mes confrères, et pour leur donner une idée de la manière d’agir de la maison Reignier et Dégoltière, je vous prie d’insérer la présente dans votre journal, toujours ouvert aux justes réclamations.
Travaillant depuis près de deux ans pour la maison Reignier et Dégoltière, je reçus au mois de janvier dernier une disposition d’écharpe au prix de 1 fr. 25 c., d’accord de faire 100 aunes sans pouvoir exiger aucun défraiement, si le métier ne confectionnait que cet aunage. Le prix fut couché sur la disposition et de plus sur mon livre, en me donnant la première pièce. Lorsqu’elle fut achevée, ces messieurs, sans doute pour accroître leur bénéfice, comme leur conduite m’autorise à le croire, non-seulement ne marquèrent le prix de la seconde qu’à raison de 1 fr. 20 c. ; mais encore ils se permirent de raturer le mot cinq qui avait été écrit en tête de la première pièce reçue.
Je crus d’abord que c’était une erreur du commis de la maison que je pouvais facilement faire rectifier. Mais une troisième pièce ayant été donnée et portant aussi 1 fr. 20 c. je crus alors devoir faire mes réclamations. Quelle fut ma surprise, lorsque ces messieurs m’annoncèrent que c’était par erreur que le prix avait été porté à la première pièce à raison de 1 fr. 25 c., vu qu’ils n’en donnaient que 1 fr. 20 c. aux autres chefs d’atelier qui avaient monté le même article. Je leur fis une observation toute naturelle en leur exposant que les arrangemens des autres n’avaient rien de commun avec les miens, et que d’ailleurs, ce qui prouvait la véracité de ma réclamation, était ma disposition sur laquelle le prix avait été coté.
A ce récit, ces messieurs pensèrent que je pourrais l’avoir égarée, et que par-là, je perdrais tout titre à l’appui de ma réclamation, ce que je ne pensais pas, vu que mon livre en faisait foi ; ils me demandèrent de la leur exhiber pour preuve. Je leur fis observer que si pourtant elle se trouvait égarée, je tenais beaucoup à ce que l’on ne suspectât pas ma bonne foi ; que d’ailleurs la convention était écrite sur mon livre ; que depuis que j’étais en rapport avec eux ils n’avaient pas eu occasion de se méfier de moi, et que je n’étais nullement dans l’intention d’abandonner la moindre partie de mon droit.
Voyant enfin que mes observations étaient inutiles, et qu’on conservait l’espoir, sous prétexte de ma disposition perdue, de me priver d’une partie du prix convenu, je leur promis de la leur montrer, ce que je fis effectivement, et pour lors seulement j’ai obtenu satisfaction.
Je dois pourtant vous dire, M. le Rédacteur, que ces messieurs ne voulant pas rétablir la rature qu’ils avaient apposée sur mon [3.2]livre, m’ont porté les 5 c. par forme de gratification ; et pour me punir de n’avoir pas voulu me laisser exploiter, ils m’ont mis mon métier à bas.
J’ai l’honneur d’être, etc.
P.
Nous pensons que Messieurs Reignard et Dégoltière, n’ont pas dans cette circonstance consulté leurs intérêts ; car en portant les cinq centimes par forme de bonification, ils n’annullaient pas par-là le prix convenu, et si le chef d’atelier eût été un malhonnête homme, il était dans son droit de l’exiger.