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1 mars 1835 - Numéro 9
 
 

 



 
 
    

AUX FABRICANS,

sur l’élection des membres du conseil des prud’hommes.

(Section de soierie).

L’élection des membres de la section de soierie du conseil des prud’hommes est en ce moment l’affaire la plus importante, et qui doit occuper le plus la fabrique lyonnaise. Nos lecteurs ne doivent donc pas être étonnés de l’insistance avec laquelle nous ramenons leur attention sur cette question vitale et actuelle. Nous n’avons qu’un but : l’amélioration du sort des ouvriers par des voies pacifiques, mais sûres ; lentes, mais possibles ; et c’est pourquoi nous croyons utile, avant de songer à de nouvelles conquêtes, de s’assurer celles que l’on possède. – L’institution des prud’hommes, telle que l’a faite l’ordonnance du 25 janvier 1832, est à nos yeux une mine féconde à exploiter dans l’intérêt social de la classe ouvrière ; mais aussi, il faut bien se convaincre qu’une institution quelconque ne vaut que par les hommes qui sont appelés à lui donner vie. C’est donc le choix de ces hommes qui est important, les ouvriers ne doivent pas l’oublier. C’est à eux qu’il importe que le conseil des prud’hommes, magnifique conception de Napoléon législateur, soit tout ce qu’il doit être. Il faut que le conseil des prud’hommes soit fort, afin de les protéger, eux, qui individuellement sont faibles, et cette force, le conseil des prud’hommes ne peut la puiser que dans la capacité et l’énergie de ses membres ; ce sont donc des hommes énergiques et capables que la confiance des ouvriers doit appeler à y siéger.

Nous n’avons pas la prétention d’indiquer aux ouvriers [1.2]les hommes sur lesquels leur choix doit porter ; nous savons combien tout corps électoral est jaloux de sa prérogative. Nous savons surtout combien, par des désignations indiscrètes, nous froisserions d’amours-propres ; il nous serait difficile d’ailleurs, dans certaines sections, de faire un choix parmi des citoyens également dignes de ce mandat, également nos amis ; et lors même que, dans l’intérêt public, nous ne nous arrêterions pas à ces considérations, nous ne serions peut-être pas compris d’un grand nombre, même en disant avec raison que nous n’avons fait que suivre l’exemple de nos confrères qui, dans les élections des députés, ne croient pas manquer aux convenances ni à leurs amis en indiquant des candidats bien souvent en dehors de leurs affections particulières, et en leur amenant une clientèle ; dans ce cas, comme dans bien d’autres, le journaliste seul se montre et l’homme privé s’efface. Nous ne désespérons pas qu’un jour il nous sera donné, ou à ceux qui nous succéderont, de remplir, à l’égard de la classe ouvrière, et dans l’élection de ses prud’hommes, l’office des journaux politiques dans les autres élections ; mais nous ne devons pas nous exposer à marcher seuls, plus encore, à voir calomnier nos intentions les plus pures.

Nous nous abstiendrons donc, par les motifs que nous venons de déduire, de proclamer aucun candidat, lors même que nous ne serions que l’écho de l’opinion publique ; mais nous croyons devoir dire, en passant quelques mots sur les prud’hommes actuels. Nous l’avons promis dans notre dernier N°, nous venons dégager notre parole.

Sur les huit prud’hommes fabricans qui siègent en ce moment, l’un d’eux, M. Labory, n’a aucune chance de réélection, son nom n’a pas même été prononcé : juste punition de sa conduite, trop présente à la mémoire des lecteurs, pour que nous la rappelions ici. M. Labory est moralement mort, il serait donc peu généreux de nous acharner sur un cadavre.

M. Bourdon est un homme instruit et probe, mais faible ; inhabile, dès lors, à toute discussion où la fermeté est la condition du succès ; il se rend justice, à ce qu’on nous a dit, et il ne se met pas sur les rangs.

Nous avons présens à la mémoire les mots que nous adressions, au mois de décembre 1832, aux concurrens de MM. Sordet et Falconnet : « En demandant à succéder à des hommes connus, irréprochables, vous prenez l’engagement de faire plus tôt et mieux qu’euxi, et lorsque le fondateur de l’Echo de la Fabrique, M. Falconnet, l’élu des ouvriers en octobre et novembre 1831, eut, à une majorité de six voix, cédé la place à un chef d’atelier dont les antécédens étaient inconnus, nous dîmes à M. Dumasii, son remplaçant : Qu’on ne dise pas de vous ce qu’on a dit de tant d’autres : il ne valait pas la peine de changer. Nous avions la prévision de ce qui devait arriver, et notre prévision [2.1]s’est accomplie. M. Dumas, de l’aveu presque général, a été au-dessous de ses fonctions ; il a succédé à M. Falconnet, il ne l’a pas remplacé. Nous ne rappellerons que pour mémoire sa conduite envers M. Carrier.

A l’égard de MM. Milleron et Dufour, depuis le peu de temps qu’ils exercent il serait difficile de les bien juger ; nous ne doutons pas de leur bonne volonté ; mais nous dirons avec franchise à l’un d’eux, M. Dufour, qu’il était arrrivé au conseil, précédé d’une grande réputation de capacité, et qu’il ne l’a nullement jutifié. S’il ne s’agit que d’occuper une chaise au conseil, autant ceux-là que d’autres ; mais ils sont loin d’être le type du prud’homme tel que nous le concevons, tel que nous l’avons ébauché et fait pressentir.

Nous n’avons que des éloges à faire de MM. Charnier, Perret et Vérat, et nul doute qu’ils reprennent leur place, s’ils ne succombent sous d’obscures intrigues. Les électeurs de leurs sections auraient tort de chercher d’autres représentans. Ils commettraient la même faute que ceux qui ont remplacé M. Falconnet par M. Dumas.

Cette partie pénible de notre tâche est achevée ; aucun sentiment de haine n’a dicté nos paroles ; mais, ennemis de toute intrigue, habitués à marcher au grand jour, à réfléchir l’opinion publique, nous n’avons qu’une seule arme, la presse, et nous nous en sommes servis pour dire ce que nous pensions être vrai, être juste. Que chacun en fasse autant.

Maintenant, nous attendrons avec confiance le résultat des élections, et, pour la dernière fois, nous adjurons les ouvriers de ne céder à aucune influence qu’à celle du bien public, de ne voir que la probité et la capacité de leurs candidats, et d’être bien convaincus que la probité et la capacité ne sont pas le produit de telle ou telle formule. Il y avait dans l’antique Grèce beaucoup d’hommes sages et éclairés qui n’étaient pas initiés aux mystères d’Eleusis.

 

 

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