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8 mars 1835 - Numéro 25
 
 

 



 
 
    

LYON.

Je ne voulais parler que des fabriques étrangères ; mais après avoir examiné leur position, j’éprouve le besoin de dire quelques mots sur Lyon, son passé, son présent et son avenir.

Il n’est pas en Europe de situation plus naturellement commerciale que celle de Lyon ; et l’on comprend que dès qu’il a existé des hommes dans ce pays, ils ont dû le choisir d’abord pour s’y donner rendez-vous, afin d’échanger le produit de leurs grossiers travaux, et plus tard pour s’y établir et commercer.

Aussi, bien avant l’alliance de Rome, Lyon et ses habitans étaient déjà célèbres dans les Gaules par leur commerce. Cette alliance augmenta beaucoup l’importance de la ville de Lyon, et pendant long-temps, elle fut le marché le plus considérable et le plus fameux de l’empire romain.

La chûte de Rome, entraîna aussi la chûte du commerce de Lyon ; mais les avantages de la position l’y rappelèrent bientôt, et ce furent les Italiens qui, étant à cette époque les plus habiles commerçans du monde, le rétablirent.

Comme ils avaient obtenu de grands priviléges, le commerce et l’industrie de Lyon restèrent long-temps dans leurs mains, et ils devinrent, pour ainsi dire, maîtres de la ville où ils étaient cantonnés par nation : les Florentins, les Gênois, les Piémontais qui, tous, avaient des priviléges particuliers. Peu à peu les Suisses et les Allemands s’introduisirent à côté des Italiens, leur firent concurrence et devinrent presque aussi puissans qu’eux.

A la fin les Lyonnais, instruits par ces divers étrangers, furent assez forts pour se passer d’eux ; et tous les priviléges qu’on leur avait accordés leur furent successivement retirés. Les Italiens ne relevèrent pas seulement le commerce de Lyon, ils fondèrent son industrie.

A côté de celle de la soie, bien d’autres ont fleuri qui peu à peu se sont éteintes ; et parmi elles je citerai la chapellerie, l’une des plus importantes et des plus anciennes ; elle doit son déclin à l’établissement de manufactures de chapeaux dans toutes les villes considérables de l’Europe, et de l’Amérique.

La fabrique de dorures autrefois si puissante, qui a perdu, par le changement des modes et par l’altération des titres, le débouché si considérable du Levant.

L’industrie cotonnière qui, avant que l’Angleterre y pensât, occupait à Lyon jusqu’à 2,000 métiers qui produisaient pour plus d’un million de livres tournois en futaines et en basins, dont la chaîne était en lin ou en chanvre et la trame en coton. Voici comment M. d’Herbigny, intendant de la généralité de Lyon, qui écrivait en 1698, explique sa chûte : « Le premier inconvénient qui a mis ce commerce si bas, est l’augmentation de 20 livres tournois sur l’entrée du coton filé, dont cette fabrique ne peut se passer, l’autre est la cherté des denrées dans Lyon, principalement du vin… Il s’est établi de ces manufactures en Flandres, à Marseille et autres lieux où elles peuvent mieux se soutenir, parce que les droits n’y sont pas, à beaucoup près, aussi gros qu’à Lyon. »

Il faut que notre sol convienne bien à l’industrie de la soie et qu’elle y ait poussé de bien profondes racines ; car, depuis sa création, bien des crises terribles l’ont ébranlée, qui semblaient devoir l’anéantir.

Les plus fortes furent bien certainement celles qui suivirent la révocation de l’édit de Nantes et le siége de Lyon. Quoique j’aie déjà parlé des conséquences de cet acte extraordinaire, je ne puis résister au désir de citer, [4.1]à ce sujet, un passage d’un ouvrage très-utile et fort remarquable, que publie M. Stéphane Flachat (l’Industrie1).

