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29 mars 1835 - Numéro 13
 
 

 



 
 
    

RÉPONSE A L?INDICATEUR

En faveur de la libre défense.

[1.1]Nous avons dit dans notre avant-dernier N° que dans toutes les sections mandat d?exiger la libre défense avait été donné aux prud?hommes : un autre journal qui a malheureusement compris le journalisme comme représentation des individus au lieu des principes, l?Indicateur, a jugé à propos de s?élever contre notre assertion, et de nier ce fait. Que devons-nous en conclure et le public avec nous ? Que ce mandat contrarie l?Indicateur et quelques-uns de ceux dont il reçoit l?impulsion. En effet, nous ne pouvons nous résoudre à croire que ce soit pur esprit d?antagonisme de la part de notre confrère, et qu?il adopte une thèse précisément parce que nous en formulons une autre. Il est vrai qu?il a déjà montré cet esprit étroit à l?égard du mot fabricant que nous appliquons (avec raison grammaticale et logique) aux chefs d?atelier, et qu?il a répudié pour cela, préférant en affubler les négocians qui ne fabriquent rien ; ce qui introduit dans le monde ouvrier un langage hétérogène et une grande confusion pour ceux qui lisent les deux journaux. Quoi qu?il en soit, et quelque motif que l?Indicateur ait pour agir hostilement contre la libre défense, nous n?oublierons pas qu?elle est un besoin de la fabrique ; et comme nous l?avons toujours soutenue, sinon avec succès du moins avec zèle, nous la soutiendrons encore contre l?Indicateur et ses adhérens.

D?abord, établissons bien le point en litige : nous n?avons pas dit, et l?Indicateur est forcé de le reconnaître, que ce mandat avait été inscrit dans les procès-verbaux des élections ; nous avons dit seulement, qu?il avait été exigé des prud?hommes, en d?autres termes, qu?il avait été la condition sine qua non de l?élection des prud?hommes, c?est-à-dire, que le candidat qui l?aurait refusé, n?aurait pas obtenu les suffrages des électeurs. Nous maintenons notre dire.

Quel a été le v?u unanime, ou au moins de l?immense majorité des électeurs, n?est-ce pas la libre défense ? Qu?on réponde oui ou non : la question est toute là. Et notamment M. Dufour, l?un des rédacteurs de l?Indicateur, niera-t-il que dans ses courses préliminaires près des chefs d?atelier de sa section, il les a entretenus de son désir d?obtenir la libre défense. Faut-il d?autre preuve du mandat ? et comment aurait-on pu lui l?imposer plus authentiquement ? s?est-il trouvé dans la salle lorsqu?il s?est agi de le faire expliquer à ce sujet ? il s?en est excusé dans une espèce de proclamation, en regrettant beaucoup d?avoir été forcéi de quitter la salle avant le dépouillement du scrutin ; il aurait évité des doutes sur son compte, il finit par déclarer qu?il adhère aux v?ux, etc. Eh bien ! ce que M. Dufour appelle des v?ux, nous l?appelons un mandat, et c?est là, ce nous semble, le mot propre. Les ouvriers adressent leurs v?ux à la divinité, [1.2]ils donnent un mandat à leurs prud?hommes. M . Dufour se croient-ils donc d?une telle nature que ses camarades en soient réduits à lui adresser leurs v?ux ! Dans une autre section, si l?on a renoncé à demander la signature du prud?homme élu ; n?est-ce pas sur sa déclaration expresse qu?il était partisan de la libre défense et d?après ses antécédents honorables ? Sans doute, il serait plus commode de n?avoir pas aujourd?hui de mandat à remplir ; il n?est pas étonnant qu?on le préfère, mais nier un mandat reçu, sous prétexte, qu?il n?a pas été écrit, est une action dont nous devons laisser aux lecteurs la juste appréciation.

Eh bien ! M. Falconnet ne le nie pas, il a reçu le mandat d?exiger la libre défense. Et si donc, un prud?homme, autre que M. Dufour, ne croit pas ou ne veut pas avoir reçu un mandat, qu?il se nomme, et nous accueillerons son désaveu, et ses commettants en prendront note.

N?est-ce pas une véritable absurdité de vouloir qu?une seule section (au dire de l?Indicateur) ait donné à son prud?homme le mandat d?exiger la libre défense, c?est-à-dire, de l?exiger seul. Quelle amère dérision ? si ce prud?homme n?est pas soutenu par ses collègues, pourra-t-il jamais l?obtenir ? non ; comme nous l?avons dit dans notre dernier numéro, ce n?est que par la réunion et par les efforts communs de la presse et des prud?hommes, que la libre défense palladium de tous les droits, obstacle invincible au rétablissement du huis clos, acheminement pacifique à la jurisprudence fixe, pourra être obtenue. Mais, comment l?espérer, si de prime abord, la presse se divise, si les prud?hommes veulent marcher sous des étendards opposés.

Pourquoi donc l?Indicateur a-t-il élevé une voix discordante ? a-t-il craint de donner aux prud?hommes, par l?imposition d?un mandat, une force morale trop grande ? par l?unanimité de la presse populaire un appui trop redoutable ? En vérité, quel vertige l?a saisi ; il espère que la libre défense sera admise au conseil. Oh ! que son langage est froid. Cependant il sait se passionner pour des choses bien plus minimes, il voit en perspective et dans son style emphatique et niais, prophétise l?érection d?une colonne en l?honneur des fondateurs d?une boutique d?épiceries? Et pour le triomphe de la libre défense il se contente d?espérer. Il fait plus, il rompt l?harmonie qui, sur cette question vitale, existe dans la classe ouvrière ; et les prud?hommes que nous nous plaisions à représenter investis d?un mandat, obligés de demander et d?obtenir, il les représente comme chargés simplement d?exprimer des v?ux, que savons-nous ? peut-être quelques doléances ; et comme à d?aussi faibles démarches le succès n?est pas dû, ces magistrats populaires endormiront leur conscience jusqu?au jour du réveil, qu?amène toujours une nouvelle élection, et alors ils en seront quittes pour dire : Nous pensons comme vous, nous avons fait tout ce que nous pouvions, etc. l?Indicateur a fait là plus qu?un mauvais article, il a commis une mauvaise action.

La Tribune Prolétaire n?entend pas ainsi la défense des droits que dans son humble sphère elle a mission de protéger. Impossible, n?est pas français. Prud?hommes, [2.1]vous devez obtenir, et vous obtiendrez si vous voulezii. Vous obtiendrez, parce que ce que vous demandez est juste, est naturel ; le tribunal est sorti du droit commun, il doit y rentrer. Nous faisons plus que l?espérer, nous en sommes certains, pourvu que tous les prud?hommes chefs d?atelier le veulent, et si au lieu d?établir une polémique insignifiante, hostile aux travailleurs, l?Indicateur consent au moins pour cette question à marcher de concert avec nous.

Lorsqu?il en sera temps nous indiquerons aux prud?hommes la marche à suivre. Que leur amour-propre ne s?en offense pas. La presse qui régente les pouvoirs de l?état ; la presse qui porte son investigation sur les questions les plus élevées, les plus ardues, et qui les juge en dernier ressort ; la presse peut bien prétendre donner d?utiles conseils à des magistrats populaires, et ceux-ci auraient mauvaises grâce, disons plus, bien peu de patriotisme à afficher pour elle un superbe dédain, à lui contester une prérogative qu?elle ne saurait jamais exercer que dans l?intérêt général, car elle est soumise elle-même aux arrêts de l?opinion publique.

 

 

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