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29 mars 1835 - Numéro 28
 
 

 



 
 
    

De la nécessité de la libre défense pour les chefs d’atelier.

La défense est un droit sacré acquis à tous les hommes, et dans tous les pays civilisés elle fut et est encore l’égide [2.2]protectrice de l’opprimé. Mais pour jouir de ce bienfait, il faut supposer dans celui qui en fait usage, de la défense, assez de connaissances, assez de sagesse, assez de force de caractère, pour ne pas se laisser intimider. Points essentiels sur lesquels nous étayons notre demande de la libre défense au conseil des prud’hommes.

Nous disons d’abord que les contestations entre les parties nécessitent des connaissances. En effet, le chef d’atelier n’a pas au conseil la mission exclusive de sa défense ; il est souvent appelé à faire ressortir ses droits qu’une partie adverse s’attache à lui enlever un à un. Il est donc indispensable pour que la religion des juges soit bien éclairée, que les questions soient posées, sinon avec éloquence, du moins d’une manière assez nette, assez précise, pour qu’elles puissent être appréciées : ce qui suppose, non des talens de la part de la personne qui parle, mais du moins un jugement assez étendu pour donner à la question la forme qui lui est propre. D’ailleurs, on ne peut se le dissimuler, il y a des chefs d’atelier qui, trop peu versés dans la connaissance de leurs droits, ne peuvent que faiblement faire connaître leurs intérêts froissés. Il faut donc alors que le conseil y supplée et fasse en quelque sorte les frais de la défense. Or, comment dans une telle circonstance les négocians qui font partie du conseil se défendront-ils dans une cause, par exemple, qui serait de nature à établir un principe qu’ils jugeraient leur être défavorable dans leurs intérêts commerciaux, comment se défendront-ils, disons-nous, d’un peu de partialité, surtout lorsque la cause a été développée de manière à leur laisser, en quelque sorte, le libre arbitre de leur décision ? A Dieu ne plaise que nous cherchions à jeter un jour défavorable sur les décisions du conseil, en faisant naître que la partialité serait susceptible de les dicter. Mais personne n’ignore, et le conseil lui-même en est convaincu, que souvent une cause en apparence peu importante, étant présentée sous son véritable aspect, peut acquérir le caractère d’une question de principe, sur laquelle le droit commun s’appuie. Or, s’il en est ainsi, et qui pourrait le révoquer en doute, la libre défense est donc indispensable à celui qui ne saurait par lui-même expliquer clairement sa cause à l’audience.

Mais, comme nous l’avons fait observer, ce n’est pas assez de la sagacité et de la prudence, il faut encore la force du caractère. En effet, la timidité ne se maîtrise point, et si elle fait souvent un sot d’un homme de mérite en lui ôtant la présence d’esprit et la confiance nécessaire au développement de ses idées, que ne peut-elle pas opérer sur un homme qui de son naturel, peu répandu dans le monde, se laisse dominer par la crainte sitôt qu’il est en public ? Dans cette position, sa plainte ne sera que balbutiée, ses raisons manqueront des faits capables de les faire apprécier. Si quelques questions lui sont adressées, l’appréhension de mal s’énoncer, la vue d’un auditoire qui scrute ses paroles, le porte souvent, quoique involontairement, à dénaturer sa réponse et la fait paraître sous un aspect différent de celui qu’elle devait avoir.

Si le droit est ce qui est dû à chacun, il faut aussi que chacun puisse le faire valoir ; et si des causes se trouvent souvent défendues de la manière que nous venons de l’exposer, aucun doute qu’une libre défense ne leur soit indispensable, à ces chefs d’atelier, pour obvier à tous ces inconvéniens.

Nous pensons que notre voix sera entendue de la part des membres du conseil et que leur sagesse autant que la justice, leur feront un devoir d’accorder la libre défense, objet des vœux de tous les travailleurs.

 

 

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