« Après la mort de Colbert, le mouvement industriel et commercial de la France s’arrêta : la révocation de l’édit de Nantes porta à notre industrie un coup dont les conséquences sont incalculables. L’esprit d’invention naît toujours de l’esprit d’examen. Une partie de nos plus habiles manufacturiers étaient protestans ; ils durent émigrer, et emportèrent du sol natal plus que des capitaux, le talent et l’expérience qui savaient les mettre en œuvre. De combien de richesses cette fatale mesure n’a-t-elle pas privé la France ! combien de débouchés lui a-t-elle fermés ! »

Avant la Révolution, Lyon comptait 18 mille métiers, tant pour l’uni que pour les différens genres. Ils consommaient annuellement 10 à 12 mille quintaux de soie, dont un tiers en soie de pays. Le façonné que les effets de la guerre et de la Révolution ont entièrement détruit, tombait peu à peu et était remplacé par l’uni.

Tous les documens consultés tendent à prouver que, de 1600 jusqu’à 1686, époque de la révocation de l’édit de Nantes, le nombre des métiers s’était élevé de 6 à 9,000 et même 12,000 ; plus tard, et entre autres années, en 1699, il était au-dessous de 4,000 d’après M. Roland de la Platière2, inspecteur des manufactures ; de 1,750 environ jusqu’en 1786, il s’éleva et se maintint à peu près à 12,000, variant cependant quelquefois de 2 à 3,000, par suite de la disette des soies, des deuils prolongés, des guerres ruineuses, des changemens du goût et de la mode, etc. De 1786 à 1788, le nombre des métiers s’éleva, momentanément, de 15 à 18,000 ; c’était sans doute une des conséquences du traité de commerce de 1786. Par ce traité, l’Angleterre maintenait bien la prohibition des soieries françaises ; mais comme beaucoup d’autres articles étaient admis, la contrebande dût devenir plus facile et plus considérable.

En 1789, le nombre des métiers fut réduit à 7,500. De 1795 à 1800, conséquence du siége et des guerres, il varia de 2,500 à 3,500. De 1801 à 1812, beau temps de l’empire, il se releva sans presque jamais dépasser 11 à 12,000. Mais dès la paix de 1815, l’échange des produits avec tous les pays du monde étant devenu facile, l’impulsion donnée à la fabrication fut prodigieuse, et le nombre de nos métiers s’éleva bientôt à 20,000. De 1820 à 1823, il fut porté à 24,000. Et de 1824 à 1825, époque des plus fortes expéditions pour l’Amérique, il dépassa 27,000, dont 18,000 dans la ville et 9,000 dans les faubourgs. Ce mouvement d’extension et d’activité avait été trop précipité pour pouvoir se soutenir ; une crise terrible aux Etats-Unis fut une conséquence des spéculations inconsidérées de 1823, 1824 et 1825, et par réaction, un calme long et profond désola notre industrie et consomma les épargnes faites par nos ouvriers pendant les bonnes années. En 1826, presque tous les métiers à la Jacquard étaient à bas, et je n’exagère pas en disant que de 27,000 le nombre total de nos métiers était réduit à moins de 15,000.

On comprend que, dans un pareil moment, le débouché de l’Angleterre apparut comme une providence.

Les conséquences immédiates de ce nouveau débouché furent la vente de beaucoup de marchandises fabriquées, et la mise en activité d’un grand nombre de métiers. La somme des importations directes et indirectes des soieries de Lyon, de Saint-Etienne et Saint-Chamond, s’éleva, dès la première année, à plus de 25,000,000 francs.

(Un Mot sur les Fabriques étrangères, de M. A.-D.)

Notes (LYON Lyon . Je ne voulais parler que des...)
1 Référence à L’Industrie. Exposition de 1834, rédigé par le saint-simonien Stéphane Flachat (1800-1884).
2 Jean-Marie Roland de la Platière (1734-1793), économiste et homme politique français, il avait été nommé inspecteur des manufactures à Lyon en 1784.

 

 

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